[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. ]13 septembre 1790.) 723 et les pauvres contre les gens aisés. Le comité vous fera incessamment un rapport à ce sujet. (L’Assemblée décrète que son président se retirera par devers le roi, pour le supplier de faire exécuter dans la ville d’Orléans les décrets sur la libre circulation des grains.) M. Lambert, banquier, adresse un plan de liquidation de la dette publique. M. Tousard envoie des exemplaires imprimés d’un mémoire et projet de décret sur le remboursement de la dette exigible. {Voy. ce document annexé à la séance.) (Ces plans sont renvoyés au comité des finances pour eu rendre compte.) M. Vernier, rapporteur du comité des finances , propose un décret qui est ainsi conçu : « Sur le rapport fait à l’Assemblée nationale, par son comité des finances, de la délibération prise le 24 mai 1790, par la communauté et paroissiens de Vanoze, district du Coiron, département de l’Ardèche, à l’effet de reconstruire le presbytère de ladite paroisse; du renvoi fait de cette demande par le comité des linances à l’avis du département; de l’avis du district et de celui du département, des 10 et 17 août, sur l’urgente et absolue nécessité de cette reconstruction; l’Assemblée nationale autorise les habitants et paroissiens de Vanoze à reconstruire leur maison presbytérale, conformément au plan et devis approuvés par le directoire de district et de département, après affiches, enchères et adjudications en la forme ordinaire; les autorise également à imposer le montant du prix de l’adjudication sur tous les contribuables de la paroisse, et au marc la livre de leurs impositions principales, sans distinction ni privilège, en se réglant sur les termes du payement qui seront pris dans l’adjudication, de telle sorte néanmoins qu’il reste toujours en arrière un tiers du prix jusqu’à l’entière perfection des ouvrages. •> M. de France annonce qu’il y a des difficultés locales pour la répartition de l’imposition et qu’il convient d’ajourner le décret. (L’ajournement est prononcé.) M. Pétion présente une adresse du département d’Eure-et-Loir relative à l’exclusion prononcée contre les membres des directoires de département et de district pour les places de magistrature. (Cette adresse est renvoyée au comité de Constitution.) M. ürossln, rapporteur du comité de Constitution, propose le décret suivant qui est adopté sans discussion : « L’Assemblée nationale, après avoir entendu le rapport du comité de Constitution, décrète : « 1° Que les élections des maire, officiers municipaux, procureur de la commune et notables, faites par les habitants de la Toillette, Rouilly et Chaudières, réunis, ensemble par ceux de Son-greux, dépendants de la paroisse de Rocroy, sont nul les ; « 2° Qu’il sera procédé, en la forme prescrite par la loi, à la formation d’une nouvelle municipalité dans la ville de Rocroy ; à l’effet de quoi tous les citoyens actifs, tant de cette ville que de la Toillette, Rouilly, Chaudières, Songreux et lieux dépendants de cette ville, seront tenus de se réunir en assemblée de paroisse à Rocroy dans le lieu où se tiennent les assemblées générales de la commune, et au jour qui leur sera indiqué. » M. Brassart, député du département du Pas-de-Calais, demande à s’absenter pour affaires, pendant quinze jours. M. de Bonneville, député du département de l’Eure, fait une réclamation semblable pour huit jours. Ces congés sont accordés. M. de Bostaing. Le comité militaire, pour répondre au vœu pressant exprimé par M. Fré-teau et par un grand nombre de membres, est prêt à commencer demain et à continuer les jours suivants, ses rapporis sur les bases de l’avancement et sur la discipline dans l’armée. (L’Assemblée décide que les projets qui doivent être la suite de ces rapports seront avant tout imprimés.) M. d’André. Je fais remarquer à l'Assemblée que les ci-devant parlements vont cesser leurs fonctions et qu’il est urgent de prendre un parti sur le mode des accusations publiques et sur les mesures à prendre pour le renvoi, dans les tribunaux qui vont être organisés, des procès qui existent dans les divers sièges du royaume. (L’Assemblée décide que le comité de Constitution rendra