[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [25 janvier 1790.] « Que la première assemblée des électeurs, pour nommer les députés tant à l’Assemblée nationale que pour les membres du département, se tiendra dans la ville d’ Aires, et qu’elle y déterminera définitivement le lieu des assemblées subséquentes des électeurs. » M. Gossin dit qu’une difficulté s’était élevée entre le Yivarais et le Forez : elle avait pour objet la ville de Bourg-Argental et les paroisses ci-devant dépendantes du Forez, séparées du canton de Saint-Etienne par le mont Pilât ; le Vivarais demandait ce canton au Forez; le comité avait cru d’abord qu’il convenait de l’accorder; mais des députés, au nombre desquels était M. Richard, citoyen de Bourg-Argentai, avaient fait adopter, par ce comité, l’avis de comprendre provisoirement la ville de Bourg-Argental et ses dépendances dans le département du Forez. M. de Saint-Martin, l’un des députés du Vivarais, soutient la prétention de son département, par la considération, l° que l’étendue du département du Vivarais n’excède pas deux cent quatre-vingts lieues, tandis que celui du Lyonnais, dont le Forez fait partie, s’étend sur près de quatre cents lieues ; 2° que la nature indique la nécessité de comprendre le canton de Bourg-Argental dans le département du Vivarais, la Charpente-du-Monde séparant le canton de Bourg-Argental du pays du Forez par une montagne inaccessible ; 3° que les relations de commerce et le voeu général des habitants de Bourg-Argental et de ses environs, à l’exception des gens d’affaires, lient le canton de Bourg-Argental au Vivarais. MM. de üosfastîg, 19 «dandine et Richard montent successivement à la tribune pour soutenir que les convenances générales et le vœu des administrés concouraient pour retenir la ville de Bourg-Argental et ses environs dans le département du Lyonnais; ils font valoir toutes les considérations de fait qui peuvent venir à l’appui de cette assertion, et ils concluent à fortiori pour que la provision soit accordée à la possession, ce qui est adopté par le décret qui suit : « L’Assemblée nationale décrète, d’après l’avis du comité de constitution, que le Bourg-Argental, toutes les paroisses et tous les lieux en dépendant, faisant partie du Forez, demeureront provisoirement au département du Lyonnais, Forez etBeau-jolais, sauf la liberté, pour les habitants de ce canton, de se réunir au Vivarais lorsqu’ils le jugeront à propos. » M. de Toulongeon propose de décréter que l’Assemblée s’occupera, sans discontinuer, matin et soir, de la décision des difficultés sur la division du royaume. Un membre demande d’excepter l’affaire de Marseille quia été ajournée à la séance de demain soir. La motion de M. deToulongeon, ainsi modifiée, est mise aux voix et adoptée. M. le Président annonce que M. le garde des Sceaux vient de lui envoyer les expéditions en parchemin, pour être déposées dans les archives de l'Assemblée nationale: 1° Des lettres-patentes sur le décret portant que l’île de Corse fait partie de l’empire français ; 2° Des lettres-patentes sur deux autres décrets qui affranchissent de la formalité du contrôle et 317 des droits du timbre, tous les actes relatifs à la constitution des municipalités et autres corps administratifs, et qui déterminent l’état des villes et communautés mi-partie entre différentes provinces. M. le Président annonce un rapport du comité' des finances sur les droits d’octrois ou aides relatifs à Valenciennes. M. Gennetet, curé d’Etrigny , au nom du comité des finances. Des quatre objets de réclamation des ville de Douai et de Valenciennes, il en est trois dont le comité n’a pas cru devoir s’occuper quant à présent; l’une est du ressort du pouvoir exécutif; les autres sont de nature à être traitées dans les assemblées de département. Quant au quatrième objet, il a paru mériter l'attention du comité. Ces villes jouissent de certains droits d’octrois sur les entrées des consommations ; quelques privilégiés s’en prétendent exempts, sous prétexte que le décret du 4 août n’a aboli les privilèges pécuniaires personnels ou réels qu’en matière de subsides, mais qu’il n’y est pas fait mention des