lAasemblée nationale. J ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (-27 juillet 1791. J les troupes de ligne de cet état d’abjection : vous avez corrigé cet odieux abus, mais tout le mal qu’il a causé n'est pas détruit. Des malheureuses victimes de cet infâme traitement gémissent encore loin de leur pays, devenu le séjour de la liberté. Ils désirent ardemment d’y venir jouir des bienfaits de la Dévolution ; mais injustement proscrits, ils ne peuvent rejoindre leurs foyers. Nous supplions l’Assemb'ée nationale de réparer les torts de l’ancien régime, en accordant une amnistie générale en faveur de tous les défenseurs des troupes françaises qui ont quitté leurs drapeaux avant l’époque du 14 juillet dernier. Cet acte de justice, plu' ôt que de grâce, rendra des citoyens à l’Empire, dont ils seront, par reconnaissance, les plus ardents défenseurs. » Lettre des administrateurs composant le directoire du département du Pas-de-Calais , qui annoncent que la vente des biens nationaux n’a pas été ralentie par la nouvelle du départ du roi et des événements qui l’ont suivi; qu’elle se continue même avec plus de chaleur que précédemment. L’ordre du jour est la discussion du projet de décret du comité des domaines sur l'échange de Sancerre (1). M. le Président. L’Assemblée a décrété dans la séance d’hier qu’avant d’entrer dans la discussion du projet de décret du comité relativement à l’affaire de Sancerre, elle entendrait les explications de M. d’Espagnac. (Assentiment.) M. d’Espagnac est introduit à la barre. M. le Président. Monsieur, vous avez demandé à être admis à la barre. L’Assemblée est disposée à vous entendre. Vous avez la parole. M. d’Espagnac Messieurs, dénoncé devant vous et dans l’opinion publique de la manière la plus cruelle, accusé d’être complice de la dilapidation énorme d’un domaine national, à la veilledesupporteruneréunion quine peutme con-cernersous aucun rapport, j’invoquerai le senti-mentintérieur d’uneâmesansreproche, j’invoquerai les lois constitutionnelles et, plein de confiance dans votre justice, je m’abandonnerai à la douce espérance que ma fortune et mon honneur reposent sous la sauvegarde de votre impartialité. Dans mon adresse du il mars 1791, j’ai déposé aux pieds de la nation mon contrat d’échange; je lui ai remis ma concession dans la forêt de Russy, je me suis soumis à de nouvelles évaluations pour le comté de Sancerre, j’ai offert même de prendre les biens ruraux de cette terre, sur le pied de l’évaluation de la chambre des comptes, et j’ai supplié l’Assemblée nationale de prendre en considération : 1° que je n’ai acheté le comté de Sancerre, en 1777, que dans la vue de lixer la fortune de mon beau-père en France, et de remplir la convention vis-à-vis du duc de Béthune à qui l’Etat devait 60,000 livres de revenu, pour le prix de la principauté d’Enri-chemont; 2° que j’ai prouvé, par divers actes et documents, que M. Taboureau avait donné les mains à cet arrangement, et au désir que j’avais de réunir, par voie d'échange, la forêt de Russy à ma terre de Cormeré. Cette affaire n’a manqué (1) Voy. ci-dessus, séance du 23 juillet 1791, page 551. 715 que parce que M. Necker, après avoir déclaré dans Je bon du roi, du 31 août 1777, que le comté de Sancerre valait beaucoun plus que la forêt de Russy, avait fini par me refuser le bénéfice de la soulte ou plus-value, tandis qu’il la vendait à M. de Béthune. Le roi m’avait prêté 500,000 livres pour secourir la f triune de mon beau-père qui avait rendu des services à l’Etat. Etant dans l’impossibilité de remettre, à l’échéance du 1er janvier 1784, cetle somme au Trésor public, j’offris au roi, en décembre 1783, Sancerre en payement, et Sa Majesté, par son bon du 21 mars 1784, consentit à prendre celte terre à titre d’acquisition. La