compte incessamment de son travail sur cet objet.) M. Se Président. L’ordre du Jour est un rap port du comité des domaines et du comité de féodalité réunis , sur les chasses du roi (1). M. Barrère, ci-devant de Vieuzac, rapporteur. Messieurs, parmi les objets que renferme le mémoire des ministres du roi et la lettre de Sa Majesté, sur les domaines nationaux à réserver pour son usage, il en est un qui a attiré d’abord les regards de vos comités de féodalité et des domaines. Il intéresse si essentiellement l’agriculture; il frappe si fortement le premier des droits de l’homme en société, que vos comités ont pensé qu’il devait être la matière d’un premier rapport distinct et séparé de ce qui concerne la valeur, le revenu et l’administration des domaines à réserver. Cet objet est d’ailleurs d’autant plus instant, que le 2 et le 5 de ce mois, il s’est manifesté un grand abus de la chasse dans les parcs du roi; abus qui n’a pu être réprimé qu’en déployant la force publique. Déjà aussi, le 21 août dernier, l’Assemblée nationale avait reçu la dénonciation faite par le directoire du département de Seine-et-Oise, des excès nombreux commis par les gardes-chasses sur les laboureurs et autres habitants du grand parc de Versailles. Enfin, vous avez décrété qu’il serait pourvu à cet objet, par une loi particulière, avant le 15 septembre. Voici, en conséquence, l’aperçu du travail de vos deux comités. Vos fameux décrets du 4 août 1789 ont affranchi les terres d’une servitude aussi absurde qu’onéreuse, des capitaineries et de la chasse. L’Europe n’avait eu jusqu’à présent, sur la chasse, que des lois sauvages ou militaires, féo-(1) Nous donnons ce rapport d’après les impressions de l’Assemblée nationale. Cette version diffère légèrement de celle du Moniteur. 724 [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [13 septembre 1790.] dates ou despotiques. Vous êtes les premiers qui avez fait des lois pour les propriétaires et pour les nations agricoles. Si, chez les Romains, elle fut commune à tous, comme elle l’est encore aujourd’hui en Allemagne et en Italie; si, chez nos pères, les Germains, chasser était cultiver son domaine , nos institutions portèrent bientôt quelques changements à ces usages barbares ; peu à peu l’exercice delà chasse fut subordonné aux progrès de l’agriculture : on ne conserva les fauves que dans les forêts et le menu gibier que dans les garennes. Ducange nous apprend que nos rois ne pouvaient chasser, même dans les forêts, qu’en des saisons déterminées par la loi; ils n’eurent même, pendant plusieurs siècles, que des parcs clos de murs. C’est là que Charlemagne apprenait lui-même à ses enfants l’exercice de la cnasse, et la chasse était permise à tous les citoyens. "Mais la nuit de la féodalité vint couvrir la France; la chasse devint un fruit de la seigneurie directe; cet exercice se transforma pour le seigneur haut justicier en attribut de sa puissance. Tandis que des maîtres féodaux imposaient à leurs serfs agricoles la charge de nourrir les victimes de leur sanguinaire oisiveté, du moins l’on renfermait dans des espèces de ménagerie les animaux privilégiés, destinés à périr exclusivement par les mains des chefs de la nation. Nos annales nous apprennent que la forêt de Bierre était close de murs sous le règne de saint Louis, et l’histoire, cette école des rois et des peuples, s’est chargée du tardif repentir de quelques-uns de nos princes qui, ayant négligé les clôtures, avaient toléré ainsi la dévastation des campagnes voisines. Elle est célèbre cette ordonnance rendue par le roi Jean en 1355, sur ce qu’on appelait alors les doléances des Etats tenus àParù. « Enjoignons, « disait ce prince, de détruire toutes les garennes « et même les miennes, comme tenant trop de « terres en friche, et comme nuisant aux terres « ensemencées. » On connaît le testament dans lequel un de nos rois, déposant ses remords, imposa solennellement à ses successeurs l’obligation d’indemniser les peuples des dégâts que les bêtes fauves de ses parcs avaient faits dans leurs moissons, par le défaut d’entretien des clôtures. C’est ce qui faisait dire si énergiquement aux Etats généraux de Tours, après le règne cruel et