62 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE Il employa cependant tous les moyens possibles pour y parvenir : il a fait distribuer de l’argent, donner des comédies gratis, où il se trouvait pour sottiser ceux qui auraient pu prendre la place qu’il se destinait; il a fait donner aussi des bals publics. Il faisait tous les deux jours assembler le peuple, le pérorait comme faisaient autrefois les Oratoriens, et répétait sans cesse ces mots : Citoyens, je dirai comme Saint-Just : « La révolution est un coup de foudre, il faut frapper... point de pitié... ». Ces mots, pour lui chéris, de Robespierre et de Saint-Just, lui venaient continuellement à la bouche. Nous ne parlerons pas de la conduite qu’il a fait tenir à son tribunal révolutionnaire; nous nous bornerons à dire que, s’il avait suivi les lois, bien des têtes seraient encore sur les épaules; mais il lui fallait du sang... Il fut supprimé, ce tribunal, et il le remplaça, en quelque sorte malgré la loi, par une commission inquisitoriale, qu’il prit parmi les membres qui le composaient. Quelques patriotes se soulevèrent contre cette commission, et ne voulurent pas la regarder comme autorité constituée. Que fit Le Bon ? Il la supprima et plaça plusieurs de ses membres dans le comité révolutionnaire; il est aisé de voir qu’il voulait toujours se réserver un parti. Nous tranchons sur les détails de la conduite indigne et tyrannique qu’il a tenue envers les citoyens Burard, officier de santé en chef à l’hôpital de la Montagne; Leroi, dit Unité, et Brabant, tous deux membres du conseil général de la commune de Cambrai, et autres dont il pourrait vous être donné les preuves les plus convictives : nous parlerons de celle qu’il a tenue décadi dernier, fête célébrée en l’honneur des jeunes Barra et Viala, martyrs de la liberté, jour où les têtes des triumvirs tombèrent sous le glaive de la loi. Au temple dédié à l’Etre suprême, il balbutia quelques mots relatifs à cette fête, et, à la fin de sa péroraison, il invita toutes les autorités civiles et militaires, ainsi que le peuple, à se réunir le lendemain, deux heures de relevée, pour quelque chose d’intéressant qu’il avait à leur communiquer. Il croyait sans doute leur apprendre que la faction du triumvirat l’avait emporté; il attendait cette nouvelle avec impatience, sans quoi il aurait pu annoncer ce qu’il avait à dire au moment même, puisque les autorités s’y trouvaient réunies. Cette époque, citoyens, doit vous faire ouvrir les yeux, et ne vous laisser aucun doute qu’il trempait dans ce complot infâme et liberticide. Frappez, législateurs, frappez, comme vous l’avez fait, ces têtes coupables... et la république est sauvée (1). (1) Moniteur ( réimpr.), XXI, 382; Débats, nu 681, 268. Sur quoi la Convention rend le décret suivant : La Convention nationale renvoie au comité de sûreté générale la dénonciation faite à la barre par les citoyens Courtecuisse et Mahieux, habitans de la commune de Cambrai, contre Joseph Le Bon, représentant du peuple (1). Un membre [André DUMONT] demande le rapport du décret d’ordre du jour rendu sur les accusations ci-devant portées contre Joseph Le Bon; il conclut en outre à son arrestation provisoire et à sa prompte punition. Un autre membre [CLAUZEL] appuie ces propositions, et demande que préalablement Joseph Le Bon soit entendu (2). [Applaudissements]. André Dumont : Citoyens, vous venez d’entendre des vérités déchirantes. La justice fut longtemps outragée dans les départements du Pas-de-Calais et du Nord; ce bourreau, choisi par Robespierre, y faisait ruisseler le sang. Le Bon, cet homme sanguinaire, que nous avons le malheur de voir parmi nous; Le Bon, ce monstre pétri de crimes, enivré de sang, couvert de l’exécration générale, vous le voyez salir cette tribune, et y exhaler le venin de son âme infernale. Il n’existe pas une minute où il ne médite un nouveau crime, où il ne prépare un assassinat. C’est bien à lui qu’on peut adresser ce discours : « Monstre ! va dans les enfers cuver le sang de tes victimes ». Sans doute, citoyens, ce grand scélérat va expier ses crimes; sans doute il va disparaître de la société. Le jour est venu où ces assassins vont recevoir le salaire de leurs