026 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [17 décembre 1789.] Vous connaissez actuellement, Messieurs, les motifs qui ont dicté à votre comité les articles qu’il croit devoir vous soumettre : ma dernière mission est de vous en donner -lecture; heureux si votre comité peut se flatter d’avoir rempli vos intentions, et d’avoir justifié la confiance dont vous l'avez honoré: Art. 1er. Tous religieux qui auront fait des vœux solennels, dans quelque ordre ou congrégation qu’ils puissent être, déclareront, dans trois mois, du jour de la publication du présent décret, devant les officiers municipaux ou les juges royaux de leur domicile, s’ils désirent cesser de vivre sous la règle dans laquelle ils ont fait profession, ou s’ils désirent d’y rester. Art. 2. Ceux qui auront déclaré vouloir quitter leur règle, seront, de ce moment, libres de sortir de leurs monastères, et de résider où bon leur semblera, en habit clérical, sous la juridiction de l’évêque diocésain, comme tous les autres ecclésiastiques, sauf ensuite leur recours à l’autorité ecclésiastique en ce qui concerne le lien spirituel seulement. Art. 3. Il leur sera payé annuellement, par quartier et d’avance, savoir : à tout religieux au-dessous de 50 ans, 700 liv.; 800 liv. depuis 50 ans jusqu’à 60 ans-900 liv. depuis 60 ans jusqu’à 70 ans, et 1,000 liv. depuis 70 ans, sans aucune distinction d’ordres. Art. 4. Il sera payé annuellement par quartier et d’avance, aux abbés réguliers qui sortiront de leur ordre, une somme de 2,000 livres. Art. 5. Les religieux sortis du cloître, resteront incapables de toutes successions et dispositions entre-vifs et testamentaires ; mais ils auront la capacité de disposer du pécule qu’ils auront ac-uis depuis leur sortie du cloître, et à défaut de isposition de leur part, leur pécule passera à leurs parents les plus proches. Art. 6. Ils pourront, être employés comme vicaires, et ils seront même susceptibles d’être pourvus de cures ; mais, dans ce dernier cas, leur pension demeurera réduite à moitié. Art. 7. Les religieux qui auront déclaré vouloir continuer de vivre sous leur règle, seront placés de préférence dans les maisons de campagne du même ordre et de la même congrégation, les plus commodes et les plus saines, et subsidiairement dans les maisons des petites villes. Art. 8. Pourront néanmoins être conservées dans les villes plus considérables les maisons dont les religieux se voueront au soulagement des malades, ou qui seront trouvés dignes de présider à l’éducation publique, ou qu’on jugera capables de contribuer au progrès des sciences. Art. 9. Les religieux qui auront déclaré vouloir rester dans leur ordre, pourront en tout temps faire la déclaration, qu’ils désirent en sortir, et quitter ensuite leur monastère, en observant les formes prescrites par les articles 1 et 2 du présent décret ; du moment de leur sortie, ils auront droit à la pension réglée par l’article 3. Art. 10. Le nombre des religieux dans les maisons conservées ne pourra être moindre de 15, non compris le prieur ou supérieur. Art. 11. Tous privilèges et exemptions accordés à tous ordres et congrégations sont supprimés, et les religieux assujettis sans exception à la juridiction des évêques; le régime des congrégations d’ailleurs conservé. Art. 12. Les maisons qui seront conservées comme utiles aux sciences, à l’éducation publique et au soulagement des malades, pourront seules se perpétuer ; mais les effets civils de la solennité des vœux sont abrogés-en conséquence les postulants qui seront admis, demeureront toujours libres de quitter leur ordre, et capables de successions et donations entre vifs et testamentaires. Art. 13. Il sera désigné pour chaque ordre qui aura des maisons destinées à se perpétuer en conséquence de l’article précédent, une maison d’épreuve dans laquelle les postulants passeront le temps prescrit par les statuts avant leur admission. Art. 14. Lorsqu’une maison aura cessé d’être habitée pendant trois ans par le nombre de sujets fixé par l’article 10, elle sera supprimée, et les religieux en seront aussitôt répartis dans les autres maisons du même ordre. Art. 15. Il sera assigné à chaque maison un revenu annuel, à raison de 800 livres par chaque religieux qui y résidera, et en