494 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [23 octobre 1789.] fait est moderne; et ce fait prouve notre propriété, puisque le propriétaire seul peut aliéner* quelles que soient les formes auxquelles l’astreignent des règlements de simple administration. Si j’avais le temps, Messieurs, d’attaquer les autres faits, je les détruirais tous : je me bornerai à vous faire remarquer que tous énoncent des envahissements de cette autorité arbitraire, dont les actes ne devraient pas être cités dans cette Assemblée comme des titres contre l’imprescriptible propriété. Et quand il serait vrai, Messieurs, que dans quelques époques éparses dans les siècles précédents* elle reçut quelque atteinte dans les mains du clergé, oserait-on en conclure qu’il peut arriver un moment où l’injastice entière pourrait le consommer? non, sans doute : et bien moins encore pourrait-on placer ce moment à l’époque où tous les droits sont reconnus, où tous reçoivent une nouvelle force, et où la justice, la raison et la vérité montent sur le trône de la nation. Enfin, Messieurs, ce même opinant veut aussi que les fondations aient été données à la nation. Ce sont des faits, encore par où il prétend le prouver. Il dit que les titres de fondations ne donnent pas au clergé, ni à tel ou tel individu du clergé : non, sans doute, mais ils donnent â telle ou telle église, il énonce de soi-disant formules générales de fondations ; j’y répondrais par des actes positifs contraires. liait que la nation est toujours intervenue dans les fondations : sans doute, pour y mettre la garantie et le sceau de la loi, comme dans tous les actes civils. Il conclut enfin que les fondations n’ayant été faites ni pour les corps, ni pour les individus du clergé, elles ne leur appartiennent pas : non, sans doute, mais elles appartiennent aux églises. 11 conclut encore que, puisque les fondations imposent un service public et utile à la nation* elle en est propriétaire : je nie la conséquence. Tout son droit est renfermé dans celui de veiller à l’exécution des conditions imposées. Enfin, Messieurs, me voici parvenu à ce motif si puissant sur tous les bons citoyens. La patrie est en danger; de grands maux l’accablent; de grandes ressources peuvent seules la sauver. Les biens ecclésiastiques le pourraient : la justice réfléchie en prononce la propriété; mais l’opinion ne voit que des possesseurs passagers. Les yeux de la patrie se tournent vers cette ressource, destinée, par sa nature, à être toujours celle de l’infortune et du besoin. Messieurs, si ce sont des sacrifices que nous demande la patrie, ah! sans doute, j’ose en répondre, elle ne nous trouvera pas sourds à sa voix. Nous donnerons de grands exemples. Que ses vrais besoins soient connus et vérifiés; qu’on nous mette à portée de calculer nos moyens, de mesurer nos efforts, et, je n'en doute pas, nous surpasserons ses espérances, et nous nous ferons gloire de devancer tous nos concitoyens. Mais, Messieurs, on nous parle de dépouillement; on nous parle d’anéantir dans nos mains ce dépôt que nous avons reçu de nos prédécesseurs et que nous devons transmettre à ceux qui nous succéderont; on voudrait nous enlever jusqu’à la satisfaction du sacrifice; et l’on s’étonne même de notre résistance! elle nous est commandée par le devoir; elle sera ferme et modérée, constante et paisible; et nous attendrons votre jugement avec confiance et résignation. M. de Cnstfne (1). Messieurs, nombre d’opi-(1) Le Moniteur ne donne qu’une analyse du discours de M. de Custine. nants ont employé, dans cette Assemblée, tout ce que peut mettre en usage la profondeur de l’instruction, là force du raisonnement, peut-être même la subtilité, pour démontrer que des corps et le clergé en particulier ne pouvaient être les véritables propriétaires des biens qui servaient à leur entretien; mais aucun de ces opinants n’a pu prouver qui en était le véritable propriétaire ; ils ont seulement conclu que, puisque le clergé et les corps n’avaient pas de propriétés réelles, leurs biens ne pouvaient appartenir qu’à la nation. Ne pourrait-on pas se servir des mêmes raisonnements pour prouver qu’une nation ne peut pas plus posséder que des corps? Quand ils seraient parvenus à démontrer qu’effectivement le clergé n’a pas la propriété réelle de ses biens; quand ils auraient démontré de même qu’il n’en est que l’usufruitier, je dis avec assurance que la nation n’en serait pas le véritable propriétaire. A qui serait donc cette propriété ? Aux pauvres et à l’indigent, pour