SÉANCE DU 13 FRUCTIDOR AN II (30 AOÛT 1794) - N° 40 109 cela ils veulent (83)] détruire la Convention ? Mais le peuple connaîtra l’intrigue; et si quelquefois les nations ont adoré les idoles, elles ont toujours fini par les briser. (Applaudissements.) La proposition de Thibaudeau est adoptée. BILLAUD-VARENNE : Je demande à faire un amendement. Quand il faut se défendre contre ceux qui veulent faire la contre-révolution, il ne faut pas mettre dans leurs mains de quoi faire égorer la Convention. (Rumeurs.) Je m’étonne d’entendre dire que personne n’a ce moyen. Hier, dans les groupes qui entouraient cette enceinte, des hommes mis hors de la loi, des ci-devant marquis, des ci-devant comtes prêchaient la royauté. ( Quelques voix: C’est vrai !) Et comme je veux prouver à la Convention que je n’avance point des faits vagues, je lui dirai que l’on a reconnu, à l’entrée de cette salle, le ci-devant marquis de Tilly, conspirateur reconnu, et mis hors de la loi. DU BARRAN : Tilly a obtenu sa liberté depuis très peu de jours au comité de Sûreté générale. BILLAUD-VARENNE : Ce Tilly est convaincu d’avoir été à la tête des chevaliers du poignard. Robespierre avait appelé ici dix mille de cette espèce de scélérats; et dans le moment où nos armées sont en présence de l’ennemi, quand un décret défend aux militaires de s’absenter de leur poste, il se trouve cependant à Paris plus de quatre mille officiers. (Rumeurs.) Le mouvement qu’on a cherché à réaliser est tellement contre-révolutionnaire que, dans l’une des tribunes qui appartiennent aux journalistes, on a prêché ouvertement le royalisme. TURREAU : Je demande que l’Assemblée revienne à la question importante qui l’occupe. BILLAUD : L’observation de mon collègue est plus hors de propos que la mienne; je ne l’ai faite que pour démontrer le danger qui nous menace en ce moment. ( Murmures (84)). CLAUZEL : Il s’agit de la lecture des pièces. BILLAUD : C’est parce que le peuple de Paris est pénétré d’amour pour la révolution et pour la liberté, que j’ai cru qu’il fallait le réveiller sur l’existence des malveillants qui cherchent à l’égarer. La Convention vient de décréter l’impression des pièces relatives à cette affaire; mais il est bon que je l’avertisse que la marche du comité, l’énormité des travaux dont il est chargé, exigent souvent que l’on signe de confiance une partie du travail. Je demande la lecture des pièces. La Convention décrète cette proposition. (Applaudissements.) [Bréard interrompt Billaud, et lui observe qu’il n’a pas demandé l’impression des pièces. Le président dit que cela est cependant décrété. (83) Débats, n° 710, 228. (84) D’après Débats, n° 710, 229. Plusieurs membres soutiennent le contraire, et l’observation de Billaud n’a pas d’autre suite (85)]. La Convention nationale décrète que la discussion se terminera sans désemparer. Moïse BAYLE : Il y a quarante-huit heures que les imputations de la tribune planent sur les membres dénoncés. Je demande qu’après la lecture des pièces ils soient entendus, car on ne peut porter aucun jugement sans entendre toutes les parties. Je demande aussi que cette discussion se termine sans désemparer. Cette proposition est décrétée (86). 41 LE COINTRE : Ce que j’ai dit n’est qu’une simple exposition de faits que j’appuierai des pièces. J’ai dit seulement que je trouvais mes collègues répréhensibles, et c’est mon opinion. Avant de lire les pièces, je vais lire chaque article auxquelles elles se rapportent (87). Le Cointre lit l’article premier. 1°. D’avoir comprimé par la terreur tous les citoyens de la République, en signant et faisant mettre à exécution des ordres arbitraires d’emprisonnement, sans qu’il y ait contre un grand nombre d’entre eux aucune dénonciation, aucun motif de suspicion, aucune preuve des délits énoncés dans la loi du 17 septembre 1793. On demande les pièces. Le Cointre répond qu’elles sont dans les bureaux de la police générale (88). Un membre: Cet article est dicté par le modérantisme. CAMBON : Je demande que le comité nous déclare auquel des sept membres cet article s’applique. LE COINTRE : Les pièces sont dans vos bureaux, et lorsque j’ai été demander la liberté de... LEVASSEUR [de la Sarthe] : D’aristocrates. TREILHARD : Je demande la parole pour une motion d’ordre. Vous venez de décréter qu’on lirait les articles, ensuite les pièces à l’appui; il paraît que Le Cointre n’en a aucune relative au premier article. Je demande qu’il déclare si, oui ou non, il a des pièces. Si Le Cointre déclare qu’il n’a point de pièces sur cet article, je demande qu’on passe à la lecture du second. Cette proposition est adoptée. (85) Ann. Patr., n° 607. (86) Moniteur, XXI, 629-631; Débats, n° 710, 225-229. (87) Nous suivons le texte du Moniteur, XXI, 631-642; les variantes sont signalées entre crochets. (88) P.V., XLIV, 231. 