[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [15 septembre 1791.] 681 SECTION II • Création des notaires publics. Art. Ier. « Il sera établi, dans tout le royaume, des fonctionnaires publics chargés de recevoir les actes exirajudiciaires et volontaires qui sont actuellement du ressort des notaires royaux et autres, et de leur donner le caractère d’authenticité attaché aux actes publics. » (Adopté.) Art. 2. « Ces fonctionnaires porteront le nom de notaires publics; ils seront institués à vie, et ils ne pourront être destitués que pour cause de prévarication préalablement jugée. » (Adopté.) M. Frochot, rapporteur, soumet à la délibération l’article 3, ainsi conçu : « Les actes des notaires publics, même les testaments, codicilles, souscriptions de testaments olographes, en quelque lieu du royaume que ce soit, nonobstant les coutumes, droits et usages à ce contraire, seront passés et signés, soit par 2 notaires publics, soit par un seul notaire public en présence de 2 témoins domiciliés dans le lieu, ayant 21 ans accomplis et sachant signer. » MM. Craultier-Biauzat et JBewbell s’attachent à établir le danger de n’avoir que 2 témoignages en matière testamentaire, puisque des fripons pourraient facilement tromper les familles avec 2 faux témoins et un notaire infidèle. A la suite de ces observations, l’article modifié est mis aux voix comme suit : Art. 3. « Provisoirement et jusqu’à la confection du Gode civil, ies actes des notaires publics seront reçus dans chaque lieu suivant les anciennes formes; et néanmoins, dans les lieux où la présence de 2 notaires était textuellement requise et déclarée suffisante pour certains actes, ces mêmes actes pourront être reçus par un seul notaire public et 2 témoins âgés de 21 ans, sachant signer, et ayant d’ailleurs les autres qualités requises. » (Adopté.) M. Frochot, rapporteur , donne lecture de l’article 4, ainsi conçu : « Le droit qui, dans certains lieux, avait été accordé aux recteurs, curés ou à toutes autres personnes, de recevoir des testaments ou autres actes, est aboli. » Plusieurs membres combattent cette disposition. M. Babel insiste pour l’adoption de l’article. (La suite de la discussion est renvoyée à une prochaine séance.) M. le Président lève la séance à neuf heures et demie. PREMIÈRE ANNEXE A LA SÉANCE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE DU JEUDI 15 SEPTEMBRE 1791, AU SOIR. Rapport des comités de Constitution et de judi-cature sur les offices de notaires , par M. Frochot. (Imprimé par ordre de l’Assemblée nationale.) Messieurs, Des diverses institutions créées sous l’ancien régime, ou subsistant avec lui, l’institution des notaires est à peu près la seule qui n’ait pas encore été soumise à votre examen; soit parce qu’elle est en effet la moins vicieuse de celles que vous aviez à réformer, soit parce qu’elle semble liée moins directement au sort de la Constitution que vous avez dû consolider pardessus tout, et avant de descendre aux parties secondaires de l’organisation sociale. Vous n’ambitionnez pas l’occasion de détruire pour obtenir la gloire de créer, et plus d’une fois l’on vous a vu gémir de trouver tout à faire, là où vous cherchiez à conserver. Ainsi, pour se conformer aux intentions qui vous dirigent, et avant de vous soumettre aucunes vues nouvelles sur l’état des notaires, vos comités ont dû se convaincre de la nécessité d’en proposer ; ils ont dû rechercher attentivement, si l’organisation de cette classe de fonctionnaires ne pourrait pas subsister en son entier, et s’unir avec le nouvel ordre de choses où leur institution ancienne se trouve, pour ainsi dire, transplantée. Le premier point à examiner, c’est l’objet de l’institution elle-même ; les fonctions des notaires, considérés uniquement comme des rédacteurs des conventions, sont-elles des fonctions nécessaires? Sur cette première question nous n’avons pas hésité longtemps, et nous ne pensons pas avoir beaucoup de contradicteurs. Il importe à la société que des citoyens illettrés aient la faculté de contracter, et puisqu’ils ne peuvent établir par eux-mêmes leurs conventions, il est bon et utile pour la société, il est juste envers eux qu’une main étrangère supplée à celle qui leur manque, et rédige l’engagement qu’ils n’ont pu ni tracer ni souscrire. Indépendamment des illettrés proprement dits, il existe une classe bien plus nombreuse, peut-être, d’illettrés en affaires , d’hommes absolument incapables, soit de concevoir, soit de motiver et d’arrêter leurs conventions; en vain le législateur a voulu que l’ignorance des lois ne pût être présumée; il avait besoin de cette abstraction pour enlever aux réfractaires une trop facile excuse; mais cette ignorance n’en est pas moins dans la majorité des hommes, un fait positif impossibleà révoquer en doute : or, il importe également que ceux-là contractent, et s’il est vrai que la société ne leur doive pas physiquement les mêmes secours qu’aux premiers, son intérêt exige encore que des hommes plus expérimentés viennent éclairer leurs concitoyens, et les garantir de ces erreurs funestes qui, en dispersant les fortunes particulières, attaquent, d’une manière plus ou moins sensible, l’ordre et la fidélité publique. Sans remonter en ce moment à de plus hautes considérations, il est donc demeuré constant pour vos comités, que, fût-ce uniquement sous 682 [Assemblée nationale-] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [15 septembre 1791.] le rapport des illettrés et des hommes inhabiles, la foaction de rédacteur est utile à la société, qu’elle doit y être conservée et protégée par les lois. Mais ce ne sont pas uniquement des rédacteurs des conventions qu’il faut à la société; elle a un besoin plus grand encore, et commun à toutes les classes de citoyens; il lui faut des certificateurs des contrats, des officiers qui en attestent la vérité et en consacrent la date ; en un mot, des officiers qui leur impriment ce caractère d’authenticité sans lequel la loi ne peut les reconnaître, ni assurer les droits qui en dérivent. En vain l’on objecterait qu’il existe des tribunaux, et que l’authenticité peut être donnée par eux aux contrats, en provoquant devant le juge une reconnaissance d’écritures, sans doute ce moyen existe, il suffit même à l’homme confiant dans son débiteur, ou insouciant de ses propres affaires : cependant tous les hommes qui n’ont pas la même incurie de leurs intérêts, le père de famille, économe et prudent, l'homme qui veut avoir ce qu’il appelle avec raison ses sûretés veut les avoir sans aucun délai. 11 contracte aujourd’hui; c’est aujourd’hui qu’il acquiert des droits contre son débiteur; il ne veut pas courir le hasard de son inconduite, ou les chances de sa mauvaise foi; il redoute que de nouveaux créanciers plus diligents que lui, ou frauduleusement d’accord avec ce débiteur commun, viennent lui dérober une supériorité réelle, et le priver de sa créance ; il réclame donc un moyen de constater son droit au moment même où il l’acquiert; il est du devoir, il est de l’intérêt de la société de le lui procurer. Or, ce moyen existe seulement dans l’intervention de la société, à la formation même du contrat, par la présence d’un officier revêtu d’un caractère légal qui le rend propre à constater la vérité de la convention, le temps de sa rédaction, enfin, à en devenir le certificateur. Au surplus, il ne s’agit pas de rendre cette intervention indispensable et forcée, mais seulement possible à celui qui la désire, et rien n’empêche que d’autres voies ne restent ouvertes aux hommes qui ne croient pas nécessaire à leurs intérêts d’employer le ministère d’officiers publics. Sous cet important rapport, nous avons donc pensé, Messieurs, que les notaires n’étaient pas seulement nécessaires comme rédacteurs des conventions; qu'ils étaient indispensables comme certificateurs de la vérité et de la date des contrats. Cependant l’organisation actuelle des notaires peut-elle être conservée en son entier, ou bien a-t-elle besoin d’être réformée? Il faut distinguer les notaires en deux classes, les notaires royaux et les notaires apostoliques, seigneuriaux et autres. Il est clair que ces derniers, et