[Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [19 avril 1790.] de citoyens qui les avaient consacrés au culte de Dieu et au soulagement de l’humanité souffrante, au lieu d’accepter l’offre d’un emprunt de 40 millions, qui eût sauvé l’Etat. Croyez-vous avoir fait du bien aux habitants des campagnes, en leur ôtant leurs seigneurs, qui n’étaient attachés à ce titre que parce qu’il leur donnait le droit de les traiter en père? Quant à moi, mes anciens vassaux seront toujours mes amis. Quel bien avez-vous fait en supprimant les droits honorifiques, qui ont diminué d’un tiers la valeur des biens du royaume; croyez-vous avoir fait une action louable en attaquant et violant toutes les propriétés, en privant les peuples de ces magistrats qu’ils étaient accoutumés à respecter? Dépositaires de nos lois, ils en étaient l’organe. N’avez-vouspasàvousrepro-cher les égarements du peuple, et par conséquent son malheur? Lorsque vous vantez sans cesse une révolution qui a détruit l’ordre établi dans ce royaume pour la tranquillité du citoyen; lorsque vous applaudissez, quand on ose vous dire que l’insurrection est le plus saint des devoirs, nous ne devions parler au peuple que le langage de la paix, de la soumission et de l’amour. On parle sans cesse de ses intérêts; s’en est-on vraiment occupé? Non, Messieurs, nous les avons trahi au lieu de les avoir servis; si ces vérités avaient le malheur de vous déplaire, songez que ce langage n’est permis qu’à celui qui, associé à vos travaux, ne veut pas partager le blâme de vos opérations. Il vous en abandonne toute la gloire si vous en retirez. Daignez éclairer un cœur sensible, qui, depuis qu’il existe, n’a respiré que pour le bonheur de son roi et de sa patrie, leur a consacré sa vie et sa fortune, qui s’était flatté, en arrivant aux Etats généraux, de voir réparer les maux de l’Etat, et ses concitoyens jouir d’un bonheur auquel il aurait contribué. Je ne vois au contraire que le plus vertueux et le meilleur des monarques abreuvé d’amertume, le peuple français troublé et ruiné, et le commerce détruit, le numéraire disparu, la confiance perdue, toutes les classes des citoyens craignant la dissolution de cette brillante monarchie. Dans le projet du comité de constitution, on vous propose de défendre aux assemblées de département de remplacer la législature actuelle; on annonce que celle qui nous remplacera n’aura pas le droit de rien changer dans la constitution que nous avons établie ; mais ne craignez-vous pas qu’on ne vous compare aux tyrans de l’Asie, qui exigent l’obéissance servile à leurs lois, sans permettre une réclamation ? L’histoire nous apprend que le despotisme d’un seul a toujours été moins funeste que celui d’un sénat, que le despotisme de la multitude est le règne des passions, et non celui de la raison; soyez sûrs que l’on vous dira que vous avez oublié ce que vous deviez à ceux qui vous ont envoyés, la mission dont ils vous avaient chargés; on' vous appellera des factieux, qui, craignant le compte que vous aviez à rendre, avez détruit les provinces et les bailliages pour n’avoir plus aucuns censeurs ; mais la nation entière sera votre juge, et le premier moment d’ivresse étant passé, elle verra l’abîme où vous l’avez plongée. Quant à moi, Messieurs, persuadé que ce n’est qu’à mon bailliage que je dois l’honneur d’être un des représentants de la nation, que la constitution, que j’étais chargé de réclamer, était la même dans tous les cahiers, que c’était celle établie par nos pères, que l’Assemblée nationale en a fait une diamétralement opposée, je déclare que j’ai protesté contre tous ceux de vos décrets qui y sont 117 contraires. Fidèle, jusqu’à la fin de ma mission, au serment que j’ai prononcé entre les mains de mes commettants, je ne croirai jamais que vous ayez le pouvoir de le délier, et les opinions de la majorité de cette Assemblée, sur ce lien sacré, qui nous