forfaits; le règne des fripons, des buveurs de sang, des traîtres, est passé; l’innocence va triompher; les bons citoyens se sentent renaître. Leurs âmes se dilatent : la mort d’un de ces scélérats est le triomphe des républicains. Poursuivons avec acharnement tous les ennemis de la patrie. Faisons tomber leurs têtes coupables, mais respectons l’innocence; faisons aimer et chérir la révolution par la justice, et remplaçons le système odieux de la proscription par celui de la punition des coupables. Je demande le rapport du décret par lequel vous passez à l’ordre du jour sur les accusations dirigées contre Le Bon; je demande son arrestation et sa prompte punition. Ne laissons pas plus longtemps ce monstre dégouttant de sang siéger parmi nous; purgeons-en la société. Clauzel : Je suis persuadé aussi que Le Bon est un scélérat; mais je demande qu’il soit entendu (3). Joseph Le Bon à la tribune obtient la parole : il parle pour sa justification, répond à plusieurs faits, et termine par demander d’être interrogé sur tous les faits sur lesquels on veut qu’il réponde, ou que la (1) Décret n° 10 216, sans nom de rapporteur. (2) P. V., XLII, 305. (3) Moniteur (réimpr.), XXI, 376. 62 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE Il employa cependant tous les moyens possibles pour y parvenir : il a fait distribuer de l’argent, donner des comédies gratis, où il se trouvait pour sottiser ceux qui auraient pu prendre la place qu’il se destinait; il a fait donner aussi des bals publics. Il faisait tous les deux jours assembler le peuple, le pérorait comme faisaient autrefois les Oratoriens, et répétait sans cesse ces mots : Citoyens, je dirai comme Saint-Just : « La révolution est un coup de foudre, il faut frapper... point de pitié... ». Ces mots, pour lui chéris, de Robespierre et de Saint-Just, lui venaient continuellement à la bouche. Nous ne parlerons pas de la conduite qu’il a fait tenir à son tribunal révolutionnaire; nous nous bornerons à dire que, s’il avait suivi les lois, bien des têtes seraient encore sur les épaules; mais il lui fallait du sang... Il fut supprimé, ce tribunal, et il le remplaça, en quelque sorte malgré la loi, par une commission inquisitoriale, qu’il prit parmi les membres qui le composaient. Quelques patriotes se soulevèrent contre cette commission, et ne voulurent pas la regarder comme autorité constituée. Que fit Le Bon ? Il la supprima et plaça plusieurs de ses membres dans le comité révolutionnaire; il est aisé de voir qu’il voulait toujours se réserver un parti. Nous tranchons sur les détails de la conduite indigne et tyrannique qu’il a tenue envers les citoyens Burard, officier de santé en chef à l’hôpital de la Montagne; Leroi, dit Unité, et Brabant, tous deux membres du conseil général de la commune de Cambrai, et autres dont il pourrait vous être donné les preuves les plus convictives : nous parlerons de celle qu’il a tenue décadi dernier, fête célébrée en l’honneur des jeunes Barra et Viala, martyrs de la liberté, jour où les têtes des triumvirs tombèrent sous le glaive de la loi. Au temple dédié à l’Etre suprême, il balbutia quelques mots relatifs à cette fête, et, à la fin de sa péroraison, il invita toutes les autorités civiles et militaires, ainsi que le peuple, à se réunir le lendemain, deux heures de relevée, pour quelque chose d’intéressant qu’il avait à leur communiquer. Il croyait sans doute leur apprendre que la faction du triumvirat l’avait emporté; il attendait cette nouvelle avec impatience, sans quoi il aurait pu annoncer ce qu’il avait à dire au moment même, puisque les autorités s’y trouvaient réunies. Cette époque, citoyens, doit vous faire ouvrir les yeux, et ne vous laisser aucun doute qu’il trempait dans ce complot infâme et liberticide. Frappez, législateurs, frappez, comme vous l’avez fait, ces têtes coupables... et la république est sauvée (1). (1) Moniteur ( réimpr.), XXI, 382; Débats, nu 681, 268. Sur quoi la Convention rend le décret suivant : La Convention nationale renvoie au comité de sûreté générale la dénonciation faite à la barre par les citoyens Courtecuisse et Mahieux, habitans de la commune de Cambrai, contre Joseph Le Bon, représentant du peuple (1). Un membre [André DUMONT] demande le rapport du décret d’ordre du jour rendu sur les accusations ci-devant portées contre Joseph Le Bon; il conclut en outre à son arrestation provisoire et à sa prompte punition. Un autre membre [CLAUZEL] appuie ces propositions, et demande que préalablement Joseph Le Bon soit entendu (2). [Applaudissements]. André Dumont : Citoyens, vous venez d’entendre des vérités déchirantes. La justice fut longtemps outragée dans les départements du Pas-de-Calais et du Nord; ce bourreau, choisi par Robespierre, y faisait ruisseler le sang. Le Bon, cet homme sanguinaire, que nous avons le malheur de voir parmi nous; Le Bon, ce monstre pétri de crimes, enivré de sang, couvert de l’exécration générale, vous le voyez salir cette tribune, et y exhaler le venin de son âme infernale. Il n’existe pas une minute où il ne médite un nouveau crime, où il ne prépare un assassinat. C’est bien à lui qu’on peut adresser ce discours : « Monstre ! va dans les enfers cuver le sang de tes victimes ». Sans doute, citoyens, ce grand scélérat va expier ses crimes; sans doute il va disparaître de la société. Le jour est venu où ces assassins vont recevoir le salaire de leurs forfaits; le règne des fripons, des buveurs de sang, des traîtres, est passé; l’innocence va triompher; les bons citoyens se sentent renaître. Leurs âmes se dilatent : la mort d’un de ces scélérats est le triomphe des républicains. Poursuivons avec acharnement tous les ennemis de la patrie. Faisons tomber leurs têtes coupables, mais respectons l’innocence; faisons aimer et chérir la révolution par la justice, et remplaçons le système odieux de la proscription par celui de la punition des coupables. Je demande le rapport du décret par lequel vous passez à l’ordre du jour sur les accusations dirigées contre Le Bon; je demande son arrestation et sa prompte punition. Ne laissons pas plus longtemps ce monstre dégouttant de sang siéger parmi nous; purgeons-en la société. Clauzel : Je suis persuadé aussi que Le Bon est un scélérat; mais je demande qu’il soit entendu (3). Joseph Le Bon à la tribune obtient la parole : il parle pour sa justification, répond à plusieurs faits, et termine par demander d’être interrogé sur tous les faits sur lesquels on veut qu’il réponde, ou que la (1) Décret n° 10 216, sans nom de rapporteur. (2) P. V., XLII, 305. (3) Moniteur (réimpr.), XXI, 376. SÉANCE DU 15 THERMIDOR AN II (2 AOÛT 1794) - N°42 63 Convention nomme une commission à cet effet. Un membre [CLAUZEL] insiste pour l’arrestation provisoire de Joseph Le Bon, et propose que ce soient les comités de sûreté générale et de législation qui soient chargés de faire le rapport (1). Le Bon monte à la tribune. Bourdon (de l’Oise) : Voilà le bourreau dont se servait Robespierre. Le Bon : Puisque vous m’accordez la parole, je suis plus heureux qu’au moment où je fus prêt à être victime par Robespierre sans être entendu; car il faut que vous sachiez, citoyens, que cet homme infâme a voulu me faire périr, il y a trois décades. Je vais vous rendre compte de ma conduite. J’arrivai à Arras primidi, au moment où le courrier venait d’apporter les nouvelles de Paris. Jugez quelle dut être la surprise des habitants d’Arras quand ils virent que Robespierre était tombé sous le glaive de la loi ! Je les rassurai; je leur dis que le seul point de ralliement était la Convention nationale. Je leur appris des faits qui étaient à ma connaissance, et qui les mirent à portée d’apprécier Robespierre. Le district s’assembla sur-le-champ; il prit un arrêté, que je signai, qu’il envoya aux communes de son ressort, pour les rattacher à la Convention. Il n’est pas étonnant que la calomnie se soit exercée sur le compte d’un représentant du peuple qui, pendant neuf mois, a sué... Poultier : il a sué le sang ! Le Bon : D’un représentant du peuple qui, pendant 9 mois, a continuellement travaillé pour ses concitoyens, et qui préféra sauver la patrie à répondre aux traits empoisonnés qu’on a lancés contre lui. J’ai été appelé à Cambrai le lendemain du jour où la ville devait être cernée; j’y suis resté pendant tout le temps du danger. Tous mes dénonciateurs sont mes ennemis; ils ont des raisons pour m’en vouloir (2). [Raffron : C’est dans votre mission que vous avez prévariqué, répondez aux faits qui vous sont imputés. Il se fait quelque bruit. Je demande, dit un membre que Le Bon soit entendu jusqu’à la fin, il faut que les crimes soient mis au grand jour. Le Bon continue : On me compare à Robespierre (3)]. Il y a une grande différence entre Robespierre, qui travaillait pour lui, et celui qui n’a suivi que vos décrets et les arrêtés du comité de salut public. N’est-ce pas vous qui avez consacré les rapports de Saint-Just, qui avez consacré cette autorité que les traîtres faisaient peser sur les membres qu’ils envoyaient en commission, et dont ils les rendaient responsables ensuite... Bourdon (de l’Oise) : Tu dînais avec le bourreau. (1) P.-V., XLII, 305. (2) Moniteur (réimpr.), XXI, 376. (3) J. Fr., n° 677. Le Bon : La Convention fit mention honorable d’une chose semblable faite par Lequinio, qui avait aussi été trompé sans doute. N’est-ce pas vous qui avez consacré ce que dit Saint-Just : « que la révolution devait entraîner tout ce qui se trouvait sur son passage ». Il est vrai que, sans la sévérité que j’ai déployée, l’aristocratie respirerait encore. On me reproche d’avoir institué le tribunal révolutionnaire, tandis que c’est le comité de salut public qui l’a institué et qui l’a maintenu, quoique je lui eusse écrit 3 ou 4 fois que je ne croyais plus qu’il dût subsister depuis qu’une loi avait attribué au tribunal révolutionnaire de Paris la connaissance de tous les crimes de contre-révolution. Poultier : Le Bon vient de vous dire qu’il n’agissait que par les ordres du comité de salut public, et j’ai la preuve en main qu’un courrier étant venu lui apporter des ordres du comité de salut public, il les déchira et fit mettre le courrier en prison, où il languit depuis 5 mois. Le Bon : On ne pourra jamais prouver ce fait; je dirai à la Convention que, malgré la résistance de mon cœur, j’expliquais aux citoyens les rapports qu’on m’envoyait. Mon collègue Dumont s’est laissé prévenir contre moi parce que nous avons eu quelques difficultés lorsque nous étions en mission ensemble. Pour Guffroy, il est de son intérêt de me faire disparaître. L’année dernière, il accusait dans son Rougiff [ pour Rougyff) les mêmes hommes qu’il défend aujourd’hui. Savez-vous pourquoi il les accusait ? C’est parce que ces hommes avaient découvert dans un greffe un faux fait par Guffroy, qui courut bien vite à Arras pour étouffer cette affaire. Voulez-vous que je vous peigne un de ces hommes défendus par Guffroy ?... Turreau : Peins-toi toi-même, scélérat ! Charles Delacroix : Si la Convention témoigne quelque impatience, c’est que Le Bon ne se défend pas comme il le devrait; il ne répond pas aux faits. Qu’il dise s’il est vrai qu’il a eu la barbarie monstrueuse de tenir un homme sous le couteau de la guillotine tout le temps nécessaire pour lire des nouvelles. Le Bon : Je vais répondre à ce fait. Un scélérat allait expirer; il n’était pas encore arrivé sur la place, quand je reçus la nouvelle d’une victoire; je montai au balcon de la Comédie et je lus la nouvelle. Pendant ce temps le condamné arriva; je dis alors : « Que nos ennemis emportent à la mort la douleur de nos succès ! » Jugez d’après cet exposé si d’autres faits n’ont pas pu être de même hasardés. Je vais vous en citer un exemple. On m’a accusé d’être tellement fanatique que j’avais dit que, si l’idée de tuer père et mère me prenait, je les tuerais. La vérité est que, pour faire voir jusqu’à quel point le fanatisme peut égarer, je racontai que, dans ma jeunesse, livré à des Oratoriens fanatiques, j’aurais cherché le salut même par la mort de mes parents. Je demande que vous m’interrogiez sur tous les faits sur lesquels vous voulez que je réponde, ou que vous nommiez une commission chargée de ce soin. SÉANCE DU 15 THERMIDOR AN II (2 AOÛT 1794) - N°42 63 Convention nomme une commission à cet effet. Un membre [CLAUZEL] insiste pour l’arrestation provisoire de Joseph Le Bon, et propose que ce soient les comités de sûreté générale et de législation qui soient chargés de faire le rapport (1). Le Bon monte à la tribune. Bourdon (de l’Oise) : Voilà le bourreau dont se servait Robespierre. Le Bon : Puisque vous