conséquence, la maison sera chargée de toute espèce d’entretien de ses religieux, de tous les frais de culte, et de toutes les réparations usufruitières de ses églises et bâtiments; et la quête demeurera interdite à tous les religieux qui s’étaient maintenus dans l’usage de quêter. Art. 16. Il pourra être assigné, sur les demandes des administrations de département, un revenu plus considérable aux maisons destinées à l’éducation publique et au soulagement des pauvres. Art. 17. L’Assemblée nationale se réserve de décréter incessamment de quelle manière sera acquitté le revenu des maisons conservées, comme aussi de décréter la forme d’administration des possessions des réguliers et des autres possessions ecclésiastiques, leur emploi, l’acquit des fondations des établissements qui seront supprimés, ainsi que le lieu et 1 instant où les pensions des religieux qui sortiront du cloître, commenceront à etre payées. M. de ISoimal, évêque de Clermont, président du comité ecclésiastique , prend la parole pour demander que cette affaire, vu son extrême importance, soit ajournée à une séance du matin» IL ajoute de plus qu’il fait hautement profession de s’être opposé, d’après la voix de sa conscience, à plusieurs des articles proposés par le rapporteur du comité ecclésiastique. L’Assemblée prononce seulement l’impression des articles, se réservant de statuer plus tard sur l’ajournement. M. le Président annonce qu’un courrier extraordinaire de Toulon vient de lui apporter des pièces relatives aux mouvements arrivés dans cette ville; que ces pièces lui paraissent très-importantes. Le vœu de l’Assemblée, recueilli sans délai, est de renvoyer ces pièces au comité des rapports, qui se rassemblera sur-le-champ à cet effet. M. le marquis de Clermont-Mont-Saint-Jean, député du Bugey, demande un congé de vingt-quatre à trente jours, pour aller vaquer à ses affaires à Chambéry en Savoie, où sont ses terres et la résidence ordinaire de sa famille. Le congé est accordé. M. le Président fait ensuite lecture d’une lettre de M. JNecker, qui accompagne l’envoi d’un mémoire que ce ministre adresse à l’Assemblée nationale. 11 est fait lecture de cette lettre conçue en ces termes : [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [17 déembre 1789.] 627 « Monsieur le Président, « l’ai l’honneur de vous envoyer un mémoire d’observations pour l’Assemblée nationale, dont je vous prie de lui donner connaissance avant le rapport qui doit être fait ce matin par le comité des finances. « J’ai l’honneur d’être avec respect, Monsieur le Président, Votre très-humble et très-obéissant serviteur, « Signé : NECKER. » Mémoire adressé par le premier ministre des finances à V Assemblée nationale, le 17 décembre 1789. Messieurs, j’ai lu avec beaucoup d’attention et d’impartialité le mémoire sur lequel l’Assemblée nationale a voulu que je fusse consulté. Je commence par rendre une parfaite justice aux réflexions générales qui servent d’avant-propos à cet ouvrage; elles sont exactes et clairement exprimées, et ce dernier mérite en est un très-essentiel, puisqu’il n’est jamais séparé d’une conception nette et d’un esprit d’ordre dans les idées. Considérant ensuite le projet en lui-même, la première objection qu’on peut y faire, objection très-importante sans doute, c’est qu’il est uniquement relatif aux avances actuelles de la caisse d’escompte, et à l’émission des billets de caisse dont ces avances ont été le principe L’auteur du mémoire laisse entièrement de côté les besoins extraordinaires de l’Etat pour l’année prochaine, et que plusieurs circonstances générales rendront très-considérables dès les premiers mois. C’est la réunion de ces besoins à ceux du moment, qui constitue le grand embarras : ainsi, en retranchant la difficulté principale, le choix des ressources devenait plus étendu; et celles proposées par M. de Laborde, comme beaucoup d’autres du même genre, eussent été probablement suffisantes. L’on croit cependant, et je suis de cette opinion, qu’une création de cinquante mille actions nouvelles serait un emprunt trop considérable pour être susceptible de succès. Je dois faire observer qu’on a pu être induit en erreur sur l’étendue des ressources qui devaient résulter de la création de ces actions nouvelles, parce