unit à nos commettants, loin de me convaincre, m’ont paru contradictoires avec celui que vous exigiez pour une constitution contraire au vœu connu des bailliages. Ou vous faites cas des serments, ou vous les méprisez ? Si vous en faites cas, le seul qui nous lie est celui que nous avons prêté à ceux qui nous ont donné leurs pouvoirs. Gomme ils m’ont ordonné de me retirer au bout d’un an, je serai exact à leur obéir. Ils m’ont aussi expressément recommandé de faire autoriser les Etats généraux, une assemblée de la noblesse de la sénéchaussée d’Auvergne, pour leur rendre compte de ma conduite. Quelque étrange que puisse vous paraître cette demande, je n’aurai pas à me reprocher de ne l’avoir pas faite, en quittant le titre honorable de représentant de la nation; je rentrerai dans la classe de vos juges, j'y attendrai, en silence et avec respect, la décision que la nation française portera sur vos travaux; si elle adopte votre constitution, j’en serai un des plus zélés défenseurs et mon dernier soupir sera pour mon roi et ma patrie. 28 ANNEXE à la séance de l'Assemblée nationale du 19 avril 1790. Observations et projet de décret sur les classes de la marine (1), par MM. le marquis de Vau-dreuil, lieutenant général des armées navales, député de Castelnaudary ; et le chevalier de La Coudraye, ancien lieutenant de vaisseau , député du Poitou, l’un et l'autre membres du comité de manne. (Imprimés par ordre de l’Assemblée nationale). Messieurs, le régime des classes nous semble devoir être conservé tel qu’il est prescrit par l’ordonnance du 31 octobre 1784; et voici les motifs de notre avis ; nous supplions l’Assemblée nationale de les méditer avec attention et de les peser rigoureusement dans sa sagesse, puisqu’il s’agit d’un point important d’où peut dépendre le sort de nos armées navales. Ce sont des marins qui les présentent; des marins qui prennent l’intérêt le plus vif à cet état, et qui ne s’élèvent qu’avec regret contre l’opinion de la majorité du comité de la marine, dont ils font eux-mêmes partie. 1° 11 faut convenir qu’embarquer sur un vaisseau de guerre sera toujours une corvée pour le matelot, quand même on y doublerait sa paye; c’est que l’on se bat sur un vaisseau de guerre et que l’on prévoit la possibilité d’y être estropié ou de laisser une veuve et des orphelins ; c’est que le matelot s’y trouve dans un degré de subordination et de dépendance qu’il ne connaît pas sur le bâtiment de commerce; c’est qu’enlin il y est privé de son coffre, de ses aisances, qui lui rendraient les fatigues de la navigation plus supportables. Il ne faut pas croire cependant que cet élo;gne-(1) Ce document n’a pas été inséré au Moniteur 448 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [19 avril 1790.] ment pour les vaisseaux de guerre soit général et absolu ; les matelots de Brest, par exemple, les meilleurs peut-être du monde entier, se livrent presque exclusivement, et par goût, au service des vaisseaux du roi, et ce n’est qu’au défaut de ces armements qu’ils vont chercher quelquefois des embarquements dans les ports de commerce. 2° U est trois manières de se procurer des matelots : l’une, en les engageant comme les soldats. Le Danemarck, qui a cependant des classes, a un établissement semblable pour les travaux de ses arsenaux ; mais cela ne peut convenir à une grande puissance dont les armements, dépendant de la situation politique de l’Europe, n’ont jamais rien de fixe, ni de déterminé, et cela lui conviendrait moins encore si ses finances étaient obérées. [Jne autre manière est d’enlever des hommes de force, lorsqu’on en a besoin, ainsi que cela se fait en Angleterre. Cette manière, que l’on nomme lapresse , est certainement la plus violente de toutes : l’on peut prévoir même qu'elle ne réussirait point en France, parce que cette contrée n’est point une île dont tous les points soient peu distants des côtes, et dont