[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [20 février 1790.] 662 semblée nationale; mais en ce moment les difficultés augmentent, ce n'est plus l’innocence qu’il faut délivrer, ce ne sont plus des malades qu’il s’agit de faire examiner, pour déterminer s’ils sont en état de recevoir de vous le bienfait de la liberté, ou si votre humanité doit se contenter de leur procurer des secours qui puissent ou les guérir, ou du moins rendre leur position supportable. Nous avons à remplir une tâche plus difficile : il s’agit de porter vos regards sur la troisième et la quatrième classe des prisonniers d’Etat ; il s’agit de vous intéresser pour ceux mêmes qu’une accusation ou une condamnation légale ont déjà placés sous la main de la loi. L’Assemblée voudra sans doute tenir compte aux uns et aux autres de la punition irrégulière à laquelle ils ont été soumis; cependant nous n’avons pas cru qu’elle pût interdire aux premiers le recours à leurs juges naturels. S’ils sont innocents, ils ont droit à être publiquement déclarés tels; mais s’ils étaient coupables, aurions-nous celui de les exempter de la réparation qu’ils pourraient devoir encore à la société? Quel parti l’Assemblée prendra-t-elle donc à l’égard de ceux qui sont déjà, ou qui seront par la suite juridiquement convaincus de crimes? quel guide la conduira entre une indulgence injuste et une sévérité déplacée? C’est ici que le désordre du gouvernement ancien pèse sur nous et semble ne nous présenter que des écueils. Quelque parti que nous prenions, nous nous écarterons plus ou moins de la sévérité des principes; aussi n'est-ce qu’avec une extrême défiance de nous-mêmes que nous nous sommes déterminés à vous soumettre l’opinion à laquelle le comité s’est arrêté. Sûrs que vous n’aviez à prononcer que sur un fait particulier, sûrs qu’une pareille circonstance, dont les inconvénients ne sauraient assurément vous être reprochés, ne pourra se reproduire dans la suite, nous avons raisonné ainsi. L’intention de l’Assemblée nationale n’est pas de priver la société de la réparation qui lui est due; cependant voudrait-elle envoyer à l’échafaud des misérables, qui regrettent depuis vingt ans dans des cachots le supplice qu’ils avaient mérité peut-être, mais qui leur aurait été moins cruel ? Elle ne dira pas à ces malheureux, qu’un ministre avait sauvés par égard pour leurs familles, Après les tourments que le despotisme vous a fait souffrir , la nation va replacer vos têtes sous le laive des lois, la liberté vous restitue à la mort. ette idée révolterait l’humanité; vous vous contenterez donc de légitimer la commutation de peine de ceux qui étaient légalement condamnés aune peine afflictive et jugés en dernier ressort, en leur laissant cependant la faculté qui leur appartient, de préférer la soumission au jugement qui avait été porté contre eux à la prison qui leur a été accordée comme un adoucissement, et qu’ils pourraient considérer sous un aspect différent. Quant à ceux qui sont simplement décrétés, nous avons pensé que vous ne pourriez leur refuser les moyens de constater leur innocence; mais les forcerez-vous à s’exposer au danger d’un jugement dont ils craindraient le résultat ? Nous aurions bien voulu pouvoir les en dispenser, nous aurions désiré les soustraire entièrement aux atteintes des lois qui ont été insuffisantes pour les protéger; mais nous avons pensé qu’il était important à l’ordre public de faire prononcer sur l’innocence ou le crime de tous les décrétés, en même temps qu’il était juste d’user d’indulgence envers ceux qui seraient jugés coupables. D’après cela, nous nous sommes déterminés à vous proposer de statuer que les juges devant lesquels s’instruiront les causes des prisonniers d’Etat, préalablement décrétés, se borneront à déclarer ou leur innocence, ou le crime dont ils sont coupables; afin que, sur le compte qui lui en sera rendu, l'Assemblée nationale, de concert avec Sa Majesté, porte une loi qui réglera la peine à laquelle ils pourront être condamnés, ayant égard à la nature du délit, sans que cette peine puisse jamais excéder celle d’une détention de douze ans, en y comprenant le temps qu’ils ont déjà passé dans des prisons illégales. En adoptant les dispositions que nous allons lui proposer, l’Assemblée va faire disparaître les restes odieux de la tyrannie ministérielle; elle va réparer, autant qu’il est en elle, les malheurs qui en ont été la suite : encore quelques semaines, et aucun Français ne se plaindra plus qu’il existe des