[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [l*r avril 1790.] 513 M» Bouche. Il me semble qu’on veut traiter une question différente de celle qui est à l’ordre du jour ; celle de savoir si le commerce dans l’Inde doit ou ne doit pas être fait par une compagnie privilégiée. Je la crois absolument étrangère, et je demande que, pour ne pas perdre huit jours en discussions inutiles, les orateurs se renferment scrupuleusement dans la question unique : « Le privilège de la compagnie actuellement existante sera-t-il confirmé, oui ou non? » Je désire que l’Assemblée statue sur ma demande avant que la discussion commence. (L’Assemblée décide qu’il n’y a pas lieu à délibérer sur cette motion.) M. Crilletdc LaJacqucminière. Le commerce de l'Inde sera-t-il exclusif ou libre ? S’il s’agissait du commerce en général, la question ne serait pas un problème; on répondrait en citant la déclaration des droits. Partisan de la liberté, je ne plaiderai pas la cause d’une compagnie dont le régime vicieux me semble devoir entraîner la proscription, d’une compagnie régie par des administrateurs perpétuels choisis par le ministre auquel ils sont comptables. Sans doute s’il était prouvé que l’activité de nos manufactures dépendît d’une liberté sans bornes, il faudrait la consacrer; mais, au contraire, si nos manufactures, déjà réduites à une espèce d’inaction, allaient devenir absolument oisives à l’époque du retour de ses nombreux vaisseaux, dont on annonce que les mers des Indes seront couvertes, ce décret ne serait plus qu’un acte de proscription de l’industrie nationale. Si l’Angleterre a prospéré dans ce genre de commerce, c’est que la compagnie anglaise est souveraine, ou plutôt despote dans cette partie du monde; c’est parce qu’elle y tient dans l’esclavage plus de vingt millions’d’hommes, sur lesquels elle lève annuellement trente millions de contributions. Que sont quelques comptoirs isolés, comparés à ces immenses avantages que l’humanité ne nous permet pas d’envier? — M. de La Jacqueminière établit ensuite les dangers de l’entièreiibertédu commerce de l’Inde, qui porterait un coup mortel à notre industrie nationale; il ne se dissimule pas les désavantages d’une compagnie exclusive, et, après avoir examiné les uns et les autres, il développe les raisons sur lesquelles on peut adopter un parti mitoyen, qui se prête à notre goût pour les superfluités, établit une balance égale entre les dépenses et le produit de l’exportation. Il pense qu’on pourrait confier ce commerce à des négociants ou armateurs, qui, sacrifiant leur avantage particulier aux grands intérêts de la patrie, trouveraient aans l’exercice d’une concession vraiment nationale, restreinte dans des bornes étroites, de quoi s’indemniser de l’avance des fonds qu’ils seraient forcés de faire. M. Gillet de La Jacqueminière propose le décret suivant : Projet de décret. « Art. l-x Le privilège de la compagnie actuelle de l’Inde sera supprimé à compter du 1er avril, et cependant la compagnie pourra faire au port de Lorient, en franchise et exemption des droits qui lui avait été accordés, les retours et expéditions qu’elle auraitfaits avant cette époque : toutes importations et ventes particulières continueront d’être prohibées comme par le passé. Art. 2. Il sera incessamment nommé, par l’as-lrc Série. T. XII. semblée générale des actionnaires ayant voix délibérative, des commissaires en nombre égal à celui des administrateurs actuels; lesquels, conjointement avec ceux-ci, et d’ici à l’époque qui va être fixée, géreront les affaires de la dite compagnie; et immédiatement après les derniers retours et les dernières ventes, procéderont ensemble à la formation et liquidation des comptes de ladite compagnie, laquelle liquidation cependant ne pourra s’exécuter qu’après qu’elle aura été présentée et soumise à l’assemblée générale des actionnaires ayant voix délibérative, et agréée par elle à la majorité. Art. 3. Le comité d'agriculture et de commerce présentera, sous un mois, à l’Assemblée nationale le plan d’une association particulière pour le commerce de l’Inde, dans lequel il cherchera à concilier les intérêts des manufactures et du commerce, avec le besoin et les avantages nationaux et ceux de nos colonies dans l’Inde. » M. de Sinéty rappelle le degré de perfection où se trouvait le commerce de France en 1785, époque à