ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 43 [États généraux.] vons cessé de convenir que nous n’étions pas constitués; devons-nous nous permettre des formules qui aient toutes les apparences d’un acte de juridiction? Avons-nous eu tort de prétendre que la puissance doit précéder l’action? Si cela était vrai hier, cela ne l’est-il plus aujourd’hui? Si cela l’est encore, pouvons-nous, plus que les jours passés, faire des déclarations secrètes, commencer des registres, donner des pouvoirs? Tout peut se défendre, Messieurs, excepté l’inconséquence. Envoyez au clergé, Messieurs, et n’envoyez point à la noblesse, car la noblesse ordonne et le clergé négocie. Autorisez qui vous voudrez à conférer avec les commissaires du clergé, pourvu que vos envoyés ne puissent pas proposer la plus légère composition, parce que sur le point fondamental de la vérification des pouvoirs dans l’Assemblée nationale vous ne pouvez vous départir de rien. Et quant à la noblesse, tolérez que les adjoints confèrent avec elle comme individus; mais ne leur donnez aucune mission, parce qu’elle serait sans but et ne serait pas sans danger. En effet, ne nous dissimulons pas que dans .notre sein même on s’efforce de former un parti pour diviser les Etals généraux en trois Chambres, pour les faire délibérer et opiner par ordre; unique ambition des privilégiés en cet instant et qui est l’objet d’un véritable fanatisme. Toute déviation du principe, toute apparence de composition encouragera le parti et entraînera ceux d’entre nous qu’on est parvenu à ébranler. Déjà l’on a répandu, déjà l’on professe qu’il vaut mieux opiner par ordre que de s’exposer à une scission (ce qui revient à dire : Séparons-nous de peur de nous séparer) que le ministre désire, que le Roi veut, que le royaume craint. Si le ministre est faible, soutenez-le contre lui-méme, prêtez-lui de vos forces parce que vous avez besoin de ses forces. Un aussi bon Roi que le nôtre ne veut pas ce qu’il n’a pas le droit de vouloir. Le royaume craindrait s’il pouvait vous croire vacillants. Qu’il vous sache fermes et unis, vous serez investis de toute sa sécurité. On vous flatte enfin (et c’est le plus adroit des pièges que depuis vingt-quatre heures seulement on n’a pas craint de dresser, même à découvert), on vous flatte que les ordres privilégiés vont sacrifier leurs exemptions pécuniaires. Et quel intérêt, dit-on alors, d’opiner plutôt par tête que par ordre? Quel intérêt ! Je comprendrais ce langage s’il étail adressé à ceux qui s’appellent les deux premiers ordres; car comme ils n’ont pas un seul privilège au delà des exemptions pécuniaires, comme hors de ce cercle tous nos intérêts sont évidemment communs, je ne leur vois pas une seule raison de s’opposer à la délibération par tête, s’ils sont de bonne foi; et voilà, pour le dire en passant, pourquoi je ne crois encore que faiblement à la sincérité de leurs sacrifices. Mais nous, qui malgré leur fierté dédaigneuse avons de grandes raisons de douter qu’ils aient le privilège exclusif de l’instruction et des lumières; nous qui ne regardons point l’Assemblée nationale comme un bureau de subdélégués; nous qui croyons que travailler à la constitution est le premier de nos devoirs et la plus sainte de nos missions; nous qui savons qu’il est physiquement impossible de s’assurer d’avoir obtenu le vœu national autrement que par la votation par tête, la renonciation la plus complète et la moins ambiguë aux exemptions pécuniaires ne nous désintéressera nullement du seul mode de délibérer et d’opiner, auquel nos pouvoirs nous autorisent et nos consciences nous contraignent. [19 mai 1789.] . Ne compromettons pas ce principe sacré, Messieurs, n’encourageons pas les intrigants, n’exposons pas les faibles, n’égarons pas, n’alarmons