avec eux tous les officiers du même genre, sous quelques dénominations qu’ils existent, doivent être supprimés; les uns devaient leur institution à l’ancien régime ecclésiastique, ils disparaissent avec lui; les autres existaient par la féodalité, ils doivent tomber avec elle. Quant aux notaires royaux, on ne peut méconnaître l’irrégularité du placement actuel de ces officiers : dans tel lieu qui réclame la présence de 4 notaires, il ne s’en trouve qu’un seul; dans tel autre, un seul notaire suffirait, 4 s’y trouvent placés; enfin il est telle étendue de pays assez considérable où il n’en existe aucun. Il faut même observer que cette mauvaise distribution deviendra beaucoup plus sensible encore par la suppression des notaires seigneuriaux, qui laisseront d’autant plus de vide et d’inégalité : mais surtout d’après la division du royaume en départements, districts et cantons, il est impossible de ne pas rectifier ce placement, afin que chaque section de la division politique obtienne, en raison de ses besoins, toutes les institutions qui lui sont nécessaires. Parmi les motifs qui exigent une réforme dans cette partie, il faut compter aussi la compétence des notaires royaux circonscrite dans des bornes de territoire qui n’existent plus, et que cependant ils sont obligés de respecter encore. Les notaires dans les provinces ne pouvaient exercer hors des limites du bailliage de leur résidence ; aujourd’hui qu’il n’existe plus de bailliage, que toutes ces limites ont été brisées, il faut que les notaires s’y conforment encore par une sorte de fiction désormais intolérable, ou bien il faut qu’ils les dépassent, qu’ils s’arrangent à leur volonté, et c’est un véritable désordre d’autant plus dangereux que les actes ainsi passés deviennent reprochâmes dans la forme, par le défaut de pouvoirs de l’officier. Rectifier en entier le placement des notaires, régler par les arrondissements les limites de leur compélence, nécessite sans doute une réorganisation totale, car on ne conçoit guère comment une telle réforme s’opérerait autrement. D’ailleurs vos lois sur l’abolition de la vénalité comprennent les offices de notaires comme tous les autres offices; la vénalité des emplois publics n’est bonne à rien qu’à corrompre les institutions les plus pures, et il n’y a aucune raison pour faire exception aux principes sages que vous avez établis. Les notaires en général ont mérité dans tous les temps la confiance et l’estime publique, mais on ne prétendra pas que ce caractère qui les a réellement distingués, tînt à la vénalité de leurs emplois, tellement que sans elle ils eussent été moins recommandables; c’est à la nature même de leurs fonctions qu’est due la manière honorable dont ils les ont remplies ; l’intérêt y prescrit la plus inaltérable probité, et le besoin de succès y commanda le soin de l’instruction. C’est aux études préliminaires qu’il faut rapporter cet heureux choix des sujets; les offices des notaires étaient vénaux, et néanmoins leur possession était dans le prix d’un noviciat très longet d’une confiance éprouvée. Aussi, dès leur entrée dans la carrière, une sage émulation dirigeait les élèves, déployait leur aptitude et créait ou développait entre eux les qualités morales propres à leur concilier la bienveillance et l’estime de leur instituteur. Il est possible de conserver ces avantages dans un ordre de choses où la vénalité ne subsistera plus ; ils ne tenaient pas à son système ; ils étaient altérés par lui. Établissement des notaires publics. L’objet de l’institution que vous avez à créer, vous est suffisamment connu par les motifs déjà exposés dans ce rapport : il faut à la société des rédacteurs et des certificateurs de contrats ; ainsi les officiers que nous vous proposons d’établir sous le nom de notaires publics sont destinés à remplir cet objet. Leurs fonctions ne différeront pas beaucoup de celles des notaires dans l’ancien [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [15 septembre 1791.] 683 ordre de choses, soit parce qu’en effet, cette partie était assez bien ordonnée au fond, soit parce que les changements qui doivent y être apportés dépendront beaucoup de la réforme de notre législation, qui n’est pas encore fort avancée ; de telle sorte qu’il s’agit moins en ce moment de régler mieux ces fonctions, que de déterminer le meilleur mode d’existence de ceux qui doivent les remplir, et les organiser de manière que la législation nouvelle les trouve comme il convient qu’ils soient ; propres à s’accommoder à tous les changements. Des inconvénients graves qu’entraînerait la faculté accordée à tous les citoyens d’exercer les fonctions de notaire, il résulte que ceux-là seuls pourront les remplir, à qui elles auront été départies ; mais il reste encore à savoir si leur nombre doit être limité ou s’il pourra s’étendre indéfiniment. A cet égard nous vous présenterons une seule observation générale. Trop souvent, en établissant des fonctions publiques, on perd de vue l’intérêt du fonctionnaire; on croit n’avoir plus rien à faire, lorsque ses devoirs lui ont été tracés ; il semble alors que tout ait été prévu pour le plus grand avantage de la société : mais ce n’est pas encore assez, il faut que ces devoirs soient remplis, et il n’est guère de moyen plus sûr d’atteindre ce but de toute institution que d’attacher les fonctionnaires par leur propre intérêt à l’accomplissement de leurs devoirs, et au succès de leur mission. On se le dissimulerait vainement, peu d’bommes ont la faculté de se livrer aux fonctions publiques par le seul désir d’être utiles à leur pays; un si noble dévouement est au-dessus du patriotisme des uns ou de la fortune des autres ; et si l’on excepte quelques places qu’une grande considération accompagne, ou que de grandes espérances environnent, la plupart resteraient vacantes, si l’intérêt et le besoin n’y .appelaient des concurrents : c’est au législateur à s’emparer de cette vérité, affligeante si l’on veut, mais utile pour lui, et à s’en servir comme d’un nouveau gage de l’exécution de ses lois. Qui pourrait, par exemple, se vouer aux fonctions de notaires, qui pourrait surtout se livrer aux longues études que cet état exige, sans l’espoir d’y trouver une honnête existence ? Plus ces fonctions sont importantes, plus il faut qu’un légitime intérêt y attache ceux qui sont chargés de les remplir : car, enfin, on ne s’attend pas que ces places soient recherchées à l’avenir, pas plus qu’elles ne l’ont été avant nous, par des motifs absolument étrangers aux moyens de subsister. Cependant, si le nombre des notaires était illimité, si tous ceux qui se seraient fait juger capables de l’être pouvaient l’être en effet, n’est-il pas aisé de prévoir qu’un relâchement fâcheux, une complaisance indulgente s’introduiraient peu à peu dans l’examen des sujets, car il est plus facile d’admettre que de choisir; ainsi l’on verrait bientôt s’accroître, outre mesure, cette classe de fonctionnaires, qui ne serait plus l’élite des citoyens probes et instruits, mais un rassemblement d hommes médiocrement éclairés, se disputant non la confiance, mais le produit de la confiance de leurs concitoyens, et tous trop rarement employés pour être satisfaits d’un légitime salaire. Nous avons donc pensé que le nombre des notaires devait être limité, mais qu’aucune base fixe, et généralement applicable à toutes les parties du royaume, ne pouvait vous être présentée en ce moment ; nous vous proposons, en conséquence, d’attendre les instructions, renseignements et demandes particulières, qui vous seront fournis par les divers départements. Une existence versatile et sujette à des changements périodiques ne peut convenir, sous aucun rapport, à l’état de notaire : la permanence n’a rien ici qui effraye la liberté; le notaire n’est pas un juge, mais un conseil, un ami des parties; il n’a sur elles aucune autorité dont il puisse abuser; et loin d’avoir à leur prescrire, il est, au contraire, l’organe de leur volonté; en un mot, le recours à son ministère n’a rien de forcé, il tient ses pouvoirs de la loi, mais la confiance seule lui en donne l’exeFcice. L’amovibilité du notaire n’est donc pas politiquement