pénu-riedes fmances me fit l ‘référer ! a voie de l’échange, en me conten'ant de la quitlance des 500,000 livres que je devais d’une pareille somme payable en 85, 86 et 87, ce qui n’était pas de l’argent com plant, et en recevant de plus des domaines, avec la faculté de les vendre, jusqu’à la concurrence du surplus de la valeur de Sancerre. Je n’ai vendu à M. de Galonné, de même qu’à tous mes coéchangistes, que sur le pied de l’échange. Ainsi il n’y avait dans l’échange de Sancerre, pour moi, aucune espèce d’intérêt personnel. Aussitôt que j’ai vu que le vœu public voulait que je remisse la forêt de Russy, je me suis empressé de la remettre au département du Cher, au prix del’esiimation delachambre des comptes. J’ai cru que, dans la posilion où nous étions, je devais donner le premier l’exemple de ne point consommer les acquisitions qui pouvaient paraître onéreuses à la nation. Ainsi je prouve encore, par l’offre que j’ai faite, pour recommencer les évaluations de Sancerre en présence du département du Cher, que mon but a toujours été de n’avoir, des mains delà nation, que la valeur de ma terre. Sancerre valait en 1636 environ 4 millions, et les commissaires du roi l’ont évaluée 3,692,446 livres. Mes détracteurs comparent cette valeur avec le prix primordial de la vente; ils en tirent la conséquence que cette valeur est exagérée ; ils oublient que je puis prouver qu’avec les frais de lods et vente, d’amélioration, de réunion de plusieurs domaines, cette brre m’est revenue à plus du double de son acquisition; ils oublient que la valeur de l’immeuble dépend des talents et des labeurs des possesseurs; que le ci-devant comîé de Sancerre, dans la main des anciens possesseurs, était tombé dans le dépérissement; que je l’ai, pour ainsi dire, régénéré, et iis voudraient ne me tenir aucun compte de ce qu’il y a de plus sacré dans les droits de propriété, des fruits de la combinaison des avances et de l’industrie. Je vous supplie, Messieurs, de vous rappeler que, dans le mémoire sur lequel le premier bon du roi a été donné, le ministre des finances disait au roi : « Comme Votre Majesté a fait connaître que son intention n’était pas de céder la forêt de Russy à M. d’Espagnac, il demande que, pour prix de l’acquisition, Votre Majesté lui fusse donner quittance des 500,000 livres qu’il vous doit ; qu’elle veuille bien l’autoriser à toucher l’ordonnance de 990,100 livres qu’il a entre les mains, en se chargeant par lui de tous les frais d’évaluation; et que le surplus qui sera reconnu lui être dû pour complément du comté de Sancerre, dette qui sera fixée par les évaluations de la chambre des comptes, lui sera donné tant en domaines qu’en argent, au choix de Votre Majesté. » Le roi a donc commencé par acquérir le comté 716 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [n juillet 1791.] de Sancerre, en se réservant la faculté de me donner plus de domaines que d’argent, ou plus d’argent que de domaines, c’est-à-dire d’acquérir Sancerre à titre d’échange ou de l’acquérir à titre d’achat, et toujours de le payer à son choix. Cet engagement tst-il valable? Le roi avait-il le droit d’aliéner les domaines de la couronne? Les lois le lui défendaient sans doute; mais elles ne lui défendaient pas d’acheter des terres : votre nouvelle Constitution ne le lui défend pas non plus. Les motifs qui m'ont déterminé à faire cette acquisition sont très légitimes : 1° je n’avais, comme je l’ai dit, arqui-; Sancerre que sur la foi de la promesse de M. Taboureau, alors ministre des finances, que le gouvernement acquerrait de moi cetie terre; 2° je devais 500,000 livres au gouvernement, dont il ne pouvait espérer le remboursement qu’en acquérant Sancerre ou en faisant discuter mes biens. Il était même douteux que ce moyen eût procuré au gouvernement la rentrée d”es 500,000 livres qui lui étaient dues: on sait combien une saisie réelle entraîne après elle de longueurs et de frais. Voilà les motifs qui déterminèrent le roi à faire l’acquisition de Sancerre. Je réclame donc l’exécution littérale de l’engagement contracté par le roi sous la garantie de l’honneur et de la loyauté française. 