laquelle le privilège exclusif a été accordé à la compagnie de Indes; il développe plus particulièrement les moyens que réunissent les négociants de Marseille de rendre ce Commerce infiniment avantageux à l’Etat, tandis qu’il ne l’est qu’à une compagnie; il conclut en faveur du commerce libre, et demande que le décret soit rendu dans la séance, attendu qu’ajourner la question ce serait prolonger un privilège expirant, et jeter ainsi la consternation dans les places du commerce, qui n’attendent, pour faire partir des vaisseaux, que le moment où ils pourront les faire partir librement et sans crainte. M. Le Chapelier. Je demande que l’on aille aux voix, si, comme je le crois, il ne peut y avoir deux opinions sur la matière qui nous occupe. (De très grands murmures annoncent que les opinions ne sont pas aussi conformes que le pense M. Le Chapelier.) M. Ce Chapelier. Eh bien ! que les apologistes des privilèges fassent valoir leurs raisons. M. le marquis de Bonnay. Pour mettre plus d’ordre dans la discussion, je demande que les orateurs expliquent, avant de commencer, s’ils parleront pour ou contre la compagnie des Indes. M. de IVoaillcs. J’observe, pour redresser ce que vient de dire le préopinant, qu’on ne parle ni pour ni contre la compagnie, mais pour ou contre les privilèges. M. l’abbé Maury. La question qui nous occupe n’est point une question de commerce, mais une importante question d’État. Trois États d’Europe ont entrepris Je commerce de l’Inde, la Hollande, l’Angleterre et la France ; deux de ces Eiats sont régis par un gouvernement républicain ; trois fois cette grande question a été discutée devant les plus célèbres négociants de l’Europe, et trois fois le problème a été résolu en faveur du privilège exclusif de ces États : la France est celui où, jusqu’à présent, la liberté individuelle a été le moins respectée, et c’est aussi celui où l’on ait mis sérieusement en question si le commerce de l’Inde serait libre ou exclusif. Deux considérations ont jeté de la défaveur sur tout privilège exclusif ; on a d’abord allégué qu’il était *33 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Ièr avril 1Ï9Û.] contraire aux droits de l’homme et aux principes établis par votre Constitution ; on a dit ensuite que le titre de jouissance de la compagnie des Indes était un monument de despotisme. Avant d’aborder la grande question du privilège exclusif de la compagnie des Indes, j’examinerai s’il est vrai que tout privilège exclusif soit contraire à votre Constitution. Si cela est, le problème est résolu, et le privilège exclusif doit être anéanti ; mais ceux qui déclament ainsi contre les privilèges ont-ils bien réfléchi sur leur anéantissement ? Nous sommes, sans le savoir, investis de tous côtés par ces privilèges ; les ports de Marseille, de Lorient, de Dunkerque, de Bayonne, tous les marchés et les foires ne sont-ils pas aussi des privilèges exclusifs? Et si le mot de privilèges exclusifs, qu’on emploie avec tant d’adresse pour surprendre votre patriotisme, se trouve frappé d’anathème, le commerce de France est anéanti. Le comité fonde son opinion sur la proscription de ces privilèges exclusifs, et le décret qu'il vous propose en renferme un, car, dans le dispositif du décret, c’est le port seul de Lorient qui doit recevoir les vaisseaux. S’il était des députés qu’on eût pu séduire, en leur étalant les avantages que doivent retirer leurs provi nces de cette suppression, je leur répondrais que le même plaidoyer qui anéantit le commerce de l’Inde anéantira, à plus forte raison, le privilège exclusif du port de Lorient. Je suis bien loin cependant de les attaquer ces privilèges ; je les crois nécessaires, et je m’en fais un argument et un titre pour prouver que les privilèges exclusifs ne sont pas incompatibles avec votre Constitution. J’ai tâché d’éloigner de vos esprits les raisonnements sophistiques par lesquels on a prétendu que les droits de l’homme n’admettaient aucun privilège. Je passe à la seconde objection, c’est-à-dire aux formes par lesquelles ce privilège exclusif a été consacré. On n’a pas même, dit-on, employé les formes légales, et ce n’est qu’en vertu d’un arrêt du conseil que la compagnie des Indes jouit du privilège qui lui a été accordé. Je respecte beaucoup la forme des enregistrements ; mais je vous supplie de considérer que dans l’opinion des