pas f opinion publique, marchons avec une circonspection prévoyante, mais marchons. La noblesse a rompu par le fait l'ajournement du Roi; nous devons en aviser M. le garde des sceaux, pour constater que le provisoire est fini, et annoncer ainsi par la voie la plus modérée et la plus respectueuse, mais la plus régulière et la plus directe, que les communes vont s’occuper des moyens d’exercer leurs droits et de conserver les principes. Envoyons ensuite au clergé des hommes munis de notre confiance et autorisés à inviter, à entendre, mais non à proposer. Laissons la noblesse continuer paisiblement sa marche usurpatrice autant qu’orgueilleuse ; plus elle aura fait de chemin, plus elle se sera donné de torts ; plus les communes, qui n’en veulent point avoir, qui n’en auront jamais, seront encouragées aux principes, sûres de leur force et par cela même de leur modération ; plus la concorde, l’ensemble, l’harmonie s’établiront parmi nous, plus l’esprit public se formera, et de lui seul se composeront notre irrésistible puissance, nos glorieux et durables succès. La motion de M. Rabaud de Saint-Etienne, avec les deux amendements qui ont été proposés, est adoptée en ces termes : « L’Assemblée des communes a résolu qu’elle nommerait des personnes pour conférer avec celles qui ont ôté ou qui seront choisies par MM. du clergé et de la noblesse sur les moyens proposés pour réunir tous les députés atin de vérifier tous les pouvoirs en commun ; et il sera fait une relation écrite des conférences. » ÉTATS GÉNÉRAUX. Séance du mardi 19 mai 1789. CLERGÉ. On propose de faire annoncer au tiers-état la disnosition où est la Chambre de renoncer, au nom du clergé, à toutes exemptions pécuniaires. La discussion amène plusieurs amendements. On met aux voix ; il y a quelques doutes. On demande un second tour d’opinion, mais l’heure étant trop avancée, la séance est levée. NOBLESSE. La Chambre de la noblesse nomme les commis ¬ saires chargés de conférer avec les deux autres ordres sur les moyens de conciliation. Ce sont MM. le marquis de Bouthilier, le duc de Luxembourg, le marquis de la Queuille, le comte d’En-traigues, le duc de Mortemart, le vicomte de Pouilly, de Cazalès, de Bressand. La séance est levée. communes. La séance est entièrement employée au choix des seize membres qui doivent assister aux conférences. Ce sont MM. Rabaud de Saint-Etienne, Target, Chapelier, Mounier, d’Àilly, Thouret, Du- 44 ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Étals généraux.] [22 mai 1789.] pont, Legrand, de Volney, Redon, Viguier, Garat l’aîné, Bergasse, Salomon, Milscent, Barnave. ÉTATS GÉNÉRAUX. Séance du mercredi 20 mai 1789. CLERGÉ. On rappelle les voix sur la proposition qui a été faite hier. De nouvelles observations sont présentées ; et le résultat est d’abandonner la forme de délibération régulière, et de s’en tenir à autoriser, par acclamation, les députés de l’ordre du clergé à dire aux députés des deux autres ordres, dans le cours de leurs conférences, qu’ils peuvent les assurer que les dispositions individuelles et personnelles de tous les membres de la Chambre sont telles, qu’il y a lieu de croire qu’ils se porteront avec empressement à voter l’égalité proportionnelle d’imposition sur tous les biens, sans aucune exception, quand la Chambre sera constituée; qu’elle aura acquis par là le droit de statuer sur un objet de cette importance, et que le cours de ses travaux l’amènera à le traiter. La délibération formelle n’est pas admise, comme trop prématurée et hors des pouvoirs d’une Assemblée non constituée. NOBLESSE. On nomme sept commissaires pour travailler à un projet de règlement de police intérieure. MM. le duc dè Mortemart, le président d’Ormesson, le comte d'Entraigues, le marquis de Boulhilier, d’Eprémesnil, le