presque tous les habitants connaissent la mer, et mettent leur amour-propre à dominer sur la mer; parce qu’elle exciterait conséquemment des troubles lors du transport des hommes pressés et qu’elle ne fournirait point un nombre suffisant de marins. Enfin, la troisième manière est celle que nous employons. Louis XIV établit les classes. Les hommes qui habitent les côtes et qui tirent leur subsistance de la mer par la pêche, par la construction des navires, par la navigation sur les bâtiments de commerce, etc., sont enregistrés et assujettis à être employés tour à tour sur les bâtiments de guerre. 3° Peu de personnes ont une idée exacte de l’état des classes. Beaucoup les regardent comme vexatoires et iniques, parce qu’ils les jugent sur leur établissement réellement trop sévère dans le principe. Ils ignorent, sans doute, que depuis, par l’ordonnance de 1784, chaque homme classé peut se faire rayer à sa volonté de la matricule, en renonçant toutefois à son état, c’est-à-dire, au bénéfice qu’il retirerait de la mer : seulement on a exigé que l’homme fût encore sujet, un an après sa demande, à la police des classes, et cet assujettissement ne doit être considéré que comme une précaution contre des demandes combinées ou trop contraires aux circonstances. En effet, pendant la guerre, le déclassement ne serait pas libre, et la politique l’interdirait. Or, qui ne sent combien ce régime est préférable à celui de l’Angleterre, et combien il est plus doux? Il est de fait que cette nation si célèbre sur les mers nous envie cet établissement auquel nous devons de primer constamment nos ennemis la première année d’une guerre, et auquel nous ne pourrions renoncer sans porter un coup funeste à notre marine. 4° Parmi les adoucissements que l’ordonnance de 1784 a apportés au régime des classes, celui de se déclasser à volonté n’est pas le seul important pour les matelots. Cette même ordonnance (titre 13) a rendu leurs marches, dans les temps de levées, plus faciles et plus salubres, en établissant pour eux, comme pour les soldats, des ordres de transport, de logement et de réception aux hôpitaux. Elle a dispensé du service tout homme de mer, ayant trois fils classés, et elle a prescrit que ceux des enfants qui auraient été tués au service ou seraient devenus invalides par leurs blesseures, seraient, à cet égard, comptés comme existants (art. 10, titre 12). En toute occasion, un père peut se faire remplacer par son fils, quel que soit son grade au service, pourvu toutefois que le fils y consente (art. 24, titre 12). Elle autorise même "tout homme de mer, avec l’agrément du chef des classes, à se faire substituer par un autre homme du même syndicat et de même qualité que lui (art. 23, titre 12). On a étendu la prévoyance et l’intérêt jusqu’à défendre d’inscrire sur les rôles, à la suite les uns des autres, les gens d’une même famille, pour qu’autant qu’il sera possible, ils soient rarement obligés de marcher tous à la même levée (art. 4, titre 12). Cette ordonnance a amélioré le sort des gens de mer pour les pensions et gratifications à accorder à eux, à leurs veuves et à leurs enfants (titres 15 et 17). Elle a prescrit des fonds particuliers, tous les trois mois, pour donner des acomptes dans chaque quartier aux familles des gens de mer employés sur les vaisseaux de guerre (article 1er, titre 16). 