despotique de Louis XI : « Nous demandons de chasser, comme auparavant, toutes bêtes sauvages, en les défendant contre les exactions des commissaires et gens de petit état dont se sont ensuivis plusieurs maux, entre autres , de grands dégâts de blé, par les bêtes auxquelles on n’osait toucher; et étaient celles-ci plus libres que les hommes.... » Aussi Louis XII, qui portait, à si juste titre, le nom de Père du peuple, fit, même en diminuant chaque année, l’impôt territorial (la taille), de grandes dépenses pour rétablir les murailles des parcs ; et l’on voit de tous côtés les vestiges de ces murs qui existaient encore du temps de Henri IV. Tout va changer. Ce que les tyrans de�Rome ne firent jamais (mettre en réserve des parties de territoire), était réservé au successeur du Père du peuple. François 1er créa les capitaineries de Cor-beii sans le consentement de la nation, sans l’enregistrement d’aucun tribunal. Déjà, en 1515, une ordonnance du mois de mai avait défendu de chasser à une certaine distance des buissons et garennes du roi. Des règlements destructeurs et oppressifs se succèdent et appesantissent chaque jour le joug imposé sur les cultivateurs, par les premières ordonnances qui avaient étendu les défenses sur les prés, vignes et terres couvertes de moissons; les capitaineries se multiplient; c’est-à-dire les usurpations, les invasions sur les propriétés particulières s’étendent; et le dernier siècle comptait soixante-dix capitaineries subsistantes en même temps. Qui le croirait! le bon, le sage Henri IV fait enregistrer par ses parlements, le code barbare des chasses et la création de plusieurs capitaineries, en attendant qne Louis XIV honorât son règne par la suppression de cinquante capitaineries, et par l’abolition de la peine de mort pour quelque délit de chasse que ce fût. Cependant les maux de l’agriculture n’étaient pas soulagés, et les droits sacrés de la propriété continuèrent d’être impunément violés par celui-même qui aurait dû les défendre. Louis XIV, du haut de son trône, trace un cercle immense autour de Versailles. A ces ordres, un parc étendu se forme, et renferme dans son enceinte huit municipalités, formant aujourd’hui quatre mille habitants; et dix-neuf cents arpents de propriétés particulières : n’importe que les usages dévastateurs de ces capitaineries frappent sur les héritages du pauvre. La loi, cette gardienne de la propriété et de la sécurité individuelle, fut pervertie au point de devenir la caution du droit de chasse qui les violait, et la complice des réglements qui punissaient, avec une sévérité cruelle, le cultivateur utile qui n’avait commis d’autre délit que d’arrêter un lièvre qui dévorait ses moissons. Je ne dirai rien des abus qui ont succédé à ces premiers règlements, et qui les ont aggravés encore; je dirai seulement que le caracière fier et libre de la nation s’était tellement dégradé et façonné au joug, qu’on avait assujetti les cultivateurs à une foule de servitudes et d’entraves odieuses, en même temps qu’on livrait leur culture à une foule d’animaux malfaisants ..... Je m’arrête: vous les connaissez, et leur tableau ne pourrait qu’affliger celui qui est venu se déclarer au milieu de vous le premier ami de son peuple , et qui prend le plus tendre intérêt au bonheur public. D’ailleurs mon dessein n’est que de vous rappeler vos propres décrets, pour faire aujourd’hui une loi sage. Pour y parvenir, vos comités se sont placés entre votre décret du 7 du mois d’août 1789, et la lettre du roi du mon d’août 1790. Votre décret porte : « Toute capitainerie, même royale, et toute réserve de chasse, sous quelque dénomination qu’elle soit, sont abolies; et il sera pourvu, par des ' moyens compatibles avec le respect dû aux propriétés et à la liberté, à la conservation des plaisirs personnels du roi ». La lettre du roi est ainsi conçue: « Quant à mes chasses, sur lesquelles vous avez désiré que je fisse connaître mes déterminations, je tiens surtout à ne jouir d’aucuns plaisirs qui puissent être onéreux à quelques-uns de mes sujets. Je m’en repose avec confiance sur les dispositions que vous croirez devoir adopter, et je vous prie de ne jamais perdre de vue, que mes