567 [Assemblé® nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [29 janvier 1791.] des demandes en liquidation de dépens d’avec celles en liquidation de fruits. (Cette distinction est adoptée.) L’Assemblée décrète en ces termes la partie de l’article 5, relative aux demandes en liquidation de dépens. Art. 5. « Les liquidations, règlements et taxes de dépens, en exécution d’arrêts et de jugements définitifs, rendus par les ci-devant parlements et autres tribunaux supprimés, seront faits suivant les règlements, et portés devant les juges de district établis dans les lieux où résidaient les anciens tribunaux qui ont jugé en dernier ressort. » M. de Saint-Martin demande l’ajournement de la partie relative à des liquidations de fruits et de dommages-intérêts. (Cet ajournement est décrété.) Un membre du comité d'aliénation propose et l’Assemblée décrète la vente de biens nationaux à diverses municipalités, dans les termes suivants : « L’Assemblée nationale, sur les rapports qui lui ont été faits par plusieurs membres du comité d’aliénation, des soumissions faites, suivant les formes prescrites, par différentes municipalités ci-après nommées, déclare leur vendre les biens nationaux dont l’état est annexé aux procès-verbaux respectifs des estimations desdits biens, aux charges, clauses et conditions portées par le décret du 14 mai 1790, et pour les sommes ci-après, payables de la manière déterminée par le même décret ; Savoir : A la municipalité du « Le tout, ainsi qu’il est plus au long porté aux décrets et états d’estimations respectifs, annexés à la minute du procès-verbal de ce jour. » M. le Président lève la séance à dix heures. PREMIÈRE ANNEXE A LA SÉANCE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE DU 29 JANVIER 1791. Opinion de M. Ville-lieroax , député à V Assemblée nationale , contre tout système prohibitif de la culture , de la fabrication et de la vente libre du tabac dans le royaume. La tribune appartenant particulièrement aux orateurs, et n’osant à ce titre espérer d’obtenir la parole, je me décide à faire imprimer mon opinion sur la question du tabac. Je suis opposé à tout projet de régie de l’impôt du tabac et je me propose de le combattre avec tout l’avantage que me donnent des connaissances certaines, et avec tout le zèle que m’inspire l’intérêt national ; et j’invite à se rallier à mon avis tous les membres de l’Assemblée, qui ont applaudi des phrases de la séance du 29 janvier, et tous ceux qui ont gardé le silence, en attendant des raisons. L’Assemblée n’a entendu jusqu’à ce moment que des assertions sur la culture, sur la fabrication et sur la vente du tabac. Son comité d’impositions s’est cependant rapproché de la vérité ; j’avais demandé à M. de La Rochefoucauld d’y être admis pour y discuter cette affaire ; mais, si je n’y ai pas été appelé, ce digne citoyen n’a pas laissé échapper ce que je lui ai dit dans les rencontres et les conversations rapides que j’ai eues avec lui; cependant il convient encore de poser des faits avant de proposer un mode de revenu sur le tabac. Je vais enfin suppléer au défaut d’états sur la quantité de tabac que la ferme importe , fait fabriquer et vend annuellement; et, puisque le comité d’impositions, ni aucun autre comité n’a eu les renseignements nécessaires pour cet examen, je vais éclairer cette affaire qu’on a toujours tenue dans l’obscurité. M. Dupont (de Nemours) a dit que la ferme générale fabriquait annuellement 26 millions pesant de feuilles de tabac, laquelle quantité réduite en carottes, rendait 16 millions pesant de tabac fabriqué, et ces 16 millions de tabac fabriqué, en prenant au compte rond de 60 sols la livre, forment une imposition de 48 millions. Si cette base est reconnue par la ferme, j’en établis la fausseté par les faits les plus avérés, les plus incontestables. D’abord, si l’on entend parler de 26 millions de tabac en feuilles, d’Amérique, tel que la Ferme le reçoit, j’atteste à l’Assemblée que de pareil tabac ne freintpas, c’est-à-dire n’éprouve qu’un déchet de 5 0/0 à la fabrication, parce que l’eau, le sel et les côtes rendent au tabac moulu tout le poids originaire qu’il avait en feuilles. Si l’on entend parler, et cela ne peut être du tabac en feuilles d’Europe, je dis que ce tabac, tel que la ferme l’achète, ne freint que de 10 0/0; ainsi les 26 millions de feuilles doivent rendre environ 24 millions pesant de tabac fabriqué, lesquels 24 millions à 60 sols la livre rendent 72 millions tournois. ggg [As*emljlée nationale.] 