ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [18 mai 1789.] 41 [États généraux.] qu’ils s’y étaient obligés par la religion du serment; et qu’ils s’y conformeraient. Cette conduite excite du murmure; elle est ouvertement désapprouvée par un évêque et publiquement applaudie par un autre et beaucoup de pasteurs. Plusieurs évêques ne peuvent obtenir, par leurs sollicitations, que la déclaration soit retirée ; et comme on allait procéder à la rédaction des cahiers; les opposants sortent de l’Assemblée. NOBLESSE Le jugement des pouvoirs contestés continue d’occuper la Chambre. En Artois, la noblesse qui entre aux Etats a protesté contre l’élection faite dans les bailliages par toute la noblesse de la province. On ne s’arrête pas à ces protestations, sur le motif que la noblesse qui entrait aux Etats devrait exécuter le règlement, comme tout le reste du royaume l'a exécuté. La noblesse de Metz a cru devoir députer directement, quoique le règlement lui enjoignît de ne nommer que des électeurs qui, réunis avec ceux du bailliage, doivent nommer les députés. D’après cette irrégularité, l’élection de la ville de Metz est déclarée nulle. La séance est levée. communes. On continue le tour d’opinion sur les deux moyens proposés de rappeler les deux autres ordres. M. Malouel propose une sorte d’amendement par une déclaration laissée sur le bureau, et dont voici les termes : « Les députés des communes, apprenant par les arrêtés de MM. de la noblesse qu’ils se sont constitués en ordre, et qu’ils ont nommé cependant des commissaires conciliateurs ; présumant que l’intention de MM. de la noblesse est de consentir à une vérification commune des pouvoirs respectifs, ou que leurs commissaires conciliateurs ont une autre mission inconnue aux députés des communes ; dans tous les cas, l’Assemblée non constituée desdits députés, ne pouvant arrêter qu’en conférence un vœu commun, a résolu de le manifester et d’en rendre compte au Roi et à la nation, ainsi qu’il suit : « Nous, députés des communes, profondément pénétrés des obligations que nous avons contractées envers la nation, et désirant avec ardeur les remplir religieusement, déclarons que notre mission est de concourir de toutes nos forces à asseoir sur des fondements inébranlables la constitution et la puissance de l’empire français, de telle sorte que les droits de la nation et ceux du trône, l’autorité stable du gouvernement, la propriété légale et la liberté de chaque individu soient assurés de toute la protection des lois et de J a force publique. « Pour parvenir à cette fin, nous devons et désirons vivement nous réunir à nos co-députés, MM. du clergé et delà noblesse, et soumettre aux Etats généraux la vérification de nos pouvoirs respectifs. Assemblés chaque jour depuis (e 5 mai, nous avons invité avec instance, et nous réitérons nos invitations à MM. du clergé et de la noblesse, de procéder à cette vérification ; nous espérons de leur patriotisme, et do toutes les obligations qui leur sont communes avec nous, qu’ils ne différeront pas plus longtempsde mettre en activité l’Assemblée nationale ; nous demandons en conséquence et nous acceptons toute conférence qui aurait pour but cet objet ; nous sommes d’autant plus impatients d’en accélérer le moment, qu’indépendamment des travaux importants qui doivent nous occuper, nous sommes affligés de n’avoir pu rendre encore au Roi, par une députation des Etats généraux, les remercî-ments respectueux, les vœux et les hommages de la nation. Nous déclarons formellement être dans l’intention de respecter et n’avoir aucun droit d’attaquer les propriétés et prérogatives légitimes du clergé et de la noblesse ; nous sommes également convaincus que les distinctions d’ordre ne mettront aucu’be entrave à l’union et à l’activité nécessaires des Etats généraux. « Nous ne croyons pas permis d’avoir aucune disposition irritante, aucun principe exclusif d’une parfaite conciliation entre les différents membres des Etats, et notre intention est d’adopter tous les moyens qui nous conduiront sûrement à une constitution qui rendrait à la nation l’exercice de ses droits, l’assurance d’une liberté légale et de la paix publique ; car tel est notre devoir et notre serment. « Signé Malouet. » Un membre observe que si l’on délibérait sur celte déclaration elle interromprait le recueillement des opinions sur les partis proposés par M. de Saint-Etienne et M. Chapelier ; elle est en conséquence renvoyée, et on continue à prendre les voix. ÉTATS GÉNÉRAUX. Séance du lundi 18 mai 1789. CLERGÉ. L’examen et le dépouillement des cahiers occupent la séance. noblesse. MM. de Sabran, de Masenod et de Sade, députés