m’accordez la parole, je suis plus heureux qu’au moment où je fus prêt à être victime par Robespierre sans être entendu; car il faut que vous sachiez, citoyens, que cet homme infâme a voulu me faire périr, il y a trois décades. Je vais vous rendre compte de ma conduite. J’arrivai à Arras primidi, au moment où le courrier venait d’apporter les nouvelles de Paris. Jugez quelle dut être la surprise des habitants d’Arras quand ils virent que Robespierre était tombé sous le glaive de la loi ! Je les rassurai; je leur dis que le seul point de ralliement était la Convention nationale. Je leur appris des faits qui étaient à ma connaissance, et qui les mirent à portée d’apprécier Robespierre. Le district s’assembla sur-le-champ; il prit un arrêté, que je signai, qu’il envoya aux communes de son ressort, pour les rattacher à la Convention. Il n’est pas étonnant que la calomnie se soit exercée sur le compte d’un représentant du peuple qui, pendant neuf mois, a sué... Poultier : il a sué le sang ! Le Bon : D’un représentant du peuple qui, pendant 9 mois, a continuellement travaillé pour ses concitoyens, et qui préféra sauver la patrie à répondre aux traits empoisonnés qu’on a lancés contre lui. J’ai été appelé à Cambrai le lendemain du jour où la ville devait être cernée; j’y suis resté pendant tout le temps du danger. Tous mes dénonciateurs sont mes ennemis; ils ont des raisons pour m’en vouloir (2). [Raffron : C’est dans votre mission que vous avez prévariqué, répondez aux faits qui vous sont imputés. Il se fait quelque bruit. Je demande, dit un membre que Le Bon soit entendu jusqu’à la fin, il faut que les crimes soient mis au grand jour. Le Bon continue : On me compare à Robespierre (3)]. Il y a une grande différence entre Robespierre, qui travaillait pour lui, et celui qui n’a suivi que vos décrets et les arrêtés du comité de salut public. N’est-ce pas vous qui avez consacré les rapports de Saint-Just, qui avez consacré cette autorité que les traîtres faisaient peser sur les membres qu’ils envoyaient en commission, et dont ils les rendaient responsables ensuite... Bourdon (de l’Oise) : Tu dînais avec le bourreau. (1) P.-V., XLII, 305. (2) Moniteur (réimpr.), XXI, 376. (3) J. Fr., n° 677. Le Bon : La Convention fit mention honorable d’une chose semblable faite par Lequinio, qui avait aussi été trompé sans doute. N’est-ce pas vous qui avez consacré ce que dit Saint-Just : « que la révolution devait entraîner tout ce qui se trouvait sur son passage ». Il est vrai que, sans la sévérité que j’ai déployée, l’aristocratie respirerait encore. On me reproche d’avoir institué le tribunal révolutionnaire, tandis que c’est le comité de salut public qui l’a institué et qui l’a maintenu, quoique je lui eusse écrit 3 ou 4 fois que je ne croyais plus qu’il dût subsister depuis qu’une loi avait attribué au tribunal révolutionnaire de Paris la connaissance de tous les crimes de contre-révolution. Poultier : Le Bon vient de vous dire qu’il n’agissait que par les ordres du comité de salut public, et j’ai la preuve en main qu’un courrier étant venu lui apporter des ordres du comité de salut public, il les déchira et fit mettre le courrier en prison, où il languit depuis 5 mois. Le Bon : On ne pourra jamais prouver ce fait; je dirai à la Convention que, malgré la résistance de mon cœur, j’expliquais aux citoyens les rapports qu’on m’envoyait. Mon collègue Dumont s’est laissé prévenir contre moi parce que nous avons eu quelques difficultés lorsque nous étions en mission ensemble. Pour Guffroy, il est de son intérêt de me faire disparaître. L’année dernière, il accusait dans son Rougiff [ pour Rougyff) les mêmes hommes qu’il défend aujourd’hui. Savez-vous pourquoi il les accusait ? C’est parce que ces hommes avaient découvert dans un greffe un faux fait par Guffroy, qui courut bien vite à Arras pour étouffer cette affaire. Voulez-vous que je vous peigne un de ces hommes défendus par Guffroy ?... Turreau : Peins-toi toi-même, scélérat ! Charles Delacroix : Si la Convention témoigne quelque impatience, c’est que Le Bon ne se défend pas comme il le devrait; il ne répond pas aux faits. Qu’il dise s’il est vrai qu’il a eu la barbarie monstrueuse de tenir un homme