11 y a donc entre l’assertion de M. Dupont et les faits que j’atteste, une différence de 8 millions de poids; ce qui en fait une essentielle de 24 millions dans le produit à la vente. Il est très aisé à l’Assemblée de constater cette vérité; elle peut nommer des commissaires pour faire peser et fabriquer un boucaud de tabac d A-mérique, ou 1,000 livres pesant de tabac d’Europe, qu’elle prendrait dans les magasins de la ferme. . , Déjà l’Assemblée doit avoir des doutes inquiétants; mais ils vont s’accroître successivement par d’autres faits aussi constants. La ferme générale a un traité avec M. Robert-Moris, Américain, pour lui fournir annuellement 40,000 boucauds de tabac, lesquels pesant 1000 I. net l’un dans l’autre, font 40 millions pesant de tabac en feuilles; et ce traité est ponctuellement rempli. JA , La ferme achète encore annuellement 10 a 12 millions pesant de tabac en feuilles, d’Europe, tant à Warvvic, que dans le territoire de Fumes à Amsfort, et quelquefois dans le Palatinat. Voilà 50 millions de tabac en feuilles, lesquels, rendant au moins 45 millions pesant de tabac fabriqué, produiraient, à 60 sols la livre, un revenu ou une imposition de 135 millions. La ferme met donc en vente 45 millions pesant de tabac fabriqué; il en entre certainement bien 15 millions en fraude; ainsi la France consomme ou exporte, d’après le calcul le plus modéré, sans y comprendre les départements qui cultivent le tabac, de 50 à 60 millions pesant de tabac fabriqué. J’abandonne à l’Assemblée les calculs qui précèdent; elle en peut faire usage, si sa curiosité l’engageait à connaître les progrès qu’a faits la consommation du tabac, et surtout le produit qui en est résulté. Je vais actuellement aborder la question générale. La culture du tabac exige sans doute de bonnes terres, ou des terres bien fumées ; mais aussi la récolte du tabac faite en septembre, on donne un simple labour à la terre et l’on y sème du froment. 11 résulte de ce fait, que le tabac n’est point une plante vorace, ou que du moins elle n’absorbe point les sucs nécessaires aux blés; enfin il n’est point nécessaire que les terres soient très bonnes outrés fumées, lorsqu’on ne recherche pas dans le tabac une feuille grasse et très large ; il est d’une feuille plus étroite, plus sèche, plus jaune dans les terrains maigres et sur les montagnes; mais il a plus de force et plus de sève : il est alors ce que sont aux espaliers les arbres en plein vent, ou nos bois de construction de Bretagne, avec ceux du Nord. C’est donc jeter une grande erreur dans l’Assemblée que de lui présenter le tabac comme une culture ruineuse de toute autre culture; c’est au contraire le moyen d’ajouter un nouveau produit à la terre qui n’a pas besoin de reposer toutes les lois qu’un colou habile sait calculer l'analogie de ses semailles avec les sels que les nourrissent; jetez les yeux sur la Flandre soit française, soit autrichienne ; fût-il jamais pays mieux cul tivé?Fût-iljamais paysans plus heureux! Et cependant la majeure partie des engrais, les cendres de tourbes y arrivent à grands frais, de Hollande; l’aisance y est générale ; et sans doute la Flandre doit, en grande partie, ce bonheur public à la nécessite d’employer beaucoup de bras, surtout les femmes et les enfants, à sarcler le tabac, l’émouver, le cueillir, le sécher et le mettre eu paquets; les fabriques de fils y gagnent, les corderies, la culture de l’osier; car il faut [29 janvier 1791.J enfiler les feuilles, corder les paquets et lier les ballots. Nous sommes si loin, en France, de l’industrie et de l’aisance des laboureurs llamands, et l’on veut arrêter notre essor au moment où la culture du tabac peut accélérer les défrichements, et donner, aux terres déjà cultivées, un produit nouveau et précieux, surtout par l’activité qu’il donnera aux campagnes, et quelle est l’indemnité qu’ou peut offrir aux départements