le soulagement duquel ils ont été été destinés. Oui, le superflu du bien du clergé, nécessaire à l’entretien des ministres des autels, à celui du culte, des églises, de l’instruction, qui fournit au renouvellement des ministres des autels, à l’entretien des hôpitaux, parce qu’en effet ces derniers établissements sont plus utiles au soulagement de la misère du pauvre auquel il appartient (au moins à mes yeux cette vérité est-elle incontestable); oui, ce qui reste de ce bien, les dépenses que je viens de retracer prélevées, lui appartient. Or, le pauvre n’est pas la nation. Déclarer que les biens du clergé appartiennent à la nation serait donc en dépouiller celui qui a des droits réels, pour en investir un propriétaire supposé. Si ce propriétaire faisait de cette propriété supposée l’usage auquel on la destine, il en résulterait que le riche emploierait à augmenter son opulence, la propriété du pauvre; puisqu’il n’est personne qui ne doive convenir qu’en acquittant la créance publique, on allège nécessairement l’Etat du payement de ses arrérages, que par conséquent l’on domine la masse des impôts. Or, je le demande, qui paye les impôts, si ce n’est le propriétaire? qui recueillerait donc le fruit de cette opération ? l’homme qui possède. Aux dépens de qui augmenterait-il son aisance ? aux dépens de celui qui, courbé sous le poids de la misère, pourrait ne pas voir tranquillement évanouir la propriété destinée à l’alléger. Dira-t-on, pour répondre à une vérité aussi incontestable, que des impôts seront destinés au soulagement de l’indigent? Par quel moyen fera-t-on payer les impôts aux capitalistes, qui seuls auraient retiré le fruit d’une opération semblable à celle que vous a proposée dans sa motion l’auteur de celle relative aux biens du clergé? Croyez-vous que ce propriétaire que vous surgrèveriez d’une manière inégale verrait avec applaudissement que cette surcharge lui arriverait par une opération résultante d’un décret qu’il pourrait bien trouver peu juste? Pourriez-vous dire, pour le colorer, qu’il sera aussi difficile de faire supporter une portion de la charge publique aux capitalistes, pour les impositions nécessaires à l’acquittement de la créance publique, que pour celles que l’on imposerait à l’effet d’abolir la mendicité ? Je ne pense pas que Je spécieux de ce raisonnement, qui n’est qu’apparent, pût le satisfaire, s’il réfléchissait un instant à la facilité que vous donnerait une caisse vraiment nationale, pour faire supporter aux capita- 495 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [23 octobre 1789.] listes créanciers de l’Etat, la charge des impôts. Dans l’administration d’uh grand empire, toutes les opérations Sont liées ; telle prise séparément, peut paraître süblime à l’homme qui, laissant dans l’inaction les facultés de son entendement, né les porte pas sut* le développement de ce vaste ensemble. Ce n’est cependant que de l’accord parfait qui doit régner dans cette immense organisation que peut naître la fortune publique. Je crois et j’imagine que le clergé lui-même avouera que les représentants de la nation ont le droit incontestable de surveiller le bien des corps, de régler le régime nécessaire à leur meilleure administration, de fixer le nbmbre des individus qui les doivent composer, et qui sont nécessaires aux fonctions publiqüës auxquelles ils sont destinés ; de réformer les abüs qui se sont introduits sur ces deüx objets, de fixer lés réunions que pourrait exiger le nouveau régime, la vente de la partie des immeubles qui ne seraient qu’onéreux après ces réunions : je veux parler des maisons et enclos des monastères, prieurés, abbayes, collégiales, archevêchés et évêchés qui seraient supprimés. Je conclus par la demande de la déclaration suivante : Que la nation a la surveillance immédiate de l’administration des biens appartenant à tous les corps, agrégations et communautés ; qu’elle statuera en conséquence sur les agents qüi seront préposés à leür surveillance, et sur les pouvoirs qui leur seront attribués sur les biens du clergé; u’elle a de même, et incontestablement, le droit e fixer le nombre des individus qui doivent composer le clergé, et de décider de ce nombre pour l’avenir. La nation statuera de même sür la destination et les fonctions des uns et des autres, selon l’objet de leur institution et de la plus grande utilité commune, sans porter atteinte aux droits incontestables du pauvre sur ces biens, destinés à soulager sa misère ; que dans cette répartition, la cure la moins