11 en est peu d’aussi sacrés que ceux qu’il a contractés avec moi. Je réclame donc pour cet engagement la garantie de l’honneur et de la loyauté française; car je n’ai acquis Sancerre que pour le donner au roi et parce que le ministre d’alors m’avait promis que le gouvernement me rendrait la valeur de cette terre, si cette terre demeurait à ma charge. Dans l’état où votre comité offre de me la faire rendre, je serai complètement ruiné. L’acquisition de cette terre est donc le seul moyen qu’a la nation de recouvrer le million que je lui dois. Pour peu que l’évaluation faite par les commissaires de la chambre des comptes paraisse exagérée, je consens à une nouvelle évaluation contradictoire entre le département du Cher et moi. Je vous le répète, Messieurs, avec la confiance que j’ai dans votre loyauté et au nom de cette auguste garantie pour tous les créanciers du gouvernement, acceptez ma renonciation à l’échange, délivrez ma fortune de cet acte oppressif, séparez-moi des opérations d’un ministre généralement décrié; enfin, consommez l’engagement du roi qui pouvait acquérir comme administrateur, du roi qui n’a consulté que sa justice. C’est sur son engagement que repose la fortune de mes créanciers et que vous pouvez prétendre à la restitution d’un million que je n’ai plus depuis plusieurs années, d’un million composé en partie de mon cautionnement pour soutenir un homme que l’Etat a ruiné, et de mes dépenses sur une terre dégradée depuis qu’il en est en possession, sur une terre dégradée par voie de fait. Je n’ai eu nul bénéfice dans ce malheureux échange. J’ai été forcé de paraître le défendre parce qu’il m’a paru loyal, parce que mes actes avec mes acquéreurs m enchaînaient. Aujourd’hui que nous devons obéir à la volonté nationale, je suis le premier à leur donner l’exemple de ma soumission et de mon respect pour le vœu public qui se manifeste pour ia cassation d< s échanges. J’ai été poursuivi par les suppôts de l’ancien régime, j’ai été victime des opinions qui ont fait régner la liberté sur les débris de l’oppression ministérielle. Je me place en ce moment dans le sanctuaire des droits de l’homme, comme dans un asile contre l’oppression des préventions et des haines particulières. Enfin, je le répète, je mets aux pieds de la nation ma fortune tout entière, et je réclame la justice que ses représentants ont juré de garder pour tous les citoyens, pour assurer les bases de la Constitution. Il y a, Messieurs, dans cette affaire quatre époques à distinguer: celle où j’ai acquis Sancerre, celle où j’ai voulu l’échanger, la troisième où j’ai voulu le rendre, enfin la dernière où l’échange a été effectué sous mon nom et cela sans aucun intérêt de ma part. Je n’ai acheté Sancerre que pour faciliter au gouvernement Jes moyens d’entrer avec M. de Béthune en payement de la principauté d’Enrichemont. M. Taboureau était alors contrôleur général; je le répète, le comité a très bien observé que je n’avais point de convention précise avec ce ministre; mais il reconnaît que l’on a traité verbalement avec ce ministre et qu’il avait donné des espérances� Il me serait facile de prouver de toutes manières que je n’étais dans cet achat que le prête-nom du gouvernement . Dans la seconde époque, il fut question de l’échange du comté de Sancerre pour la forêt de Russy. M. Necker proposa cet échange. Voici pourquoi il ne fut pas consommé. Le ministre voulait me