plus grands intérêts sont ceux de la nation et le soulagement des peuples : ce sont ceux-là qui me touchent le plus essentiellement, et qui me sont vraiment personnels. » Après la loi nationale et le vœu exprès du roi, vos comités n’ont vu entre vous et les peuples, què la loi sacrée et indestructible de la propriété. Elle serait bien imparfaite cette Constitution, qui I As semblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [13 septembre 1790.] ne courberait pas la tête des représentants du peuple et du monarque devant la loi civile, qui est 1 palladium de la propriété. D’après cette idée simple, il vous est aisé de pressentir quels sont les principes qui ont dirigé vos comités; ils ont discuté longtemps les questions suivantes, avant de rédiger les articles qui sont présentés à votre délibération. PREMIÈRE QUESTION. Les propriétaires des fonds, enclavés dans les parcs qui seront réservés au roi, peuvent-ils exercer le droit de chasse, et détruire ou faire détruire le gibier sur leur terrain ? Autant vaudrait-il demander si les propriétaires, enclavés dans les parcs, sont citoyens français comme les autres habitants du royaume : car, si la loi est égale pour tous les citoyens, les habitants du parc de Versailles ou de Gompiègne doivent jouir de tous les avantages, de tous les droits de la propriété, comme les habitants des Alpes ou des Pyrénées ; car s’il devait y avoir quelque préférence dans la protection légale, elle devait être en faveur du pauvre et de l’agriculteur, plutôt qu’en faveur du riche et du monarque. Pourquoi ne déclareriez-vous pas ce droit de chaque propriétaire, de chaque possesseur de fonds dans les parcs du roi? La déclaration des droits est l’arme avec laquelle chaque citoyen demandera compte au législateur des lois contraires qu’il aura faites ; etelle donne à tous les citoyens la propriété comme un de ses droits inaliénables. Invoquerait-on la Constitution ? elle énonce les mêmes principes ; que dis-je ? ces principes existent avant toutes les constitutions politiques ; et les pays mêmes où le despotisme semble être une loi du climat, ont vu des tyrans respecter la propriété. L’histoire des Turcs nous offre un sultan respectant l’humble toit d’une veuve dont la propriété était enclavée dans ses jardins. Mais qu’ai-je besoin de vous parler de l’histoire des despotes ; entendez les propres paroles d’un peuple qui s’élève fièrement au rang des nations libres. « Vous nous avez assuré (disent les propriétaires des districts de Meluù et de Nemours) (1), vous nous avez assuré la propriété et la liberté; il n’est plus possiblede nous la ravir ; et si nos droits de citoyen et de propriétaire ne pouvaient être un instant méconnus, nous n’hésiterions pas de nous présenter nous-mêmes à l’Assemblée nationale, tenant à la main la déclaration des droits.... » Félicitez-vous, Messieurs, d’avoir attaché, avec tant d’énergie, l’esprit du peuple aux droits de la propriété et de la liberté. Prononcez qu’il sera libre à tout propriétaire ou possesseur de fonds, enclavés dans les domaines du roi, de chasser sur son terrain, comme tous les autres citoyens du royaume. Non, ce ne sera pas pour celui que vous avez chargé d’exécuter la loi que vous la violerez ; vous ne réduirez pas les Français à regarder comme un fléau, le voisinage du prince ; vous ne ruinerez pas les campagnes, vous ne flétrirez pas l’âme du cultivateur ; et l’on dira : nos législateurs furent toujours fidèles aux principes de la Constitution qu’ils établirent ; ils n’oublièrent jamais cette pensée, que la chaumière et le champ du pauvre, encla-(1) MM. Tellier, Despatys et Fréteau ont défendu fortement, dans les comités et dans l’Assemblée, les droits de la propriété et les intérêts de leurs commettants. 