utile, mais de plus il est aisé d’apercevoir qu’elle aurait, dans l’usage, de grands inconvénients. Au surplus, l’opinion publique est tellement prononcée à cet égard qu'il serait bien superflu de traiter cette question. Nous vous proposons donc que les notaires soient institués à vie. La compétence des notaires n'était rien moins qu’uniforme dans l’ancien ordre des choses. Les uns, tels que les notaires de Paris et d’Orléans, ne connaissaient d’autres limites que celles du royaume; d’autres pouvaient instrumenter dans l’étendue d’une province, et le plus grand nombre, enfin, était circonscrit dans le ressort d’un bailliage. Sur cet objet, il n’est guère possible de rencontrer plus de deux opinions aifférentes : faculté d’instrumenter dans tout le royaume, ou restriction de cette faculté à l’étendue de chaque département. Il est peut-être aisé d’appuyer la première de ces propositions par des motifs spécieux; mais des considérations moins abstraites nous ont déterminés en faveur de la seconde opinion, celle de restreindre l’exercice des fonctions des notaires à l’étendue du département dans lequel ils auront leur résidence; nous avons pensé que l’un des principaux avantages qui se rencontraient dans l’institution des notaires, c’était d’épargner, dans toutes les circonstances où leur ministère avait été employé, des reconnaissances d’écritures longues et difficiles, et qu’étendre la compétence de ces officiers aux limites du royaume, ce serait perdre une partie de cet avantage, ou s’exposer à de graves iuconvénients. Les notaires de Paris avaient, il est vrai, cette faculté, mais aussi avaient-ils le sceau attributif de juridiction, et l’exécution des actes passés devant eux, en quelques lieux du royaume que ce fût, était toujours poursuivie devant le tribunal de leur immatriculation. La confiance ne doit pas être circonscrite. D’accord ; mais ne fait-on pas beaucoup pour elle en lui donnant l’étendue d’un département entier; et à moins de mettre des abstractions à la place d’arguments solides, est-il raisonnable d’exiger plus encore? Enfin ne reste-t-il pas la faculté de se rendre auprès de l’homme, objet d’une si extraordinaire confiance? Au surplus, les inconvénients qui résulteraient de cette illimitation ne consistent pas seulement en ce qu’un notaire de Brest, par exemple, mandé à Toulon, y reçoive un acte, l’emporte à 200 lieues de l’endroit où il a été passé, s’expose aux chances nombreuses qui peuvent en causer la destruction, ou le renvoie en extrait pour être produit devant un tribunal où le nom et la signature de ces officiers sont également inconnus. Mais, si un no- g§4 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [15 septembre 1791.] taire de Brest pouvait être mandé à Toulon, il s’ensuivrait aussi qu’il aurait la faculté d’y venir sans être mandé, d’offrir, dans sa longue route, son ministère à tout le monde, dans les sociétés, dans les auberges, dans les voitures publiques ; et qu’en un mot l’état de notaire serait, en quelque sorte, une ambulance universelle : or, avec une telle institution si heureusement accommodée aux spéculations et aux succès de l’imposture, les routes seraient bientôt couvertes de prétendus notaires, allant d’une extrémité de la France à l’autre pour tromper la confiance des choyeos des villes, et surtout celle des crédules habitants des campagnes. Enfin il ne suffit pas que les notaires soient jugés par l’opinion publique, ils doivent être encore sous la surveillance de la puissance publique, et cette surveillance serait, à vrai dire, impraticable dans le système de cette compétence n’ayant pour bornes que les frontières du royaume. Nous pensons donc que la compétence des notaires ne peut excéder les limites de leurs départements. Si la proposition de conserver aux offices de notaires le sceau de la vénalité avait pu vous être faite, sans doute on l’aurait principalement appuyée sur ce que la valeur de ces of fices présentait au public une garantie des faits de l’officier. Mais de ce qu’une institution vicieuse en plusieurs points présente cependant un seul avantage digne d’être appuyé, ce n’est assurément pas un motif suffisant pour la conserver tout entière, et de même aussi de ce que des vues utiles se trouvent associées à un système imparfait, il n’en résulte pas que le législateur doive les envelopper dans la proscription des abus qu’il réforme, et les confondre avec eux. Les notaires sont destinés à remplir des fonctions trop importantes, pour que rien ne garantisse à la société la réparation de leurs erreurs, et même autant qu’il est possible, celle de leurs prédications. Ainsi vous abolirez la vénalité des offices notariels, mais vous n’enlèverez pas au public le gage de sa confiance; vous rendrez au contraire ce gage plus certain encore, en lui assignant une destination unique et précise qu’il n’avait pas antérieurement. Donnés aux citoyens comme instrument de leur volonté, les notaires sont comptables envers tous de la vérité des actes qu’ils souscrivent ; ils sont les conservateurs des traités les plus précieux aux familles, les dépositaires de tous leurs intérêts ; sous cet aspect, l’immense responsabilité de ces officiers est sans doute peu facile à évaluer, ou plutôt elle est inappréciable, si l'on veut parcourir toutes les chances où elle peut être exercée, et calculer sa masse sur la possibilité des malversations, des erreurs ou des négligences graves, souvent aussi préjudiciables que la mauvaise foi elle-même. Mais résulte-t-il de cette considération que l’on ne puisse exiger des notaires aucun gage de responsabilité, ou que l’on doive l’élever à une valeur considérable? Les comités ont cru devoir se déterminer à cet égard, d’après les principes qui vous ont guidés en fixant les cautionnements de divers fonctionnaires publics que vous y avez assujettis; ils ont consulté les convenances raisonnables, persuadés, comme l’Assemblée nationale semble l’avoir été, que la fixation de ces sortes de garanties ne peut jamais être qu’arbitraire par la nature même des choses ; car il n’existe pas de bases certaines pour l’établir, et si dans le fait, il en existait, elles donneraient des résultats impossibles à remplir. Le mode que nous vous présenterons ne portera donc pas à une valeur excessive le fonds de responsabilité des notaires; et nous avouerons même que nous l’avons calculé plutôt comme moyen de répondre des erreurs ou des négligences graves de ces officiers, que comme une garantie contre leurs prévarications. Le plus sûr gage de responsabilité en ce genre doit être placé dans les sages précautions apportées au choix des sujets, ou plutôt c’est là seulement qu’il peut exister; l’expérience du passé est même pour nous, relativement aux notaires, un heureux présage de l’avenir : car, sous le règne de la vénalité, si cette classe de fonctionnaires a présenté bien rarement des hommes peu dignes de l’estime publique, que ne devons-nous pas attendre de ceux qui devront leur mission à un choix plus épuré ? Àprès avoir déterminé la valeur des cautionnements à fournir par les notaires en raison des diverses localités, le mode de ces cautionnements nous a présenté quelques difficultés. Pour se conformer entièrement aux vues que vous avez plusieurs fois manifestées, vos comités avaient d’abord projeté de faire fournir ce gage en immeubles; mais, sans approfondir aujourd’hui la véritable théorie des cautionnements, nous vous rendrons compte des principaux motifs qui nous ont déterminés à rejeter ce premier projet. Nous avons pensé qu’assujettir, à un gage en immeubles, une classe de fonctionnaires aussi nombreuse que celle des notaires, ce serait alan-guir, d’une manière plus ou moins sensible, l’activité de l’agriculture, et retirer du commerce des terres une masse de fonds très considérable. En vain dirait-on que le cautionnement en immeubles n’est autre chose qu’une constitution d’hypothèque, et que par conséquent, sous le rapport du commerce des propriétés, il ne peut pas plus être nuisible que ne l’est l’hypothèque elle-même. Mais il existe cette différence essentielle entre ' le cautionnement en immeubles et l’hypothèque: que