(Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [27 août 1789.) 497 vous ferez, sans doute, des diverses ressources et des différents besoins de l’Etat. Les autres droits qui composent les revenus du Roi n’étant pas attaqués d’une manière aussi énérale que les droits de gabelle, il suffira pro-ablement d’une manifestation positive des intentions de l’Assemblée nationale pour en maintenir le recouvrement, jusques à l’époque où vous aurez pris une détermination éclairée sur toutes les branches du revenu public. Il est impossible, Messieurs, que ce crédit fleurisse, dans un pays exposé à des insurrections continuelles ; et comme il n’est point d’acte plus libre que celui de la confiance, elle ne peut naître, elle ne peut s’affermir qu’au milieu de la paix et de la tranquillité intérieure : ainsi, tout ce que vous ferez, Messieurs, pour rétablir ce bonheur, facilitera les emprunts, en rendant à la circulation son activité. Vous vous rapprocherez donc beaucoup de ce but si désirable, lorsque, par des impositions sages, vous mettrez le recouvrement des impôts à l’abri de l’agitation dangereuse qui se fait sentir partout aujourd’hui. Je me résume, Messieurs : le besoin instant de l’Etat, la condition nécessaire de toute espèce de crédit, c’est, je crois, que vous réunissiez toutes vos forces, pour assurer le recouvrement des impôts ; c’est que vous tranquillisiez les préteurs et les créanciers de l’Etat, en vous occupant publiquement et sans aucun délai des moyens qui pourront établir un pccord parfait entre les revenus et les dépenses ; c’est que vous preniez en même temps connaissance de l’étendue des ressources dont il sera nécessaire de faire usage, pour arriver sans malheur et sans trouble au moment du rétablissement général de l’ordre. De grandes difficultés se présentent au milieu du discrédit actuel, et du resserrement inouï de l’argent; mais il faut les attaquer dans leur ensemble, faut les saisir, il faut s’en emparer, il faut les vaincre. Si un premier moyen ne suffit pas, s’il manque même, il faut, sans découragement, en chercher un autre ; car dans les affaires intérieures d’un royaume, une nation qui agit comme en entier par ses représentants a des ressources incalculables ; elle a le grand avantage de pouvoir déterminer d’une manière certaine ce qui est' juste ; elle a le grand avantage d’être soumise aux seules contradictions qui naissent des choses mêmes. L’essentiel est donc que l’on soit persuadé par l’effet invincible de la vérité, que [’ Assemblée nationale est pénétrée de la nécessité de régler sans délai les finances, et d’y appliquer tous ses moyens et toutes ses forces. Alors, Messieurs, tous les bons citoyens, et il en est beaucoup, animés du même zèle, viendront vous seconder, et l’espérance renaîtra de toute part. Le système rigoureux d’économie que vous avez dessein d’adopter, de concert avec le Roi, sera seul un grand effet, quand vos idées à cet égard seront fixées, et quand vous les aurez fait connaître. Je ne crois pas, Messieurs, que les recherches et les travaux auxquels vous aurez à vous livrer en adoptant les considérations que je vous présente retardent la marche grande et importante que suit aujourd’hui l’Assemblée nationale ; mais si votre attention se trouvait un moment partagée par les nouveaux objets dont un dauger pressant vous invite à vous occuper, l’intérêt que vous auriez pris à la situation actuelle des affaires accroîtrait auprès de la nation le mérite de vos travaux. Les hommes inquiets de leur fortune sont des juges sévères, et il faut les rassurer lre Série, T. VIII. sur leur existence présente, pour les disposer à mettre du prix aux biens qu’on leur promet pour l’avenir. Ainsi, dans le temps même où vous ne paraîtriez occupés que des finances, vous seconderiez d’avance toutes les vues générales qui sont aujourd’hui le principal objet de vos délibérations. Les ministres du Roi, sûrs des intentions de Sa Majesté, prennent au succès de vos travaux, le plus juste et le plus véritable intérêt ; ainsi, lorsque vous croirez utile de vous concerter avec eux, lorsque vous trouverez de la convenance à vous concerter en particulier avec le ministre des finances, vous trouverez de leur part l’empressement le plus grand pour correspondre à vos vues. Ce n’est pas trop aujourd’hui de la plus forte ligue en faveur du bien public : ne rejetez donc, Messieurs, ne