725 vés dans les domaines du roi, doivent y servir de monument à la justice qui les protège. SECONDE QUESTION. Quel est le moyen de concilier la conservation des plaisirs personnels du roi, avec le respect dû aux propriétés et aux droits des citoyens? Ce n’était pas assez de veiller au respect des propriétés par la loi, si elles étaient attaquées par le fait : vos comités ont cherché les moyens de garantir, d’un côté, les moissons des propriétaires de la dent meurtrière des bêtes fauves, et, de l’autre, de préserver les parcs de la dépopulation du gibier, qui est une partie de cette propriété. Après avoir bien discuté, ils n’ont trouvé d’autre moyen que d’avoir des parcs clos de murs, et de se reporter aux usages populaires de saint Louis et de Louis�XII, en ne comprenant jamais, dans la clôture des parcs, les fonds des particuliers (1). Pour y parvenir, nous avons pensé que la nation devait autoriser le roi à faire, dans un délai déterminé, des échanges de fonds pour l’arrondissement de ses parcs clos; mais point de contrainte : les contrais seront volontaires, ils se feront de gré à gré; ils ne seront ni le prix de la tyrannie, ni l'effet de la loi, mais celui de la convenance et de l’intérêt réciproque; ils ne seront légaux qu’après avoir été confirmés par les représentants du peuple, qui ne leur donneront pas ce caractère dans le cas de lésion ou de contrainte. Le roi est, à cet égard, comme un particulier qui traite avec un particulier. On avait proposé d’obliger les propriétaires enclavés, à faire des clôtures; mais cette obligation (1) La féodalité est abolie constitutionnellement en France, et cependant c’est des pays où la féodalité règne avec le plus de force, que nous emprunterons des lois justes sur la chasse, et les moyens de concilier les plaisirs du monarque avec les droits de la propriété. En 1786, l’empereur a publié une ordonnance de police sur la chasse. 11 y est statué, en autres choses, «que s’il est trouvé des sangliers hors des parcs Mens fermés , dans lesquels seulement on aura la faculté d’en avoir, il sera permis à toute personne de les tirer ou tuer, ainsi que toute autre bête semblable; que dans le cas où les propriétaires de chasse ou les seigneurs s’y opposeraient, ils seront condamnés en 25 ducats d’amende, et, en outre, à bonifier tous les dommages causés par les sangliers sortis du parc....; et qu’on sera même autorisé à repousser ou chasser de ses champs, prairies et vignobles, toute espèce de gibier quelconque, sans que le propriétaire de la chasse puisse exiger aucun dédommagement, si quelque pièce do gibier, en sautant, se trouvait blessée ou même tuée. L’empereur s’est soumis lui-même à cette ordonnance pour tous ses domaines. Plusieurs princes d’Allemagne, et le landgrave de Hesse-Cassel en particulier, ont permis à tous propriétaires de tuer les bêtes fauves et noires qu’ils rencontreraient sur leurs terres. Enfin, non seulement le grand-duc de Toscane a enjoint de renfermer toutes les bêtes fauves dans les parcs murés, il en a donné lui-même l’exemple, et a laissé la liberté de les tuer dans les campagnes, même sur les terres qui lui appartiennent ; mais il est allé plus loin, puisque en conservant le droit de chasse aux seigneurs, il en a permis le libre exercice à tout le monde. Or, rendre commun un droit de cette espèce, c’est, non l’anéantir, mais le rappeler à l’usage équitable et naturel qu’en fit une des nations la plus puissante et la plus éclairée. ( Voyez les lois des Romains .) 726 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [13 septembre 1790.] ressemblait trop à un ordre de vendre ; elle aurait menacé le pauvre laboureur d'une dépense excédant quelquefois le prix de son terrain ; et ce n’est pas aux législateurs à aggraver le sort du propriétaire pauvre. On disait encore qu’il serait possible d’ordonner des échanges; cette injustice ne pouvait ap-rocher de vous, et nous nous serions bien garés de vous présenter une telle violation des droits du citoyen . Non, rien, si ce n’est l’évidence de la nécessité publique, ne peut lui ôter le privilège qu’il tient de la loi civile de ne pouvoir être forcé d’aliéner son bien. Où serait donc cette nécessité publique? Pourrait-elle jamais se trouver à augmenter la quantité des terres stériles couvertes d’animaux destructeurs ? Pourrait-elle jamais exister pour un prince qui aura les plus beaux domaines et une étendue immense de terres cultivées et de forêts dans ses parcs ? Cependant il était impossible de ne pas prendre quelques’ mesures provisoires, puisque tous les parcs ne sont pas clos dans le moment. Ainsi, après avoir consacré le