celle-ci est la représentation d’une valeur réelle reçue, soit pour améliorer la terre elle-même, soit pour être mise de toute autre manière dans la circulation; de telle sorte que la multiplicité des gages hypothécaires est un signe certain de l’industrie agricole ou commerciale dont elle accroît l’activité et facilite les opérations : le cautionnement en immeubles, au contraire, ne représente rien de réel, rien d’actuel; c’est un fardeau gratuit mis sur la propriété, qui l’entrave, qui nuit à ses moyens d’amélioration par l’impossibilité même de l’hypothéquer ; enfin, le fonds hypothéqué, pour un emprunt, n’est pas pour cela mis hors du commerce, il peut être vendu facilement, se dégager de ses charges, et redevenir continuellement l’objet ou le moyen d’uue circulation nouvelle, tandis que le fonds donné en cautionnement, est invendable par la nature même des choses, aussi longtemps que le motif du cautionnement subsiste. En second lieu, le cautionnement enimmeubles, du moins dans 1 état actuel de notre législation, n’est pas à beaucoup près aussi solide, aussi certain qu’on le suppose ordinairement. La bonne foi ne préside pas toujours aux déclarations préliminaires exigées à cet égard, et rarement on obtiendrait un cautionnement de3 fonds réelle- [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [15 septembre 1791.] ggg ment libres de toute hypothèque antérieure ; et, remarquez encore, Messieurs, combien ia difficulté de parvenir à une connaissance parfaite de l’état du gage offert serait accrue relativement aux notaires, par la multiplicité de ceux qu’il faudrait obtenir dans chaque département. Aussi, donc, avant d’ériger en principe le systèrne exclusif des cautionnements en immeubles, il faudrait qu’un mode certain de connaître l’état des propriétés, fût établi dans tout le royaume. Depuis longtemps, on le projette, mais ce mode n’existe pas, et jusque-là les cautionnements en immeubles ne pourront être véritablement exempts de fraude, ni présenter au public un gage solide. En troisième lieu, exiger des notaires un cautionnement en immeubles, c’est imposer à la plupart d’entre eux, à ceux du moins qui ne sont pas propriétaires eux-mêmes, une condition presque impossible 'à remplir; peu d’hommes ont leurs propriétés parfaitement libres, et ceux qui les ont ainsi consentent difficilement à les grever pour autrui, à s’interdire la faculté d’en disposer pour eux-mêmes, soit en les aliénant, soit en les engageant pour leur propre compte. Ce genre de cautionnement est donc, de sa nature, peu facile à obtenir, et il le deviendrait bien moins encore par le grand nombre de ceux qui seraient demandés de toutes parts. D’après toutes ces considérations, vos comités ont pensé que la forme du cautionnement en immeubles ne pouvait vous être proposée à l’égard des notaires, et qu’il était préférable de les assujettir au dépôt d’un fonds de responsabilité en argent ; si même il était permis dans une telle matière d’alléguer des considérations de finances, nous vous ferions observer que le parti qu’il vous propose s’allie beaucoup mieux que tous autres a votre position; en effet, la suppression des notaires exigeant un remboursement assez considérable, cette opération se trouve facilitée par les compensations qui auront naturellement lieu envers les notaires actuels ou par les versements effectifs de la part des nouveaux sujets. Placement des notaires actuels. En vous proposant des formes nouvelles pour l’élection des notaires publics, il a paru à votre comité que les notaires actuels ne devaient pas y être assujettis, et que sans concours, sans nouvel examen et de préférence à tous autres, ils devaient être admis dans le nouvel établissement : cette disposition est si juste, si raisonnable, qu’il paraît inutile de développer ici aucuns motifs pour la justifier. Les mesures que nous vous proposons à cet effet sont combinées de manière qu’aucun des notaires royaux actuels ne sera privé forcément de ses fonctions, soit dans le lieu où il les exerçait précédemment, soit dans tout autre lieu qu’il aura choisi pour sa résidence; ainsi plus heureux dans cette réforme que dans toutes celles que vous avez opérées, vous aurez entièrement recomposé l’organisation nolarielle, sans être obligés de frapper les individus et de les punir en quelque sorte du vice de leur organisation antérieure. Conservation des minutes. Quelque soin que l’on prenne d’éviter dans l’état actuel des notaires un bouleversement d’autant plus à craindre qu’il influerait sur les affaires et sur les intérêts des familles, on ne peut toutefois prévenir un dérangement plus ou moins considérable dans les placements actuels ; de là l’obligation de statuer sur les minutes des notaire en général, et spécialement sur les dépôts conservés jusqu’à présent dans des résidences qui n’existeront plus alors. Votre comité avait d’abord pensé à vous proposer l’établissement d’un dépôt général de minutes dans chaque résidence, mais il a rencontré un si grand nombre d’inconvénients, de difficultés dans l’exécution de ce projet, qu’il n’a pas cru devoir s’y arrêter longtemps; cependant comme cette opinion a quelques partisans, il est peut-être utile de vous rendre compte des principaux motifs qui ont déterminé votre comité à la rejeter. Ce dépôt des minutes a pour objet d’assurer aux citoyens l’existence de leurs litres, leur conservation et le moyen d’en procurer la représentation lorsqu’ils en ont besoin. Or, l’établissement d’un seul dépôt dans chaque résidence est loin de procurer tous ces avantages. D’abord, il n’assurerait pas l’existence des titres. En effet, quelques précautions que l'on indique au principal chef d’un pareil établissement, quelque surveillance qu’on en exige, ne conçoit-on pas qu'il lui serait, à vrai dire, impossible, lors de l’apport de ces minutes arrivant en foule et de toutes parts, de les vérifier avec assez d’exactitude pour constater leur nombre et surtout leur état. Cependant le notaire en étant déchargé dès ce moment, sur qui tomberait la responsabilité de la perte ou de f altération ? Serait-ce sur le notaire? Mats, sa déchargea la main, il soutiendrait que la minute adirée a été déposée par lui, que la minute altérée l’a été depuis son dépôt: la responsabilité porterait donc sur le préposé à l’établissement du dépôt ; mais ne serait-ce pas la rendre inutile ? car enfin celui-ci aurait toujours une infinité de moyens très plausibles d’y échapper. Si, par exemple, toutes les minutes des notaires de Paris étaient dans un dépôt général, pourrait-on raisonnablement déclarer responsable de la perte ou de l’altération de l’une dmlles un dépositaire unique ? Il aurait toujours à alléguer la difficulté des vérifications lors du dépôt, fa facilité qu’ont eue les notaires d’abuser de cet embarras pour couvrir l’absence ou dérober les vices d’une minute; en un mot, toutes les considérations d’équité qui rendraient si pénible la prononciation d’une responsabilité sévère. Chaque officier demeurant au contraire gardien de ses propres minutes, la responsabilité est pleine et entière; il n’existe aucun moyen d’excuse pour s’en défendre, et l’intérêt des parties se trouve conséquemment beaucoup mieux en sûreté. En second lieu, un dépôt général n’assure pas mieux aux citoyens la conservation de leurs titres que les dépôts particuliers; les mêmes inconvénients, les mêmes chances, les mêmes probabilités se trouvent dans l’un et dans l’autre système, mais avec cettedifférence, que le citoyen lésé par l’infidélité ou par l’inadvertence du dépositaire qu’il a choisi lui-même, ou enfin par un événement imprévu qui anéantit en un instant jusqu’à la trace du dépôt, ne peut s’en prendre qu’à lui-même d’avoir placé là sa confiance. Si, au contraire, le dommage qu’il éprouve résulte d’un établissement où il a été contraint d’ensevelir la charte de ses droits les plus précieux, alors il a celui d’accuser de leur perte la société tout entière; et peut-être ne serait-il pas difficile 086 [Assemblée nationale.-) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [15 septembre 1791.1 de démontrer que, dans ce cas, elle lui doit une indemnité. C’est pour ia société une responsabilité trop grande que la formation de tels établissements : qui peut en effet calculer les malheurs qu’entraînerait la destruction d’un seul de ces dépôts, occasionnée par un accident quelconque, tel qu’un incendie, un pillage et d’autres événements ? Sans doute, les dépôts particuliers ne sont pas à l’abri de ces catastrophes : mais que l’habitation d’un notaire soit incendiée; ce malheur du moins ne rejaillit que sur une partie des citoyens, et encore ils ont la possibilité de retrouver dans les dépôts voisins quelques renseignements utiles; mais, par l’incendie d’un dépôt général, l’universalité des citoyens sera frappée, leurs intérêts et leurs droits seraient à jamais anéantis, sans aucun espoir d’en recouvrer la moindre trace. Pour prévenir les suites funestes d’un tel accident, on exigerait, dit-on, le dépôt dans des lieux différents de plusieurs copies du même acte. Mais d’abord aux frais de qui ces copies seraient-elles faites? De quelque manière que l’on s’y prenne, ces frais seront nécessairement supportés par les parties; et c’est alors un véritable impôt sans nécessité : d’ailleurs, cette multiplication de copies et de dépôts produirait elle-même une foule d’inconvénients, tels que la publicité trop grande de certains actes, la possibilité de corrompre l’un des dépositaires pour en obtenir la connaissance et en abuser ensuite. Au surplus, quand il serait possible de statuer une pareille disposition, au moins ne pourrait-elle avoir lieu que pour l’avenir; mais toutes les minutes anciennes, toutes celles qui existent actuellement, en exigerait-on aussi plusieurs copies pour effectuer leur dépôt en différents lieux ? Enfin les dépôts généraux seraient loin de procurer aux parties la facile communication des actes dont elles ont besoin ; quelque méthode, quelque vigilance que l’on apportât dans l’arrangement d’un nombre si prodigieux de minutes, il est facile de concevoir combien ia recherche en serait longue et difficile ; et si, une fois par erreur ou par inadvertance, une seule de ces minutes venait à être déplacée, quel espoir resterait-il de la retrouver dans l’immensité de celles où elle aurait été confondue? Ajoutez à tous ces motifs la dépense considérable pour l’acquisition, la construction et l’entretien des bâtiments où les dépôts seraient établis, car enfin cet objet deviendrait nécessairement une dépense publique ; les traitements des chefs et des nombreux commis préposés pour chacun de ces dépôts; et, en supposant même quelque utilité dans cet établissement, pourrait-elle entrer eu balance avec une masse de dépenses aussi considérable? Vos comités ont donc rejeté ce premier projet : la forme des dépôts particuliers chez les notaires lui a semblé préférable à toute autre; et c’est d’après cette vue qu’ils vous proposeront le placement des minutes existantes, en vous observant uniquement qu’ils ont pris pour base des dispositions à statuer sur cet objet, qu’en ceci surtout il fallait être avare de trop grands changements, car de nombreuses translations de semblables dépôts, et surtout des translations éloignées, auraient de graves dangers. Chaque famille a ses habitudes d’affaires dans tel ou tel lieu qui l’avoisine; elle sait que là reposent ses titres; et si tout à coup ils en étaient déplacés pour être portés au loin, il s’élèverait de toutes parts des craintes, des incertitudes, des embarras; et il est également juste, facile et prudent d’en ôter le prétexte. Élection des notaires. Pour vous rassurer contre l’insuffisance apparente des cautionnements, nous vous disions précédemment, Messieurs, que le plus sûr gage de responsabilité des fonctionnaires publics devait être placé dans les précautions qui accompagnent leur choix : ainsi cet important objet a dû solliciter principalement l’attention des comités. La vénalité des offices de notaires étant abolie, il ne se présente que trois modes divers pour le choix de ces officiers : La nomination du roi; L’élection du peuple; La forme du concours. Vous pressentez que vos comités ne se sont pas fort appesantis sur le premier moyen; les fonctions des notaires n’ont en elles-mêmes aucun des caractères qui, d’après votre Constitution, pourraient faire remettre au pouvoir exécutif l’élection du sujet : nous cherchons ici le moyen d’obtenir de bons choix; et pour peu que l’on réfléchisse, d’une part, aux qualités nécessaires pour en être honoré, et, de l’autre part, au sérieux examen qui doit précéder la détermination, il est évident qu’une nomination par le roi, ou plutôt par ses ministres, serait loin d’atteindre à ce but. Le choix des notaires par la voie de l’élection populaire paraît plus conforme à nos principes ; mais, considérée sous le rapport véritablement important qui nous occupe, c’est-à-dire comme moyen d’obtenir de bons choix, cette forme est-elle admissible? Il n’en est pas des notaires comme de la plupart des fonctionnaires publics que le peuple choisit : les administrateurs et les juges qu’il se donne, il a pu les connaître et les apprécier d’avance; il a remarqué la prudence des uns dans des places inférieures, la sagacité des autres dans la défense de leurs clients; il a jugé ceux-ci par leurs écrits, ceux-là par leur réputation; enfin, il a pu les voir dans des assemblées politiques; et le suffrage qu’if leur donne, est le résultat de l’opinion qu’il a prise d’eux dans ces diverses circonstances; sans cela, sans ce genre d’épreuve qui établit dans la société une sorte de concours perpétuellement ouvert à tous , que serait-ce que les élections populaires, et sur quoi seraient déterminés les suffrages du peuple? Mais, relativement aux notaires, il n’existe aucun moyen possible de préparer, d’éclairer ainsi à l’avance, l’opinion des électeurs; et d’abord le genre des études auxquelles il faut se livrer pour se rendre capable d’une si importante fonction, n’est pas très propre à fixer l’attention du peuple, et à lui faire distinguer les élèves qui mériteront un jour d’obtenir son suffrage ; tout à cet égard se passe dans le silence, dans l’obscurité de la retraite; les noms et les qualités morales des sujets, leur aptitude ou leur inhabileté à s’instruire, leurs progrès ou leur incapacité, sont également ignorés. Et lorsqu’enfin ils sont devenus propres à l’état auquel ils se destinent, quel moyen auront-ils d’en informer leurs concitoyens, de se répandre, de se faire remarquer? Les connaissances qu’ils ont acquises ne sont pas du nombre [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARMEMENTAIRES . [15 septembre 1791 . 1 687 de celles dont on puisse faire preuve dans les assemblées publiques, ni d’aucune autre manière dans la société. Le peuple arrivera donc à ces élections sans avoir aucun avis formé sur un seul des sujets à élire : qu’il nomme; quel sera le résultat de son choix, et peut-on raisonnablement s’en promettre d’heureux effets? Pour atténuer la gravité d’un tel inconvénient, on proposera peut-être de fixer le choix des électeurs dans une classe de sujets auxquels il serait imposé des conditions d’éligibilité très sévères. Ce moyen serait sage sans doute, et du moins il empêcherait, jusqu’à un certain point, la divagation des suffrages sur des hommes absolument incapables; mais les conditions d’éligibilité ne sont que l’indice extérieur de l’éligibilité : elles peuvent bien faire présumer la qualité essentielle pour mériter d’être élu, mais elles n’en prouvent pas l’existence. On exigera, par exemple, un âge certain, un temps d’étude déterminé, des attestations de vie et de mœurs; mais, dans une liste nombreuse de sujets remplissant toutes ces conditions, qui déterminera le choix des électeurs, qui leur indiquera celui d’entre tous les candidats, qui mérite son suffrage? Ils sortent de l’étude, ou plutôt ils y sont encore; et ce n’est pas pendant l'obscurité de leur noviciat, qu’ils ont pu fixer les regards du public, ni s’en faire apprécier. Enfin, pour épuiser tous les moyens de prudence , proposera-t-on un examen des sujets avant de procéder à leur élection? Il n’est rien à répondre, si la chose est raisonnablement possible ; mais d’abord pense-t-on que tous