rejetez aucun secours ; mais surtout soyez unis, pour atteindre au rétablissement de l’ordre dans les finances ; ce que vous voudrez, animés par un même sentiment, par un même intérêt, par un même esprit, vous l’obtiendrez. Le public, témoin de l’accord et de la sincérité de vos efforts dès ce moment, en prévoira le succès ; l’on y croira d’avance, et la tranquillité prendra la place de la défiance et de' l’inquiétude. Je prie l’Assemblée nationale de me pardonner, si pressé par l’instance des affaires, et affaibli par une maladie dont je suis à peine convalescent, je n’ai pu lui exprimer qu’imparfaitement mes idées : je les soumets à ses lumières, et j’aspire principalement à lui présenter un hommage constant et respectueux de mon dévouement sans réserve au bien de l’Etat et au service du Roi. A Versailles, ce 27 août 1789. Signé : NECKER. Plusieurs membres demandent le renvoi de ce mémoire dans les bureaux ; d’autres qu’il soit nommé une commission de douze membres pour l’examiner et en faire le rapport à l’Assemblée. M. Duport fait une très-longue motion sur les gabelles ; il demande qu’on les supprime tout à fait, en les remplaçant par un impôt de 58 millions sur les provinces affectées à la gabelle. Voici son projet d’arrêté : « L’Assemblée nationale, considérant qu’elle ne peut trop hâter le soulagement du peuple, croit que de s’occuper des impôts pour en allégorie fardeau, ce n’est pas manquer aux mandats ; qu’il est plus facile de payer 58 millions que 76 millions ; de sorte que toutes les gabelles seront supprimées, et qu’il sera fait un rôle pour le remboursement, etc. Ce projet n’a pas de suite. M. le vicomte de Mirabeau. La perception des impôts est presque nulle: les troupes sont sans frein, l’Etat sans argent, le peuple sans subsistance, et l’effervescence continue. Nous ne pouvons nous dissimuler que nos connaissances en finances sont fort bornées. Cette Assemblée n’est composée que de cultivateurs, de magistrats, de militaires ; s’il y a parmi nous des hommes de finauce, le nombre en est petit. Je pense donc que nous devrions nous en rapporter au ministre. Quant à nous, nous ne pouvons l’aider qu’en hâtant la Constitution ; c’est alors que le calme renaîtra ; que les propriétaires fonciers sauront ce qu’ils doivent payer ; que les propriétaires fictifs payeront également, et que la capitale su 498 [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [27 août 1789.J repeuplera ; car je ne dois pas oublier une maxime d’un auteur que je dois respecter, c’est que : l'homme suit le métal comme le poisson suit le cours de l’eau. On ne peut se dissimuler que les causes de la détresse sont la publicité restreinte de nos arrêtés. Mille et un pamphlets inonden t la capitale. Nous avons supprimé les impôts, et vous les avez rétablis -, la première partie a été exécutée, la dernière rejetée. Vous avez supprimé la chasse ; elle n’est permise qu’aux propriétaires, et tout le monde ravage les moissons. Vous avez supprimé les dîmes, mais provisoirement elles sont continuées, et provisoirement on a commencé par ne pas les payer ; je demande donc l’impression des trois arrêtés et leur envoi dans toutes les provinces. M. de Talleyrand-Périgord, évêque d’Au-tun. Nous venons d’entendre les détails les plus alarmants sur la détresse du moment ; il est indispensable d’y apporter un prompt remède ; M. le directeur général des finances vient de soumettre à l’Assemblée les opérations et les divers moyens qu’il a conçus ; l’Assemblée les prendra sans doute en considération. La demande la plus intéressante sur laquelle nous devons prononcer est celle d’un emprunt de 80 millions, moitié en contrats, moitié en argent : peut-être y aurait-il quelques observations à taire sur cette forme ; mais les besoins du royaume demandent des mesures extraordinaires, et je pense que tout ce qui appartient au mode de l’emprunt doit être abandonné aux lumières et à la sage expérience du ministre des finances, et qu’il est, sous tous les rapports, beaucoup plus convenable que l’Assemblée se borne à l’autoriser et à le garantir. La nécessité de l’emprunt n’est que trop évidente ; s’il est nécessaire, il faut donc l’autoriser: la conséquence est rigoureuse. Nous ne serons pas arrêtés sans doute par la crainte de contrevenir à nos mandats ; cette difficulté a été déjà victorieusement résolue : bien loin d’en être effrayé, je