[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [22 décembre 1789.] 719 qui se multiplient chaque jour, il en est un que la calomnie mefaisait sourdement la grâcede m’attribuer. 11 ne portait pas alors de nom d’auteur; il vient d’être réimprimé avec cette légère addition, par M. l'abbé de Montesquiou, agent général du clergé, j’ai toujours su dire tout haut mon opinion avec moins de fiel, et l’on m’a souvent vu m’exprimer avec autant de réserve que de franchise... Je supplie tous les comités de police et de recherches présents c-t à venir de s’occuper à découvrir les auteurs de ce délit, non pour moi, mais pour l’Assemblée, à laquelle il importe que ses membres ne soient pas ainsi couverts d’infamie. M. le marquis «le Foueanlt-Lardinalic. Ce que vient de dire M. de Montesquiou démontre assez la nécessité de statuer promptement sur la licence de la presse. On a envoyé, sous le sceau de l’Assemblée, à toutes les villes, à tous les villages et hameaux un ouvrage intitulé le Tocsin , et portant le nom de l’auteur. Beaucoup de communautés ont écrit au comité des recherches, pour savoir si ce pamphlet est un décret de l’Assemblée. M. le comte Charles «le Lnmelh. Je m’étonne qu’on croie devoir occuper l’Assemblée d’un libelle. C’est faire un libelle contre quelqu’un que de mettre le nom de cette personne à un libelle qu’elle n’a pas fait ; or, si tous ceux d’entre nous contre lesquels on a publié des libelles voulaient se plaindre, nous consumerions pour nos affaires personnelles un temps que nous devons aux affaires générales. Pour moi, j’aurais eu souvent à vous demander la parole. Je supplie l’Assemblée de se borner à plaindre les honnêtes gens qu’on déchire par des libelles; et sans doute on ne dira pas que je suis intéressé à défendre la licence de la presse ; mais le public est un juge incorruptible, et ce sera toujours, en dépit des libelles, le plus honnête citoyen qui, à la fin de la session, emportera la meilleure réputation. M. Target. Il y a au comité de constitution beaucoup de projets relatifs à la liberté de la presse. Le comité, occupé sans relâche de travaux instants, n’a pu les examiner encore... La loi qu’on demande est tellement importante, qu’elle ne peut pas être rédigée dans un moment où désintérêts particuliers pourraient influer sur un régime qui doit être établi pour les siècles. On lève la séance à trois heures. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. DÉMEUNIER, Séance du mardi 22 décembre 1789, au soir (1). La séance commence parla lecture d’une lettre de M. le marquis de Bouillé, datée de Metz, le 16 de ce mois, par laquelle il annonce que les ordres qu’il a donnés sont si positifs qu’il est impossible que l’exportation des blés ait lieu. Les pièces justificatives qu’il envoie sont les attestations de toutes les municipalités circonvoisines, des publications et des placards portant les ordres les plus précis au cordon de troupes de saisir toutes les denrées qu’on voudrait exporter. L’Assemblée décide le renvoi de toutes ces pièces au comité des rapports. M. le marquis «l’Estourniel propose la lecture de différentes lettres et pièces venues des frontières de Champagne, Flandre, Hainault, Trois-Evêchés, qui toutes tendent à prouver l’exactitude de M. le comte d’Esterhazy pour empêcher l’exportation des blés. L’Assemblée, après avoir entendu la lecture des deux premières lettres, décide que le tout sera renvoyé au comité des rapports. On donne lecture d’une lettre de M. Talon, lieutenant civil au Châtelet, concernant une effraction commise au greffe de ce tribunal. Elle est ainsi conçue : « Monsieur le président, l’Assemblée nationale a pu concevoir quelque inquiétude sur ce qui s’est passé au greffe criminel du Châtelet, la nuit de dimanche dernier et je ne puis trop m’empresser de la rassurer sur les suites de cet événement. t Le premier soin de M. le lieutenant criminel, de M. le procureur du Roi et le mien a été de nous transporter sur-le-champ au Châtelet, d’y vérifier les pièces des procès qui