110 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE Après plusieurs débats on passe à l’article II. LE COINTRE : Accordez-moi la parole. Plusieurs voix : Les pièces ! Un membre : Je demande que Le Cointre soit interpellé de déclarer s’il veut, oui ou non, passer à l’article second. LE COINTRE : Citoyens collègues... Plusieurs voix : L’article second ! CAMBON : Quand Le Cointre conviendrait qu’il n’a point de pièces à l’appui de cet article, il me paraît que la Convention ne devrait pas passer légèrement sur ce qu’il contient; je voudrais qu’il dît pourquoi il a donné la prédilection aux sept membres dont il s’agit sur tous les autres pour les accuser. (Applaudi.) Cette proposition est adoptée. LE COINTRE : Lorsque je voulus éclairer la religion de la Convention du flambeau dont la mienne était éclairée, je pensai que des faits connus, de notoriété publique... (Murmures.) Ayez de l’indulgence pour mes erreurs. Un membre: Je demande que Le Cointre réponde catégoriquement. LE PRÉSIDENT : Je maintiendrai le décret que la Convention vient de rendre. LE COINTRE : Si cette faute en est une, elle est commune aux membres des deux comités. (Murmures.) DU ROY : Je demande que la Convention constate, par un décret, que Le Cointre a reconnu qu’il avait commis une erreur sur le premier article. (On applaudit.) CAMBON : Il est donc reconnu que l’acte d’accusation n’est pas personnel aux sept membres dont il s’agit, qu’il attaque tous ceux qui composent les deux comités, et qu’il nous attaque nous-mêmes... DU BOUCHET : Je déclare que l’intention de Le Cointre, en inculpant les membres des deux comités... (Bruit.) LEGENDRE : Je demande que Le Cointre soit entendu en silence, afin que les accusés aient le même droit. LE COINTRE : A l’égard du premier article, ce peut être une faute commune à tous les membres du comité de Sûreté générale, puisqu’il est vrai que vous avez décrété que tous les citoyens qui avaient été incarcérés pour des motifs non compris dans la loi du 17 septembre seraient relâchés. Voulez-vous maintenant que je vous apporte des preuves que votre décret a été sagement rendu ? laissez-moi la liberté d’aller, au comité de Sûreté générale, chercher les pièces qui prouvent l’élargissement de tel et tel individu incarcéré injustement; ce sera justifier mon premier article. (Murmures.) DU ROY : Vous-voyez, citoyens, qu’on cherche à tourner contre vous-mêmes le décret bienfaisant que vous avez rendu. On demande que l’article 2 soit lu. BOURDON (de l’Oise) : On voudrait faire croire que le comité de Sûreté générale a fait seul arrêter tous les citoyens qui n’étaient pas compris dans la loi du 17 septembre, tandis que tout le monde sait que c’était la police générale de Robespierre. Il faut aussi que vous connaissiez un fait, citoyens : c’est que Le Cointre a été demander la liberté de la comtesse d’Adhémar, aristocrate reconnue, et qui était de la cour de Capet. On passe à la lecture de l’article 2. 2°. D’avoir étendu ce système d’oppression et de terreur jusques sur les membres de la Convention nationale, en souffrant et appuyant par un système [silence] affecté le bruit que le comité de Salut public avoit une liste de trente membres de la Convention nationale désignés pour être incarcérés et ensuite victimés. Plusieurs voix : Les pièces ? Un membre : Observez, citoyens, que l’on dit : appuyé par un silence. VOULLAND : Je demande la parole après la lecture des pièces. GOUPILLEAU [de Fontenay] : Je demande que Le Cointre soit seul à la tribune. Le Cointre : La pièce, la voilà. Elie Lacoste vous a déclaré à cette tribune qu’il existait une liste de proscription de trente membres. Cette pièce, vos cœurs, votre âme, vos oreilles vous la rappellent (89). LE PRÉSIDENT : La Convention nationale veut qu’après la lecture de chaque article Le Cointre lise les pièces. Explique-toi, Le Cointre, produis une pièce sur l’article 2. BOURDON (de l’Oise) : Je vais vous en lire une moi : c’est le projet de décret de Saint-Just, dans lequel il demandait la tête de trois de ses collègues, et ce sont les membres qu’on accuse aujourd’hui. Le Cointre passe à l’article III. 3°. De n’avoir jamais demandé le remplacement des membres qui manquoient dans le comité de Salut public, et de s’être perpétués exclusivement dans l’exercice de leurs fonctions par la compression où ils tenoient la Convention, Barère, rapporteur, ne manquant jamais, après l’annonce de quelques victoires ou succès, de proposer impérativement la continuation des pouvoirs des comités. Plusieurs voix : C’est faux ! D’autres : Les pièces ! LE