qu’on a mal entendu quelques expressions du mémoire de M. de Laborde : il y est parlé d’un prêt de 250 millions fait à l’Etat ; mais ces 250 millions devaient être composés, premièrement des 70 millions déposés par la caisse d’escompte au Trésor royal dès l’année 1787; secondement, des 100 millions d’effets dont le remboursement est suspendu, et qui seraient reçus pour moitié dans le payement des nouvelles actions. Or, la remise de ces 100 millions au Trésor public contre un capital semblable, sur lequel on exige unA remboursement graduel, bien loin d’être un prêt, devient une charge annuelle proportionnée à l’étendue de ce remboursement. 11 ne resterait donc en véritable secours nouveau, que les 90 millions destinés à amortir la créance de la caisse d’eacompte. Le prix de ces 90 millions reviendrait fort cher, puisque, indépendamment de l’intérêt à 5 0/0, on demande l’abandon du bénéfice des monnaies, et une rétribution sur le montant général de tous les revenus de l’Etat. Je ne m’étendrai pas sur la partie du plan de M. de Laborde ; itend à manifester les divers services que la Banque pourrait rendre à l’Etat; car il n’en est aucun qui soit inhérent à l’établissement de cette banque. On tient déjà les livres du Trésor royal en parties doubles, et la réforme générale de la comptabilité ne dépend point de la formation d’une banque. On n’a pas besoin non plus d’un pareil établissement pour faire servir les impositions des provinces au payement des dépenses qui s’exécutent dans les mêmes lieux: une telle disposition est constamment suivie ; et ce sont des récits d’imagination que ces assertions souvent répétées sur le voyage continuel de l’argent des provinces à Paris, et de Paris dans les provinces, du moins pour tout ce qui est relatif aux opérations du gouvernement. Si donc on sépare des dispositions proposées par M. de Laborde, et ce qui existe déjà, et les changements qui, pour éviter le trouble et la confusion, devraient avoir lieu successivement, on verra qu’il faut se borner à faire d’une banque, un simple caissier du Trésor public et des différentes administrations de finances. L’imagination est frappée agréablement de voir réunir en un seul point toutes les gestions qu’on a peine à rassembler dans sa pensée; mais l’expérience prouve que s’il est des administrations, soit en recettes, soit en dépenses, qui peuvent être réunies avec convenance, il en est d’autres qui exigent d’être séparées, sous peine de tomber dans le désordre, et de donner à un petit nombre d’hommes une tâche au-dessus de leurs forces. Vous avez, Messieurs, assez de choses à déterminer, parmi celles dont le retard serait infiniment dangereux : remettons au temps ce qui tient à de simples améliorations sur lesquelles vous ne pouvez être parfaitement éclairés que par les lumières dues à l'expérience. On peut tout mouvoir, tout changer dans six pages de papier; mais en action, ce n’est que par une marche graduelle et successive qu’on évite la confusion. L’auteur du mémoire finit par désirer que la banque soit le mandataire de l’Assemblée nationale, et devienne responsable de la quotité des payements qu’elle ferait sur les ordres du Roi, transmis par les agents de son autorité; mais, de cette manière, les directeurs d’une caisse deviendraient les surveillants et les censeurs du pouvoir exécutif; et comme ces directeurs ne pourraient connaître l’état de chaque compte que sur l'examen et les calculs de leurs teneurs de livres, il se trouverait qu’un simple commis serait, en dernière analyse, l'homme de confiance de la nation, et le répondant de l’exécution de ses décrets. le suis parfaitement d’accord avec M. de Laborde sur les fâcheux inconvénients attachés à l’admission d’aucune espèce de billets de caisse ou de monnaie qu’on ne peut pas convertir en argent à voionté. Les principes qui appuient cette opinion, sont tellement reconnus aujourd’hui, qu’il n’est plus permis d’avoir deux sentiments à cet égard; mais telle est malheureusement la puissance des choses, tel est le commandement violent de certaines circonstances, que les principes généraux, même les plus raisonnables, sont forcés de fléchir un momeut. Je dois faire observer cependant que les conséquences des billets non conversibles en argent