des seigneurs de fiefs de Provence, se présentent à l’Assemblée ; ils forment opposition à l’admission des députés de la noblesse de Provence. Ils demandent eux-mêmes à être admis, et déposent sur le bureau un mémoire imprimé contenant leurs motifs et leurs conclusions. COMMUNES. La question débattue dans les trois séances précédentes est remise à la discussion. On discute la motion de M. Rabaud de Saint-Etienne. M. de Mirabeau l’aîné. Messieurs, les sentiments très-estimables, les principes en général très-purs qui caractérisent les deux motions dont nous sommes occupés, n’ont pas suffi pour me ranger entièrement aux propositions de MM. Rabaud de Saint-Etienne et Chapelier. Je désirerais qu’un avis mitoyen tempérât ou plutôt réunît ces deux opinions. 42 ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [18 mai 1789.] [États généraux..] M. Rabaud de Saint-Etienne demande que nous autorisions MM. du bureau à conférer avec les commissaires du clergé et de ]a noblesse pour obtenir la réunion des membres qui doivent former les Etats généraux. M. Chapelier désire que, dans une déclaration très-formelle, nous démontrions au clergé et à la noblesse l’illégalité de leur conduite, et que nous les avisions des démarches qu’il deviendra nécessaire d’opposer à leurs prétentions. Ce dernier avis, plus conforme aux principes que le premier, il faut en convenir, plus animé de cette mâle énergie qui entraîne les hommes à leur insu même, renferme, selon moi, un grand inconvénient dont les préopinants ne m’ont pas paru tous assez frappés. Indépendamment de ce que le parti que nous propose M. Chapelier tend à porter un décret très-solennel avant que nous ayons une existence légale, indépendamment de ce qu’il confond deux ordres qui ont tenu une conduite très-différente, indépendamment de ce qu’il avertit nos adversaires d’un système qu’il est bon de ne faire connaître qu’en le développant tout entier lorsque nous-mêmes en aurons saisi toutes les conséquences, il appelle, il nécessite en quelque sorte une déclaration de la noblesse encore plus impérative que celle dont nous fûmes accueillis hier; une déclaration que, dans nos formes actuelles, nous ne sommes ni préparés ni aptes à repousser, et qui cependant peut exiger les résolutions les plus promptes. Si nous sommes persuadés, Messieurs, autant que nous devons l’être, qu’une démarche aussi mémorable, aussi nouvelle, aussi profondément décisive que celle de nous déclarer Assemblée nationale, et de prononcer défaut contre les autres ordres, ne saurait jamais être trop mûrie, trop mesurée, trop imposante, et même qu’elle nécessite d’autres actes, sans lesquels nous pourrions obtenir pour tout succès une dissolution qui livrerait la France aux plus terribles désordres ; nous devons infiniment redouter de nous trouver contraints en quelque sorte par notre déclaration même, à faire avec précipitation ce qui ne peut jamais être soumis à trop de délibérations. D’un autre côté, la motion de M. Rabaud de Saint-Etienne dissimule entièrement la conduite arrogante de la noblesse; elle donne en quelque sorte l’altitude de la clientèle suppliante aux communes qui, ne fussent-elles pas bravées et presque déliées, doivent sentir qu’il est temps que le peuple soit protégé par lui seul, c’est-à-dire par la loi qui suppose l’expression de la volonté générale. Cette motion enfin traite avec la même déférence ceux qui, se rendant juges dans leur propre cause, n’ont pas même daigné condescendre à la discuter, et ceux qui, plus habiles ou plus délicats, couvrent du moins de quelques procédés leur marche irrégulière et chancelante. Ces deux avis, chacun dans leur sens, me paraissent également exagérés. Et qu’on ne nous répète pas de grands lieux communs sur la nécessité d’une conciliation. Rien n’est plus aisé que de saisir, par ce mot salutaire, les esprits peu attentifs ou môme les bons citoyens qui ont plus de qualités morales que de connaissance des affaires, plus de zèle que de prévoyance ; car le vœu de tous les cœurs honnêtes est la concorde et la paix; mais les hommes éclairés saventaussi qu’une paix durable n’a d’autre base que la justice, qui ne peut reposer que sur les principes. Mais peut-on, sans aveuglement volontaire, se flatter d’une conciliation avec les membres de la noblesse, lorsqu’ils daignent laisser entrevoir qu’ils pourront ne s’y prêter qu’après avoir dicté des lois exclusives de toute conciliation ? lorsqu’ils font précéder leur consentement à nommer des commissaires pour se concerter avec les autres ordres, de la fiêre déclaration qu’ils sont légalement constitués ? N’est-ce pas là joindre la dérision au