les électeurs aient les connaissances nécessaires pour être juges d’un pareil concours ? En second lieu , comment se résoudre à tenir rassemblé pendant plusieurs semaines, peut-être, un corps électoral pour une semblable opération, aussi étrangère à son établissement qu’à ses lumières présumées ? Le choix des notaires par les corps électoraux paraît donc inadmissible ; mais, en le rejetant à cause des graves inconvénients qu’il présente dans la forme, vos comités ont senti que l’élection de ces officiers ne pouvait cependant pas être faite sans la participation du peuple ; et c’est d’après ce principe qu’ils ont cherché à concilier dans un nouveau mode et ses droits et ses vrais intérêts. Ce mode consiste dans l’établissement d’un concours annuel dans chaque département, où seront admis à se présenter tous les sujets ayant les qualités requises, pour y être examinés et choisis par un tribunal composé de deux membres du directoire du département et du procureur générai syndic, de deux juges et du commissaire du roi du tribunal de la ville où se fera l'examen, et de trois notaires pris également dans cette ville. Il est sans doute inutile, Messieurs, de revenir sur ce qui précède, pour vous faire connaître par quel motif vos comités ont préféré la voie du concours à toute autre forme d’élection simple ; nous ne vous dirons même pas que ce procédé est, à vrai dire, le seul qui puisse garantir la bonté des choix, et que s’il était exactement praticable dans tous les cas, jamais aucune autre forme d’élection ne devrait être employée. La voie du concours étant ainsi admise pour l’élection des notaires, toutes les formalités ultérieures que ce genre d’élection exige se présentent d’eiles-mêmes ; de toutes ces formalités, vos comités ont choisi les plus simples ; et celles qu’ils vous proposeront d’adopter leur ont paru en même temps si nécessaires et si naturelles, qu’ils ne pensent pas devoir les justifier en ce moment, sauf à le faire dans le cours de la discussion , si les articles qui les contiennent éprouvent quelques difficultés. Néanmoins, parmi les dispositions qui vous seront proposées relativement à l’admission des sujets élus, il en est une sur laquelle vos comités vous doivent l’explication de leurs motifs. L’effet du concours, dans le plan proposé, sera d’obtenir dans chaque département une liste de sujets admissibles aux places de notaires qui viendront à vaquer ; dans la règle générale , les sujets ainsi déclarés admissibles auront droit à ces places, suivant leur ordre d’ancienneté d’inscription sur cette liste; cependant vos comités ont jugé qu’une modification était ici nécessaire; ils ont cru devoir réserver à tous les sujets inscrits la possibilité d’être choisis, sans aucun égard au plus ou moins d’ancienneté de leur inscription par les notaires 'dont les places deviendront vacantes par démission volontaire, en maintenant au surplus le droit d’ancienneté des admissibles, dans tous les autres cas, tels que la vacance par décret, par démission forcée ou même volontaire, mais sans désignation de successeur. Le motif de cette expression se trouve, Messieurs, dans l’expérience même de ce qui s’est pratiqué jusqu’à présent : la bonne composition de la classe des notaires était due à la faculté qu’ils avaient de choisir leur successeur; par là ils s’attachaient des élèves; et l’espoir que ceux-ci concevaient de leur succéder excitait en eux une juste émulation , dont le germe est trop utile à conserver pour la faire disparaître entièrement de la nouvelle institution. C’est assez pour la rigueur de la loi que l’élève ait rempli en quelques lieux et en quelque nombre d’études que ce soit le terme d’instruction prescrit pour l’éligibilité; mais ce n’est pas assez pour la confiance; et celui-là en sera toujours présumé bien plus digne, qui, soit pendant la durée entière, soit du moins pendant une très grande partie du temps de son noviciat, au lieu d’errer de ville en ville et d’étude en étude, sera demeuré constamment attaché au même instituteur. Il faut rendre possible la récompense de cette assiduité, et il paraît de la plus simple justice, qu’un tel sujet ayant d’ailleurs passé au concours, subi l’examen et obtenu le titre d’admissible, puisse, dans le cas de démission libre du notaire dont il a mérité la confiance par une si longue épreuve, être désigné par lui pour son successeur; et non seulement, Messieurs, cette disposition est juste, mais elle est encore utile sous beaucoup de rapports; car, indépendamment du moyen d’émulation qui s’y trouve à l’égard des élèves, on ne peut se dissimuler combieu il importe aux familles, qui souvent ont une moindre connaissance de leurs propres affaires que l’officier à qui elles en ont confié la direction, combien il leur importe de retrouver dans son successeur un homme déjà instruit de tout ce qui les regarde, et initié dans tous leurs intérêts, par l'habitude qu’il a eue depuis longtemps de les surveiller en sous-ordre, 688 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [15 septembre 1791.] Remboursement des notaires. La suppression de la vénalité des offices de notaires et l’organisation nouvelle de ces officiers publics entraînent un remboursement. Le projet que nous vous proposons a, dans toutes ses parties, cela d’avantageux et de consolant, qu’il prive peu de citoyens de leur état, et qu’il sera peu onéreux à la nation. Si l’Assemblée nationale établit le fonds de res-ponsablité, au dépôt duquel nous proposons d'assujettir tous les notaires, le remboursement sera très peu dispendieux. Pour avoir des idées justes sur ce remboursement, qu’exige la situation des notaires, il faut commencer par distinguer les notaires de Paris des notaires fixés dans les autres départements. Leurs anciennes finances, leur sort actuel, leurs pertes ne sont pas comparables. La finance des offices de notaires au Châtelet de Paris a été fixée en 1771, à 40,000 livres; mais le plus simple aperçu des droits et des privilèges attachés à ces offices, la notoriété publique, l’existence des contrats, attestent assez l’insuffisance d’une telle évaluation. Les notaires de Paris étaient en même temps notaires apostoliques; ils avaient le droit d’instrumenter dans tout le royaume; leur scel était attributif de juridiction au Châtelet, en quelques lieux que leurs actes eussent été passés; enfin, ces mêmes actes étaient exempts du droit de contrôle; et l’on sait qu’il n’était pas de contrat important qui ne fût attiré de toutes parts dans la capitale, par le désir d’échapper à la perception de cet impôt, rigoureusement établi dans les provinces; à tous ces droits, à tous ces privilèges, essentiellement attachés à leurs offices, les notaires de Paris réunissaient encore des avantages locaux, impossibles à rencontrer ailleurs. Ils étaient dans une capitale immense, près d’un Parlement dont le vaste ressort embrassait les deux tiers du royaume; d’autres cours supérieures, des tribunaux d’exception très multipliés, ajoutaient encore à toutes les chances qui devaient faire, et qui faisaient en effet, de la ville de Paris, le centre de toutes les opérations contentieuses, financières ou commerciales de la France. C’est donc une évaluation trop modique, et notoirement insuffisante, que celle donnée en 1771 à des offices qui promettaient l’exploitation d’une mine si féconde : aussi est-il constant que cette fixation n’a jamais servi de base au prix de commerce des offices, et que les ventes faites, soit avant, soit depuis 1771, en ont toujours porté la valeur à une somme bien plus considérable. Il n’est pas moins certain que depuis plusieurs années le prix de ces offices avait reçu un grand accroissement : la raison en était simple. A tous les avantages d’une position habituelle, se joignaient alors la nature des circonstances, et la faveur des temps. Depuis près de 20 années, une surabondance de population et de luxe en tout genre avaient presque changé la face de la capitale; Paris était devenu le séjour le plus habituel des riches propriétaires du royaume; tous ces bénéficiers oisifs, dont les trésors féconderont dorénavant le sol qui les a produits, venaient les