306 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE Romme pense que ce seroit consacrer un fédéralisme maritime, que d’approuver cette construction de vaisseaux portant les noms de tel ou tel département. Cette observation est improuvée par des murmures. Un membre : Il faudroit donc ôter aux bataillons des défenseurs de la patrie, les noms des départements qui les ont envoyés aux frontières. La réflexion de Romme n’a pas de suite. L’offrande sera mentionnée honorablement (29). 14 Les citoyens composant la commune de Caen [Calvados] se plaignent d'avoir été calomniés ; ils jurent de rester attachés à la Convention nationale. Mention honorable, insertion au bulletin (30). [Les citoyens composant les sections de la commune de Caen à la Convention nationale, le 13 vendémiaire an III] (31) Liberté, Egalité, Fraternité ou la Mort Représentans du Peuple, Jusques à quand la calomnie répandra-t-elle ses funestes poisons, pour incriminer les hommes vertueux; pour rappeller un système de terreur et de sang, pour comprimer les âmes républicaines, pour offrir les vües ambitieuses de quelques intrigants, leurs prétentions et leurs désirs de vengeance, comme le résultat de l’opinion publique, comme le voeu unanime des Français ! Représentans du peuple, nous sommes journellement calomniés; tantôt on vous annonce que nous nous montrons les zélés protecteurs de l’aristocratie, du modérantisme, du fédéralisme; tantôt que nous persécutons les patriotes, tantôt enfin que nous sommes en insurrection... Vous ne l’avez pas crû, Représentans du peuple, ceux qui vous ont été, et qui vous sont si fidellement attachés, ne sont pas les persécuteurs du citoyen, aimant la Révolution, la République et les lois ; mais seulement les ennemis des factieux, des apôtres de l’anarchie, des ambitieux, en un mot, tous les hommes de sang. Eh ! si nous fussions moins dignes de votre estime et de votre confiance, serions nous encore persécutés ? Représentans du peuple, défiez vous de tous ceux qui vous peignent comme des modérés, (29) J. Perlet, n° 757 ; Mess. Soir, n 793. (30) P.-V., XL VII, 275. Bull., 5 brum. (suppl.); C. Eg., n“ 799; Gazette Fr., n” 1023; J. Fr., n 755; J. Perlet, n 757; M. U., XL IV, 458. (31) C 322, pl. 1356, p. 6. comme des aristocrates, des fédéralistes, les républicains qui ne veulent d’autre autorité suprême que celle du peuple, que celle de la Convention nationale, et qui ne cherchent l’estime et l’amitié que des citoyens qui, comme eux, sçavent la reconnoître et la respecter. Veillez toujours avec constance, Représentans du peuple, aux destinées de la république. Votre énergie et l’ardent amour du français pour la liberté, vont aisément dissiper un léger nuage avec lequel on s’efforce en ce moment, de voiler les forfaits que vous n’aviez pas aperçu ; vous punirez tous les modernes tyrans, eux, qui n’ont versé le sang de vos frères, de tant d’innocentes victimes, que pour satisfaire leurs cruelles et funestes prétentions, que pour donner plus d’ennemis à la Révolution ; alors la vertu et la justice, remplaçant le règne des crimes et des fripons, feront jouir sans amertume les bons citoyens du fruit de leurs nombreux sacrifices, et rappelleront dans l’âme de tous, la sérénité et le bonheur. Pour nous, nous le répétons encore, représentans du peuple, attachement inviolable à la République, une, indivisible, fidélité constante à la représentation nationale, amour indestructible pour la liberté et l’égalité, maintien et soumission au gouvernement révolutionnaire, pour tout le temps qu’il sera jugé nécessaire, haine implacable aux factieux, aux intrigans, et union intime avec les véritables républicains, avec les sincères amis de l’ordre et des lois. Suivent les signatures sur dix-sept pages. 15 Les décrets suivans sont rendus : a PORCHER, au nom du comité de Législation : Vous vous rappelez, citoyens, combien la tribune de la Convention nationale a déjà retenti de fois de plaintes et de réclamations qui se sont constamment élevées contre les jugements rendus par le tribunal militaire du deuxième arrondissement de l’armée du Rhin, érigé en commission révolutionnaire par les conspirateurs Saint-Just et Le Bas. Je viens aujourd’hui, au nom de votre comité de Législation, et sur le renvoi que vous lui en avez fait, vous faire entendre celle d’un homme qui, d’après toutes les attestations que nous avons en main, nous a paru n’avoir jamais abandonné le sentier du patriotisme. Un court exposé des faits vous mettra à même de donner votre approbation au jugement qui l’a condamné, ou de le réformer, s’il a mal à propos, comme je le crois, enchaîné le zèle d’un républicain actif, et flétri le coeur d’un homme probe en le confondant avec les dilapidateurs de la fortune publique. Voici les faits. SÉANCE DU 29 VENDÉMIAIRE AN III (20 OCTOBRE 1794) - N° 15 307 Le 18 floréal, l’accusateur public militaire requit la mise en jugement révolutionnaire du nommé Lentz, chef de division des transports et convois militaires de l’armée du Haut-Rhin, qui lui avait été dénoncé par les citoyens Josse et Ducoudray, inspecteurs généraux dans cette partie. Il l’accusa donc, sur cette dénonciation, d’être un agent prévaricateur, un complice de l’aristocratie, un fauteur de l’émigration d’un nommé Latour, et, comme tel, il requit qu’il fut déclaré partisan de l’ennemi, et puni en conformité de l’arrêté de Saint-Just