despotisme? Et que leur reste-t-il à concerter du moment où ils s’adjugent eux-mêmes leurs prétentions? Laissez-les faire, Messieurs; ils vont nous donner une constitution, régler l’Etat, arranger les finances, et l’on vous apportera solennellement l’extrait de leurs registres pour servir désormais de code national... Non, Messieurs, on ne transige point avec un tel orgueil, ou l’on est bientôt esclave. Que si nous voulons essayer encore des voies de conciliation, c’est au clergé, qui du moins a eu pour nos invitations l’égard de déclarer qu’il ne se regardait pas comme constitué légalement, et cela au moment même où la noblesse nous dictait ses décrets souverains; c’est au clergé qui, soit intérêt bien entendu, soit politique déliée, montre le désir de rester fidèle au caractère de médiateur; c’est au clergé, trop habile pour s’exposer au premier coup de tempête; c’est au clergé, qui aura toujours une grande part à la confiance des peuples, et auquel il nous importera longtemps encore de la conserver ; c’est au clergé qu’il faut nous adresser, non pour arbitrer ce différend (une nation, juge d’elle et de tous'ses membres, ne peut avoir ni procès ni arbitres avec eux), mais pour interposer la puissance de la doctrine chrétienne, des fondions sacrées, des ministres de la religion, des officiers de morale et d’instruction ; qu’elle consacre à faire revenir, s’il est possible, la noblesse à des principes plus équitables, à des sentiments plus fraternels, à un système moins périlleux, avant que les députés des communes, obligés de remplir enfin leur devoir et les vœux de leurs commettants, ne puissent se dispenser de déclarer à leur tournes principes éternels de la justice et les droits imprescriptibles de la nation. Cette marche a plusieurs avantages : elle nous laisse le temps de délibérer mûrement sur la conduite à tenir avec la noblesse et sur la suite des démarches qu’exigent ses hostilités ; elle offre un prétexte naturel et favorable à l’inaction qui est de prudence, mais non pas de devoir; elle fournit à la partie des députés du clergé, qui fait des vœux pour la cause populaire, l’occasion dont ils ont paru très-avides, de se réunir avec nous ; elle donne enfin des forces à la trop peu nombreuse partie de la noblesse, que sa généreuse conduite nous permet de regarder comme les auxiliaires des bons principes. Vous conservez donc ainsi tous vos avantages, et vous ne vous compromettez en aucun sens, ce qui ne peut pas se dire dans tous les systèmes; car on aura beau se récrier sur ce qu’on appelle des disputes de mots, tant que les hommes n’auront que des mots pour exprimer leur pensée, il faudra peser ces mots. Et, de bonne foi, est-ce bien à ceux qui courbent la tête devant les pointilleries des publicistes, est-ce bien à ceux qui nous rappellent sans cesse à de vieux textes, à de vieux titres, à de belles phrases, à des autorités de discours et d’insinuations; est-ce bien à ceux qui nous ont journellement fait dire ce que nous ne voulions pas dire, répondre ce que nous ne pouvions pas répondre, à nous reprocher de peser les mots ? Nous n’a- ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 43 [États généraux.] vons cessé de convenir que nous n’étions pas constitués; devons-nous nous permettre des formules qui aient toutes les apparences d’un acte de juridiction? Avons-nous eu tort de prétendre que la puissance doit précéder l’action? Si cela était vrai hier, cela ne l’est-il plus aujourd’hui? Si cela l’est encore, pouvons-nous, plus que les jours passés, faire des déclarations secrètes, commencer des registres, donner des pouvoirs? Tout peut se défendre, Messieurs, excepté l’inconséquence. Envoyez au clergé, Messieurs, et n’envoyez point à la noblesse, car la noblesse ordonne et le clergé négocie. Autorisez qui vous voudrez à conférer avec les commissaires du clergé, pourvu que vos envoyés ne puissent pas proposer la plus légère composition, parce que sur le point fondamental de la vérification des pouvoirs dans l’Assemblée nationale vous ne pouvez vous départir de rien. Et quant à la noblesse, tolérez que les adjoints confèrent avec elle comme individus; mais ne leur donnez aucune mission, parce qu’elle serait sans but et ne serait pas sans danger. En effet, ne nous dissimulons pas que dans .notre sein même on s’efforce de former un parti pour diviser les Etals généraux en trois Chambres, pour les faire délibérer et opiner par ordre; unique ambition des privilégiés en cet instant et qui est l’objet d’un véritable fanatisme. Toute déviation du principe, toute apparence de composition encouragera le parti et entraînera ceux d’entre nous qu’on est parvenu