COINTRE : La preuve, je la tire de la bouche de ceux qui ont dit à cette tribune que, si on n’avait pas proposé de remplace-(89) P. V., XLIV, 231. SÉANCE DU 13 FRUCTIDOR AN II (30 AOÛT 1794) - N° 41 111 ment, c’est qu’on craignit d’introduire de nouveaux conspirateurs dans le sein de la Convention (90). Le Cointre passe à l’article IV. 4°. D’avoir, de concert avec Robespierre, anéanti la liberté des opinions, dans le sein même de la Convention nationale, en ne permettant la discussion d’aucune des lois présentées par le comité de Salut public. On demande les pièces. Le Cointre : Les pièces ? c’est ce qui s’est passé dans cette enceinte, c’est la compression dans laquelle vous avez été... Les murmures empêchent de poursuivre (91). LE COINTRE :... Citoyens, plus vous croyez avoir de moyens contre moi, plus vous me devez le silence. J’ai dit que vous n’étiez pas maîtres de vos opinions, et que ces comités auxquels vous aviez accordé le droit de vie ou de mort sur vous... CAMBON : On veut faire croire au peuple que tout ce qui s’est fait s’est opéré par la terreur depuis la nomination des comités de Salut public et de Sûreté générale. Je renouvelle à Le Cointre l’interpellation que je lui ai déjà faite sur un article précédent : de nous déclarer par quelle prédilection il n’a porté son accusation que contre quelques membres de ces comités. Je demande que, sur chaque article dont les preuves ne seront point fournies, la Convention déclare que l’accusation est fausse et calomnieuse. Un membre : Puisque la France a été opprimée, ainsi que la Convention, il faut donc accuser aussi le peuple de ne pas s’être insurgé. FERRAND : Le motif de cette prédilection est dans le discours de Saint-Just : il voulait abattre tout ce qu’il y avait d’amis de la liberté. Tallien demande la parole. DUHEM : Président, donne la parole à Tallien, qui a organisé, il y a quatre jours, un 10 fructidor aux Jacobins. (Bruit.) Le Cointre passe à l’article V. 5°. D’avoir provoqué le rapport de toutes les lois favorables à la liberté et répressives des actes arbitraires qui s’exerçoient au nom des comités avec autant d’injustice que d’inhumanité. On demande les pièces. Le Cointre : Eh bien ! la voilà, la pièce; c’est le rapport de votre décret du vingt-septième jour du premier mois (92). (Murmures.) (90) P.V., XLIV, 231-232. Moniteur, XXI, 632. (91) P.V., XLIV, 232. (92) P.V., XLIV, 232. BOURDON (de l’Oise) : Vous voyez que le système était d’avilir la Convention nationale aux yeux de l’Europe. Un membre : Combien t’es-tu vendu, Le Cointre ? (93) 42 Carnot monte à la tribune : Voici, dit-il, le rapport du télégraphe qui nous arrive à l’instant. Condé est restitué à la République. Les plus vifs applaudissements éclatent de toutes les parties de la salle et se prolongent longtemps. BOURDON (de l’Oise) : Le Cointre, tu n’as pas vendu la patrie ! CARNOT : Voici le rapport du télégraphe qui nous arrive à l’instant. « Condé est restitué à la République ». (Vifs applaudissemens souvent répétés au milieu des cris de vive la République.) «La reddition a eu lieu ce matin à six heures. » (Les aplaudissemens se renouvellent et se prolongent longtemps.) Un membre propose de changer le nom de Condé en celui de Nord-Libre. GOSSUIN : Depuis trois jours, on nous occupe à la tribune de calomnies atroces et de diatribes dont j’espère qu’il sera fait justice aujourd’hui (Oui, oui, s’écrient un grand nombre de voix.) Condé est rendu à la République : changeons le nom qu’il portoit, en celui de Nord-Libre. Cette proposition est décrétée (94). Un membre [Cambon] demande que ce décret soit envoyé à Nord-Libre par la voie du télégraphe. Cette proposition est adoptée (95). 43 Un membre [Gossuin] propose de mettre à l’ordre du jour ce que l’Assemblée doit aux citoyens des frontières, qui souffrent avec courage depuis cinq ans pour la patrie, et qui ont éprouvé des pertes considérables par l’invasion des brigands; il propose que les comités de Salut public, de Législation et de Sûreté générale, qui ont des rapports impor-(93) Moniteur, XXI, 632; Débats, n° 710, 228-232; M. U., XLIII, 207; C. Eg„ n° 742; Ann. R.F., n° 272; F. S.P., n° 424; F. de la Républ., n° 423; J. S.-Culottes, n° 563; J. Paris, n° 609; Mess. Soir, n° 742; Rép., n° 254; M. U., XLIII, 220. (94) C 318, pl. 1281, p. 35. Décret n° 10 633. Rapporteur : Gossuin. (95) P.-V., XLIV, 233. Bull. 13 fruct.; Débats, n° 710, 232-233; Moniteur, XXI, 632; J. Paris, n° 608; J. Perlet, n° 707; C. Eg., n° 742, 743; J. Univ. n° 1740; J. Fr., n° 705; J. S.Culottes, n° 562, 563; Gazette Fr., n° 973; J. Mont., n° 123; Ann. R. F., n° 272; Ann. Patr., n° 607; F. de la Républ., n° 423; Rép., n° 254; Mess. Soir, n° 742.