plus zélés partisans de la Révolution, le roi était le législateur provisoire du royaume. Nos rois ont seuls publié les lois quirégissent toutes vos propriétés. Vous devez respecter les privilèges que le gouvernement a accordés, comme vous devez acquitter les dettes qu’il a contractées. Le privilège exclusif de la compagnie des Indes fut suspendu en 1769 par Louis XIV, éclairé par les conseils du grand et trois fois grand Colbert. On déclara que, jusqu’à nouvel ordre, les négociants auraient le droit de commercer librement dans l’Inde : on voulut faire un crime à la compagnie des sottises du gouvernement; les actionnaires furent mandés au Parlement de Paris; le procès-verbal existe encore; le Parlement lui-même demanda que l’ancien ordre de choses fût maintenu, et, néanmoins, on suspendit le commerce exclusif. Fut-ce par lettres-patentes? Non, ce fut par un simple arrêt du conseil. Il s’ensuit que ceux qui furent alors satisfaits de cet arrêt du conseil, trouvent aujourd’hui que cet arrêt n’est pas un titre légal. Cette suspension a eu lieu jusqu’au 13 du mois d’août 1755, époque à laquelle on a fait revivre l’ancienne loi dont l’exercice n’avait été que suspendu. J’ai cru, avant d’entrer dans la discussion du fond, devoir réfuter les deux arguments dont on s'est servi contre le privilège exclusif et contre l’arrêt du conseil qui l’avait consacré. Je me propose d’examiner avec vous si le commerce de l’Inde est utile au royaume ; et pour traiter cette grande question dans l’universalité de ses rapports, il faut considérer si ce commerce peut être livré à des particuliers, s’il ne serait pas plus avantageux qu’il fût entre les mains d’une compagnie; il faut examiner ensuite les conditions auxquelles il peut être livré à cette compagnie. Le mystère de l’intérêt personnel sera éclairci. Je dévoilerai comment la cupidité prend ici le masque du patriotisme ; je discuterai ce qui a déterminé l’établissement d’une compagnie : je ne serai point son avocat, mais le défenseur de Colbert, de l’Angleterre, de la Hollande, et des premiers écrivains qui ont traité de cette grande question. Je rentre dans l’examen des différents points. Le premier, que je vous conjure de ne pas perdre de vue, est celui de savoir si le commerce de l’Inde est utile au royaume. Je n’hésite pas à déclarer que c’est le fléau de la France, que c’est un commerce où vous n’employez que de l'argent, sans secours d’industrie, ni de produit territorial. 11 est reconnu que dans vos rapports commerciaux il n’y a de commerce avantageux que celui qui rapporte ou de l’argent, ou des subsistances ; mais celui qui ne sert qu’à procurer des jouissances de luxe, est véritablement fatal à l’Etat, suivant cet adage de Sully : « Toutes les fois que vous voyez un homme couvert de galons, concluez -en qu’à une petite distance il y a un homme couvert de haillons. » D’après ces principes , examinons les éléments du commerce de France avec l’Inde. Nous y portons uniquement de l’argent, nous n’y fournissons que très peu de denrées et de marchandises en un an : nos laines y sont rongées par les vers, nos vins n’y peuvent supporter plus d’un an la chaleur du climat. Les autres marchandises que nous y portons ne sont pas même tirées du royaume. Les Indiens ne cherchent pas à être vêtus, une simple toile leur suffit ; les Indiens sont sobres, un peu de riz suffit pour les nourrir ; ils ne vous demandent que de l’argent, et ce métal n’est pas même pour eux un objet de commerce ; ils l’enfouissent dans leurs tombeaux, et se flattent de trouver dans l’autre monde une meilleure vie qui leur permettra l’usage de ces trésors. Plus le commerce de l’Inde sera florissant, plus l’Etat sera pauvre ; nous voyons, par des calculs rapprochés, une perte de 15 millions sur le commerce de l’Inde; nous en perdons 7 par suite de notre traité de commerce avec l’Angleterre; 11 autres millions avec la Suisse, au-dela des 800,000 livres de coton que nous lui vendrons annuellement ; si ces pertes continuent, en dix ans le commerce sera entièrement anéanti. Ayons le noble courage d’examiner les pièges que nous a tendus l’Angleterre, et dans lesquels nous avons eu l’imprudence de tomber. Depuis trente ans les Anglais font des spéculations sur nos folies, et c’est sur nos fautes qu’ils fondent leur prospérité. Entendez-vous les négociants anglais réclamer