exemptions d’octrois qui ne sont pas de la nature des subsides, mais de simples concessions particulières faites à quelques villes. Les officiers de Douai réclament que cette distinction abusive soit abolie comme elle l’a été par le décret rendu pour la Bretagne. La ville de Valenciennes se plaint aussi de ce que plusieurs ci-devant privilégiés se maintiennent dans les prétendus droits d’exemptions; qu’ils ont refusé de se soumettre aux visites domiciliaires, sous prétexte que, par l’article 8 du décret du 23 septembre, ces visites étaient proscrites pour les gabelles. Le comité des finances a pensé que toute espèce de privilège étant abolie, ainsi que toute inquisition domiciliaire, les dispositions du décret rendu pour la Bretagne devaient être générales pour tout le royaume. Le rapporteur termine par un projet de décret portant que tous les octrois établis dans les villes du royaume seront perçus comme par le passé, jusqu’à ce qu’il en ait été autrement statué, mais sans aucun privilège, exemption ou distinction de personnes; ne seront faites néanmoins aucunes recherches dans les maisons des ci-devant privilégiés, pour raison du passé. Quant aux autres réclamations de la ville de Douai, l’Assemblée en renvoie l’examen à la première assemblée de son département. M. Prieur. Je propose pour amendement que tous les droits de gros, aides, octrois et autres droits de cette nature soient payés sans distinction dans toute l’étendue du royaume. M. Merlin. Je demande que la motion soit étendue aux octrois des pays d’Etats, villes et communautés d’habitants, en ordonnant néanmoins que les cantines militaires subsisteront provisoirement dans les endroits où il y en a d’établies. M. Perdry. Je demande qu’en supprimant les visites domiciliaires on assujettisse aux déclarations les ci-devant privilégiés. Un membre. Je fais la motion que les sommes, provenant des octrois qui seront payées par les ci-devant privilégiés, soient versées dans les mains des receveurs des municipalités, et que les 318 [Assemblée nationale,] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [2o janvier 1790.] fermiers de ces droits tiennent un registre des perceptions, qu’ils seront tenus d’exhiber aux officiers municipaux, à leur réquisition. M. Dubois de Crancé. Je propose que ce décret soit rendu sans préjudice des capitulations faites avec les Suisses. M. le Président met aux voix ce dernier amendement, qui est adopté. L’Assemblée décide, sur la demande de M. Po-pulus, que le décret sera applicable à tout le royaume. Les autres amendements sont adoptés, excepté celui qui concerne les visites domiciliaires et les déclarations, dans lesquelles l’Assemblée déclare qu’il n’y a pas lieu à délibérer. M. Legrand. Quant aux cantines militaires, je propose la question préalable, parce que cet usage en faveur des militaires ne peut pas être l’objet d’un décret. M. le vicomte de Moaillcs. Vous voulez augmenter la solde lies troupes, mais vous diminuez lajouis-sance et la paye du soldat; si vous innovez sur les usages des troupes en activité de service dans les garnisons, quartiers ou voyages, il faut ajouter simplement au décret, sans rien innover, quant à présent, aux usages concernant les garnisons françaises et étrangères. Un membre. Je demande qu’on ajoute le mot hôpitaux. (Adopté.) M. du Châtelet. Je propose qu’on substitue au mot cantine celui de consommation. Cet amendement est adopté. Le décret est adopté en ces termes : « L’Assemblée nationale, instruite que, dans plusieurs villes du royaume où se perçoivent certains droits d’octrois aux entrées sur les objets de consommation, plusieurs ci-devant privilégiés se sont maintenus dans l’exception de ces droits; que les intentions de l’Assemblée, dans les précédents décrets des 4 et 11 août, en anéantissant à jamais tous privilèges pécuniaires, personnels ou réels, n’ont pas été de restreindre cette abolition aux matières de subsides seulement, mais à toute perception quelconque, sans exception ni distinction; et voulant rendre communes pour tout le royaume les dispositions de l’article 5 du décret qu’elle a rendu le 16 septembre dernier pour la Bretagne en