dotée du royaume verra sa portion congrue portée au delà de 1,200 livres ; que sur le surplus de la motion, il ne peut y avoir lieu à délibérer. M. Chasset. Le principe ne blesse ni la propriété, ni la justice, ni la religion. En recherchant dans les annales de l’histoire pour savoir comment et quand le clergé a" possédé, on ne voit que des bienfaits, que des dons laits pour l’utilité publique, et non des acquisitions particulières. A qui appartiennent donc ces biens? Ge n’est point au clergé qui ne les a point acquis , qui est un corps moral. Aux pauvres? L’Etat ne doit-il pas nourrir les pauvres? N’est-il pas lui-même dans la détresse ? Aux titulaires ? ils ne sont qü’usu-fruitiers. A qui donc? à la nation. Les employer à secourir l’Etat , c’est faire un acte de piété”, un acte de religion. L’intérêt national ne doit-il pas l’emporter sur l’intérêt d’un corps? Sera-t-il injuste de ramener le clergé à l’état de la primitive Eglise? L’opinant propose un arrêté dans lequel il consacre le principe. M. Bureaux de Pusy. Je ne me propose pas de chercher si les biens ecclésiastiques appartiennent au clergé, mais je désirerais savoir s’il est de l’utilité de la nation de s’en emparer. Les discussions m’ont laissé incertain. Si l’on me prouve que, les dettes du clergé payées et le service divin acquitté, il reste de quoi secourir l’Etat, je regarderai comme nécessaire le sacrifice dés victimes. Mais, dans cette supposition même, pourquoi ôter au clergé la satisfaction de déployer ses vertus ? Ne dérobez pas à des Français le plaisir de se montrer à la fois ministres des autels et citoyens généreux. Je propose donc de faire rédiger un tableau exact des biens du clergé et des frais nécessaires au culte divin, afin que, la preuve étant acquise du soulagement que l’Etat peut éprouver en s’emparant des fonds ecclésiastiques, l’Assemblée en décrète la suppression. La suite de la discussion sür les biens ecclésiastiques est ajournée. Les députés de la province d’Anjou sollicitent un moment d’audience dans la séance de demain pour une affaire de la plus grande importance. Cette demande est accordée. M. Le Pelletier de Saint-Fargeau, au nom au comité des rapports : Le peuple de la ville de Gien ayant trouvé dans la grange du sieur Pouette 12 gerbes de blé mouillées par une inondation de la Loire, et dont les grains avaient germé, entraîne ce citoyen à l’hôtel-de-ville, et demande qu’il soit tenu de fournir 37*260 livres pour l’équipement de la milice nationale. Le peuple ne se retire qu’après que cette somme est réalisée ; mais le comité observe qu’elle n’a été déposée que par violence. L’Assemblée, sur l’avis du . comité, ordonne que le pouvoir exécutif sera invité à réprimer de telles violences et à assurer la restitution des 37,260 livres. Décrète en outre que la municipalité de Gien sera prévenue du présent décret, et que le sieur Pouette sera mis sous la sauvegarde spéciale de la loi et de la nation. M. Defermon, au nom du même comité, rend compte des craintes conçues par les officiers municipaux de Pezénas ; cette municipalité a dressé des rôles d’impositions et fait divers autres actes qui appartiennent à ces sortes de corps administratifs : elle craint qu’ils ne soient cassés par les cours souveraines , qui ne reconnaissent pas les municipalités librement élues, et pourraient ne considérer comme légales que celles qui sont encore établies d’après l’ancien régime. L’Assemblée décrète provisoirement que, Nu les circonstances, les actes des municipalités et bureaux de police, composés de membres élus, ne pourront être cassés à raison d’incapacité des membres. M. AnsOn a été nommé trésorier à la place de M. Leclerc de Juigné, archevêque de Paris, qui a remercié. Uh de MM. les députés de Bretagne a prévenu l’Assemblée que M. le Guillou de Kérineuf, l’un des députés de Quimper, était obligé de retourner chez lui pour affaires les plus instantes; qu’il demandait à être remplacé par son suppléant; que le bailliage de Quimper en avait nommé deux qui avaient prêté serment, et avaient suivi toutes les séances dans les premiers temps de l’Assemblée, mais que le premier de ces suppléants était actuellement à 140 lieues de Paris , et que le second était présent; qu’il demandait, si c’était le vœu de l’Assemblée, que ce dernier remplaçât M. de Kérineuf : l’Assemblée a renvoyé cette affaire au comité des vérifications. M. le Président a fait part à l’Assenablée que M. de Maisonneuve, curé de Saint-Ëtienne-de-Montluc , avait donné sa démission ; que son