à volonté, ne peuvent pas être assimilées en tout aux inconvénients généraux des billets de monnaie, lorsqu’une Assemblée nationale les délibère et les garantit, lorsque leur quantité n’a rien d’excessif, et pardessus tout, lorsqu’on prend des mesures certaines pour les éteindre dans un court terme. Les 628 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [17 décembre 1788.] temps que nous venons de parcourir, les circonstances où nous nous trouvons, n’ont de ressemblance avec rien de connu; et si le devoir d’un ministre clés finances ne l’obligeait pas à calmer les esprits, autant qu’il le peut sans manquer à la vérité, il serait aisé de faire une peinture effrayante des contrariétés de tous les genres dont l’administration est, depuis longtemps, environnée. Arrêtons-nous uniquement sur l’instant présent. L’Etat se trouve endetté envers la caisse d’escompte, non, comme il est dit dans le mémoire de M. de Laborde, par l’effet d’une influence arbitraire, mais par un sentiment louable de la part des administrateurs de la caisse d’escompte, qui, dans l’attente journalière d’un changemen t favorable à l’état des affaires, ont librement assisté le Trésor royal pour l’intérêt de la chose publique; intérêt étroitement lié à la sûreté des transactions particulières. Mais, au lieu de voir arriver des jours plus sereins, selon l’espérance commune, l’orage a grossi chaque jour. Cependant, ce qui se présente aujourd’hui à nos regards, c’est 120 millions de billets circulants, et un épuisement journalier d’espèces; c’est une balance de commerce tellement dérangée par une complication de circonstances malheureuses, que dans plusieurs pays étrangers les écus de France sont plus abondants que la monnaie du prince ; c’est, au milieu de nous, une incertitude et des alarmes destructives de tout crédit; c’est une agitation partout, qui se change aisément en in-surbordination, et donne des moyens faciles pour se soustraire au payement des charges publiques; c’est enfin le décri de nous-mêmes par une multitude de brochures qui attaquent tantôt les hommes et tantôt les choses, et qui s’attachent à ébranler jusqu’aux pilotis propres à soutenir l’éditice chancelant de la fortune publique. On a besoin d’un peu d’opiniâtreté dans l’amour du bien, pour résister à toutes ces difficultés. Les moyens qui peuvent servir à entretenir le désordre et la défiance, sont presque innombrables; au lieu que pour maintenir des liens et des principes qui se relâchent, il faut être constant dans les mêmes soins et dans les mêmes inquiétudes, et succomber quelquefois sous l’oppression d’une unique pensée. C’est au milieu de toutes ces circonstances que nous devons non-seulement chercher à nous acquitter de 90 millions dus à la caisse d’escompte, mais qu’il faut se procurer encore des ressources pour les besoins de l’année prochaine; besoins qu’on peut évaluer à 80 millions, et qui sont susceptibles d’augmentation, par l’effet de plusieurs contrariétés indiquées dans mon mémoire du 14 novembre. Les droits supprimés ou réduits par vos délibérations, les droits et les impôts que l’on tarde à payer ou qu’on ne paye point, forment un vide qui ne pourra jamais être rempli d'une maniéré eflective à compter du 1er janvier prochain. Ce n’est pas non plus à partir de cette date que le déficit ordinaire sera balancé : les anticipations, quoique infiniment réduites, engagent encore, pour l’année prochaine, un capital considérable; et toute fa partie de ce capital qui ne sera pas remplacée par une quotité équivalente de nouvelles négociations, formera une augmentation de besoins. Enfin, les receveurs des tailles, les receveurs des gabelles, des aides et plusieurs autres, avertis, les uns par vos délibérations décisives ou préalables, les autres par des motions ou par des mémoires accueillis dans votre Assemblée, croient à la suppression de leur état, et voudraient, pour cette époque, se ménager les moyens d’être débiteurs d’une portion de leurs recouvrements, afin de se rembourser, par forme de compensation, de la finance de leurs charges ou de leurs fonds de cautionnement. Les receveurs généraux des finances, qui ont fait en 1786 une avance de 10 millions, sous le nom de prompt payement, avance qu’ils ont renouvelée tous les