qui cultivent le tabac ? Qu’on invoque le suffrage de leurs députés, qu’on vante leur patriotisme, ont-ils le droit de transiger sur un objet si important ? Ils sont aujourd'hui les députés de la nationentière, et, quand la nation répandrait sur ces départements un graud� nombre de millions, ce serait à peu près l’aumône qu’on fait à un pauvre oisif; rien peul-il remplacer les fruits du travail, la jouissance de ce qu’on cultive, de ce qu’on se procure à peu de frais, et dont on a une longue habitude, enfin quelle différence entre les mœurs du mendiant qu’on nourrit, et la famille indigente qu’on fait travailler ? Quelle différence entre ces deux classes d’hommes, et la liberté qui encourage le travail et l’industrie? La France entière attend, comme un bienfait, la culture libre du tabac, et quelles lois peuvent aujourd’hui l’extirper ? Encourager la culture du lin, la culture du chanvre; donner des primes aux cultivateurs de ces matières premières, j’en suis d’accord; mais la terre produira encore du tabac; l’une de ces cultures exciue-t-eile l’autre en Flandre? vous savez, au contraire, que nul pays ne produit plus de lin; l’agriculture est encore au berceau en France; la moitié de nos terres est inculte, et celles qui sont cultivées, et surtout celles qui forment de grandes tenues, ne rendent pas les récoltes qni résulteront, un jour, d’un labourage mieux entendu. Consultez M. Dau-chy, notre digne collègue, et cultivateur très instruit; il a vu avec le dessein de s’instruire, l’Angleterre et la Flandre; il vous prédira, peut-être, avec moi, qu’à l’exception de quelques localités qui demandent des prairies, la France renoncera à ses prairies, pour se vouer entièrement aux prairies artificielles, pour remplacer, en grande partie, la nourriture des bestiaux, par les navets, les carottes, les panais, les betteraves, le trèfle et la luzerne; que nos prairies deviendront des chanvrières; laissez la culture libre; et ne doutez d’aucun succès; la révolution s’opérera sur la terre, comme elle s’est opérée sur les hommes ; et comme la terre est la base de tous les édifices, la culture est la base de tous les genres d’industrie ; que d’idées ces deux principes présentent à mon imagination ! Mais allant droit à mon but, je dis que si un champ n’est pas exclusivement à son propriétaire, la nation ne peut y avoir des droits plus forts, que lorsqu’il y a refus ou mauvaise volonté, de la part de celui qui le possède, de le mettre en valeur; mais priver le propriétaire de la culture qui lui convient, de celle dont il attend le meilleur et le plus sûr produit, ce serait une affreuse tyrannie; soyons bien sûrs que si le tabac ne produit au cultivateur, ni ce qui l’intéresse, ni ses espérances, ni le dédommagement de ses avances, de ses frais, de son travail, il l’abandonnera de lui-même et sans prohibition; quant à l’objection que si nous cultivons le tabac, nous perdrons nos liaisons commerciales avec les Américains, les liaisons que le commerce forme ne sont pas toujours des nœuds indissolubles d’amitié; l’intérêt les serre; l’intérêt les délie, et je répondrai par ces belles expressions de M. de Mirabeau, qu’il n’esl entre deux peuples ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (29 janvier I791.J 569 ibres, d’alliance sainte et vraiment sacrée, que « l’intérêt national qui forme entre eux une société « d'assurance contre les tyrans. » Si la France n’a pas besoin de tabac, l’Amérique ne s’en offensera pas plus que la France ne s’offenserait si les cultures de la vigne dans la Caroline, réussissent assez pour que les Américains n’eussent besoin ni de nos vins, ni de nos eaux-de-vie. Au surplus, qui a pu tromper assez M. de Mirabeau pour lui faire avancer que tous les tabacs que l’Amérique nous apporte étaient payés par des échanges, tandis qu’il est avéré que nous les payons en totalité en lettres de change sur Londres. Nous faisons, en général, avec l’Amérique, un commerce très désavantageux; nous ne lui fournissons presque aucun article ; et outre la somme très considérable en espèces que l’Amérique exporte de chez nous par Londres, pour les tabacs qu’elle nous fournit, elle suit avec nous diverses autres