soumettre au droit éventuel, et le roi ne devait pas y être soumis. Je trouvais cette condition trop inégale. En 1781, commence une nouvelle époque. Le gouvernement prêta 500,000 livres à mon beau-père sur mon cautionnement. Le dérangement ries affaires de ce dernier me porta à intéresser la justice et l’humanité du roi. Sa Majesté s’engagea à acquérir Sancerre, et à le payer en argent, ou en domaines que je pourrais revendre. Les tiers acquéreurs furent même indiqués. Je reçus 500,000 livres du contrat de vente ou d’échange; et c’est ici que commence la quatrième et dernière époque qui m’est totalement étrangère. Messieurs, voici, ma conclusion. Soumis aux décrets de l’Assemblée nationale, me référant à ceux qu’elle va rendre, soit qu’ils confirment ou qu’ils annulent la totalité ou partie de l’échange de Sancerre, j’espère avec la noble confiance que l’Assemblée m’inspire, que le traité de vente fait entre Sa Majesté et moi, contracté par l’édit du 21 mars 1784, ratifié formellement tant par le payement du bon donné par le roi que pur la tradition effective du comté de Sancerre, sera exécuté selon la forme et la teneur, etc., soit d’après l’estimation faite par la chambre des comptes, soit d’après celle qui sera faite au département du Cher par gens à ce connaissant, et qui seront nommés respectivement par la nation et moi, et départagés, si besoin est, par des tiers arbitres nommés par ceux partagés. J’espère que cette estimation sera faite d’après la généralité des droits utiles et honorifiques que j’avais sur le comté de Sancerre, tels qu’ils existaient à l’époque de la tradition que j’en ai faite au roi. J’espère que si l’on m’oblige de compter des capitaux que j’ai reçus de mes coéchangistes, de la jouissance des domaines qu’on m’a fait prendre, en payement du comté de Sancerre, des sommes que je n’ai reçues que pour frais d’évaluation, le tout sera d’abord compensé comme rie droit avec les frais d’échange, d’évaluation, et autres jugés légiti- [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 717 memeat faits, et le reste imputé par acomptes sur le prix du comté de Sancerre. M. le Président {s' adressant à M. d’ Espagnac) . Monsieur, l’Assemblée nationale désire n’avoir à exercer que des actes de bienfaisance; et si la justice lui prescrit quelquefois des actes de sévérité, elle ne s’y détermine que sur les plus puissants motifs. Elle a entendu les moyens que vous lui avez développés; elle les prendra eu considération, et n’oubliera point que la propriété privée, lorsqu’elle est incontestable, n’est pas moins sacrée que les propriétés publiques dont la conservation lui est confiée. (M. d’Espagnac se retire.) M. Baasoche. Votre comité des domaines vient enfin de vous rendre compte de l’échange de Sancerre. Son examen dût vous offrir en même temps le spectacle d’un grand abus de confiance et de la plus criminelle prévarication. C’est sous ce dernier rapport qu’il est principalement nécessaire de l’envisager. Le comité des domaines vous a présenté, Messieurs, le résultat des pièces qui constatent l’évidence de la lésion que l’Etat devait recevoir de l’échange de Sancerre. Nous nous bornerons en conséquence à en rappeler les seuls faits qui peuvent attester l’intérêt personnel que M. de Calonne avait dans le contrat, et les moyens frauduleux qu’il a employés pour s’en approprier le principal bénéfice. M. de Calonne possédait en Lorraine la seigneurie d’Hanonville à laquelle il attachait un grand prix. Sou ambition était d’en faire une terre considérable, et dans tous les bmps il avait montré des vues sur le marquisat d’Hattonchâtel qui lui offrait la convenance la plus évidente. Les premières tentatives avaient été infructueuses; mais son avènement au ministère ranima toutes ses espérances. Le