contradictions entre notre déclaration des droits, entre les principes de notre constitution et sa position personnelle. Nul ne pourra plus dire : je suis libre de droit, et je languis dans les fers, et l’Assemblée nationale oublie de prononcer ma délivrance. Votre comité a l’honneur de vous proposer le décret suivant : L’Assemblée nationale, étant enfin arrivée au moment heureux de détruire les prisons illégales et de déterminer une époque fixe pour l’élargissement des prisonniers qui s’y trouvent encore: renfermés; Considérant la nécessité de donner le temps aux parents, ou aux amis de ceux qui sont encore détenus, de prendre les arrangements qu’ils jugeront convenables pour assurer leur tranquillité et pourvoir à leur subsistance; Qu’il est nécessaire de prolonger la détention de ceux qui sont enfermés, sous prétexte de folie, assez longtemps pour connaître s’ils doivent être mis en liberté, ou soignés dans les hôpitaux qui seront établis à cet effet ; Considérant que, parmi ceux qui sont prisonniers en vertu d’ordres arbitraires, il en est qui ont été préalablement jugés, d’autres qui sont décrétés de prise de corps, et doivent être renvoyés devant leurs juges naturels, et désirant cependant avoir égard au châtiment illégal auquel ils ont été soumis, a décrété et décrète ce qui suit: ■ Art. Ier. Dans l’espace de six semaines, après-la publication du présent décret, toutes les personnes détenues dans les châteaux, maisons religieuses, maisons de force, maisons de police ou autres prisons quelconques, par lettre de cachet, ou par ordre des agents du pouvoir exécutif, à moins qu’elles ne soient légalement condamnées, décrétées de prise de corps, ou renfermées pour cause de folie, seront remises en liberté. Art. 2. Les personnes détenues, pour cause de démence, seront, pendant IVspace de trois mois, aussi à compter du jour de ladite publication, visitées par des médecins, qui, sous la surveillance' des directoires de district, constateront le véritable état des malades, ahn qu’à l’époque fixée, et après que les procès-verbaux de cet examen auront été envoyés à l’Assemblée nationale et au ministre de la province, ils soient élargis, ou soignés dans les hôpitaux qui seront indiqués à cet effet. Art. 3. Les prisonniers, détenus par ordre illégal, qui auraient été préalablement jugés et léga~ [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [20 février 1790.] 663 lement condamnés à une peine afflictive, garderont prison pendant le temps fixé par l’ordre de leur détention, à moins qu’ils ne demandent eux-mêmes à subir la peine à laquelle ils avaient été condamnés par jugement en dernier ressort, sans qu’aucune détention puisse jamais excéder le terme de douze années, y compris le temps qui s’est écoulé depuis l’exécution de l’ordre illégal. Art. 4. Ceux qui, sans avoir été condamnés en dernier ressort, auraient été jugés en première instance, ou décrétés de prise de corps, seront conduits dans les prisons des tribunaux qui sont désignés par la loi. Art. 5. Lesdits tribunaux seront simplement chargés d’achever l’instruction et de prononcer sur l’innocence ou le crime des prévenus, afin que, sur le compte qui en sera rendu par eux à l’Assemblée nationale et au garde des sceaux, ils soient jugés dans la forme prescrite par une loi particulière, qui déterminera la peine que les coupables pourraient encore subir, laquelle n’excédera, en aucun cas, une détention de douze années, y compris le temps pendant lequel ils auraient été antérieurement privés de leur liberté. Art. 6. Ceux qui seront déchargés d’accusation recouvreront sur-le-champ leur liberté, sans qu’il soit besoin d’aucun ordre nouveau, ni permis de les retenir, sous quelque prétexte que ce soit. Art. 7. Dans le délai de trois mois, il sera dressé, par chaque commandant de château-fort ou prison d’Etat, supérieur de maison de force ou maison religieuse, et par tous détenteurs de prisonniers, en vertu d’ordres arbitraires, un état de ceux qui auront été élargis, visités par des médecins, renvoyés par-devant les tribunaux, ou qui garderont encore prison, en vertu du présent décret. Art. 8. Cet état sera déposé aux archives du district, et il en sera envoyé des doubles, certifiés véritables par le président et secrétaire, à l’Assemblée nationale et au ministre de la province. Art. 9. L’Assemblée nationale rend les commandants des prisons d’Etat, les supérieurs des maisons de force, ou maisons religieuses, et tous les détenteurs ae prisonniers par ordre