sous le couteau de la guillotine tout le temps nécessaire pour lire des nouvelles. Le Bon : Je vais répondre à ce fait. Un scélérat allait expirer; il n’était pas encore arrivé sur la place, quand je reçus la nouvelle d’une victoire; je montai au balcon de la Comédie et je lus la nouvelle. Pendant ce temps le condamné arriva; je dis alors : « Que nos ennemis emportent à la mort la douleur de nos succès ! » Jugez d’après cet exposé si d’autres faits n’ont pas pu être de même hasardés. Je vais vous en citer un exemple. On m’a accusé d’être tellement fanatique que j’avais dit que, si l’idée de tuer père et mère me prenait, je les tuerais. La vérité est que, pour faire voir jusqu’à quel point le fanatisme peut égarer, je racontai que, dans ma jeunesse, livré à des Oratoriens fanatiques, j’aurais cherché le salut même par la mort de mes parents. Je demande que vous m’interrogiez sur tous les faits sur lesquels vous voulez que je réponde, ou que vous nommiez une commission chargée de ce soin. 64 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE Legendre : La Convention nationale a senti que trop longtemps les principes avaient été oubliés pour s’occuper des individus. Nous nous sommes tous ralliés, nous avons juré que jamais nous n’oublierions les principes; s’ils étaient sur un roc escarpé, il faudrait y gravir à travers les rochers et les ronces les plus aiguës. On ne se justifie pas en récriminant; il n’est peut-être pas un individu qui ne pût faire un reproche à Le Bon. Je demande son arrestation provisoire, qu’un rapport soit fait à son sujet, et qu’il lui soit donné toute facilité pour y répondre. (On applaudit). Clauzel : Le Bon a dit qu’il n’avait fait que suivre les ordres du comité de salut public; ce comité ne peut donc pas être son juge. Je demande que ce soient les comités de sûreté générale et de législation qui soient chargés de faire le rapport concernant Le Bon. Monmayou : Je ne suis ni accusateur, ni accusé; je suis juge; mais je n’ai point entendu l’accusateur. L’accusé ne s’est pas défendu; il nie les faits; il y a quelques jours qu’un de vos membres avouait ceux qu’on articulait contre lui : vous n’avez pas ordonné son arrestation; le roi David n’a pas été arrêté. Je ne vois pas que vous deviez non plus prononcer l’arrestation de Le Bon jusqu’à ce que vous ayez entendu le rapport; ce serait préjuger en quelque sorte que de prononcer avant ce moment. Rovère : Le Bon ne peut pas siéger au milieu de nous. Du Bouchet : Tout homme est présumé innocent jusqu’à ce qu’il soit démontré qu’il est coupable. Le Bon a déclaré qu’il avait suivi les ordres du comité de salut public. Vous n’êtes donc pas convaincus qu’il soit coupable, vous ne pouvez pas le faire arrêter (1). (2) : Si les principes que deux des représentants ont avancés étaient vrais, il s’ensuivrait que jamais on ne pourrait atteindre un prévenu; d’après tous ces principes, on ne doit se saisir d’un homme que quand il est démontré qu’il est coupable; il faudrait donc attendre que le procès fût fait et parfait; car ce n’est qu’alors que la preuve complète est acquise; et ce délai ne serait-il pas funeste ? Le coupable n’en profiterait-il pas pour s’échapper ? Dès qu’un homme est prévenu d’un grand crime, l’intérêt public exige qu’on s’assure de sa personne et qu’on le mette sous la main de la loi; cela ne préjuge rien; cela n’empêche pas qu’il ne se jutifie. Je crois donc que l’assemblée doit maintenir le décret d’arrestation contre Le Bon. Charrier : Je demande à remettre la discussion sous son vrai point de vue : je ne crois pas que la motion faite de rapporter le décret d’arrestation soit appuyée; si elle l’était, je parlerais contre; mais il est un principe qu’on a avancé, et que je crois important de relever. On a dit que Le Bon prétendait n’avoir fait que (1) Moniteur (réimpr.), XXI, 376. (2) J. Paris (n° 580) cite Thirion parmi ceux qui appuient la proposition Legendre. suivre les ordres du comité de salut public; quoi ! parce que, dans ce cas, Le Bon aurait des complices, s’ensuivrait-il qu’il ne serait pas coupable ? Je demande donc que le décret soit maintenu : ce n’est pas ici un jugement, mais un moyen nécessaire pour s’assurer de la personne