droit de chaque propriétaire ou possesseur de fonds, les comités ont pensé qu’en attendant que les clôtures fussent faites et les échanges consommés, il serait convenable et respectueux pour le chef de la nation, que l’exercice de la chasse fût suspendu dans les fonds enclavés, le jour seulement où le roi le prendrait en personne, et ferait avertir les municipalité. J’entends déjà les murmures des partisans de la liberté; mais l’exagération des principes est un des vices que doit redouter le législateur. Qu’on ne dise point que c’est ici une violation de la propriété; c’est plutôt une suspension qui ne tient qu’à des égards que tout Français aurait pour son roi, sans que le législateur le commande. Observez, d’ailleurs, que ce n’est pas ici une prérogative attachée à la couronne : cette suspension momentanée et courte de l’exercice d’un droit de propriété, n’est pas un attribut de la royauté : c’est un hommage pour Louis XVI ; c’est un égard pour deux années seulement; c’est une mesure de convenance pendant la formation des parcs clos, et cet hommage du peuple est digne du restaurateur de la liberté française. Du temps de Henri IV, qui avait signé un code sanguinaire pour les chasses, chaque laboureur se vantait de garder sa chasse. Louis XVI n’obtiendrait-il pas le même hommage au souvenir des sacrifices qu’il aura faits? En établissant des parcs clos pour le roi, il a fallu s’occuper des peines qui devaient en assurer la conservation ; car, si le législateur exige du roi qu’il prenne des moyens pour que les bêtes fauves, qu’il fait élever, ne dévorent pas les moissons du laboureur, il faut que ce même législateur s’occupe des mesures qui doivent préserver les parcs du monarque de la destruction ; il faut que l’esprit de capitainerie et de braconnage périsse par la même loi. C’est une chose affreuse que le code des chasses de toute l’Europe; en Angleterre même, une loi qui n’est pas révoquée, prononce la peine de mort contre le braconnage exercé dans les forêts royales; mais la loi est rarement exécutée. En France, la législation, moins rigoureuse en apparence, mais plus cruelle en effet, puisque ses menaces sont réalisées, condamne le coupable au fouet, aux galères et au bannissement. Elles ont obtenu l’exécrable honneur d’être citées, ces lois de Louis XI, sur les chasses, qui faisaient dire à Saissel, que, sous son règne, on obtenait plutôt sa grâce pour avoir tué un homme, que pour la mort et un cerf ou d'un sanglier. Pourquoi faut-il que le nom de Louis XI soit mêlé un instant au nom si cher de Henri IV ? Mais dans les époques si rares de la justice des nations, il faut énoncer toutes les vérités qui peuvent être utiles: disons donc qu’elles ont obscurci la gloire d’un de nos meilleurs rois, ces lois féroces de 1602 et 1606, qui s’expriment même avec un sangfroid, avec un mépris pour le nom d’homme, qui fait frémir : « le paysan surpris avec un fusil autour d’une remise, sera arrêté (disent ces lois) et sera mené fouettant tout autour du buisson où il aura été trouvé, jusqu’à effusion de sang. » Cependant un proverbe populaire a consacré un vœu de ce même prince, en faveur des agriculteurs; ainsi donc, l’on peut égarer les meilleurs princes et dire, sous leur nom, ce que leur cœur défend. Loin de nous ces erreurs cruelles de la législation d’un seul homme. Couvrons celles de Henri IV de tout le bien qu’il a fait à l’humanité, et donnons enfin des lois douces aux hommes, quand il ne s’agit que de la perte de quelques animaux. Les comités ont pensé qu’en se conformant à votre décret du 21 avril dernier, les peines correctionnelles d’amende et de prison étaient proportionnées à de pareils délits ; mais la prison, qui est une peine, ne frappera presque jamais que sur le braconnier ou le vagabond, qui, ne payant pas l’amende, payera de sa personne, ainsi que vous l’avez établi vous-mêmes par vos précédents décrets. Ici se présentait la loi constitutionnelle, qui exige l’égalité des peines, et l’on disait que les peines déjà prononcées sur le fait des chasses par le décret du 21 juillet, devaient être les mêmes pour les délits de la chasse dans les parcs. Cette idée s’est présentée la première ; mais on a