à ébranler. Déjà l’on a répandu, déjà l’on professe qu’il vaut mieux opiner par ordre que de s’exposer à une scission (ce qui revient à dire : Séparons-nous de peur de nous séparer) que le ministre désire, que le Roi veut, que le royaume craint. Si le ministre est faible, soutenez-le contre lui-méme, prêtez-lui de vos forces parce que vous avez besoin de ses forces. Un aussi bon Roi que le nôtre ne veut pas ce qu’il n’a pas le droit de vouloir. Le royaume craindrait s’il pouvait vous croire vacillants. Qu’il vous sache fermes et unis, vous serez investis de toute sa sécurité. On vous flatte enfin (et c’est le plus adroit des pièges que depuis vingt-quatre heures seulement on n’a pas craint de dresser, même à découvert), on vous flatte que les ordres privilégiés vont sacrifier leurs exemptions pécuniaires. Et quel intérêt, dit-on alors, d’opiner plutôt par tête que par ordre? Quel intérêt ! Je comprendrais ce langage s’il étail adressé à ceux qui s’appellent les deux premiers ordres; car comme ils n’ont pas un seul privilège au delà des exemptions pécuniaires, comme hors de ce cercle tous nos intérêts sont évidemment communs, je ne leur vois pas une seule raison de s’opposer à la délibération par tête, s’ils sont de bonne foi; et voilà, pour le dire en passant, pourquoi je ne crois encore que faiblement à la sincérité de leurs sacrifices. Mais nous, qui malgré leur fierté dédaigneuse avons de grandes raisons de douter qu’ils aient le privilège exclusif de l’instruction et des lumières; nous qui ne regardons point l’Assemblée nationale comme un bureau de subdélégués; nous qui croyons que travailler à la constitution est le premier de nos devoirs et la plus sainte de nos missions; nous qui savons qu’il est physiquement impossible de s’assurer d’avoir obtenu le vœu national autrement que par la votation par tête, la renonciation la plus complète et la moins ambiguë aux exemptions pécuniaires ne nous désintéressera nullement du seul mode de délibérer et d’opiner, auquel nos pouvoirs nous autorisent et nos consciences nous contraignent. [19 mai 1789.] . Ne compromettons pas ce principe sacré, Messieurs, n’encourageons pas les intrigants, n’exposons pas les faibles, n’égarons pas, n’alarmons pas f opinion publique, marchons avec une circonspection prévoyante, mais marchons. La noblesse a rompu par le fait l'ajournement du Roi; nous devons en aviser M. le garde des sceaux, pour constater que le provisoire est fini, et annoncer ainsi par la voie la plus modérée et la plus respectueuse, mais la plus régulière et la plus directe, que les communes vont s’occuper des moyens d’exercer leurs droits et de conserver les principes. Envoyons ensuite au clergé des hommes munis de notre confiance et autorisés à inviter, à entendre, mais non à proposer. Laissons la noblesse continuer paisiblement sa marche usurpatrice autant qu’orgueilleuse ; plus elle aura fait de chemin, plus elle se sera donné de torts ; plus les communes, qui n’en veulent point avoir, qui n’en auront jamais, seront encouragées aux principes, sûres de leur force et par cela même de leur modération ; plus la concorde, l’ensemble, l’harmonie s’établiront parmi nous, plus l’esprit public se formera, et de lui seul se composeront notre irrésistible puissance, nos glorieux et durables succès. La motion de M. Rabaud de Saint-Etienne, avec les deux amendements qui ont été proposés, est adoptée en ces termes : « L’Assemblée des communes a résolu qu’elle nommerait des personnes pour conférer avec celles qui ont ôté ou qui seront choisies par MM. du clergé et de la noblesse sur les moyens proposés pour réunir tous les députés atin de vérifier tous les pouvoirs en commun ; et il sera fait une relation écrite des conférences. » ÉTATS GÉNÉRAUX. Séance du mardi 19 mai 1789. CLERGÉ. On propose de faire annoncer au tiers-état la disnosition où est la Chambre de renoncer, au nom du clergé, à toutes exemptions pécuniaires. La discussion amène plusieurs amendements. On met aux voix ; il y a quelques doutes. On demande un second tour d’opinion, mais l’heure étant trop avancée, la séance est levée. NOBLESSE. La Chambre de la noblesse nomme les commis ¬ saires chargés de conférer avec les deux autres ordres sur les moyens de conciliation. Ce sont MM. le marquis de Bouthilier, le duc de Luxembourg, le marquis de la Queuille, le comte d’En-traigues, le duc de Mortemart, le vicomte de Pouilly, de Cazalès, de Bressand. La séance est levée. communes. La séance est entièrement employée au choix des seize membres qui doivent assister aux conférences. Ce sont MM. Rabaud de Saint-Etienne, Target, Chapelier, Mounier, d’Àilly, Thouret, Du-