ans depuis cette époque, désireraient, avec de justes motifs, ne la pas continuer plus longtemps, parce que plusieurs considèrent l’année 1790 comme le dernier terme de leur existence. Il résulte donc de ces diverses circonstances et de toutes les craintes, de toutes les combinaisons personnelles qui en sont la suite, une réserve géuérale, très-préjudiciable au service du Trésor royal; et à la place des facilités que les gens d’affaires ont accordées dans tous les temps aux opérations journalières des finances, on ne voit plus qu’une tendance universelle à se soustraire aux événements. Tout cela est naturel, et l’effet inévitable d’une transition dont l’histoire ne fournit point d’exemple. Les choses se remettront sans doute avec le temps ; le zèle honorable d’un grand nombre de municipalités, et plusieurs traits particuliers de patriotisme, sont un grand motif d’espérance : mais les peines du moment présent n’existent pas moins dans toute leur étendue; et tandis que les uns ont pour unique tâche de montrer de l’esprit et des idées sur les grandes questions du gouvernement et de l’administration, les autres sont en misérable guerre avec les chiffres, avec les effets d’un déficit considérable, avec le défaut de crédit, le manque de numéraire, la disette des grains, avec les besoins de tous genres, et encore avec les intérêts personnels animés par la crainte ou la défiance, avec les résistances et les insurrections populaires, et de plus près, avec les faux jugements, les perfides insinuations, les atroces calomnies; enfin, avec les inquiétudes de la veille, du matin, du soir et du lendemain. Certes, la différence est grande, et mérite quelque secours ou quelque pitié. Je reprends mon courage et j’excite le vôtre; il faut, Messieurs, se tirer de nos difficultés; mais attaquons-les en front de bandière, et non en nous divisant par les influences dangereuses de l’amour-propre, des prétentions, des jalousies, et de tous ces destructeurs de l’unité si nécessaire à la force et à la victoire. J’ai déclaré, pour donner l’exemple de cette marche, que je ne tenais point avec affection à toutes les parties du plan que je vous avais proposé, et j’ai cherché le premier à me rapprocher des idées auxquelles on m’a montré quelque attachement. Je dirai plus, un retard qui depuis l’époque où j’ai conçu ce projet, jusqu’au moment de la publicité d’un décret nécessaire, serait probablement de cinq ou six semaines; ce retard rend convenables plusieurs modifications, puisque pendant l’intervalle déjà parcouru, plus de 8 millions en espèces sont sortis de la caisse d’escompte, puisque, dans le même temps, on a attaqué de son mieux la confiance aux ressources qui vous ont été présentées, et que rien n’a plus besoin du secours du crédit, que des billets donnés pour suppléer momentanément au défaut absolu du numéraire. Enfin, comme je suis persuadé que, par-dessus tout, il faut du concert, il faut de l’harmonie, et que la division d’opinion entre les gens en état d’aider la finance de leurs moyens, division ajoutée à tant d’autres, serait dommageable à la chose publique, j’ai cherché, avec le plus grand intérêt, un point de réunion; [Assemblés nationale.! ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [17 décembre 1789.J 629 et le résultat vous sera proposé par le comité que vous avez nommé pour conférer avec moi. Ma confiance en lui m’empêche de regretter que, faute de temps, et par le désir d’être exact au jour que vous aviez assigné pour entendre son rapport, il n’ait pu m’eu donner qu’une connaissance imparfaite. On m’annonce un grand concours de la part des personnes dont les moyens paraissent les plus efficaces, et l’on prend une sorte d’engagement de rouvrir, le 1er de juillet prochain, le payement des billets de caisse à bureau ouvert. Il ne faut pas s’arrêter à un petit surcroît de dépense'pour arriver plus tôt à ce but si désirable. D’ailleurs, dans le projet nouveau, on renonce à toute rétribution annuelle de la part du Trésor public; on assure un secours de 80 millions pour les premiers mois de l’année prochaine; on maintient en même temps la caisse d’escompte; on vous ménage le moyen d’être justes envers ses actionnaires, et on satisfait en général la plupart des intérêts, autant