particulier; « L’Assemblée nationale a décrété et décrète : « Que tous les octrois, droits d’aides, de gros, et autres de cette nature, sous quelque dénomination qu’ils soient connus dans les villes et autres lieux du royaume où iis sont établis, continueront d’être perçus comme par le passé, jusqu’à ce qu’il ait été statué autrement, mais sans aucun privilège, exemption, ni distinction quelconque, n’entendant rien innover, quant à présent, aux usages concernant les consommations des troupes françaises et étrangères, ainsi que des hôpitaux. « Les sommes qui proviendront du paiement des octrois, qui sera fait tant par les ci-devant privilégiés que par tous autres contribuables, seront versées dans les mains des receveurs des municipalités. « Les fermiers desdits droits tiendront un registre des perceptions, et seront tenus d’en exhiber le registre aux officiers municipaux, sur leur simple réquisition.» M. de Robespierre monte à la tribune pour faire une motion sur l'exercice des droits de citoyen actif [ 1). Nous venons soumettre à votre délibération un objet infiniment intéressant pour plusieurs provinces du royaume... Il tient à la liberté générale... Il est d’une telle nature que vous nous accuseriez d’une malversation odieuse si nous ne soutenions pas avec force la cause qui nous est en ce moment confiée. Parmi les décrets qui fixent la quotité d’impositions nécessaires pour exercer les droits de citoyen actif, et pour être électeur et éligiide, il en est qui ont donné lieu à une demande d’explication. Des contributions directes, personnelles et réelles sont établies dans une grande partie du royaume. Dans l’Artois et dans les provinces qui l’avoisinent, on paie peu de contributions directes ; la corvée n’y existe pas; la taille et la capitation y sont converiies en impositions indirectes. II en est de même des contributions supportées par les propriétaires de fonds; les centièmes établis depuis deux siècles étaient bien loin de produire une imposition proportionnée à la valeur des fonds: ils ont été abolis par les soins des Etats d’Artois Ainsi cette province ne contiendrait qu’un très petit nombre de citoyens actifs ; ainsi une partie considérable des habitants de la France seraient frappés de l’exhérédatioD politique... Si vous considérez maintenant que presque la totalité du territoire des provinces belgiques est possédée par des ecclésiastiques, par des nobles et par quelques bourgeois aisés; que dans une communauté de mille âmes, il y a à peine quatre citoyens actifs... (M. de Montlosier interrompt et demande la preuve de ces assertions.) M. de Robespierre. J’ai l’honneur d’observer que la cause que je défends touche de si près aux intérêts du peuple que j’ai droit à toute votre attention. Dans l’état actuel, l’égalité politique est détruite... Prononcez sur cette importante réclamation. Nous la soumettons à votre justice, à la raison qui vous a dicté la déclaration des droits de l’homme. Jetez vos yeux sur cette classe intéressante qu’on désigne avec mépris par le nom sacré du peuple... Voulez-vous qu’un citoyen soit parmi nous un être rare, par cela seul que les propriétés appartiennent à des moines, à des bénéficiers, et que les contributions directes ne sont pas en usage dans nos provinces ? Voulez-vous que nous portions à ceux qui nous ont confié leurs droits des droits moindres que ceux dont ils jouissaient? Que répondre, quand ils nous diront : vous parlez de liberté et de constitution, il n’en existe plus pour nous : la liberté consiste, dites-vous, dans la volonté générale, et notre voix ne sera pas comptée dans le recensement général des voix de la nation. La liberté consiste dans la nomination libre des magistrats auxquels on doit obéir, et nous ne choisirons plus nos magistrats. Autrefois nous les nommions, nous pouvions parvenir aux fonctions publiques; nous ne le pourrons plus tant que les anciennes contributions subsisteront... Dans la France esclave nous étions distingués par quelque reste de liberté; dans la (1) Nous reproduisons ici la version du Moniteur. On trouvera annexée à la séance de ce jour, la version imprimée par les soins du Club des Cordeliers.