contre les privilèges de la compagnie ? Non, parce qu’ils savent que si la cupidité faisait quelques tentatives, le patriotisme l’investirait de tout côté pour repousser les assauts qu'elle voudrait livrer à leur patrie, et c’est à cette sagesse des négociants anglais que. le royaume doit sa prospérité. Or, si ces négociants fiers de leur liberté; si ces négociants, qui sont quelquefois devenus les ministres et les ambassadeurs de ce beau royaume, ont maintenu la compagnie anglaise, qui sommes-nous pour donner à ce peuple des [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Ie* àvril 1790.) leçons de sagesse? nous dont les besoins sont frivoles, dont le commerce est voué au luxe, objet de corruption, surtout pour cette capitale ; nous qui ne sommes que les agents des Anglais dans l’Inde; mous qui leur apprendrons peut-être le secret de rendre un Etat florissant? 11 est bon de vous observer que l’Angleterre retire de l’Inde 320 millions de revenus annuels; elle est puissante à la côte de Coromandel ; elle est absolue dans le Bengale. Ceux qui vous demandent l’abolition des privilèges de la compagnie sont les négociants ; ce sont les apôtres du luxe qui se rendent les apôtres de la liberté; voilà les vrais ennemis de la nation, puisque leurs vues sont contraires à sa prospérité. Ne pouvons-nous donc pas nous passer de ces besoins factices qui nous ferons descendre du rang de grande nation ? Plus on vendra les marchandises de l’Inde, plus on rendra vos concitoyens malheureux. Nous ne pouvons pas, cependant, anéantir sur-le-champ ce commerce, il faut le compter au nombre des malheurs nécessaires, des calamités que nous ne devons pas perdre de vue. M. l’abbé Maury prouve que la prospérité du commerce de l’Angletere vient de ce que l’Angleterre ne consomme point elle-même les marchandises de l’Inde, mais de ce qu’elle les exporte dans le nord de l’Europe. Il parle ensuite du rétablissement de la compagnie des Indes, en France, sous le ministère de M. de Galonné, et cite un mémoire adressé sur cet objet au ministre, par un membre de l’Assemblée, dont les lumières sont connues en matière de commerce. M. Dupont (de Nemours). Je donne sur ce fait un démenti formel à M. l’abbé Maury. M. le Président observe à M. Dupont qu’il n’est pas permis d’interrompre un opinant. M. l’abbé Maury. Lorsque j’ai dit que j’allais rapporter le mémoire d’un membre de l’Assemblée connu par ses lumières, M. Dupont n’a pas eu sans doute l’intention de réfuter l’éloge que j’avais fait de lui. Sans avoir le projet de l’offenser personnellement, je vous demande la permission de faire lecture des lettres et du mémoire, adressés à M. de Calonne par M. Dupont; je les ai en original; de sorte que si M. Dupont a envie de parler, ce ne sera plus moi, mais lui-même qu’il devra réfuter. Voici le texte de son mémoire : Mémoire de M. Dupont (de Nemours), en 1786, sur une compagnie messagère des Indes (1). Détail de V opération. L’opération dont M. le contrôleur général a approuvé le principe, consiste à établir, sous le nom de compagnie des Indes une messagerie desservie par les vaisseaux du roi, et qui partout aux Indes et à la Chine et en rapportant des marchandises à un prix de fret au-dessous de celui de toutes les autres nations, attirerait la plus forte partie du commerce avec l’Asie dans notre port de Lorient et entretiendrait au roi, dans les mers de l’Inde avec l’argent et à la demande même des nations rivales et ennemies, une grande puissance maritime. L’exécution de cette opération est d’une extrême (1) Ce document n’a pas été inséré au Moniteur. facilité. Les détails en sont on ne peut pas plus simples. Elle n’exige aucune avance; elle doit faire le bien du roi, de l’Etat, du commerce et des protégés de monsieur le contrôleur général. La compagnie pourrait être composée de M. N... N.,, Du Ruey, Le Rat, Dupont et de trois autres personnes que le ministre voudrait également favoriser. Par l’édit de création, le roi la mettrait eu possession de la totalité, ou au moins de la plus grande partie des propriétés foncières nécessaires à son commerce en Europe, en Asie, et qui ont appartenu à l’ancienne compagnie. Il paraîtrait en outre convenable de lui donner, par forme d’encouragement, une somme de plusieurs millions dont le trésor royal ne débourserait pas un sou, parce qu’elle serait employée