hasard ne tarda pas à lui fournir une occasion qu’il désirait depuis longtemps. M. d’Espagnac sollicitait alors le roi d’acquérir son comté de Sancerre, qu’il prétendait avoir acquis 7 ans auparavant pour servir le gouvernement. Le nouveau ministre saisit tous les avantages que cette affaire pouvait avoir pour lui-mème. Il s’en rend le protecteur et détermine le roi à consommer l’échange du comté de Sancerre. Pour arriver à son but, il ne lui restait plus qu’un pas à faire ; il fut longtemps à achever son ouvrage, comme s’il eût été effrayé de le franchir. Il proposa un premier lot d’échanges qui ne comprenait pas encore le marquisat d’Hattonchâtel. Il flotta ainsi pendant 6 mois entre la crainte de compromettre son crédit et le désir d’exécuter un projet chéri. Enfin ce dernier sentiment l’emporta ; l’échange s’arrête définitivement. Le marquisat d’Hattonchâtel est compris dans le contrat du 16 mars 1785. Heureux possesseur d’un magnifique domaine qu’il convoitait depuis 15 ans entiers, son âme s’ouvre bientôt à de plus vastes projets. L’agrandissement du marquisat d’Hattonchâtel devient l’objet de ses désirs. 11 brûle d’y réunir la forêt de Somme-Dieu qui contient à peu près 3,500 arpents; mais pour opérer cette réunion, il lui fallait des prétextes. Il fait présenter, sous le nom de l’échangiste, une requête portant que quelques-unes des parties comprises dans le contrat d’échange, pouvaient donner ouverture à des difficultés. Il propose la rétrocession avec remplacement la forêt de Somme-Dieu, avec un droit de tiers deniers sur la forêt de Chemilly, forêt qui n’existait nulle part sous cette dénomination particule juillet 1791. J lière, et qu’on n’avait désignée ainsi que pour la multiplier et l’étendre à cette chaîne immense de bois qui s’étend depuis la montagne d’Hattonchâtel jusqu’aux portes de la ville de Verdun. L’avidité du ministre croissait avec la facilité de la satisfaire, et l’échange en ses mains semblait s’être transformé en une mine riche et féconde où il pouvait puiser au delà de ses désirs. Enfin ce qui paraîtrait incroyable, si la preuve n’en était acquise, c’est lui qui, au nom du roi, stipule pour lui-même et dans son propre intérêt. Observez, Messieurs, que tous ces oojets ont été sciemment aliénés et dénaturés, que ces rétrocessions ont été remplacées par d’autres domaines qui ne peuvent être évalués au-dessous d’un capital de 2 millions et peut-être n’aurez-vous encore qu’une faible esquisse de ces actes scandaleux dont chaque règne porte l’empreinte. Selon M. de Calonne. il n’a pris part à l’échange de Sancerre qu’avec l'agrément du roi, et cette autorisation doit suffire pour le mettre à l’abri de tous les reproches. Vainement M. de Galonné chercherait-il à se couvrir de cette autorisation du roi comme du législateur. Les réclamations qu’il répète ne servent qu’à donner un nouveau degré de force aux humiliants soupçons qui le pressent et l’environnent de toutes parts. Associé aux nombreux ennemis que vous a suscités la courageuse réforme de tant d’abus également funestes à la prospérité nationale, il est devenu l’écho de leurs absurdes calomnies. Chevalier errant d’un parti méprisé, il promène dans l’Europe entière sa haine impuissante, ses ridicules projets, et dans son délire, peut-être, il nourrit encore la coupable espérance de soulever tous les fauteurs du pouvoir arbitraire contre une Constitution qui fait son tourment, parce qu’elle a renversé sans retour le despotisme, l’idole de toute sa vie, et dont il fut toujours fun des plus vils instruments. Je termine, Messieurs. Quel était le but de tant de manœuvres odieuses, de tant de machinations criminelles? Vous le savez : l’intention de M. de Calonne et le but auquel il est parvenu par l’échange de Sancerre était de