[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [10 octobre 1789.] 405 nouveau décret d’inviolabilité. Le premier était pour les opinions, celui-ci doit être pour les figures, car c’est pour leur figure que quelques membres sont insultés. M. ***, curé de ..... . raconte que ces jours derniers il a été attaqué par plusieurs brigands ; il s’est défendu avec un parapluie, en a renversé quatre et s’est sauvé. Il demande qu’il soit donné aux députés une marque distinctive. M. le comte de Mirabeau. Je répondrai au premier opinant que je ne savais point encore qu’il y eût dans cette Assemblée des ambassadeurs de üourdan, des ambassadeurs du pays de Gex, etc. J’ajouterai que ce nouveaudroit des gens me parait très-propre à causer de funestes divisions et que j’aime mieux croire que nous ne sommes ici que les représentants de la nation française et non pas des nations de la France. Messieurs, personne n’est inviolable pour les brigands. Je dirai au second orateur que je ne connais aucun moyen de prévenir son objection, si ce n’est de trouver un décret par lequel on puisse changer les figures. Je dirai au troisième opinant, que s’il n’y a point de danger pour les députés, les marques distinctives qu’il demande sont ridicules ; que s’il y a du danger, un signe extérieur ne fera que désigner la victime, et que des gens qui ont peur ne doivent pas chercher à se faire reconnaître. Enfin, je dis à tous ceux qui ne trouvent pas suffisant le premier décret d’inviolabilité, qu’ils en parlent sans le connaître ; que je les prie de le relire, et qu’il répond seul à tous les orateurs passés, présents et futurs. On fait lecture du décret ; il est conçu en ces termes : « L’Assemblée nationale déclare que la personne de chacun des députés est inviolable ; que tout particulier, toute corporation, tribunal, cour ou commission qui oseraient, pendant ou après la présente session, poursuivre, rechercher, arrêter ou faire arrêter, détenir ou faire détenir un député pour raisons d’aucunes propositions , avis, opinions ou discours par lui faits aux Etats généraux, de même que toutes personnes qui prêteraient leur ministère à aucuns desdits attentats, de quelque part qu’ils fussent ordonnés, sont infâmes et traîtres envers la nation, et coupables de crime capital. L’Assemblée nationale arrête que, dans les cas susdits, elle prendra toutes les mesures nécessaires pour faire rechercher, poursuivre et punir ceux qui en seront les auteurs, instigateurs ou exécuteurs. » M. de Foucault. Ce décret-là me plaît fort ; mais il m’est très-indifférent, s’il n’a pour objet que de m’armer contre mes créanciers, parce que je n’ai point de créanciers ; sans doute nous sommes tous à peu près dans la même position. M. Dubois de Crancé. Le décret est applicable à toute espèce d’inviolabilité ; il prononce clairement une peine, comme pour crime capital, contre tout particulier qui attaquerait et poursuivrait un député à raison de ses opinions. M. Boutteville-Dumetz. Existe-t-il un danger ? existe-t-il des moyens de l’éviter ? J’examine ces deux points : d’abord on exagère le danger ; les moyens de l’éviter résident en nous ; ils consistent dans la fermeté, dans la fraternité, dans le courage de cette Assemblée. Arrivons à Paris, marchons tous ensemble, paraissons ce que nous sommes, c’est-à-dire unis par la fraternité comme par les grands intérêts qui nous sont confiés en commun, et le respect que nous inspirerons sera notre sauvegarde la plus sure, et établira l’inviolabilité la plus inattaquable. On allait consulter le vœu de l’Assemblée sur les motions, quand on a annoncé une députation de l’assemblée des représentants de la commune de Paris. Il a été décidé qu’elle serait admise, et que la délibération actuelle serait suspendue jusqu’au moment où cette députation aurait été entendue. Les membres qui la formaient ayant été introduits à la barre, un d’eux, portant la parole, a dit : « Nosseigneurs, « L’assemblée générale des représentants de la commune de Paris croirait manquer à ses devoirs les plus sacrés si, dans les premiers moments du calme qui renaît, elle ne s’empressait pas de