11 est spécialement enjoint de laisser aux matelots qui ne seront point employés au service de l’Etat, la plus entière liberté de s’occuper à la navigation marchande ou à la pêche (art. 3, titre 11, et art. 2, tit. 14). Elle défend de lever les capitaines reçus au grand cabotage, et même les maîtres du petit cabotage, lorsqu’ils commandent des bâtiments (art. 5 et 6 du titre 12). Enfin, il est enjoint aux syndics de garder le rôle du tour de service qui leur sera remis par le chef des classes, de l’afficher dans un lieu apparent ée leur maison, et d’en laisser prendre des copies qu’ils ne pourront refuser de collationner, s’ils en sont requis, aux officiers municipaux des lieux et à toutes autres personnes (art. 9, titre 2). Le réglement du premier janvier 1786, concernant la réception des capitaines de navire de commerce (art. 31), restreint à neuf mois le temps nécessaire de navigation sur les bâtiments du roi pour être reçu capitaine; et ces neuf mois de navigation peuvent être faits en qualité de volontaire, par les dispositions des articles 1 et 2 de l’ordonnance de la même date, concernant les volontaires. Il reste à augmenter la solde du matelot; ce serait un nouvel adoucissement que les réformes actuelles rendent possible; c’est un devoir de s’en occuper, mais ce n’est qu’en réglant les autres dépenses, que l’on pourra fixer quelle serait cette augmentation. Les relations des matelots à terre avec leur commissaire ne sont donc que des relations de bon ordre, nécessaires pour savoir où ils sont, et pour les retrouver au besoin. Ce commissaire, d’ailleurs, est leur protecteur et leur patron, soit dans les procès qu’ils peuvent avoir vis-à-vis de leurs bourgeois ou armateurs, soit auprès du ministre pour présenter leurs titres à obtenir les invalides ou autres grâces dont ils sont susceptibles. Quelques abus, presque inséparables du gouvernement d’un seul, furent les motifs qui déterminèrent les auteurs de l’ordonnance de 1784 à faire concourir à ces fonctions les officiers militaires : l’expérience a justifié leurs vues. 11 est certain que l’officier de la marine voit, dans le matelot, son compagnon d’armes et de périls, et qu’il s’intéresse vivement à son sort et à son bien-être. On objecte que cela est coûteux ; nous ne le croyons pas, puisqu’enfin on donnerait des retraites aux officiers pour ne rien faire, et que ces places sont des retraites où on les tient utilement en activité. Mais il convient que ce soit en effet des retraites sans autre traitement en argent. Au surplus, ce placement des officiers, tout utile qu’il 119 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [19 avril 1790.] nous paraît, ne tient point essentiellement au régime des classes. On pourrait restreindre le nombre des employés, ou se borner même à des inspections; mais nous répétons que nous croyons avantageux à tous égards de conserver les vingt-neuf chefs des classes, lorsqu’on en écartera le double emploi d’un traitement particulier et d’une retraite. Nous ne balançons même point à penser que s’il fallait éloigner le commissaire ou l'officier, c’est l’officier qui serait plus utilement conservé à la régie des classes. 5° Dans les divers plans présentés sur les classes, on a parlé de considérer le matelot à terre comme un simple citoyen entièrement libre, et soumis à la seule police de sa municipalité. On a ajouté que, si l’on conservait le commissaire du roi pour la tenue des rôles ou matricules, toujours faudrait-il que le matelot pût appeler à la municipalité de la régularité de son tour de service, et des décisions du commissaire ou de l’officier. Un tel projet porterait, nous le pensons, un coup funeste à cette subordination, à ce bon esprit du matelot qui le rend tout à la fois si obéissant, si actif, si attaché à son état. Le matelot est militaire : ce serait une erreur de le considérer différemment, parce que tout homme doit être envisagé dans ses fonctions principales, et qu’après tout il ne faudrait point de classes, s’il n’était point de marine militaire. C’est avec les matelots que l’on se bat sur les bâtiments de guerre : ce sont eux seuls qui agissent sur les canons, et les canons sont l’arme des vaisseaux; les abordages, les descentes s’exécutent avec les matelots. Ces mêmes hommes, dans les dangers d’une tempête, vont braver la mort au bout d’une vergue, et ils en descendent avec gaieté pour gratter les ponts et nettoyer les postes : ils supportent, et