du moins que les circonstances peuvent le permettre. J’avais beaucoup désiré que pendant l’intervalle où le payement des billets de caisse ne pourra pas encore être fait à bureau ouvert, on eût attaché une prime ou un intérêt aux billets de caisse; mais on a trouvé plusieurs difficultés dans l’exécution; et les efforts que l’on va faire pour hâter la reprise générale des payements ont rendu moins essentielle la condition sur laquelle j’avais longtemps nsisté. Si vous approuvez, Messieurs, ce qui vous sera proposé, il ne restera plus qu’à faire de son mieux pour le succès, et pour dispenser ensuite les ressources qui en résulteront avec tout le ménagement possible ; car il ne faudra pas se croire encore riche. Enfin, s’il survient de nouvelles difficultés, nous chercherons à les vaincre, et nous laisserons dire ceux qui croient ou qui répandent, sans le penser, qu’au milieu des circonstances où nous sommes, on peut tout arranger, tout prévoir, tout dominer à la fois. Permettez-moi, Messieurs, d’insister fortement auprès de vous sur une disposition d’autant plus fondamentale, qu’elle intéresse généralement et la confiance dont on a besoin, et la morale dont les législateurs et les gouvernements ne peuvent jamais se passer : cette disposition est relative aux mesures qu’il est instant de prendre pour assurer le payement des assignats destinés à la caisse d’escompte, et qui doivent servir de gage particulier aux billets de caisse. Je dirai plus: vous ne pouvez légitimement les autoriser qu’à cette condition. Il ne suffit pas même que les assignats soient acquittés à l’échéance qui leur sera fixée ; il faut employer tous les moyens possibles pour accélérer leur paiement, et pour faire connaître avec évidence les ressources effectives qui doivent y être appliquées. Celles qui peuvent résulter de la contribution patriotique se déploient lentement. Les déclarations dans Paris ne se montent encore qu’à 8 millions; il est vrai que le dernier terme accordé pour ces déclarations n’étant pas expiré, on peut attendre encore, sans être exposé à aucune invitation personnelle. Les nouvelles des provinces annoncent des dispositions favorables; mais l’incertitude qui règne dans presque toutes les fortunes, sert tantôt d’obstacle, et tantôt de prétexte à des retardements. Tout se ranimera, je n’en doute point, dès qu’on verra distinctement et de plus près le salut général de la chose publique. On veut bien l’aider, mais on veut aussi que ce soit efficacement, et l’on désire que chacun y concours : il faut avoir de la condescendance pour ces combats et ces agitations, et bien espérer cependant du dernier résultat. Ce qui doit servir à tout, Messieurs, au crédit public, à la confiance des particuliers, à la tranquillité des créanciers de l’Etat, à raffermissement des fortunes, et aux divers biens qui en sont la suite immédiate, c’est que vous ne tardiez pas à fixer vos dernières déterminations sur l’ordre général des finances Ce n’est pas à vous, Messieurs, à être intimidés des difficultés qui restent encore à vaincre; et, j’oserai le dire, si vous pouviez prêter à un bon ministre des finances vos forces et vos lumières, ou s’il pouvait vous transmettre l’accélération qui tient à l’unité de conception et d’exécution les affaires générales dont chacun s’inquiète, seraient promptement arrangées. Il vous reste, Messieurs, vous le savez, deux déterminations définitives à prendre : l’une concerne l’établissement d’un parfait équilibre entre les revenus et les dépenses fixes; l’autre, le remplacement de la partie des impôts compris dans ces revenus, et dont vous avez décrété ou voulez décréter la suppression. Je vous ai indiqué par mon mémoire du 24 septembre, de qu’elle manière le déficit ordinaire pouvait être comblé ; et par le préambule de votre décret du 6 octobre, vous avez adopté les premières bases que je vous avais présentées. Les nouveaux examens que j’ai faits, et ceux entrepris par votre comité des finances, ne laissent pas le moindre doute sur la facilité que vous aurez à former, par de simples retranchements économiques, un revenu fixe supérieur aux dépenses fixes. Je crois aussi que vous aurez le choix entre différents moyens, pour remplacer les impôts dont vous désirez d’affranchir