branches de commerce qui lui sont très favorables ; elle nous livre des farines, des blés, des salaisons, des pelleteries, du riz, de l’huile de poisson, du spermaceti, des côtes de baleine, beaucoup de bois de construction pour les bâtiments civils et pour la marine, diverses drogues ; et l’Amérique ne tire de nous que quelques sucres et cafés en poudre, du sel pour le lest de ses vaisseaux; mais beaucoup de mélasse que nous ferions bien mieux de convertir en rhum; ce serait une fabrique de plus avec laquelle nous rivaliserions les fabriques anglaises, et ce serait pour nous, en Guinée, un moyen de plus pour la traite. Quant à la fabrication du tabac, elle emploie une multitude de bras ; il ne faut à celui qui s’y livre, ni fonds, ni savoir, ni talents; une proportion donnée de sel et d’eau, voilà le meilleur secret de la préparation des feuilles ; tout est en main-d’œuvre, saucer, écôter, ficeler, presser, soit à la manière de Flandre et de Hollande, soit à la manière de Paris ; voilà le genre d’industrie très active dont vous priveriez les départements qui l’exercent ; et vous dénueriez le reste de la France de cet excellent moyen de prospérité. Mais l’abolition des droits sur le tabac est, pour la France, un vœu parallèle à celui qu’elle a manifesté pour l’abolition de la gabelle ; et vous devez peut-être plus de considération aux anciennes provinces, qui n’ayant pas le poids de la gabelle, en ont délivré celles qui y étaient soumises; et il est d’un juste retour que les anciennes provinces, non soumises à l’impôt du tabac, en délivrent celles qui y étaient et qui y resteraient sujettes. L’argument que le tabac n’est point une denrée de première nécessité; qu’il n’y a que celui qui en prend, qui paye l’impôt ; que si vous abolissez cet impôt, vous ne pouvez en faire le remplacement qu’à la charge de celui qui ne prend pas de tabac, est illusoire. En effet, je demande la culture, la vente et la fabrication la plus libre; et c’est, je pense, un avantage géuéral pour celui qui prend comme pour celui qui ne prend pas de tabac ; femmes et enfants� tous profitent dans ce système de liberté; et ne faites-vous, au surplus, aucune différence entre le pauvre et le riche habitués au tabac? Je trouve que l’homme riche s’en fait une jouissance, et que le pauvre en a contracté le besoin ; le riche trouvera toujours, et à quelque prix que ce soit, le moyeu de se procurer d’excellent tabac ; le pauvre doit en trouver au plus bas prix. Les Français seraient-ils donc plus barbares avec les Français, que les nations européennes ne l’ont été avec les nègres, avec les sauvages? Quand les Européens donnèrent des liqueurs fortes aux sauvages, ce fut pour leur en vendre après qu’ils en auraient contracté l’habitude; mais, au moins, il s’établit une concurrence pour cette livraison; toutes les nations leur en portent, et c’est la nation qui livre l’eau-de-vie ou le tafia au meilleur compte, qui jouit de la préférence de la traite, soit de nègres, soit de pelleteries; et nous, nous dirons à nos concitoyens les plus pauvres, aux matelots, aux; habitants des côtes, à nos soldats : Vous mâchez, vous fumez, vous prenez du tabac, vous vous en êtes fait un indispensable besoin, eh bien, nous établissons, sur cette habitude indélébile chez vous, un droit énorme; vous payerez toute espèce de tabac 48 sous la livre. Quoi, Messieurs, vous prononceriez ce fatal décret, ce décret si dur, au malheureux paysan qui cultivait du tabac, et qui le fumait, qui en prenait à 4 et à 6 sous la livre. Messieurs, quand ce paysan, par le haut prix de votre denrée, réussirait à vaincre la nature, à ne plus prendre de tabac, craignez de fermer le cautère que cette plante a ouvert; le reflux des humeurs sera dangereux et pour le corps humain et pour le corps social. Nous avons beaucoup fait pour la liberté des hommes; nous avons donné un grand exemple aux nations ; nous n’avons pas encore assez fait pour le pauvre, et, si vous décrétez que la culture et la fabrication du tabac seront libres en France, vous n’aurez réellement pas fait un grand sacrifice, même en finance. En effet, Messieurs, si une régie pompeusement nationale vend le tabac de toute espèce à 