toujours sans se plaindre, les fatigues des veilles et les travaux forcés. Jamais ils n’ont murmuré d’un repas interrompu, reculé ou perdu. Est-il un seul vaisseau de guerre français où l’on ait vu l’insurrection d’un équipage, et les Anglais en fourniraient plus d’un exemple? Que veut-on de mieux, et que peut-on changer? Aussi n’est-il point d’officier de la marine qui ne chérisse les matelots, et qui qui travaillât avec délice à leur procurer un sort heureux. Sans uniforme, sans exercice, sans tenue, il règne entre eux fa même liaison, le même rapprochement, et une intimité bien plus grande encore qu’entre les officiers et les soldats de tous les corps militaires. Ne détruisons pas ces liens : qu’il n’y ait point d’intermédiaires nouveaux entre eux, l’effet en serait aussi funeste que dans les armées. Si le matelot devient à terre exclusive-menthomme civil, sieettecontinuitéderapportmi-litaire, si légère et si douce d’ailleurs, cesse entre lui et le commissaire ou l’officier qui le commande, s’il peut appeler de leurs jugements, s’ils ne sont plus pour lui ses chefs et ses protecteurs immédiats et uniques, alors ils perdront en considération à ses yeux; la dignité du pouvoir exécutif sera affaiblie; tout est relâché, discipline, subordination, attachement, et le mal est incalculable. 6° Des matelots sont fréquemment des propriétaires; et si l’on a égard aux impositions qu’ils payent à la caisse des invalides sur leur solde, tous jouiront du droit de citoyen actif. Leur dépendance des municipalités serait encore funeste sous ce titre. Celui qui voudrait obtenir la voix d’un matelot dans une élection, serait-il bien aussi sévère sur l’exactitude du tour de service, sur le classement ou le déclassement, sur la présentation des titres pour l’obtention des grâces ? Les commissaires des classes sont ordinairement étrangers à la ville où ils sont employés; et nous avons été témoins cependant de toute la force qui leur est nécessaire pour résister aux sollicitations toujours existantes, lorsqu’il s’agit de faire marcher un matelot au service. C’est par considération pour lui, pour sa famille, pour tous les petits liens de la société que l’on poursuit avec obstination des exceptions. Or, que les juges soient ceux-là mêmes que ces liens regardent et attachent, croit-on de bonne foi qu’il y aurait plus de justice et plus d’avantage pour le matelot? Que les municipalités dans les ports de commerce soient formées de personnes intéressées à armer leurs navires particuliers, peut-on croire que toujours ils négligeront leur fortune, et que leur influence ne gênera pas les levées pour les vaisseaux de guerre? C’est encore sous ce point de vue, que le concours des officiers de la marine, à la discipline des classes, présente des avantages et qu’il faut craindre de se décider trop légèment à les en écarter. 7° Il n’est point, pour les matelots, de tour de service assez marqué, assez positif pour qu’il ne soit susceptible de contestation. Celui qui viendra de faire une campagne de deux ou trois ans, marchera-t-il à son tour, en le comparant à celui qui a fait une simple campagne d’évolution de trois mois? Si l’on voulait compter les mois de service, bientôt on objecterait qu’une campagne, quoique courte, a fait manquer un armement avantageux pour les particuliers, et a causé autant de préjudice qu’une campagne plus longue. Convient-il enfin de n’avoir aucun égard à la santé, ni à ces positions où la présence d’un père ou d’un époux a quelquefois une influence importante pour sa famille entière? Ainsi toute possibilité d’appel contre son tour à marcher apporterait des discussions certaines à chaque ordre nouveau : elle causerait des lenteurs aux levées ; elle apprendrait au matelot à raisonner son obéissance, et elle détruirait son respect pour son commissaire ou son officier, c’est-à-dire pour les représentants du pouvoir exécutif. 