s’approprier le marquisat d’Hattonchâtel et la forêt de Somme-Dieu, d’enrichir quelques amis aux dépens du patri moine national, d’enlever à l’Etat épuisé la valeur de plusieurs millions. Il n’y eut donc jamais de prévarication plus caractérisée, ni de délit plus punissable. Dira-t-on que la loi de la responsabilité ministérielle ne peut pas s’appliquer à un délit antérieur à son établissement? Mais cette loi salutaire des Empires, à laquelle vous n’avez fait que donner une extension nouvelle, existait avant vous. Elle a toujours subsisté contre les ministres qui pouvaient commettre des concussions personnelles ou favoriser, par de frauduleuses collusions, la dilapidation de la fortune publique, et d’après ce principe que vous avez consacré M. de Calonne a répondu personnellement d’une somme de 800,000 livres, dans l’affaire de Fénestrange. Voudriez-vous être plus indulgents aujourd’hui parce qu’il serait plus coupable ? Non, sans doute. Vous saurez appliquer la loi de la responsabilité avec la même sagesse, avec la même inflexibilité. Vous devez à la nation indignée un exemple mémorable de justice. La France entière l’attend de vous, et la ville de Saint-Mihiel le sollicite comme la récompense la plus précieuse de son zèle et de son dévouement à la chose publique. En conséquence, je demande que, conformé- 718 [Assemblée nationale.) ment au vœu exprimé par la ville deSaint-Mi-hiel, le projet de décret proposé par le comité des domaines soit amendé de telle manière qu’il soit déclaré qu’il y a lieu à accusation contre le sieur de Galonné, ex-ministre des finances, et qu’il sera dénoncé à la haute cour nationale comme coupable de prévarication et de manœuvres frauduleuses dans l’échange de San-cerre. ( Applaudissements .) Un membre : Je demanderai à M. le rapporteur s’il est vrai qu’il existe un autre projet de décret préparé par le comité des domaines et ayant pour hase le maintien de l’échange de Sancerre. M. Pison du Galand, membre du comité des domaines. Le comité des domaines a examiné si l’échange du cointé de Sancerre pouvait être entretenu. Plusieurs moyens insurmontables ont paru le déterminer à vous proposer de l’annuler: 1° il lui a paru démontré que le consentement du roi à cet échange avait été obtenu ou surpris par un faux exposé. En effet, M. d’Espagnac n’a jamais été autorisé à acquérir le comté de Sancerre pour le céder au gouvernement, et M. de Calonne l’a insinué au roi; 2° il a paru évident au comité que, par des exposés successifs et insidieux, on a fait donner au roi, dans cet échange, ce qu’il avait déclaré très formellement ne vouloirpas donner, c’est-à-dire 9,000 arpents de forêts, en les lui représentant comme de petites parties détachées, tandis qu’il n’en a retrouvé réellement que 3,000 dans le comté de Sancerre; 3° enfin, le troisième motif du comité est la variation et l’examen des revenus de Sancerre. Dans le premier mémoire présenté au roi, lors de la prise de l’échange en 1784, le revenu de cette terre est porté à 80,000 livres de rente, et dans les négociations qui avaient eu lieu en 1777 et dans Jes mémoires qui furent présentés au roi à cette époque, on ne portait son revenu qu’à 45,000 livres de rente. Le roi, qui se rappela cette différence, demanda à M. de Galonné comment il se pouvait que la terre qui avait valu 45,000 livres de rente en 1777, lui fut présentée pour 80,000 en 1784. M. de Galonné lui répondit que c’était par les acquisitions intermédiaires que M. d’Espagnac avait faites dans l’intervalle de 1777 à 1784. Néanmoins, dans la conclusion du mémoire de M. de Galonné, il proposait au roi de laisser à M. d'Espagnac les objets qui augmenteraient la valeur de Sancerre. (Rires.) D’après cela, l’Assemblée est en état de juger si le comité des domaines pouvait