de Le Bon jusqu’à ce qu’un jugement soit porté sur les reproches qu’on a articulés contre lui. On a demandé ensuite si le rapport sera communiqué à Le Bon, ou non. Pour décider cette question, il ne faut que se reporter aux bases sur lesquelles ce rapport sera établi. Le Bon sera entendu, et ce sont les interrogatoires, les pièces qu’on fournira contre Le Bon, celles qu’il fournira en sa faveur, qui serviront de bases à ce rapport, et si, après l’avoir entendu, il a quelque chose à ajouter pour sa défense, on l’écoutera. Turreau : Il est étonnant que, dans le moment où le gouvernement révolutionnaire a besoin de conserver toute sa force, où nous sommes entourés des débris d’une conspiration horrible, on veuille nous faire adopter des principes contraires au gouvernement révolutionnaire. Qu’avons-nous fait ? nous avons prononcé l’arrestation de Le Bon, prévenu de divers crimes : cela ne l’empêchera pas de se justifier, s’il a des moyens de justification. Je demande le maintien du décret. Monmayou : Je retire ma motion (1). Guffroy : A l’instant où la convention nationale s’est occupée de la dénonciation portée contre Joseph Le Bon, les habitans d’Arras étoient aux portes de la Convention prêts à lui présenter une dénonciation détaillée; je demande qu’elle soit jointe aux pièces. Je ne répondrai pas à l’inculpation de Joseph Le Bon, elle est au-dessous de moi. Il sait bien qu’elle n’est pas vraie. Au reste, je n’entretiendrai plus la Convention de cette affaire. Les pièces contre Le Bon sont au comité de salut public; il sera lui-même interrogé, et, s’il oublie des faits, je saurai les lui rappeler (2). Ces différentes propositions mises aux voix, la Convention nationale rend le décret suivant : La Convention nationale rapporte son décret du 21 messidor, par lequel elle a passé à l’ordre du jour sur les inculpations faites contre Joseph Le Bon, l’un de ses membres; ordonne qu’il sera mis provisoirement en état d’arrestation; charge ses comités de sûreté générale et de législation de lui faire, dans le plus bref délai, un rapport sur les-(1) Moniteur (réimpr.), XXI, 377; Débats, n 0 681, 268-273; C. Eg., n° 714; J. Perlet, n° 679; Ann. pair., nos DLXXIX et DLXXX; Ann. R.F., n° 245; J. Lois , n° 676; Audit, nat., n° 678; C. univ., n° 945: M.U. , XLII, 250; J. Jacquin , n° 734; Rép.. n° 226; J. Sablier (du soir). n° 1 475; J. Mont., n° 95; Mess. Soir. n° 713; J.S. -Culottes. n° 534; F.S.P., n° 394. Mention in J. unie., n° 1 713. (2) Débats. n° 681, 273. Dans le Moniteur, ce texte est après le décret d’arrestation contre Le Bon et David (voir, ci-après, n° 43). 64 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE Legendre : La Convention nationale a senti que trop longtemps les principes avaient été oubliés pour s’occuper des individus. Nous nous sommes tous ralliés, nous avons juré que jamais nous n’oublierions les principes; s’ils étaient sur un roc escarpé, il faudrait y gravir à travers les rochers et les ronces les plus aiguës. On ne se justifie pas en récriminant; il n’est peut-être pas un individu qui ne pût faire un reproche à Le Bon. Je demande son arrestation provisoire, qu’un rapport soit fait à son sujet, et qu’il lui soit donné toute facilité pour y répondre. (On applaudit). Clauzel : Le Bon a dit qu’il n’avait fait que suivre les ordres du comité de salut public; ce comité ne peut donc pas être son juge. Je demande que ce soient les comités de sûreté générale et de législation qui soient chargés de faire le rapport concernant Le Bon. Monmayou : Je ne suis ni accusateur, ni accusé; je suis juge; mais je n’ai point entendu l’accusateur. L’accusé ne s’est pas défendu; il nie les faits; il y a quelques jours qu’un de vos membres avouait ceux qu’on articulait contre lui : vous n’avez pas ordonné son arrestation; le roi David n’a pas été arrêté. Je ne vois pas que vous deviez non plus prononcer l’arrestation de Le Bon jusqu’à ce que vous ayez entendu le rapport; ce serait préjuger en quelque sorte que de prononcer avant ce moment. Rovère : Le Bon ne peut pas siéger au milieu de nous. Du Bouchet : Tout homme est présumé innocent jusqu’à ce qu’il soit démontré qu’il est coupable. Le Bon a déclaré qu’il avait suivi les