8° Votre comité de marine vous présente un autre projet, celui de donner droit aux matelots d’élire eux-mêmes un syndic qui fixerait leur tour à marcher. Alors ce syndic serait pour eux un officier public de leur choix, un juge à l’aide duquel on pourrait se passer de l’intervention delà municipalité, du moins tant qu’il n’y aurait pas de contestation; mais si l’on conteste, qui jugera en dernier ressort? Si c’est la municipalité ou tout autre tribunal, on retombe dans les mêmes inconvénients; si c’est le commissaire, à quoi bon cet intermédiaire? Ce projet est-il même bien convenable à ce que l’on se propose? Il faudrait peu connaître les hommes pour ne pas savoir que l’on obéit plus difficilement à son égal, lorsque l’ordre est constamment d’une nature pénible, qu’il présente une longue contrainte, et qu’il offre des moyens de contester sa légalité. On doit prévoir que les femmes, si fortement intéressées à ces querelles, puisque le refus d’un matelot menace toujours de peser sur un autre, que les femmes, dont l’intluence sur les hommes est si certaine et si marquée, aigriraient encore ces disputes et multiplieraient les résistances. Bientôt la discorde s’établirait dans les classes, dans les familles et parmi les matelots d’un même lieu. Ce moyen, employé à Saint-Jean-de-Luz, y rend les levées difficiles et lentes; souvent des paysans viennent remplacer les marins; et il a d’ailleurs le même inconvénient de disposer le matelot à l’indiscipline et à l’insubordination. 420 ] Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [19 avril 1790.] Un matelot, un militaire disposé à calculer son ; obéissance ! Le corps législatif en sentira certainement tout le danger; il sait qu’une autorité partagée est sans force, qu’une subordination affaiblie déjà n’existe plus. Et si le matelot, en effet, allait, sur un vaisseau, invoquer la liberté, l’égalité, et parler de ses droits? Si, à son tour et à l’instant d'un combat, il comptait qu’il est, vis-à-vis de ses officiers, dans une proportion non pas seulement de vingt-trois contre un, mais dans celle de cinquante à cent contre un? 9° Il semblerait, à la-sorte de besoin que l’on montre d’innover, à ce désir de se fortifier du pouvoir civil, que les classes sont soulevées et dans un état de plainte contre leurs chefs ; cependant jamais, sur nos côtes de l’océan, matelot commandé ne murmura et ne désobéit, ou du moins les exemples en sont si rares qu’ils ne doivent point être comptés. 11 a la justice de sentir que sa corvée est un mal nécessaire, que celui qui a le bénéfice doit avoir les charges ; il connaît les moyens des autres nations, et il préfère eucore sa lâche; il sait que sur un vaisseau de guerre on lui rendra la vie aussi douce qu’il est possible, et il se résigne en voyant d’autres hommes nés pour plus d’aisance que lui s’intéresser à son sort et partager ses périls et sa fortune. De quelque manière que l’on s’y prenne, l’état d’un matelot embarqué sur un vaisseau de ligne, sera toujours un état de contrainte; mais chaque officier, chaque administrateur s’est attaché à améliorer son sort, à adoucir pour lui l’aspérité du régime des classes. L’ordonnance de 1784 est le résultat de cet intérêt. C’est à sa douceur que l’on attribue généralement l’augmentation sensible du nombre des hommes classés, et qui s’élevait, au 1er Septembre 1789, à 73,388 hommes, non compris les mousses, dont 14,152 officiers mariniers, 50,784 matelots, et 8,452 novices. Les vices du gouvernement français, il faut en convenir, étaient portés à l’excès, mais ce serait un autre excès d’imaginer qu’il n’existait rien de bien. L’expérience nous donne droit de le dire : jamais on ne fera mieux sur les classes que ce qui est prescrit par l’ordonnance de 1784. Dans les réclamations qui vous sont parvenues de la part des maîtres, officiers mariniers et matelots, ils invoquent expressément l’exécution de plusieurs