[Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES, [3 février 1791.) Art. 26. « Chaque juré prononcera les diverses déclarations ci-dessus dans la forme suivante ; il mettra la main sur son cœur, et dira : Sur mon honneur et ma conscience , le délit est constant ; l'accusé est convaincu , ou bien, l'accusé ne me paraît pas convaincu, La même forme sera observée lorsqu’il y aura lieu à la troisième déclaration. » M. Merlin. Je crois nécessaire de faire une observation sur cet article : est-ce l’honneur tant prôné par Montesquieu, est-ce l’honneur féodal, est-ce en un mot l’honneur dont les spadassins parlent tous les jours : Je jure sur mon honneur de faire cette chose? Il faut, Messieurs, proscrire du nouveau régime cette formule trop consacrée par d’anciens préjugés, cette formule gothique, et mettre simplement : je jure sur ma conscience parce que certainement si l’honneur n’est pas synonyme de la conscience, l’honneur n’est rien. M. Duport, rapporteur. Nous avons pensé effectivement que la conscience... ( Interruption .) Plusieurs membres : Aux voix l’amendement ! M. de Follcvllle. Nous ne pouvons pas nous dissimuler que le gros de la nation n’est pas arrivé au même degré de philosophie que M. Merlin. Je pense donc qu’il n’y a qu’un seul moyen de voiler le ridicule (Messieurs, l'expression est ménagée), dont cet amendement pourrait paraître susceptible au gros de la nation, c’est de l'étendre, de retrancher en même temps : Je jure sur ma conscience. Mon opinion, Messieurs, je la fonde sur ce livre dont M. Didot se propose de faire l’impression et dont vous avez accepté la dédicace. Le divin auteur de ce livre vous dit : Ge sont les païens qui jurent sur différentes choses. Mais un chrétien doit dire oui ou non ; voilà le seul jurement qui soit permis, voilà le seul jurement d’un peuple libre et régénéré ; il ne doit pas dire: je jure sur ma conscience, mais : le délit est constaté ou non. M. Tuant de la Bouverie. J’ai l’honneur d’observer à l’Assembleé que l’énonciation : l'accusé ne me paraît pas convaincu , me paraît du style de consultation et non pas du style de jugement; il faut que l’accusé soit convaincu ou ne 1e soit pas ; en couséquence, je demande qu’on prononce coupable ou non coupable. M. Boutteville-Dumet*. Vous voyez qu’on vient de vous proposer deux amendements, et il paraît très important de les diviser ; le premier frappait sur le mot d'honneur , je vous avouerai que cet amendement m’a paru extrêmement sensé et doit être admis. Un autre a été à l’instant présenté ..... M. le Président, Monsieur üumetz, si vous ne proposez pas un amendement, vous faites mon office. M. Boutie vîlIe-Dnmetz. Je ne sais pas si je fais l’oflice de M. le président, mais je crois faire l’oftice de tout représentant de la nation donnant son avis. Je crois, Messieurs, qu’il serait plus conforme à la dignité du serment de n’y insérer ni le mot d’honneur, ni celui de conscience ; j’ai encore trouvé très sage celui qui a dit : « Le mot je jure est celui qui se joint le mieux à la dignité 723 du serment, » et je crois en effet qu’il suffira de dire : je jure. M. Martin. Je ne sais pas pourquoi vous n’aimez pas mieux deux liens qu’on, l’honneur et la conscience sont deux choses; l’honneur une partie des motifs ( Murmures .), la conscience est relative à des idées religieuses, la conscience seule peut faire agir sans l’honneur; je dis ce qui est dans la bouche de tous les hommes, et particulièrement de tous les législateurs. Vous avez deux liens, Messieurs, je "vous le répète; mais sous quelque rapport que vous considériez l’honneur, il ne sert point la conscience; il y a des hommes qui sont gouvernés par la conscience et qui n’ont aucune idée de l’honneur. Je crois que l’article doit subsister tel qu’il est. Je demande la question préalable sur les amendements. M. Duport, rapporteur. Je ne demande qu’à dire un mot. Que faut-il ici ? Ge n’est point la religion universelle qui peut régler chacun, c’est le but particulier de chacun des jurés. Ainsi, l’homme, comme l’a bien dit le préopinant, qui est conduit par l’honneur, je le fais jurer par le culte qu’il professe, je le fais jurer par sa conscience; n’oubliez jamais la religion de celui dont vous demandez l’opinion, parce que c’est d’après cela qu’il parlera. C’est la religion du juré seul qu’il nous faut, et non la religion universelle; il est évident qu’il faut trouver tous les moyens de lier tous les hommes par la loi.... (Bruit.) M. le Président. En honneur, Messieurs, puisqu’il est parmi vous question de l’honneur, vous ne pouvez pas délibérer avant que vous ayez fait silence. M. d’André. Je demande la question préalable. M. Merlin nous a proposé un amendement qui tend à retrancher le mot d 'honneur. Il a produit un grand effet sur l’Assemblée parce qu’il a rappelé l’honneur cité par Montesquieu; parce qu’il a rappelé l’honneur qui produit la rage des duels, et qu’en présentant ainsi ce mot d’honneur sous une définition vague, sous une acceptation philosophique et sur une signification qu’on ne peut plus accepter, il a pu entraîner un instant l’Assemblée ; mais j’observe ici que ce n’est pas en philosophant parmi nous que nous ferons de très bonnes choses, il faut prendre les hommes comme ils sont. Il n’y a aucun homme de bon sens qui pense que parce que nous retrancherons le mot honneur de l’article nous allions détruire les duels sur-le-champ. Que dit l’article ? De jurer sur son honneur et sa conscience. Que signifie vulgairement le mot conscience ? il signifie religion. Et le mot honneur dans l’acception vraie, je ne parle pas de celle des spadassins? il signifie probité. Voilà donc deux sens bien différents. L’un de religion attaché au mot conscience ; l’autre, de probité, attaché au mot honneur. Il est donc nécessaire que ceux qui prononcent sur la vie des citoyens, sur ce qu’il a de plus cher, affirment leur conviction sur les deux rapports principaux de la société; c’est-à-dire sur la religion et sur la probité personnelle. Voilà pourquoi il est indispensable de vous conserver l’affirmation sur l’une et sur l’autre, parce que vous liez le citoyen qui affirme par les deux motifs les plus puissants des principes moraux. 