illégal, personnellement responsables de l’exécution du présent décret, et elle charge spécialement les assemblées de département et de district d’y tenir la main. Le rapport de M. de Castellane est très applaudi. L’impression est ordonnée et la discussion fixée à mardi soir. M. Prieur, membre du comité des rapports , instruit l’Assemblée de l’état de l’affaire entre la municipalité de Brie-Comte-Robert et la compagnie des volontaires de cette ville, dont il avait été question dans la séance du soir du 11 de ce mois; l’Assemblée rend le décret qui suit : « L’Assemblée nationale, après avoir entendu le comité des rapports, qui a exposé que la municipalité de la ville de Brie-Comte-Robert lui a communiqué des pièces et donné des explications qui assurent que la tranquillité règne dans cette ville, et que la compagnie des volontaires ou du Saint-Sacrement est approuvée par la municipalité, qui lui a permis de faire bénir son drapeau dimanche dernier, a décrété qu’il n’y a pas lieu à délibérer sur l’affaire rapportée à la séance du soir de jeudi 11 février présent mois. » M. Gonpilleau rend compte, au nom du comité des rapports, des difficultés survenues à Aisnay en Poitou, sur la formation de la municipalité. Aux deux premiers scrutins, MM. de la Marronière et Mittier réunirent le plus grand nombre de voix, mais n’obtinrent ni i’un ni l’autre la majorité absolue. Le troisième scrutin ne devait avoir lieu qu’entre ces deux personnes. Une partie des votants prétendit n’apprendre qu’à cette époque que le curé était éligible, et le résultat de ce dernier scrutin donna, sur 248 votants, 188 voix au curé d’Aisnay, 44 à M. de la Marronière, et 16 à M. Mittier. Le comité pense que l’élection est nulle et qu’elle doit être recommencée. M. le chevalier de Loynes de la Cou-draye. Le comité de constitution est saisi de cette affaire; il est muni de pièces; il en attend de nouvelles; il faut ajourner la question. M. Gouplllean. Le comité de constitution a renvoyé cette affaire au comité de rapports ; Jes procès-verbaux établissent incontestablement les faits et suffi-ent à l’instruction de l’Assemblée. L’avis du comité est adopté et le décret suivant est rendu : * L’Assemblée nationale, après avoir entendu son comité des rapports, décrète qu’il sera procédé à la nomination du maire d’Aisnay, dans une assemblée tenue huitaine après une nouvelle convocation. » M. Cochon de l’Apparent rend compte au nom du même comité, d’une affaire dont voici les faits principaux : « Le sieur Brouillet, libraire-imprimeur à Toulouse, dans l’intention de propager l’esprit de patriotisme, et pour servir de contre-poison aux libelles dont il prétend que l’aristocratie infecte Toulouse, a fait imprimer Y Adresse aux amis de la paix , et a publié, dans un journal intitulé Affiches de Toulouse , des fragments de plusieurs feuilles accréditées dans la capitale. Ouvrez donc les yeux , Y Adresse aux provinces , et d’autres libelles se répandaient depuis longtemps à Toulouse avec impunité, lorsque le parlement, fermant les yeux sur ces productions in laines, a fait décréter et poursuivre le sieur Brouillet, l’a condamné à 1,000 livres d’aumônes, lui a défendu de publier aucune feuille sans nom d’auteur et d’imprimeur, et sans qu’elle fût approuvée par qui de droit, conformément aux règlements de la librairie. Les faits articulés contre le sieur Brouillet sont: 1° d’avoir imprimé « qu’il était à désirer qu’on représentât le drame du Comte de Com-minges » ; 2° d’avoir comparé la conduite des Brabançons a celle des gardes-françaises; 3° d’avoir appelé acte de patriotisme la désertion de quelques régiments; 4° d’avoir imprimé ces mots: « Voilà donc tous les rois désarmés ; au lieu d’un trône ils n’auront plus qu’un fauteuil » ; 5° d’avoir également imprimé, d’après le Mornwg-Herald : « Qu'ils se persuadent donc, les aristocrates, que le lion est endormi, mais qu’il n’est pas enchaîné: gare le réveil! » Les griefs du sieur Brouillet contre le parlement de Toulouse sont que: 1° par cet arrêt on veut le soumettre aux anciens règlements de la librairie, sans égard pour les décrets par lesquels ils sont abrogés; 2° deux de ses juges s’étant dépostés, on en a appelé deux autres connus pour être contraires à la Bévolution ; 3° sa cause, plaidée dans une autre salle que celle des audiences ordinaires, n’a pas reçu une publicité légale; 4° la chambre des vacations a interrompu, par des marques de désapprobation, l’avocat chargé de sa défense, lorsqu’il s’appuyait des dé-