peuvent intéresser la liberté nationale, et dont la connaissance nous a ôté attribuée par les décrets de l’Assemblée. Nous avons eu la satisfaction de reconnaître qu’aucune de ces pièces n’avait été enlevée. Quelques-uns des coupables ayant été arrêtés, on doit espérer de connaître dans peu, si l’espoir de voler quelques effets précieux a été le seul motif de cet attentat. « J’ose supplier Monsieur le président d’en informer l’Assemblée et de lui renouveler l’hommage respectueux d’une compagnie entièrement dévouée au service de la loi. «Je suis avec respect, etc. « Signé : Talon. « Paris, le 22 décembre 1789. » M. le Présiderai. Une députation de la commune de Paris devait être reçue ce matin à la barre, mais la séance ayant é té levée sans qu’elle pût être admise, Jes membres de cette députation ont prié un député de rendre compte de leur mission. L’Assemblée décide que ce député sera entendu. M. Gruilloiin fait lecture d’un arrêté des représentants de la commune de Paris, qui soumet à la sagesse de l’Assemblée des plans rédigés par MM. Boncerf et Lambert, sur les ateliers de charité et la subsistance des pauvres. La commune demande que cet objet important soit renvoyé à un comité spécial. Ün membre observe que cette affaire intéressant également les provinces, il est plus à propos de la renvoyer au comité d’agriculture, où il se trouve un membre de chaque généralité. M. de Virîeu opine pour la création d’un comité de sept membres, qui examineront ces mémoires et en rendront compte à l’Assemblée. M. Péllon «le ’Wiileneuve observe que la formation de ce comité serait dangereuse ; que déjà l’Assemblée a elle-même détruit, dans sa sagesse, et par des considérations importantes, son comité des subsistances ; qu’étaDt dépourvue (Il Cette séance est fort incomplète au Moniteur. 720 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [22 décembre 1789.] de moyens actifs pour secourir utilement les pauvres, elle ne doit pas se mêler de projets étrangers à son pouvoir, et qui pourraient altérer la juste confiance des préceptes qu’elle doit ménager avec la plus grande circonspection. M. Gillet de la Jacquemlnière ouvre l’avis de décréter qu’en attendant que l’Assemblée ait pris des mesures pour extirper la mendicité, elle laissera à chacune des municipalités le soin de pourvoir à la subsistance des pauvres. L’Assemblée renvoie le mémoire de la commune au comité d’agriculture. Les députés de Saint-Domingue demandent qu’on passe à la discussion de la subsistance de cette colonie. La priorité est accordé au comité des rapports sur la subsistance du royaume. M. Héhrard, au nom du comité des rapports, propose un décret en cinq articles dans lesquels la peine de mort est prononcée contre tous ceux qui seront convaincus d’avoir exporté des grains. — Un article prononce la suppression des droits de minage, hallage, péage et autres. Plusieurs membres déclarent que ce projet de décret est ignoré du comité des rapports/ M. Hébrard répond qu’il a été autorisé par le comité, qui a beaucoup de peine à se réunir au complet, à rédiger ce décret de concert avec MM. Emmery et Salomon qui avaient déjà un travail prêt sur cette matière. M. le vicomte de Mirabeau. Les comités nous apportent des projets de décrets qui sont l’œuvre d’un petit nombre de membres; cela vient de ce que les mêmes personnes font à la fois partie de cinq ou six comités différents; je demande qu’à l’avenir les députés ne puissent être appelés qu’à un seul comité, afin qu’ils puissent s’occuper des affaires avec plus d’exactitude. Cette motion incidente n’a pas de suite. La discussion du projet de décret est reprise. M. I�e Pelletier de Saint-Fargeau. Des lois trop sévères, bien loin de produire l’abondance, ramèneront la disette. Quant à la peine de mort, c’est une grande question de savoir si le droit de la prononcer appartient au législateur; mais en supposant qu’il rat nécessaire et utile de la prononcer, ce ne pourrait être que pour les délits les plus graves. Ce n’est pas dans le dix-huitième