répandre dans Paris; ils y passaient leurs baux, ils y terminaient leurs nombreux procès, et ne quittaient la capitale que pour aller chercher de nouvelles richesses et les lui apporter encore; enfin, un concours prodigieux d’étrangers, des établissements de compagnies de finance très multipliés, des emprunts considérables de toutes parts, et en général, cette boursouflure de prétendue prospérité publique, concentraient dans Paris une telle circulation d’espèces, produisaient une telle agitation de tous les intérêts, ouvraient un champ si vaste aux spéculations financières ou commerciales, que le nombre et le mouvement des affaires et des opérations de tout genre s’y étaient accrus à un point inconcevable. Placés au centre d’une telle activité, les notaires devaient en ressentir l’influence ; il était impossible que leur état n’en fût pas sensiblement amélioré. Le prix de leurs offices augmenta donc en raison des espérances que la durée d’un tel ordre de choses pouvait leur faire concevoir ; ou plutôt, ces offices étant alors de véritables propriétés, ils devaient, comme les autres objets commerçables, participer au surhaussement de toutes les valeurs. Aujourd’hui que toutes ces espérances sont détruites, qu’un nouvel ordre de choses remet tout à sa véritable place ; aujourd’hui, enfin, que ces offices sont détruits par le fait, d’après quelle base opérerez-vous leur remboursement? Il faut remarquer d’abord que les notaires de Paris sont à cet égard dans une position qui leur est particulière. Si les contrats énonçaient le véritable prix des ventes, on pourrait proposer pour chaque notaire le remboursement de son office d’après le montant de l’acquisition ainsi justifié, sauf la réduction d’une quotité déterminée. Mais cette forme est impossible à adopter. Par un usage très ancien, les notaires au Châtelet ne pouvaient obtenir leurs provisions sans l’agrément du lieutenant civil de ce tribunal ; et celui-ci, par un autre usage, n’accordait son agrément qu’aux porteurs de traités faits d’après une fixation commune qu’il avait déterminée lui-même. Pour n’être pas retardés ou empêchés dans l’obtention de leurs provisions, les notaires étaient donc contraints de dissimuler dans les traités le montant réel de l’acquisition ; ils se bornaient à insérer dans ces actes ostensibles la somme permise par le magistrat ; et comme le véritable prix n’intéresse que le vendeur sans ajouter rien aux droits de l’acquéreur, ils négligeaient presque toujours d’en constater l’excédent, lorsqu’il avait été réalisé à la passation même du contrat. Lorsqu’au contraire cet excédent restait dû en totalité ou eu partie, le vendeur se contentait souvent d’une promesse sous signature privée, énonciative de la somme due, mais sans en rapporter la cause à une vente d’office ; ou enfin cette promesse était quelquefois motivée sous le prétexte de recouvrements exagérés, qui dans le fait se réduisaient à très peu de chose, et n’étaient pas en grande considération daDS la somme totale. Aussi la plus grande partie des notaires sont-ils dans l’impuissance de constater le prix réel de leurs offices. Les uns n’ont à représenter que le contrat modéré de leur acquisition ; le surplus, ils l’ont donné hors du traité ostensible, mais à l’instant même de la rédaction, sans se mettre en peine d’obtenir des reconnaissances inutiles alors, et dont ils étaient loin de prévoir qu’ils auraient besoin un jour. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [15 septembre 1791.] 689 D’autres oot la quittance des sommes entières payées hors du traité ; mais le véritable objet n’est pas constaté; elle semble n’avoir aucun rapport à l’oftice vendu. Au milieu d’une telle diversité, et d’après la connaissance des causes qui la produisent, il est donc impossible de liquider chaque notaire en particulier, sur la représentation de ses titres; ce serait uniquement favoriser le petit nombre de ceux à qui le hasard des circonstances a suggéré des précautions présumées inutiles alors, et punir les autres, c’est-à-dire la presque totalité, d’avoir oublié ou négligé ces mesures; enfin, ce serait abuser trop de la nécessité dans laquelle ils étaient, de dissimuler aux yeux du magistrat le prix de leurs offices. Ainsi, d’un côté, l’évaluation de 1771 ne peut être suivie, parce qu’elle est insuffisante; Et de l’autre, le mode de liquidation particulière à vue des titres de chacun est inadmissible, parce qu’il établirait une inégalité que rien ne justifie. Si, en effet, la différence, ou plutôt l’incomplé-tion des titres était en quelque sorte uniforme et suivie, c’est-à-dire, si tous les notaires, qui ont acquis dans un temps où le prix des offices était notoirement élevé, pouvaient justifier d’un prix plus fort que tous ceux qui ont acquis à une époque antérieure où le prix de ces mêmes offices était notoirement plus faible; et de même si des notaires qui ont traité dans un temps éloigné n’étaient pas en état de prouver un prix plus fort que ceux qui ont acquis récemment; si enfin, respectivement les uns aux autres, ils pouvaient tous, en raison de leur plus ou moins d’ancienneté, justifier d’un prix proportionnel au temps de leurs acquisitions ; alors du moins la liquidation particulière de chacun, à vue de ses titres, rendrait graduellement uniformes et le sort et la perte de tous, et il resterait seulement à décider jusqu’à quel point on peut profiter sur eux de cette perte, constante par la notoriété, mais non démontrée par des pièces authentiques. Mais il s’en faut de beaucoup que la différence des titres se trouve calculée de manière à établir cette proportion. Les notaires ne pouvaient pas prévoir qu’il leur importerait un jour de faire connaître le prix réel de leurs offices ; et vous avez vu qu’au contraire, ils étaient forcés de dissimuler; il leur suffisait de pouvoir se montrer acquéreurs; le reste était indifférent pour eux. Le hasard, ou quelquefois des intérêts de famille, ont fourni à quelques-uns le moyen de justifier aujourd’hui de la presque totalité du prix de leurs offices; mais ces circonstances n’ont pas influé également ici dans le même temps sur tous: ainsi tel notaire, pourvu à une époque où le prix des offices était moins élevé, se trouve cependant en état de justifier d’un prix plus fort que tel autre notaire, ayant acquis longtemps après lui, moyennant un prix réellement plus considérable; et de plusieurs ayant acquis dans le même temps à un prix à peu près semblable, un seul est en état d’en justifier, tandis queles autres s’en trouvent à une grande distance. _ Il résulterait donc, de la liquidation particulière de chacun à vue de ses titres, une inégalité peu conforme à la justice, et par conséquent contraire à vos principes et à vos vues. ' Pour ne devenir libéral envers aucun, et être juste envers tous, vos comités ont pensé, que vu l’impossibilité où la plus grande partie des notaires de Paris se trouve de constater le montant de leurs acquisitions, et vu aussi l’insuffi-lre Série. T. XXX. sance de l’évaluation de 1771, celte évaluation devait être rectifiée sur un taux commun, établi d’après les prix, quel qu’ils soient, dont il pourra être justifié par des traités, obligations, quittances, ou autres actes authentiques, pour un certain nombre déterminé d’offices. Nous prenons à cet effet la moitié, plus une, des charges des notaires, c’est-à-dire 57 ; nous faisons du prix total de ces 57 charges, divisé par leur nombre, le prix commun de tous les offices de notaires de Paris. Mais comme il y a de la différence entre les valeurs progressives des charges de notaires ; comme ceux qui ont acheté il y a 20 ans ont acheté meilleur marché que ceux qui ont acquis il y a 10 ans ; et que ces derniers, à l’exception de quelques-uns, ont acheté moins cher que ceux qui ont traité depuis 1781, nous proposons de diviser les notaires de Paris en trois classes. La première comprendra les notaires reçus avant le 1er juillet 1771 ; la seconde, les notaires reçus avant le 1er juillet 1781 ; la troisième, ceux reçus depuis cette époque jusqu’à présent. Sur la première classe, on fera une réduction du tiers du prix commua ; sur la seconde, du