les peuples ; et l’on s’exagère les difficultés en redoutant, comme on le fait, le dernier résultat de vos dispositions. La contribution de toutes les personnes et de tous les biens à l’imposition, connue jusqu’à présent sous le nom de taille, et l’assujettissement du clergé au vingtième et à la capitation, produiront, je le crois, une somme de nouveaux recouvrements dont l’étendue surpassera l’attente commune; et d’autres ressources peu onéreuses viendront encore à votre pensée, dès que vous vous occuperez essentiellement de cet important objet. Le public, en se livrant à de grandes inquiétudes, ne fait pas attention que, dans le nombre des droits dont vous méditez la suppression, plusieurs pourront être remplacés par d’autres de même genre, mais sous la surveillance de chaque administration provinciale : condition qui suffira pour les adoucir, soit en réalité, soit en imagination. Il est instant seulement de fixer l’opinion, et d’arrêter le cours des présages funestes auxquels beaucoup de personnes s’abandonnent. Tout le monde perd à des retardements. Ceux qui ont confié leur fortune à l’Etat, s’alarment lorsqu’ils voient la dégradation des revenus publics; et ceux qui auraient supporté avec reconnaissance le remplacement d’un emploi onéreux, ne pensent plus de même, lorsque ce remplacement arrive longtemps après le moment où ils ont été affanchis de l’impôt qui les importunait: car il suffit d’une courte habitude pour envisager son état présent comme une possession dont la moindre altération paraît ensuite un dommage pénible, et quelquefois injuste. Vous ne devez pas perdre de vue, Messieurs, qu’en destinant momentanément, comme vous l’avez fait, au soulagement d’une partie des contribua- 630 [Assemblée nationale ] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [17 décembre 1789.] blés le produit entier de l’impôt des privilégiés, il se trouvera que, dans le même espace de temps, ils auront joui d’une forte réduction sur leur taille ordinaire; ils auront payé le sel, les uns à moitié, les autres au quart de l’ancien prix, les autres en franchise absolue, et que dans plusieurs lieux, par des excès, suite d’une fausse espérance, ils n’auront point payé de droits d’aide. On ne passe pas aisément d’une exemption considérable à de nouveaux assujettissements; il est donc essentiel d’éclairer promptement les peuples sur les rapports durables de leur contribution avec les besoins de l’Etat, afin qu’ils ne se livrent pas à des calculs dont le dérangement les rendrait malheureux. Vous allez avoir de grands moyens pour tout, Messieurs, par rétablissement d’administrations provinciales que vous avez si soigneusement concertées. Le Roi réfléchit déjà, avec une satisfaction digne de son cœur, à tout le bien qu’elles pourront faire à ses peuples, si, comme on doit l’espérer, elles s’établissent avec ordre et avec tranquillité, et si, comme vous le penserez après avoir écarté les défiances du temps présent, défiances que les dispositions naturelles d’un excellent Roi doivent vous aider à dissiper, vous mettez votre ouvrage sous la protection effective du monarque, en ne perdant jamais de vue qu’il faut un point de réunion à tant de parties éparses, et en vous souvenant qu’il n’est rien de constamment durable, sans unealliance d’amour, de confiance et de bonheur, entre toutes les forces qui doivent veiller sur la destinée et sur la gloire d’un grand empire. Plusieurs membres demandent l’impression du mémoire de M. Necker. — L’impression est ordonnée. M. le Président, M. Lecouteulx de Canteleu a la parole pour faire le rapport des commissaires nommés pour l'examen des projets de banque, et conférer , à leur sujet, avec le premier ministre des finances, et les administrateurs de la caisse d'escompte. M. Ijecouteulx de Canteleu, député de la ville de Rouen (1). Messieurs, vous nous avez chargés d’examiner le projet de banque qui vous a été proposé par M. de Laborde, de le comparer avec l’ensemble des projets qui vous ont été présentés par le premier ministre des finances, de conférera ce sujet avec ce ministre, et avec les administrateurs de la caisse d’escompte. Nous n’avons rien négligé pour justifier la confiance dont vous nous avez honorés, nous n’avons pas cessé de nous livrer au