48 sous la livre, je suppose, avec M. de Mirabeau, que cette régie rendrait 30 millions; mais la fraude est certaine, l’impôt est nul : car remarquez, Messieurs, qu’on n’a point répondu et qu’on ne répondra point à cette qu estioo, toute simple qu’elle est. Quel moyen avez-vous, dans le système actuel de la liberté, pour arrêter tes fraudes? Vous ne faites point de visites domiciliaires vons ne portez pas la condamnation des galères, encore moins celle de mort ; vous ne voudrez pas corrompre vos mœurs par l’infâme délation; vous n'avez donc que la confiscation de l’objet fraudé et l’amende; eh bien, la régie ne vendra 3 millions pesant de tabac; la fraude s’ouvrira des canaux de toutes parts avec plus de facilité que la poussière ne passe à travers un crible, et vous l’encouragerez par le bénéfice excessif qu’elle présentera. Voici mon calcul. Le meilleur tabac d’Amérique que la ferme emploie lui coûte 6 à 7 sols la livre; une fabrique économe, telle que les Hollandais et les Flamands l’établissent, ne renchérit pas le tabac de 2 sols par livre; prenez, pour tous les points du royaume, 3 sous par livre de transport; le meilleur tabac fabriqué coûtera 2 sois; il suffirait bien au fraudeur de payer 2 sols par livre, mais je mets 3 sols d’assurance, car il suffit de passer la barrière unique, pour être franc de toute inquisition, de tout danger; et 200,000 hommes ne suffiront pas, nuit et jour, à former un cordon sur nos côtes et sur nos frontières; la fraude enfin pourrait se faire par les troupes mêmes et par les employés; et, de cette manière, le fraudeur est certain d’introduire autant de tabac fabriqué qu’il lui plaira, à 15 sois la livre; il joue donc 15 sols contre 48; et son tabac se vendra par toute la France, a 20, 25 ou 30 sols, et toujours au rabais de celui de la régie; et si, au [Assemblée nationale.] lieu du prix de 15 sols que j’établis pour le meilleur tabac, prix de fabri tue si certain, que les Hollandais ne vendent que le meilleur tabac Saint-Vincent que 20 à 21 sols tournois la livre; si, dis-je, au lieu de cet excellent labac, on en passe de l’espèce qui croît en Europe, alors la régie aura des concurrents bien plus dangereux : ce n’est donc plus un bienfait d’accorder la libre fabrication du tabac; c’est une nécessité. Et qu’on ne dise pas que le tabac fabriqué librement ne vaudra rien ; d’abord, pour son propre intérêt, le fabricant soignera son tabac; mais il aura, comme en Hollande et en Flandre, du tabac d’Amérique pur à 20 sous, du tabac mêlé partie feuilles d’Amérique, partie de feuilles d’Europe, à 15 sous, la meilleure espèce de tabac d’Europe, à 10 sous, puis à 6 et à 4 ; il aura enfin du tabac à tout prix et de toutes les qualités ; il fera ce que la ferme elle-même fait ; elle mélange, elle compose, elle a des sauces diverses, elle gâte le nez des uns avec de mauvais tabac, elle corrompt le nez des autres avec du tabac excellent. Je regarde donc comme bien prouvé que tonte régie est insoutenable ; et je m’appuie sur les principes de tous ceux qui ont contribué avec moi à la Révolution, et j’invoque l’opinion publique pour obtenir la culture, la fabrication et la vente libres du tabac. Mais il faut, dira-t-on, des impôts indirects; sans doute il en faut; et jamais la terre ne doit porter, à moins d’un péril imminent, plus des 3/5 de l’imposition : il faut donc que l’impôt sur les terres soit de 300 millions, et que les impôts indirects s’élèvent à 200 millions ou environ; et ce sont toujours les impôts indirects qu’il faut augmenter ou diminuer, suivant la situation annuelle de l’Etat, suivant le temps de guerre ou de paix, suivant les calamités publiques ou suivant sa prospérité. Il nous convient donc de lever environ 225 millions en impositions indirectes; mais les impositions personnelles et mobilières, le contrôle et le timbre, les traites, les loteries, la vente des biens nationaux, l’extinction annuelle des rentes viagères rapprochent beaucoup de ia somme des besoins; et sans doute que les boissons pourraient rendre 300 millions nets, par un impôt très doux, et combiné avec la plus parfaite liberté, en n’augmentant pas enfin d’un sol par pinte le vin au détail. Je suis donc