à l’achat de deux vaisseaux de soixante-quatre, de deux vaisseaux de cinquante et de deux frégates de trente-six, que la marine paraîtrait réformer, et que la compagnie achèterait avec les ordonnances dont le roi l’aurait gratifiée. Cette acquisition serait faite avec la clause secrète que si la compagnie cessait d’avoir lieu, le roi rentrerait eu possession de ses bâtiments. Ges six vaisseaux formeraient le prochain armement pour le départ de mars, et le premier fonds de marine qui paraîtrait appartenir à la compagnie et qu’elle accroîtrait annuellement par la même voie et selon les besoins et les demandes du commerce qui, dans la suite, au prix où l’on fixerait le fret, pourrait occuper au moins vingt-quatre vaisseaux. La compagnie annoncerait sur-le-champ le prix de son fret, et le réglerait à quinze pour ceut meilleur marché que celui que paie la compagnie des Iodes Anglaises aux vaisseaux qu’elle affrète. Elle hâterait son armement, et pour en faire les fonds elle mettrait, sur la place, des billets qui seraient d’autant mieux reçus, qu’on la saurait gratifiée d’une somme considérable par le roi et remise en possession d’une grande partie des propriétés foncières de l’ancienne compagnie, et que le nom de quelques membres très riches déterminerait l’opinion. L’expédition se ferait donc sans bourse délier. Le profit de la compagnie serait une remise à tant pourcent sur l’armement et le désarmement, comme la prennent tous les armateurs qui gèrent pour le compte de leurs associés. Le surplus du fret serait consacré à l’entretien des vaisseaux, et s’il y pouvait suffire, le roi aurait l’escadre de l’Inde entretenue sans frais; s’il s’en manquait un quart ou un sixième que le prix du fret pùt suffire à l’entretien, le roi ne serait soulagé que des trois quarts ou des cinq sixièmes de l’entretien ordinaire des vaisseaux qui seraient employés par la compagnie messagère ; mai8 ce serait toujours une grande économie pour le département de la marine. Et si l’on considère que cette économie aurait pour dernier résultat de soutenir sans éclat aux Indes, ou à leur portée, une puissance maritime du roi, que dans toute autre combinaison on u’y pourrait faire passer sans dépense et sans danger ; et si l’on considère encore que cet important service public serait rendu, pour la plus grande partie, avec des capitaux étrangers, qu’il serait lié à de très grands profits pour le commerce national, à des gains considérables de magasinage et de commission pour les habitants de Lorient et de Nantes, à un accroissement nécessaire de consommations nui augmenterait naturellement plusieurs branchés des revenus du roi, on verra qu’il est difficile 516 [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [2 avril 1790.] d’imaginer aucun pian gui concilie mieux la protection active d’un ministre tel) que Monsieur le contrôleur général. Réponse du conseil des finances au mémoire de M. Dupont sur la compagnie messagère des Indes. 1° Nos armements ne seront jamais à aussi bon compte que ceux des étrangers; 2° Les négociants préfèrent de se servir de leurs propres vaisseaux plutôt que d’armer ceux du roi à leurs frais, à charge de les t endre au même état; 3° A qui ces vaisseaux seraient-ils adressés dans l’Inde? Comment se feraient les achats? 4° Ce serait perdre toute relation avec les naturels du pays et toute considération dans l’Inde; 5° Il y aurait des années où il n’y aurait pas déchargement, et alors la compagnie messagère perdrait beaucoup; 6° En tout, ce projet de compagnie messagère est une chimère et une idée creuse aux yeux de tous les commerçants. On ne peut pas s’exposer, en l’entreprenant, à se faire ridiculiser par toute l’Europe. (La partie droite de l’Assemblée applaudit aux phrases qui semblent inculper M. Dupont. On fait ensuite lecture de la lettre de M. Dupont au ministre, en lui envoyant la mémoire. Cette lettre se termine par ces mots, qui sont vivement applaudis par la partie gauche de l’Assemblée, .te sais que je préférerai toujours l'intérêt du roi et de la pa trie au mien.) M. l’abbé Maury reprend la parole, et s’écartant entièrement des bases qu’il a posées, il finit par demander la conservation du privilège exclusif de la compagnie des Indes, et propose d’établir une imposition sur les bénéfices de la compagnie, qui tiendrait la place du droit d’induit ; cette