duc de Luxembourg et le duc du Châtelet sont chargés de ce travail. La séance est levée. COMMUNES. Après plusieurs observations préliminaires proposées par divers membres des communes, et dont aucune n’a été réiuite en motion, M. La-borde -îlléréville a mis sur le bureau celle qui suit : Qu’il soit formé provisoirement un comité de rédaction, composé de certaines personnes qui seront choisies au scrutin ; Que tout ce que l’Assemblée jugera à propos de faire paraître en son nom, manuscrit ou imprimé, soit renvoyé à ce comité pour y être rédigé et présenté, ensuite lu par lui à l’Assemblée avant d’être publié ; Que ce comité avisera au moyen de faire imprimer et parvenir sûrement dans les provinces ce que l’Assemblée jugera à propos de publier. Cette motion est vivement combattue. Plusieurs membres représentent qu’il ne faut pas décréter, avant d’être constitué, ce que l’on fera lorsqu’on sera constitué ; qu’il est imprudent de discuter, avant que l’Assemblée soit en activité pleine et légale, des questions sur lesquelles il lui appartiendra et n’appartiendra qu’à elle de prononcer; que, quant à présent, elle n’a besoin que de notes à peu près semblables à ce qu’on appelle les notes du parlement d’Angleterre, et où les motions, leurs amendements et le nombre des voix pour ou contre sont simplement rapportées ; qu’il ne peut pas être 'intéressant de publier une notice aride ; mais qu’il est souverainement important de ne rien imprimer avec précipitation au nom de l’Assemblée. La séance est continuée à vendredi 22, à cause de la fête de l’Ascension. ÉTATS GÉNÉRAUX. Séance du vendredi 22 mai 1789. CLERGÉ. L’Assemblée du clergé continue le travail provisoire pour la rédaction de ses cahiers, et la séance est uniquement employée à cet objet. NOBLESSE. L’Assemblée autorise M. de Montboissier, son président, à demander au Roi une nouvelle convocation pour Metz. M. d’Entraigues propose d’autoriser les commissaires conciliateurs à annoncer à ceux du tiers-état la renonciation de la noblesse à ses privilèges pécuniaires. Cette motion trouve des contradicteurs qui sont fondés sur ce que cette renonciation ne peut être générale et indéfinie ; qu’il sera nécessaire de la particulariser, ce qui ne fera qu’augmenter les sujets de discussion avec l’ordre du tiers, et ensuite sur ce que leurs cahiers leur enjoignent de ne faire cette renonciation qu’après que la constitution sera établie. Il est arrêté, à la majorité de 143 voix contre 62, que les commissaires de la noblesse seront chargés d’annoncer à ceux du tiers-état que la plus grande partie des cahiers dont sont chargés les députés de la noblesse, portant renonciation à tous ses privilèges pécuniaires, relativement aux impôts, tels qu’ils seront fixés par les États généraux, l’Assemblée est dans la ferme résolution d’arrêter cette renonciation, après que chaque ordre délibérant librement aura pu établir les principes constitutionnels sur une base solide. La séance est levée. COMMUNES. La motion de M. Laborde continue d’être débattue. k. M. Laborde et M. Target proposent d’en restreindre l’objet à la seule impression d’un journal motivé de ce qui se passe, qui sera rédigé par un petit nombre de commissaires choisis au scrutin. Malgré ces amendements, elle ne trouve presque que des opposants. On dit que ce n’est pas le moment d’imprimer un journal motivé ; qu’on verra ce qu’il y aura à faire, si les conférences n’ont pas une bonne issue ; que les adjoints du président tiennent note de ce qui se fait dans l’Assemblée; que les commissaires sont chargés de faire de même pour les conférences, et qu’on trouvera toujours dans leur travail les matériaux de ce qu’il faudra écrire, s’il devient nécessaire un jour de rendre compte à la nation de la conduite de ses représentants.