vous exprimer ses sentiments sur les mémorables événements que les jours passés ont vu se succéder avec tant de rapidité. Elle croirait y manquer encore si, dans la joie que lui cause la' résolution du Roi de se fixer dans la capitale, elle ne s’empressait pas de la partager avec vous, et de vous témoigner la vive satisfaction qu’a fait naître, dans son âme, le décret qui vous porte à suivre Sa Majesté. « L’orage est loin de nous, cet orage qui menaçait d’écraser la capitale et la France entière ; il a paru comme un éclair, et s’est évanoui de même : grâces en soient rendues au Ciel, dont la main bienfaisante nous a si visiblement protégés; à vous, Nosseigneurs, dont les sages décrets ont apaisé les cris d’un peuple égaré ; à la bonté du Roi, qui a daigné condescendre à toutes ses demandes, et remplir tous ses vœux ; enfin, à l’activité des troupes nationales parisiennes, et de leur sage commandant, pour rétablir la tranquillité et sauver les victimes dont la mort était jurée. « Tout paraît rentré dans l’ordre : jetons un voile sur les événements, sur les manœuvres affreuses qui les avaient préparés; ne voyons que le bien qui en découle; jouissons-en, sans diminuer nos jouissances par l'amertume des regrets. « Le prince a comblé nos vœux, et nous sentons déjà le bienfait de sa présence. L’abondance a reparu parmi nous, la paix l’accompagne : hâtez-vous, nous vous en conjurons ; hâtez-vous de vous réunir à ce Roi citoyen, dont vous vous êtes déclarés inséparables, et vous comblerez nos espérances ! Avec quelle ivresse les Parisiens ne contempleront-ils pas l’Assemblée qui balance les destinées de la France ? « Ehl quels avantages ne résulteront pas de votre présence? Par elle la nation se convaincra que l’harmonie la plus parfaite règne entre ses représentants et le Roi; elle se convaincra que la même harmonie subsiste entre le prince et sa bonne ville de Paris; qu’il ne l’a choisie pour son séjour, que parce qu’elle lui présente une plus nombreuse portion de ses enfants. Par là se détruiront ces bruits affreux que les ennemis du bien public répandent dans les provinces, avec [10 octobre 1789.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 406 [Assemblée nationale.] lesquels ils cherchent à exciter, à justifier de nouveaux désordres. « Votre présence encore affermira le calme dans cette capitale, y préviendra le retour des insurrections ..... Ah ! n’en accusez pas la foule des bons citoyens de Paris. Quels Français sont plus qu’eux pénétrés de respect pour celte Assemblée? quels Français regrettent plus la violation faite au sanctuaire de la législature ? Vous, ministres des autels, que la sainteté de votre caractère rendait inviolables, oubliez un moment de délire ; il ne reviendra plus : il n’est aucun de nous qui, pénétré de respect pour la religion dont vous êtes les organes, ne la défende en vos personnes; il n’en est aucun qui ne soit prêt à verser son sang pour assurer votre tranquillité et l’indépendance des délibérations de l’Assemblée. « Elles seront libres, n’en doutez pas, Nosseigneurs, croyez-en les précautions dont la commune de Paris s’empressera de vous environner ; croyez en nos efforts, notre intérêt, pour écarter de vous les dangers; croyez en cette armée redoutable de citoyens autorisés par la loi à déployer toutes leurs forces contre les perturbateurs ; croyez en le nouveau serment par lequel tous ces soldats citoyens s’engagent, en ce moment, à assurer l’inviolabilité de vos personnes et la liberté de vos délibérations. Et toutes ces précautions ne deviennent-elles pas inutiles, quand on contemple l’opinion publique qui vous environne et vous défend mieux que toutes les armes; quand on considère ce peuple, qui, jouissant de tout ce qu’il a demandé, n’aura que des bénédictions à vous donner? 