sixième; sur la troisième, du douzième. Ce mode présente le double avantage de rétablir, autant qu’il est possible, entre tous les notaires, une égalité détruite par la nature de leurs actes d’acquêt, et de fixer leurs droits à un taux modéré, dont ceux-mêmes qui se trouveront le plus lésés par le fait ne pourraient être admis à se plaindre : ils seront assez justes pour ne reprocher qu’à eux seuls leur défaut de précaution ; et tout excusables, d’ailleurs, qu’ils puissent être sous ce rapport, il est évident que l’Etat ne peut pas réparer absolument celte omission, y suppléer, et leur allouer entièrement, et sur la seule notoriété publique, des sommes non justifiées d’une manière légale, Et il est juste aussi, sous plus d’un rapport, que tous les notaires ne soient pas ruinés par un remboursement qui n’est que l’indemnité de leur propriété. La nation, obligée de commander des suppressions, ne veut pas dépouiller ; et il est à remarquer que la faculté laissée aux anciens titulaires, de continuer l’exercice de leur état, ne peut pas être regardée comme un dédommagement ; car cet exercice, ils l’ont acquis par leur travail, par les longues études qu’ils ont faites ; et quand même on rembourserait à des officiers ministériels la totalité du prix réel de leur contrat, on ne pourrait pas encore les priver de la faculté d’exercer leur état, si les fonctions qui y étaient attribuées ne sont pas supprimées et défendues. Peut-être aussi devons-nous dire que, quoiqu’on ait beaucoup exagéré la fortune des notaires de Paris, un grand nombre d’entre eux sont maintenant sous le poids d’engagements considérables, ayant pour cause l’acquisition de ces mêmes charges qu’on supprime aujourd’hui ; elles appartiennent beaucoup moins à la plupart d’entre eux qu’à leurs parents, à leurs amis, à leurs clients mêmes, qui, loin de prévoir une suppression prochaine, les ont aidés de tous les moyens possibles de crédit et d’argent, afin de leur assurer un état qui iaspirait alors la plus grande confiance. D’un autre côté, il est certain que les notaires de Paris, et eux seuls entre les notaires du royaume, non seulement éprouvent depuis deux ans une réduction très sensible dans le produit de leurs travaux, et n’en supportent pas moins 44 ggn [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [15 septembre 1T91.] la même masse d’intérêts ; mais que, de plus, il est impossible de leur montrer dans l’avenir l’espoir d’un dédommagement. Leurs actes étaient affranchis du droit de contrôle; ils sont déjà puis plusieurs mois, et ils resteront assujettis, omme ceux de tous les autres notaires, au droit d’enregistrement. Enfin, ils étaient notaires pour tout le royaume ; et ils ne sont plus notaires que du département de Paris. Quant aux notaires des autres départements auxquels s’applique aussi une partie des réflexions générales que nous avons présentées, nous proposons un mode de remboursement à peu près pareil à celui qui a été suivi pour les officiers ministériels. Leur rembourser le prix de leur évaluation, et la moitié du surplus du prix prouvé de leur contrat, tel est le mode que nous vous proposons d’adopter. Il prend l’évaluation et le prix du contrat pour base, parce que l’évaluation se rapproche en général beaucoup davantage du prix du contrat, et que les notaires dans les départements n’ont eu aucune raison de dissimuler le vrai prix de leur acquêt. DEUXIÈME ANNEXE A LA SÉANCE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE DU JEUDI 15 SEPTEMBRE 1791, AU SOIR. Opinion de M. l’abbé de Villenenve-Barge-mont, député de la ville de Marseille , sur les moyens à prendre pour intéresser les militaires au maintien de la Constitution et de la liberté et pour détruire tous les moyens de séduction capables de pervertir tout citoyen ayant à sa disposition les forces de l'Etat. Messieurs, Quelle surprise pour tout bon Français, sincèrement attaché à sa patrie, de voir que, dans le moment même où l’on parle sans cesse de la liberté, l’on propose souvent des opérations tendant à replonger la nation dans l’esclavage dont elle est à. peine sortie depuis un an. Nous devons par concéquence avoir nuit et jour les yeux ouverts, et réfléchir sérieusement sur la nature des événements qui se succèdent les uns aux autres, afin de prévoir quelles en seront les suites. Parmi les objets dignes de notre attention, un des principaux est une organisation d’armée, dont les intérêts des officiers qui la composent soient intimement liés au maintien de la Constitution et de la liberté. C’est une affaire des plus sérieuses d’où dépend le salut de l’Etat ou sa ruine. 11 est donc absolument nécessaire d’examiner cette question sous tous les rapports dont elle est susceptible, et de prendre les moyens les plus efficaces, afin que les forces de terre et de mer, destinées à la défense du royaume, ne servent Jamais à renverser le superbe édifice, dont la li->erté doit être la pierre fondamentale. Quoiqu’il soit convenable, au sujet de l’organisation de l’armée et des troupes de la marine, de prendre en considération les représentations des militaires, on ne peut cependant les adopter qu’auîant qu’elles sont justes. Une complaisance aveugle nous iuduir&it ea erreur. C’est à notre prudence et à nos sages réflexions de discerner les bonnes opérations d'avec les mauvaises. Défions-nous, Messieurs, des idées anciennement adoptées, qui nous faisaient regarder comme autant d’oracles tout ce qui émanait du pouvoir exécutif. Une fatale expérience nous a appris le contraire, surtout depuis que les ministres de la guerre ont été choisis parmi les militaires. Les uns et les autres sont cause de la dissipation des finances, ainsi que de beaucoup d'abus introduits dans le service, et ont malheureusement anéanti l’émulation parmi les militaires,. en faisant perdre toute espérance d’avancement aux officiers du plus grand mérite. Ils avaient adopté des exercices peu analogues à nos mœurs, capables d’humilier sans cesse des hommes d’un â»e mûr, pleins de sentiment et d’honneur, et plus propres, en disloquant les os des soldats, à faire danser des marionnettes, qu’à inspirer à de braves guerriers un esprit martial, et les former aux évolutions militaires. Les grâces qu’ils ont accordées sans raison, sans discernement et avec profusion, ont répandu, parmi les officiers mêmes des grades les plus distingués, l’esprit de cupidité. Quelle confiance peut-on prendre dans de tels ministres? Quant à ce qui regarde ceux de la marine, pris dans la profession des armes, les choix n’ont pas été plus heureux. Cependant on ne saurait avoir trop de talents pour surveiller un corps aussi nécessaire à ta prospérité de l’Etat, afin d’en tirer tous les avantages dont il est capable. Il est bon de savoir que les officiers de la marine ont eu le malheur d’envier, aux intendants et commissaires employés dans cette partie, des détails qu’on prétend être fort lucratifs; et, par cette raison, ils se sont souvent permis de suspecter la probité de ceux qui en étaient chargés. À force d’imputations injurieuses, ou vraies, ou fausses, ils sont parvenus au point de se procurer une partie des mêmes détails. Cependant ils n’ont pas été plus à l’abri des traits de la satire, de la jalousie et de la méchanceté que ceux dont rte avaient impitoyablement déchiré la réputation. Supposé qu’il soit impossible d’empêcher que l’Etat soit pillé, ou par les uns ou par les autres, les ministres auraient dû au moins choisir le régime où la rapine peut plus facilement être réprimée. C’est ce qui avait lieu sous l’ancien régime, dont on n’aurait jamais dù s’écarter , surtout à l’égard d’un objet très intéressant. Les officiers de marine, pour lors surveillés par les intendants, ne pouvaient point facilement se • servir des vaisseaux de guerre ;pour des spéculations de commerce. Cette observation est d’autant plus importante, qu’elle tend à empêcher qu’il ne s’introduise des abus nuisibles à l’Etat. En effet, les commandants de vaissean qui voudraient s’enrichir par la voie du commerce feraient fort souvent échouer, dans nos guerres de mer, les entreprises les plus importantes, en évitant de rencontrer l’ennemi,