imposition consiste à donner à l’Etat le droit de partager avec la compagnie des Indes le bénéfice qui excéderait 8 pour 100. M. Dupont (de Nemours). J’ignore de quelle manière M. l’abbé Maury a pu se procurer les pièces dont on vous a fait "lecture, et je n’y vois qu’un délit très grave. Mes vues, Messieurs, étaient de rendre le commerce de l’Inde plus utile à l’Etat. Les vaisseaux que je demandais devaient être destinés à une grande entreprise; vingt-quatre auraient eu leur destination pour le Bengale ; douze armés en «flûtes et douze lestés avec des armes, seraient arrivés sans donner aucune inquiétude à l’Angleterre; en cas de guerre, ces vingt-quatre vaisseaux, avertis par un simple aviso de rester en parage, mettaient le Bengale sous la domination française. Je demandais à être un des administrateurs de cette entreprise, parce qu’en pareil cas on ne peut se fier qu’à soi-même. J’avais un sentiment d’ambition qui fait qu’on aime mieux se mettre à la brèche et risquer les coups, de peur que cela ne soit encore plus mal fait par un autre. Je suis bien fâché qu’un pareil projet, qui perd tout son mérite dès qu’il est connu, ait été divulgué par des gens que je ne puis appeler citoyens, puisqu’ils osent ainsi compromettre les intérêts de leur patrie. (Les applaudissements les plus vifs succèdent au discours deM. Dupont.) La discussion est renvoyée au lendemain, et la séance est levée à 9 heures et demie. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. LE BARON DE MENOU. Séance du vendredi 2 avril 1790 (1). La séance est ouverte à quatre heures après midi. M. Drevet «le Deaujour, secrétaire , donne lecture du procès-verbal de la séance d’hier qui est adopté. Il fait ensuite mention des adresses suivantes : Adresse de la communauté de Gourbouzon ; elle fait le don patriotique du produit de la contribution sur les ci-devant privilégiés. Adresse des nouvelles municipalités de Neuf-fonts, de Gironde, de St-Laurent en Quercy ; de Bouligny, Avilies, Haucourt, Houdlancourt, Etou, Nouilionpont, Diezé et Rechicourt en Lorraine, de Brevelier en Lorraine, de St-AmourenMâconnois, de Marolles en Brie, de Ponteils, de Brassac au Pays de Foix, d’issus, de St-Jean de Yaleriscle en Languedoc, de Premille, de Mulecy, de Ghauvé, des villes de Bourganeuf et de Castelmoron-d’Al-bret ; elles contiennent toutes des assurances d’adhésion aux décrets de l’Assemblée, et des protestations de maintenir la Constitution; De la communauté de Sennecy-le-Château ; elle supplie l’Assemblée de l’autoriser à retirer d’entre les mains du receveur des Domaines et Bois de Dijon, la somme de 1 ,200 livres, provenant des différentes délivrances de bois de cette communauté; sur laquelle somme elle fait le don patriotique de celle de 200 livres; De celle de Beaumont en Yalentinois; elle annonce que l’effet des décrets de l’Assemblée a été de réunir les cœurs de tous les habitants par le le doux lien du patriotisme, puisque le maire, qui est un ministre protestant et le premier officier municipal, le curé du lieu, vivent aussi fraternellement que s’ils avaient les mêmes opinions ; Du bourg de Tanlignan en Dauphiné ; il fait un exposé touchant des malheurs qu’il éprouve, fait les réclamations les plus fortes contre le droit de Quarantain, perçu par le seigneur, et implore la protection de rassemblée ; De la communauté d’Archaingey en Saintonge; elle supplie l’Assemblée de ne pas se séparer avant d’avoir achevé la Constitution, et offre, pour les besoins de l’Etat, une somme de 2,000 livres ; Des communautés composant le canton de la Roche, bas-Limousin ; elles annoncent qu’elles doivent le calme et la tranquillité dont elles commencent à jouir, tant à la lettre qui fut adressée de la part de l’Assemblée aux municipalités, qu’à la conduite noble et courageuse des citoyens de la ville de Tulle et à la maréchaussée ; Des communautés de Saint-Cyprien et de Va-rets, du district de Brives, en Limousin; elles demandent la suppression d’un droit odieux connu sous le nom de pressé ; Des communautés de Saint-Sal et de Saint-Sal-vadour de la même province ; elles conjurent l’Assemblée d’enjoindre au prévôt delà ville de Tulle d’informer avec diligence et avec soin contre tous auteurs, fauteurs et complices des attroupements du bas-Limousin, détenus ou cachés, pour leur (1) Cette séance est incomplète au Moniteur.