très certain que les impôts indirects déjà votés, et celui sur les boissons, rendront les 225 millions nécessaires; mais une partie de l’Assemblée ne cherche à forcer les impôts indirects que pour parvenir à ce que l’impôt territorial ne monte qu’à 240 millions, et il doit être de 300 millions. Il est donc fort indifférent au Trésor public qu’il y ait ou qu’il n’y ait pas une régie pour le tabac; mais il n’est pas également au peuple, sur lequel tomberait tout l’impôt ; et dans l’incertitude de la somme que les impositions indirectes rendront, il faut faire comme en Angleterre; si l’Etat a besoin d’un revenu d’nn million sterling, le ministre des finances propose un impôt nouveau ou une addition aux impôts déjà établis; au bout de l’année, il dit au Parlement : Les additions votées ont rendu le million, plus ou moins; si c’est en moins, il demande de nouvelles additions pour l’année suivante, et l’on rembourse, à la banque, la somme qu’elle a avancée, ou dès le moment où l’impôt a été voté, ou lors du déficit du produit; si c’est en plus, cet excédent passe dans la caisse de l’amortissement. Nous devons en agir ainsi, voter tels ou tels impôts ; s’ils rendent la (29 janvier 1791. somme nécessaire aux dépenses de l’Etat pour l’année, nous avons satisfait aux besoins; s’ils sont insuffisants, la caisse de l’extraordinaire fournira, par forme d’emprunt, au déficit; s’il y excédent, il sera porté à la caisse de l’extraordinaire, où il sera affecté au remboursement de certaines dettes. Nous ne devons pas, je le pense, porter nos vues plus loin. Cependant la France ne pouvant perfectionner qu'avec le temps la culture et la qualité de ses tabacs, il y aura toujours, pour ceux qui aiment le tabac de première qualité, une demande continuelle du tabac de Virginie et du Maryland; et il serait impossible d’en imposer à leur odorat; il faut donc mettre un droit sur le tabac en feuilles venant de l’Amérique; et pour favoriser les Américains, il faut que ce droit soit assez modéré pour que, d’un autre côté, il n’engage pas à la fraude ; ce droit peut donc être établi à 4 ou 5 sous la livre, ce qui cependant est 5/6 de la valeur de la chose imposée; ce droit sera établi sur le tabac net, tare de 15 0/0 déduite, et à condition expresse que ce tabac sera mis en entrepôt à leur arrivée, qu’il sera pesé en y entrant et que sur le poids reconnu par le bureau de l’entrepôt et le consignataire ou propriétaire, celui-ci devra payer le droit au fur et à mesure qu’il fera sortir son tabac de l’entrepôt. Nous tirerons d’Amérique, encore pendantlong-temps, 20 millions par an de tabac en feuilles; ce qui suppose qu’il y en aura toujours en France 60 millions pesant; car il est de fait qu’un fabricant divise imperceptiblement ses affaires comme il suit : il a pour une année de tabac fabriqué, pour une autre année en fabrication, et autant qu’il achète par spéculation. Ainsi nous percevons de 4 à 5 millions annuellement sur la tabac importé en France; on pourra y ajouter un droit de licence qui sera une pierre d’attente de l’extension qu’on pourra lui donner. Il sera convenable de prohiber le tabac fabriqué de l’étranger; mais nous n’aurons pas beaucoup à craindre cette concurrence; il sera plus utile à la navigation de modérer les droits sur les tabacs en feuilles importés d’Amérique sur navires français ou américains; mais tout ceci peut entrer dans le projet sur les primes. Je ne réponds rien à l’article 6 du projet de décret sur le tabac; il porte : « Une régie nationale fera fabriquer et vendre « du tabac au profit du Trésor public, et les ta-« bacs en feuilles qu’elle jugera à propos de tirer « de l’étranger seront exempts de droits. » La première partie de l’article regarde certainement la fabrication et la vente de toute espèce de tabac, même celui du cru de France, et ceci est une ouverture à un monopole affreux. La seconde partie de l’article, qui charge de droits la partie industrieuse et active qui fabrique, en exempte la régie fabricante; quelle justice distributive ! C’est une hérésie dans notre Constitution ; ce serait l’athéisme de la liberté. Paris, le 29 janvier 1791. Signé: J. La VILLE-LEROUX. ARCHIVES PARLEMENTAIRES.