travail dont vous nous avez imposé la loi; les conférences que nous avons eues ont été longues et multipliées, nous y avons appelé des personnes éclairées, qui ne tiennent pas à la caisse d’escompte; nous avons cherché la lumière de toutes parts, et discuté toutes les opinions avec le soin, et même le scrupule que vous aviez droit d’exiger de nous. Les principes qui ont été professés dans cette Assemblée sur l’organisation des banques publique, et particuliérement sur la caisse d’escompte ont constamment guidé votre comité dans ce long travail. Mais il a dû en même temps se mettre sous les yeux la pénible position où se trouve actuellement le Trésor public, et saisir d’un coup d’œil assuré les besoins de l’année 1790. (1) Le Moniteur ne donne qu’une faible partie du rapport de M. Lecouteulx de Canteleu. Il a reconnu qu’on ne pouvait plus compter sur les secours du crédit, et que la trop grande émission d’un papier dont le cours serait forcé pour un temps indéterminé, sous quelque dénomination que ce soit, pourrait compromettre définitivement la fortune des particuliers, et s’opposer à jamais au retour de la confiance. 11 n’a pu sempêcher de convenir néanmoins qu’en attendant l’établissement complet et paisible de la nouvelle organisation du royaume, le remplacement des impôts qui seront supprimés, la perception bien assurée des revenus publics, il ne fallait exiger aucun des moyens dont on pouvait faire usage pour continuer provisoirement le service du Trésor national. C’est après avoir senti l’importance de ces différentes considérations, que le comité a examiné le plan du premier ministre des Finances, et a comparé les moyens, qu’il présente à ceux offerts dans le plan deM. de Laborde. Le comité ne croit point devoir analyser ces deux plans; ils sont assez connus, il ne doit en présenter que les résultats. 11 faut d’abord séparer du plan de M. de Laborde ce qui n’en fait pas essentiellement partie sous le point de vue vers lequel le comité s’est particulièrement dirigé ; celui de trouver avec convenance pour le Trésor national, et avec le moins d’inconvénients pourla chose publique, les secours dont on a besoin. Toules les dispositions qui peuvent tendre à des réformes importantes et nécessaires dans la comptabilité actuelle, doivent se faire dans tous les cas, et pourront s’appliquer à la caisse nationale aussi bien qu’à la banque. Le comité a d’abord observé que M. de Laborde en supposant les fonds de la nouvelle banque, dont il a conçu le plan, réalisés au premier avril, ne doit retirer de la circulation que dans le cours de trois mois les 90 millions de billets de la caisse d’escompte que le Trésor royal aura répandus dans le public, au premier janvier prochain, et qui constituent les avances qui lui auront été faites successivement contre des délégations sur la contribution patriotique, et que M. de Laborde propose lui même d’ordonner que jusqu’au premier avril les billets de la caisse d’Escompte qui ne seraient pas retirés par la banque, continuent d’être reçus comme comptant dans toutes les caisses publiques et privées. Ce comité a ensuite observé que les fonds de cette nouvelle banque exigeaient un emprunt de 200 millions au moins, et plus vraisemblablement de 300, parce qu’il faudrait le consentement des actionnaires de la caisse d’escompte pour fondre leur capital dans celui de la nouvelle banque, qui ne présenterait pas à ses actionnaires un intérêt de leurs fonds, assuré dans une proportion égale à celui dont jouissent les actions de l’ancienne. Et votre comité a remarqué que si, d’un côté, la loi impérieuse des circonstances fait fléchir M. de Laborde sur la sévérité des principes qu’il a établis, puisqu’il propose lui-même de proroger l’état de sur-séance donné à la caisse d’Escompte jusqu’au 1er avril, de l’autre cependant il ne vous retire pas de l’incertitude dans laquelle vous êtes sur la réalisation des fonds capitaux qui doiveut, dans l’un ou l’autre plan, réduire ou améliorer la circulation des billets de caisse. 200 millions, et encore plus 300, sont plus difficiles à réaliser que 50 ; cette difficulté augmente, lorsqu’en résultat les cinq sixièmes du capital doivent être versés entre les mains du 1 gouvernement, ainsi que le propose M. de Laborde.