11 n’est pas, ce peuple, tel qu’on le peint toujours, prêt à déchirer môme ses bienfaiteurs. Ce peuple est bon, il est juste ; mais il a souffert, mais il n’est pas instruit, mais il est égaré. Vos décrets ont allégé déjà ses souffrances; vos lumières l’éclaireront; votre vigilance écartera ces moteurs secrets qui cherchaient à l’enflammer : ils disparaîtront d’ailleurs à l’aspect de l’administration active et concentrée qui s’organise maintenant. Quels puissants motif, pour vous inviter, Nosseigneurs, à promptement honorer la capitale de votre préférence ! Le vœu d’un Roi chéri qui vous attend, l’honneur et la tranquillité d’une ville qui vous bénit, la nécessité de raffermir l’union entre la capitale et les provinces, union sans laquelle il n’y a point de paix, point de prospérité, point de nation. » L'orateur a laissé sur le bureau la délibération de la commune de Paris, qui autorisait la députation chargée de l’adresse, laquelle délibération était ainsi conçue : « L’assemblée générale des représentants de la commune, instruite que, d’après le vœu annoncé par l’Assemblée nationale qui s’est déclarée inséparable de la personne du Roi, cette auguste Assemblée est décidée à venir établir ses séances dans la capitale ; vivement pénétrée de la reconnaissance que lui inspire une résolution qui s’accorde avec un désir qu’elle formait depuis longtemps, a arrêté qu’il serait fait une adresse à l’Assemblée nationale, contenant l’hommage de ses respectueuses félicitations sur le parti qu’elle a cru devoir prendre, l’expression de la profonde soumission de tous les habitants de la ville de Paris pour ses décrets, la promesse inviolable de prendre tous les moyens d’assurer la tranquillité et la liberté de ses délibérations, et de garantir l’inviolabilité de la personne de chacun de ses membres. « En conséquence, Rassemblée générale des représentants de la commune a nommé MM. Brissot de Varville, du Yaucel, le comie de Moreton-Cha-brillan, le marquis de Saisseval, Molien, Ravault, Félix et Mulot, qu’elle a chargés de porter à l’Assemblée nationale, avec le présent arrêté, l’adresse qu’elle a votée unanimement pour elle, et une copie de celle qu’elle s’est proposé d’envoyer à toutes les provinces du royaume. « Signé : Blondel, président ; Bertoliô et Yigée, secrétaires . » M. le Président a répondu : Messieurs, l’Assemblée nationale ne doute point du zèle que mettront toujours les représentants de la commune de Paris, et tous les habitants de cette grande cité, à concourir au bien public et à la tranquillité générale. Elle reconnaît, à votre démarche, le patriotisme qui vous a toujours animés, et elle est sûre que vous mettrez tous vos soins à éloigner d’elle tout ce qui pourrait troubler sa liberté sur laquelle repose la liberté publique. L’Assemblée a ordonné l’impression de l’adresse de la commune de Paris, et de la délibération qui y était jointe, dont lecture avait aussi été faite ; et comme cette délibération en rappelait une autre qui devait être adressée à toutes les municipalités du royaume, sur le désir qu’a témoigné l’Assemblée a’en entendre la lecture, les députés de la commune de Paris ont dit que leur empressement avenir annoncer les sentiments et le vœu de la capitale, était cause qu’ils avaient oublié cette pièce qui serait remise à l’Assemblée. M. le Président a invité la députation de Paris à assister au reste de la séance. Un des membres de cette députation a fait, au nom de M. Tingant, curé de Goulanges-la-Yineuse, un don de 740 livres. L’Assemblée reprenant ensuite l’ordre de son travail, décide, sur la demande de la question préalable, qu’il n’y a pas lieu à délibérer sur les motions qui étaient soumises à la discussion, lorsque la députation de Paris avait été annoncée. M. le curé de.... renouvelle sa motion sur la marque distinctive . M. Turpin pense qu’elle doit être adoptée pour concourir au zèle et à la sagesse qui ont dicté les mesures de la commune de Paris. M.I�anjiiinais adopte cet avis, et M. Garat le rejette par les mêmes raisons qui ont fait décider qu’il n’y avait plus à délibérer sur le décret demandé. M. Barnave regarde l’adoption d’une marque distinctive comme contraire à la doctrine de l’inviolabilité. M. Target. Si nous prenons cette marque, et qu’un de nous soit insulté, je ne fais qu’une question : la porterons-nous encore ? la quitterons-nous ? L’Assemblée décrète qu’il n’y a pas lieu à délibérer. M. le Président a fait lecture d’uue lettre