proposer l’entretien de cet échange. Il vous propose, au contraire, de révoquer et de résilier le contrat. Vous en avez la faculté, puisque l’échange n'est pas encore consommé en entier. Je demande que l’avis de votre comité soit mis aux voix. M. Rewbell. On crie au voleur, on dit que M. de Galonné est le voleur, et le résultat du décret est de récompenser le voleur. En effet, Je comité ne disconviendra pas que le résultat du décret sera que M. de Galonné sera débarrassé du marquisat d’Hattonchâtel, qui est actuellement entre ses mains, et qui ne vaut certainement pas la somme qu’il a payée; et il aura droit de répéter son prix principal de 1,300,000 livres, ce qui lui procurera une indemnité de 6 à 700,000 livres qu’il n’aurait pas sans cela. M. Bouchottc. Sans doute, il faut annuler un [27 juillet 1791.1 échange entièrement mensonger, dans lequel on voit aisément que M. de Galonné faisait servir de prête-nom l’échangiste nominal, parce que, ayant été victime des deux ministres précédents, l’échangiste avait le couteau sous la gorge, mais son premier point a été de vendre. Gomment devait être exécutée la vente? Elle devait l’être par une évaluation juste. Or, que vous a dit M. d’Espagnac? Il vous a dit : si vous ne voulez pas vous en rapporter aux évaluations qui ont été faites, ehbhm, faites une nouvelle évaluation contradictoirement avec moi, propriétaire, contradictoirement avec des experts choisis soit par le département, soit par la nation. Je demande qu’en adoptant une portion de ce qui a été proposé par le comité, et en même temps une partie des propositions de M. d’Espagnac, on déclare l’échange nul, et la vente bonne pour le comté de Sancerre. M. le Président. Messieurs, je dois prévenir l’Assemblée que M. d’Espagnac m’a fait dire à plusieurs reprises qu’il avait des pièces essentielles ..... (Murmures.) M. Thévenot de llaroisc. Malgré la défaveur avec laquelle l’Assemblée reçoit la proposition faite par M. d’Espagnac, je crois qu’on ne peut pas lui refuser la justice d’être entendu. Plusieurs membres : Il l’a été. (L’Assemblée ferme la discussion.) M. le Président. La proposition a été faite de déclarer qu’il y a lieu à accusation contre M. de Galonné et de le traduire devant le tribunal d’Orléans. M. Pison du Galand. Personne de vous n’ignore que, soit relativement à cet échange, soit relativement à plusieurs autres opérations du ministère de M. de Galonné, il avait été porté plainte contre lui au parlement de Paris par M. le procureur général, et que cette affaire fut évoquée par un arrêt du conseil. Dans cette position, je crois, Messieurs, qu’il serait de notre sagesse de révoquer l’arrêt du conseil, et de renvoyer la plainte à un des tribunaux de Paris. M. Delavignc. Le Corps législatif a lui-même tracé la marche qu’il doit suivre, lorsqu’il s’agit de rendre quelqu’un responsable de sa conduite devant la haute cournationa le. Je demande l’ajournement de la dernière proposition de M. Pison, et que votre comité soit chargé de vous rendre un compte détaillé de toute cette plainte, afin qu’en la connaissant, vous jugiez s’il y a lieu à accusation. M. Fricot, rapporteur. Je demande que les plaintes en malversation contre M. de Galonné soient rapportées au comité. Il les examinera, et l’Assemblée prononcera ensuite. (L’Assemblée consultée décrète que son comité des domaines lui fera incessamment le rapportée la plainte qui aété rendue par le procureur général du roi au ci-devant parlement de Paris contre les malversations commises par le sieur de Calonne pendant le cours de sou ministère, et des arrêts du conseil qui ont assuré ou assureront l’effet desdites plaintes.) M. Fricot, rapporteur. Voici notre projet de décret : < L’Assemblée nationale, considérant que rien ARCHIVES PARLEMENTAIRES.