observé que si les peines doivent être égales pour tous les citoyens, à cause des mêmes délits, il ne s’ensuivrait pas que tous les délits fussent les mêmes : on a pensé qu’on ne pouvait pas comparer celui qui viole des clôtures, avec celui qui passe simplement d’un héritage non clos sur un héritage voisin. Celui qui s’introduit dans un parc clos, appartenant au roi ou à des citoyens, nous a paru commettre un délit d’un caractère différent de celui qui parcourt des héritages sans clôture, et tel est le motif qui a fait adopter les peines portées dans l’article 5. Sans doute, la propriété possédée par le roi ne sera pas plus protégée que la propriété possédée par le citoyen. Elles sont égales devant la loi, comme les citoyens eux-mêmes. Mais la clôture caractérisant plus particulièrement la propriété, caractérise aussi plus fortement le délit ; et ceci doit s’appliquer au citoyen comme au roi. Nous avons suivi la progression des peines que l’Assemblée nationale avait déjà adoptée dans son premier décret. Il ne restait plus qu’à abolir les formes, les ordonnances, les règlements et les tribunaux odieux des capitaineries, qui exécutaient cruellement les lois cruelles, et qui, portant l’effroi et la flétrissure dans l’âme du laboureur, avaient conservé autour des demeures royales cet esprit de tyrannie des premiers siècles de la féodalité. Vos comités, se conformant à l’esprit de votre organisation judiciaire, ont ramené la connaissance des délits de chasse aux tribunaux de district. Ils ont exigé que les préposés à la garde des parcs fussent reçus devant les juges choisis par le peuple. Ils auraient désiré qu’aucun délit de chasse ne pût être jugé sur le [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [13 septembre 1790.] >727 rapport d’un seul homme, et qu’on refusât à un garde-chasse, à un gardien intéressé à trouver des délinquants, le droit d’être cru sur la déposition et de former une preuve complète ; mais les comités ont pensé qu’il était nécessaire de se conformer au décret que vous avez rendu, le 21 juillet, et qu’exiger deux gardes-chasse pour faire un rapport ou une dénonciation, ce serait rendre les délits impunis. Sans doute, avec le rapport de deux gardes ou d’un garde et d’un témoin ou la déposition de deux témoins, les preuves plus difficilement acquises seraient plus justement prononcées : mais cet objet est livré à votre sagesse ordinaire, et vous perfectionnerez un jour votre loi sur îa chasse. En terminant ce rapport, je ne peux me défendre de vous rappeler des plaintes que les administrateurs du département de Seine-et-Marne vous ont portées il y a deux jours, et que vous avez renvoyées au roi ; elles ont retenti au fond de vos cœurs. Vous n’avez pas vu, sans indignation, des équipages de la vénerie de Fontainebleau, poursuivre des cerfs à travers des grains en maturité et des vignes foulées par des chiens et des chevaux, en présence même des administrateurs (1). Que, dans une chasse, le roi soit entraîné par la chaleur de la poursuite sur des héritages voisins ou enclavés, il n’est pas de citoyen qui proférât des plaintes, et qui ne fit des sacrifices, même plus grands pour un prince aussi respecté que chéri ; mais des officiers de chasse, éloignés de la personne et de la demeure du roi, qui ne respecteraient pas les propriétés, mériteraient aussi des peines. Je n’ai pu consulter vos comités sur ce point, puisque ces faits ne vous ont été connus que samedi dernier; mais peut-être penserez-vous qu’il est nécessaire de décréter que les préposés aux chasses du roi, qui s’introduiront dans les récoltes et dans les propriétés particulières, doivent être condamnés personnellement à de justes indemnités, et aux peines portées contre ceux qui chassent dans les parcs du roi. Si, dans les deux cas, on voit une égale violation du droit de propriété, on distingue du moins, dans le chasseur qui dévaste une moisson, un homme plus coupable que celui qui va tuer le gibier dans un parc ; l’agriculture, qui est le premier bien de la nation et la subsistance du pauvre, mérite tous les égards de la loi. Voici le moment de détruire jusqu’aux dernières traces des capitaineries, c’est-à-dire du despotisme