ordres du comité de salut public. Vous n’êtes donc pas convaincus qu’il soit coupable, vous ne pouvez pas le faire arrêter (1). (2) : Si les principes que deux des représentants ont avancés étaient vrais, il s’ensuivrait que jamais on ne pourrait atteindre un prévenu; d’après tous ces principes, on ne doit se saisir d’un homme que quand il est démontré qu’il est coupable; il faudrait donc attendre que le procès fût fait et parfait; car ce n’est qu’alors que la preuve complète est acquise; et ce délai ne serait-il pas funeste ? Le coupable n’en profiterait-il pas pour s’échapper ? Dès qu’un homme est prévenu d’un grand crime, l’intérêt public exige qu’on s’assure de sa personne et qu’on le mette sous la main de la loi; cela ne préjuge rien; cela n’empêche pas qu’il ne se jutifie. Je crois donc que l’assemblée doit maintenir le décret d’arrestation contre Le Bon. Charrier : Je demande à remettre la discussion sous son vrai point de vue : je ne crois pas que la motion faite de rapporter le décret d’arrestation soit appuyée; si elle l’était, je parlerais contre; mais il est un principe qu’on a avancé, et que je crois important de relever. On a dit que Le Bon prétendait n’avoir fait que (1) Moniteur (réimpr.), XXI, 376. (2) J. Paris (n° 580) cite Thirion parmi ceux qui appuient la proposition Legendre. suivre les ordres du comité de salut public; quoi ! parce que, dans ce cas, Le Bon aurait des complices, s’ensuivrait-il qu’il ne serait pas coupable ? Je demande donc que le décret soit maintenu : ce n’est pas ici un jugement, mais un moyen nécessaire pour s’assurer de la personne de Le Bon jusqu’à ce qu’un jugement soit porté sur les reproches qu’on a articulés contre lui. On a demandé ensuite si le rapport sera communiqué à Le Bon, ou non. Pour décider cette question, il ne faut que se reporter aux bases sur lesquelles ce rapport sera établi. Le Bon sera entendu, et ce sont les interrogatoires, les pièces qu’on fournira contre Le Bon, celles qu’il fournira en sa faveur, qui serviront de bases à ce rapport, et si, après l’avoir entendu, il a quelque chose à ajouter pour sa défense, on l’écoutera. Turreau : Il est étonnant que, dans le moment où le gouvernement révolutionnaire a besoin de conserver toute sa force, où nous sommes entourés des débris d’une conspiration horrible, on veuille nous faire adopter des principes contraires au gouvernement révolutionnaire. Qu’avons-nous fait ? nous avons prononcé l’arrestation de Le Bon, prévenu de divers crimes : cela ne l’empêchera pas de se justifier, s’il a des moyens de justification. Je demande le maintien du décret. Monmayou : Je retire ma motion (1). Guffroy : A l’instant où la convention nationale s’est occupée de la dénonciation portée contre Joseph Le Bon, les habitans d’Arras étoient aux portes de la Convention prêts à lui présenter une dénonciation détaillée; je demande qu’elle soit jointe aux pièces. Je ne répondrai pas à l’inculpation de Joseph Le Bon, elle est au-dessous de moi. Il sait bien qu’elle n’est pas vraie. Au reste, je n’entretiendrai plus la Convention de cette affaire. Les pièces contre Le Bon sont au comité de salut public; il sera lui-même interrogé, et, s’il oublie des faits, je saurai les lui rappeler (2). Ces différentes propositions mises aux voix, la Convention nationale rend le décret suivant : La Convention nationale rapporte son décret du 21 messidor, par lequel elle a passé à l’ordre du jour sur les inculpations faites contre Joseph Le Bon, l’un de ses membres; ordonne qu’il sera mis provisoirement en état d’arrestation; charge ses comités de sûreté générale et de législation de lui faire, dans le plus bref délai, un rapport sur les-(1) Moniteur (réimpr.), XXI, 377; Débats, n 0 681, 268-273; C. Eg., n° 714; J. Perlet, n° 679; Ann. pair., nos DLXXIX et DLXXX; Ann. R.F., n° 245; J. Lois , n° 676; Audit, nat., n° 678; C. univ., n° 945: M.U. , XLII, 250; J. Jacquin , n° 734; Rép.. n° 226; J. Sablier (du soir). n° 1 475; J. Mont., n° 95; Mess. Soir. n° 713; J.S. -Culottes. n° 534; F.S.P., n° 394. Mention in J. unie., n° 1 713. (2) Débats. n° 681, 273. Dans le Moniteur, ce texte est après le décret d’arrestation contre Le Bon et David (voir, ci-après, n° 43).