siècle qu’on doit consacrer une erreur des siècles précédents. Quant aux droits de minage et autres, les uns appartiennent à la nation, et l’Assemblée pourra en disposer ; mais d’autres appartiennent à des particuliers et on ne peut les en priver sans une juste indemnité. M. Haiti cl in, député de Morlaix (1). Messieurs, lors de votre arrêté du 29 août dernier, vous vous êtes occupés des moyens de faire succéder l’abondance à la disette. Vous avez ordonné la libre circulation des grains dans l’intérieur du royaume, et vous avez défendu l’exportation de l’étranger. Je désirais alors vous dénoncer une entrave à cette circulation, un reste de la barbarie féodale, qui consiste à faire payer aux citoyens, même les plus malheureux, le droit d’acheter leurs subsistances, et aux laboureurs le droit de livrer les grains qu’ils ont vendus; je voulais vous dénoncer le droit de mesurer les grains, espèce de tyrannie qui empêche continuellement la libre circulation que vous avez envie d’établir; il est connu sous différentes dénominations, et appelé tantôt leyde stellage, tantôt coupelle, écuelie, minage, etc., etc. Mais en ce qui concerne la subsistance, je ne pus obtenir la parole au moment de votre délibération sur la liberté du commerce des grains. Aujourd’hui, que vous voulez bien m’entendre, je prends la liberté d’observer, Messieurs, qu’il ne suffit pas de permettre la libre circulation des grains ; qu’il faut encore empêcher, détruire tout ce qui peut s’opposer à cette liberté, source de l’abondance. « Le commerce des grains, affranchi de toute gêne et de toute crainte, peut seul suffire à tous les besoins, prévenir les inégalités de prix, les varations subites et effrayantes, qu’on a vu trop souvent arriver sans causes réelles. » Ces principes, établis par Sa Majesté dans une déclaration qu’en 1776 elle a promulguée pour le bien de ses peuples, ont porté le Roi à délivrer le commerce des fonctions incommodes de quelques offices créés pour son inspection. Il a supprimé, dans tous ses domaines, les droits de mesurage sur les grains. Non content de ce sacrifice, il a encore libéré ses peuples d'un droit de havage, qui se percevait dans les marchés au profil; des exécuteurs des sentences criminelles, et s’est chargé d’indemniser, à ses propres frais, les officiers qu’il privait de cette rétribution. G’est ainsi que le Roi a fait tout ce qui dépendait de lui pour affranchir le commerce des grains de toute espèce d’impôt. Si les grains sont encore assujettis à quelques droits, c’est en faveur, c’est au profit seulement des seigneurs laïques ou ecclésiastiques. Pour établir combien les fonctions de mesureurs sont nuisibles au commerce et à la libre circulation des grains, j’employerai les propres expressions de Sa Majesté. « Le prix (1) auquel les blés seront élevés, a déterminé Sa Majesté à s’occuper de plus en plus de lever tous les obstacles qui peuvent ralentir la libre circulation des grains, en gêner le commerce, et rendre plus difficile la subsistance de ceux de ses sujets qui souffrent de la rareté et du haut prix des denrées. Elle a reconnu que parmi ces oblades, un de ceux qu’il est le plus pressant d’écarter, est la multitude de droits de différentes espèces auxquels les grains sont encore assujettis dans les balles et marchés. En effet, ces droits ont non-seulement l’inconvénient de surcharger la denrée la plus nécessaire à la vie, d’un impôt qui en augmente le prix au préjudice des consommateurs, dans le temps de cherté, et des laboureurs, dans le temps d’abondance ; ils contribuent encore à exciter l’inquiétude des peuples, en écartant des marchés les vendeurs, qu’un commun intérêt y rassemblerait avec les acheteurs. Sa Majesté a cru, en conséquence, que la suppression de ces droits, est un des plus grands biens qu’elle pourrait procurer à ses peuples. * Si la suppression des droits sur les grains est un des plus grands biens que le Roi ait pu faire (1) Celle motion n’a pas été inséré au Moniteur. (1) Arrêté du conseil, du 13 août 1775.