des articles de cette ordonnance. Cet établissement, en effet, semble avoir été porté au plus haut degré de liberté qu’il soit possible de donner sans compromettre la discipline. On en reste persuadé en voyant cet excellent esprit, ces excellentes qualités des matelots. Gardons-nous donc d’y toucher; c’est ici que l’on doit se rappeler que le mieux est l’ennemi du bien, et que tout mouvementinutile est nuisible. Dans le moral on ne peut prévoir l’effetde l’action la plus simple; le moindre poids rompt l’équilibre, peut détruire des dispositions favorables et tout renverser. Ajoutez une dernière considération : ces matelots, doués de toutes les vertus militaires, ces hommes précieux dont le courage et les travaux enrichissent les nations, jouissent de l’avantage de n’inspirer ni craintes, ni inquiétudes, et jamais ils ne peuvent être suspects de devenir un moyen d’oppression contre la liberté publique. 10° L’idée que l’on va exposer est simple : que le matelot, hors de son tour de service, soit à terre homme civil, qu’il jouisse de tous les droits de citoyens, et que ses relations avec son commissaire et son officier ne puissent avoir pour objet que sa protection et son bien-être, mais que dès l’instant qu’il sera nommé par ceux-ci pour le service, il soit considéré comme militaire, sujet à la police des ordonnances militaires, de la même manière que le soldat ; qu’il ne puisse se pourvoir à aucun tribunal civil contre sa nomination, parce que l’on ne peut supposer la possibilité qu’un commissaire et un officier violent gratuitement toute équité à-son sujet; parce que le pouvoir exécutif doit être entier et plein pour être respecté, et que l’officier et le commissaire qui auraient abusé seraient dans un état de responsabilité d’autant plus réel , qu’il n’est plus à craindre, d’après l’organisation même des municipalités, que la voix du faible puisse être étouffée. C’est d’après ces considérations, Messieurs, que nous proposons le décret suivant : « L’Assemblée « nationale, attentive à concilier les droits parti-« culiers des citoyens avec le service qui est dû à « la chose publique, a déclaré et déclare, ordonne « et décrète : « 1° Que les gens de mer et ceux qui exercent des professions relatives à la marine, continueront à être classés, pour servir, à tour de rôle et suivant les besoins de l’Etat, sur les vaisseaux de guerre ou dans les arsenaux; « 2° Que la discipline des classes, la quantité et la qualité des agents nécessaires à cette administration, continueront à appartenir au pouvoir exécutif, sous les réserves prescrites par l’Assemblée nationale sur le fait de l’économie et sur la responsabilité des ministres ; « 3° Que les dispositions concernant les classes, contenues dans l’ordonnance du 31 octobre 1784, n’oQt rien de contraire aux principes de la constitution, ni d’attentatoire à la juste liberté des citoyens. » 3e ANNEXE à la séance de V Assemblée nationale du 19 avril 1790. Rapport fait à l'Assemblée nationale sur les dépenses et le régime économique de la marine , par M. Malouet, membre du comité de la marine (1). (Imprimé par ordre de l’Assemblée). NOTE PRÉLIMINAIRE. L’Assemblée nationale, en ajournant le décret sur les classes, a voulu connaître le plan général du comité sur l'organisation de la marine; et un honorable membre a dit, à cette occasion, qu’il était d’autaut plus nécessaire d’attendre, auon était divisé d'opinion dans le comité. , Puisqu’on a divulgué notre secret, il ny a plus rien à dissimuler. Il est certain que nous cherchons tous la vérité de bonne foi, mais que nous ne sommes pas d’accord, sur son signalement. Chargé du travail relatif aux dépenses et à l’administration, j’en ai fait, Ie rapport : cest après des discussions multipliées que j ai desire de rendre un avis commun, sans pouvoir y parvenir. Mon travail n’a point obtenu lappro-(1) Ce document n’a pas été inséré au Moniteur.