724 | Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (3 février 1791.] M. Merlin. D’après la disposition de l'Assemblée nationale, je ne veux pas soumettre mon amendement à l’humiliation de la question préalable, et je le retire. M. Prieur. Nous les retirons tous. Plusieurs membres demandent la division de la question préalable sur les amendements. (La question préalable sur cette division est décrétée.) (Les amendements sont rejetés et l’article 26 est adopté.) M. Duport, rapporteur. L’article 27 est ainsi conçu : « Après chacune de ces déclarations, chaque juré, en témoignage de son opinion, déposera à cet effet une boule blanche ou noire; la boule blanche exprimera l’opinion favorable à l’accusé ; la noire, celle qui lui est contraire. » M. Prieur. Au lieu de cette formalité ridicule des boules noires et blanches, qu’on nous propose, je voudrais qu’on choisît entre celte alternative, ou que les juges et le commissaire du roi dressent un procès-verbal de la déclaration des jurés, ou bien que les jurés signent leur déclaration, atin qu’il en reste une trace. M. Biucot. Dans cet article, il y a deux choses essentielles : la première de s’assurer que la boule déposée dans le vase par le juré est absolument le témoignage de sa déclaration; la seconde, de rassurer le juge, quand il est dépositaire de ce vase ; je ne voudrais pas qu’on obligeât le juré de signer sa déclaration, par une raison toute simple, qui est que le juré ne saura pas toujours signer; il me semble qu’il serait aussi dangereux de faire dresser procès-verbal de la déclaration. Il est un moyen simple de concilier l’intérêt du juré, celui de l’accusé, et même celui du juge ; je voudrais que le juré, en faisant sa déclaration, tînt également la boule en témoignage de son opinion, et qu’en même temps il la déposât, non pas dans un vase seul, mais dans un des deux vases qui seraient sur une table, car il faut bien prendre garde que, quand il a fait sa déclaration, il peut, par distraction, prendre une boule pour une autre; il y a l’intérêt du juge, dont il faut aussi s’occuper ; car qui assurera le public que les boules que reçoit le juge n’ont point été échangées? Qui est-ce qui garantira surtout le juge de ce reproche? Je voudrais, pour mettre le juge à l’abri de tout soupçon, que ces deux vases fussent fermés à clef. Par là il serait certain que les boules sont véritablement le témoignage de la déclaration de chaque juré: ainsi, je voudrais qu’au moment où le juré fait sa déclaration, il montrât sa boule aux juges, et la déposât dans un des deux vases. Je voudrais, en outre, que ces deux vases fussent fermés à clef. Voilà les deux amendements que je propose. M. Chabroud. Messieurs, ce qu’on vous propose me paraît absolument effrayant; je crois que c’est réduire à une opération mécanique la démonstration du sentiment du juré, et je crois que des erreurs très dangereuses peuvent se glisser dans cette opération, soit en confondant les boules, soit en portant dans un vase ce qui doit être porté dans un autre; je n’ai absolument au-I cutie espèce de confiance dans une opération qui | me paraît beaucoup trop ressembler à l’établissement d’un escamoteur. M. Malouet. Je ne vois pas pourquoi M. le rapporteur insiste sur cet article, car il présente une forme très illégale de constater le jugement du juré. M. Duport, rapporteur. M. Malouet vous dit qu’il ne voit pas la nécessité de l’article, elle est déjà dans les articles décrétés. Quand les jurés auront donné leur opinion en présence des juges, en l’absence les uns des autres et à haute voix, il faut la constater, parce que sans cela ce serait à la mémoire du commissaire du roi et des juges qu’il faudrait s’en rapporter. Il n’y a que deux manières de la conserver, ou par écrit, ou de cette manière-ci. Par écrit, vous en sentez les inconvénients ; il vaudrait cent fois mieux faire opiner chaque juré devant le public ; au lieu que dans la manière que le comité propose il y a aussi des dangers, mais il y a de la moralité. Ainsi il me paraît démontré clairement que si on donne par écrit les opinions, il vaut mieux les donner devant le public. Ainsi nous pensons qu’il faut que ce suffrage, qui serait donné par écrit, et qui est pour ainsi dire écrit avec cette boule, soit donné en présence du chef du juré, en présence du commissaire du roi, et en présence des juges qui y seront. M. de Folleville. Croira-t-on jamais que la même Assemblée qui a infligé des peines si graves au contumax, positivement parce qu’il a manqué de confiance en la loi, donnera un moyen de subterfuge au juré, et ne lui dira pas qu’il doit être un homme juste et un homme ferme, parce que sans fermeté il n’y a pas de justice? Or, un homme ferme ne doit point cacher sa façon de penser. Je dis donc que tout moyen d’élusion à cet égard est véritablement un moyeu immoral; et je rappellerai au comité que ce qui doit servir de maxime à tous jurés, à tous fonctionnaires publics, c’est le mot d’Agésilas, qui disait, en parlant d’un homme faible : Comment sera-t-il juste aux bons , s'il nest pas terrible aux méchants ? Or, un homme qui est terrible aux méchants est un bon juge. ( Applaudissements .) M. L