exercé pour des animaux sur des propriétés. Le bien de l’agriculture à préférer à tout, la latitude nécessaire au droit de propriété à maintenir, la liberté et la sûreté individuelle à consacrer, sont les seuls objets qui doivent vous occuper dans ce moment ; vous remplirez ainsi le vœu le plus cher de vos commettants (2); vous (1) Il paraît, par un mémoire et pièces justificatives imprimés au nom de l’équipage de la vénerie du roi, que le dommage causé le 4 septembre dans les terres de la municipalité de Dammarie, a été payé le 6 par le commandant de la vénerie, conformément à l’usage pratiqué par l’équipage, qui paye les dégâts un tiers en sus d® l’évaluation. (2) Il faut le dire à la gloire de certains pays qui n’ont jamais éprouvé le fléau des capitaineries, et qui ont cependant réclamé avec force leur suppression. C’est du fond des montagnes d’Auvergne que des cultivateurs libres ont élevé leur voix en faveur de leurs frères qui ne l’étaient pas, quoique placés auprès de la demeure des rois. satisferez le vœu du monarque, pour qui d’abont dantes moissons à la place de terrains stériles, el le bonheur des habitants des campagnes seront le spectacle le plus digne de son cœur ; vous serez aussi justes que bienfaisants ; et le roi entendra autour de lui ces touchantes bénédictions du peuple, qui valent bien les éloges pompeux que des esclaves décorés ont toujours prodigués aux despotes et aux tyrans. DÉCRET SUR LES CHASSES DU ROI. « L’Assemblée nationale, après avoir entendu ses comités de domaines et de féodalité réunis en conformité de son décret du 7 du mois d’août 1789, voulant pourvoir à la conservation des chasses du roi par des moyens compatibles avec le respect dû aux propriétés et à la liberté, a décrété ce qui suit : « Art. 1er. Il sera formé, dans les domaines et biens nationaux qui seront réservés au roi par un décret particulier, des parcs destinés à la chasse de Sa Majesté ; et ces parcs seront clos. « Art. 2. Le roi, pour la formation ou arrondissement de l’intérieur desdits parcs, pourra y réunir, par voie d’échanges faits de gré à gré, les propriétés particulières qui y sont enclavées, eD cédant des fonds faisant partie des domaines qui lui seront réservés. «Art. 3. Les échanges seront irrévocables après qu’ils auront été décrétés par l’Assemblée nationale et sanctionnés par le roi. « Art. 4. Il est libre à tous propriétaires, ou possesseurs de fonds enclavés dans lesdits parcs, autres que ceux qui tiennent du roi en titre de ferme, de détruire ou faire détruire le gibier sur leurs propriétés seulement, et de ta même manière qui a été réglée pour les propriétaires ou possesseurs de fonds, dans les autres parties du royaume, par le décret du 21 avril dernier. « Et néanmoins, en attendant que les échanges soient consommés ou les clôtures faites, le droit de détruire ou faire détruire ie gibier sera suspendu pendant le cours de deux années, pour tous propriétaires ou possesseurs de fonds enclavés, les jours seulement où le roi prendra en personne l’exercice de la chasse, et ce, sous les peines portées par le même décret du 21 avril dernier. « Art. 5. Il est défendu à toutes personnes de chasser, en quelque temps et de quelque manière que ce soit, dans les parcs, domaines et propriétés nationales réservés au roi. « Tous ceux qui chasseront dans lesdits parcs seront punis, pour la première fois, par la confiscation du gibier, des armes, filets ou engins et par une amende de 100 livres ; et, au cas où le délinquant n’ait pas satisfait à J’amende dans la huitaine après la signification du jugement, il sera puni d’un mois de prison. « Art. 6. La peine de l’amende et de la prison sera doublée en cas de récidive; elle sera triplée s’il survient une troisième contravention; et la même progression sera suivie pour les contraventions ultérieures, le tout dans le courant de la même année seulement. « Art. 7. Si les délinquants sont déguisés ou masqués, ou s’ils n’ont aucun domicile connu, ils seront arrêtés sur-le-champ et traduits dans les prisons du district du lieu du délit. Dans aucun autre cas, les délinquants ne pourront être désarmés par les gardes. « Art. 8. Les gardes que le roi jugera à propos