pense, au contraire, qu’on ne peut leur obéir avec plus d’exactitude, et que ce serait les enfreindre de les suivre littéralement ; car nos commettants, en voulant que toute opération d’impôt ou d’emprunt ne pût être consommée qu’après la Constitution, ont voulu évidemment assurer par là cette constitution ; or, tel est, l’état actuel des choses, que non-seulement la Constitution ne court aucun danger par cet emprunt, mais que même elle ne peut exister que par lui. Mais un emprunt peut-il être proposé, s’il n’existe pas de crédit ? Deux vérités me frappent en ce moment. Jamais le crédit n?a été plus nécessaire à la France ; le crédit est pour le moment anéanti. Le crédit est nécessaire quand le produit des impositions se trouve tellement réduit ; qu’il ne peut suffire à l’acquit des dépenses même les plus pressantes. Le crédit est nécessaire quand tout conduit à croire que les perceptions ne procurent plus dans ce moment les fonds nécessaires au soutien de la force publique. Le crédit est anéanti lorsqu’au milieu de la paix, et sous les yeux de l’Assemblée nationale, les fonds publics éprouvent une perte de dix pour cent de leur valeur primitive. Le crédit est anéanti lorsqu’un emprunt modique, garanti par l’Assemblée nationale, ne peut être rempli. Le crédit est anéanti lorsque le taux des changes prouve une exportation incalculable de capitaux chez l’étranger, et le retrait presque général de tous ses fonds. Il est aisé de conclure qu’il est urgent de rétablir le crédit ; on ne peut travailler à le rétablir qu’en cherchant les causes qui l’ont perdu, et en les détruisant; en conséquence je propose : 1° Que l’Assemblée décrète aujourd’hui un emprunt de 80 millions en laissant le mode de l’emprunt au pouvoir exécutif; 2° Qu’il soit fait une déclaration solennelle, qui, confirmant celles des 17 juin et 13 juillet, rassure tous les créanciers de l’Etat contre la crainte d’une réduction quelconque d’aucune des parties de la dette publique ; 3° Qu’il soit nommé un comité extraordinaire de douze personnes, pour, de concert avec le ministre des finances, examiner les diverses opérations soumises à l’Assemblée, s’occuper particulièrement des moyens d’établir le niveau entre les dépenses et les recettes, et rendre compte, deux fois par semaine, à l’Assemblée générale, de son travail ; 4° Qu’il soit décrété que les Assemblées provinciales seront établies incessamment et pendant la tenue de l’assemblée actuelle, comme étant le meilleur moyen de calmer les provinces, de créer de promptes ressources, de pourvoir sans secousses aux conversions nécessaires d’impôts, et d'affermir les opérations de l’Assemblée nationale, et, en conséquence, qu’il soit donné ordre au comité de constitution de présenter promptement son travail sur l'organisation des assemblées provinciales. Les propositions de M. d’Autun excitent des applaudissements et des murmures. Plusieurs personnes invoquent l’article du règlement qui veut une discussion préalable de trois jours avant de prononcer sur les questions importantes. M. le comte de Mirabeau. Si j’avais eu l’honneur de parler le premier à cette assemblée, peut-être me serais-je borné à une approbation pure et simple de la proposition de M. le directeur général des finances ; mais les additions que M. l’évêque d’Autun y a faites sont de telle nature, la première du moins, qu’une fois proposée, il y aurait les plus grands dangers à l’en séparer. On nous parle de renvoyer ta discussion à un autre jour. Ceux qui nous font cette proposition en ont-ils bien pesé les conséquences ? Voudraient-ils, par un simple attachement à une forme rigoureuse, exposer l’Assemblée à perdre les fruits d’une discussion aussi lumineuse que celle que nous venons d’entendre ? Après avoir manqué notre premier emprunt par un malheureux attachement à des formes, par un désir bien ou mal entendu de perfection, voudrons-nous exposer le royaume à tous les maux que pourrait entraîner le mauvais succès de celui qui nous est aujourd’hui proposé ? Je ne suis pas de ceux qui sont prêts à se rendre l’écho de tout ce qui sort d’une bouche ministérielle. Je ne dis pas que ce qui vient de nous être lu de la part du ministre soit au-dessus de toute exception ; mais le besoin d’une ressource momentanée est évident ; mais l’importance d’assurer le crédit public sur la base sacrée de la fidélité de la nation à remplir ses engage-