et Le Bas. A en croire Lentz, cette dénonciation était le fruit d’une trame odieuse ; mais je ne crois pas devoir vous donner ici des conjectures pour des raisons : un fait m’a paru cependant devoir donner quelque poids à cette idée, c’est que Ducoudray, avant d’être parvenu au grade d’inspecteur général, avait été conducteur en second d’un équipage, et conséquemment sous la surveillance du pétitionnaire, qui était quelquefois sévère. Devenu le supérieur de Lentz, il a pu vouloir se venger des reproches graves que celui-ci lui avait souvent adressés lorsqu’il était son subordonné : ce qu’il y a de certain, c’est qu’on a peine à concevoir comment cet homme, qui faisait arrêter Lentz comme prévenu de délits contre-révolutionnaires, le 1er pluviôse, parlait cependant avantageusement de son patriotisme, le 1er germinal, longtemps même après son arrestation, aux agents généraux des charrois. Cette conduite, comme vous voyez, n’annonce ni franchise ni loyauté de la part de cet homme, et elle fait naître des nuages fondés sur la vérité de sa dénonciation, qui effectivement se trouve être fausse dans ses principales parties, ainsi qu’il résulte du jugement dont je vais vous faire lecture. (Le rapporteur lit le jugement.) Vous voyez, d’après la lecture de cet acte, que le système de calomnies et d’horreurs qu’on avait voulu élever contre Lentz n’est étayé d’aucunes preuves. Tous les faits graves ont disparu; il n’a plus prévariqué dans l’estimation des chevaux et harnais ; il n’existe aucune trace qu’il ait facilité l’émigration de Latour, et entretenu correspondance avec lui. On se borne à le déclarer convaincu, mais excusable, de prétendus délits dans lesquels votre comité n’a vu que des actes innocents en eux-mêmes et nécessités par la nature des circonstances. Un homme, en effet, est-il dilapidateur de la fortune publique, lorsqu’il a pris en compensation, dans un parc de la république, environ pour 5 à 6 livres de bois, et qu’il est prouvé même dans l’énoncé du jugement qu’il y en avait déposé pour 30 livres dont il s’était défait malgré ses propres besoins, pour pourvoir à la réparation urgente de caissons, dans un temps où on ne pouvait s’en procurer d’autres? Lentz est-il dilapidateur de la fortune publique, pour avoir, avec les chevaux des équipages de la nation, fait un seul voyage avec son épouse, d’Altkirch à Huningue, distant seulement de six lieues, lorsqu’il est prouvé que ce voyage était indispensable, et que ses propres chevaux étaient morts ou malades par l’activité qu’il avait mise à remplir ses devoirs ? Les juges n’ignoraient pas que les employés supérieurs étaient dans l’usage d’en agir ainsi dans de pareilles circonstances ; ils savaient surtout, et je suis muni de cette attestation, que Lentz en avait obtenu la permission de l’administrateur Mallet. Lentz est-il enfin dilapidateur de la fortune publique, parce qu’ayant reçu, au commencement d’une décade, des rations pour deux chevaux, il n’avait pas remis dans les magasins l’excédant non consommé par l’un d’eux dont la mort avait disposé, lorsqu’il est sûr que cet excédant a nourri des chevaux d’ordonnance; et que, bien loin que cette quantité eût pu lui suffire, il avait été obligé d’en acheter souvent à ses frais? Ce que je viens de vous dire ici, citoyens, est le résultat de toutes les pièces qui ont passé sous les yeux de votre comité, et nous avons généralement pensé que la République serait et plus tranquille, et plus riche, et plus heureuse, si la conscience de tous ses agents ne leur reprochait que de semblables actions. Non, citoyens, vous ne confondrez pas avec les vampires de la fortune publique un homme qui a les suffrages de toutes les autorités constituées avec lesquelles il a travaillé, parce qu’il s’est constamment montré probe et honnête, un homme qui a su se concilier l’estime des représentants du peuple qui ont été employés à l’armée du Rhin, et particulièrement de notre collègue Ritter. L’explication des faits, les attestations dont je vous ai rendu compte, suffiraient seules pour vous déterminer à le mettre en liberté ; car, en faisant une guerre à mort aux fripons, vous n’avez pas l’intention de confondre avec eux des hommes qui auraient pu commettre quelques irrégularités inséparables d’une grande administration, lorsque leurs vues étaient pures; mais vous avez un autre motif pour vous déterminer : c’est la nullité du jugement. Il ne vous a pas échappé sans doute que cette commission, après avoir jugé révolutionnaire-ment, sans aucunes formes et sans l’assistance de jurés, ce citoyen, s’était trouvée dans la nécessité de l’absoudre, et qu’elle avait été obligée de fonder la vexation qu’elle avait exercée contre lui sur le droit accordé aux tribunaux militaires de punir par forme de discipline; mais il est évident qu’elle n’avait pas ce pouvoir, il ne lui était pas libre de changer à son gré le caractère et la forme de son institution; d’être, nouveau Protée, tantôt tribunal militaire, et tantôt tribunal révolutionnaire. Sans doute ces principes sont commodes à la tyrannie ; mais ils sont repoussés par les plus simples notions de la justice criminelle, et par des législateurs qui veulent donner des juges au peuple, et non pas des bourreaux. D’après ces considérations, le comité vous propose le projet de décret suivant (32) : (32) Moniteur, XXII, 296; Débats, n° 758, 433-436.