[Assemblée nationale.] AR CH I VES P A R L EM ENTA IRES. ]29 août 1789.] 51 i L’arrêté proposé par M. Duport est l’objet de ; nombreuses critiques. M. l’abbé II au r 5 en fait remarquer le premier les inconvénients. D’abord, le préambule, dit-il, est obscur et insignifiant. L’Assemblée a le pouvoir législatif, et elle parait usurper le pouvoir exécutif. L’Assemblée nationale déclare coupable de lèse-nalion celui qui n’obéira pas à cet arreté. Mais c’est une idée nouvelle ; jusqu’au moment où nous étions courbés sous le joug du despotisme, nous n’étions qu’un peuple d’esclaves, et non une nation ; le crime de lèse-nation n’existe que depuis la nation. Il convient de le déterminer; il présente des idées nouvelles, comme le crime de lèse-majesté royale en présenterait à un peuple républicain. Beaucoup de membres présentent des arrêtés qui tous portent sur ces deux bases. 1° Défendre l’exportation des grains chez l’étranger; 2° Autoriser et commander même la circulation des grains de province à province. M. ***. Il y a plus d’un an que nous connaissons l’importance de ces deux grandes vérités. La première appauvrit la France et enrichit nos voisins; ils achètent à bon compte ce que leur avarice nous revend avec usure. Ils combinent mieux que nous, parce que nous le voulons bien, et que l’exportation chez nous a toujours été illimitée ou limitée gauchement. La seconde circonscrit la famine dans une province, et fait mouvoir le commerce dans une autre qui languit conséquemment au milieu de l’abondance. II y a plus d'un an que ces deux vérités auraient dû être respectées, proclamées, consacrées par les lois et maintenues par la force du pouvoir exécutif; au moins nous n’aurions pas à dévorer un pain corrompu, et qui peut donner la mort à l’homme qu’il doit alimenter. Je demande donc qu’on aille sur-le-champ aux voix sur les propositions faites. M.***. llseprcsente un très-grand inconvénient, auquel le gouvernement seul est dans le cas de remédier. Depuis longtemps cet abus subsiste, et il subsistera longtemps encore, si, malgré les dénonciations qui ont été faites au gouvernement, il ne se hâte de le réprimer. La circulation intérieure se fait aussi par mer. On charge dans un port quelconque de France pour se rendre dans un port français. Ainsi, les blés du Poitou sont embarqués à la Rochelle pour être transportés au Havre-de-Grâce ; le nom du vaisseau, celui du capitaine, le chargement, le lieu même de sa destination, tout est inscrit sur les registres de l’amirauté; le vaisseau part, mais il ne se rend pas au Havre; il va porter les grains chez l’étranger, y prend d’autres marchandises et se rend au Havre ; le moment de son arrivée, la nature de ses marchandises, sont inscrits sur les registres de l’amirauté du Havre. Si le dernier juge pouvait avoir un résultat, un relevé des registres du lieu du départ, la fraude serait connue et punie ; mais le juge de l’amirauté du Havre ne peut rien exiger de celui de la Rochelle. Le gouvernement a été pressé, sollicité de remédier à cela ; mais le gouvernement a répondu que cela n’était pas. H faut donc que l'Assemblée prenne une détermination. Après une assez longue discussion, l’Assemblée termine par le décret suivant : Décret relatif à la circulation des grains . « L’Assemblée nationale, considérant que l’Etat n’est pas composé de différentes sociétés étrangères l’une à l’autre, et moins encore ennemies; « Que tous les Français doivent se regarder comme de véritables frères, toujours disposés à se donner mutuellement toute espèce de secours réciproques ; « Que cette obligation est plus impérieuse encore et plus sacrée lorsqu’il s'agit d’un intérêt aussi important et aussi général que celui de la subsistance ; « Que les lieux où se trouvent les plus grands besoins sont naturellement indiqués par lé plus haut prix ; « Que ceux qui sont le plus à portée de donner des secours le sont pareillement par les plus bas prix ; « Qu’entre ces deux extremes sont, dans un état moyen d’approvisionnement et de prix un grand nombre de provinces et de cantons qui peuvent avec avantage débiter ces grains dans ceux où le besoin est plus grand et le prix le plus haut, et remplacer à meilleur marché dans les provinces les mieux fournies les secours qu’elles auront donnés à celles qui en étaient dénuées ; « Que l’on ne pourrait s’opposer à cette marche sans prononcer une véritable proscription contre les provinces qui éprouveraient la disette; « Que rien ne serait plus contraire aux lois du royaume, qui, depuis vingt-six ans, ont constamment ordonné qu’il ne serait, en aucun cas ni en aucune manière, mis aucun obstacle au transport d’une province ni d’un canton à l’autre ; « Qu’il est donc indispensable d’assurer l’exécution de ces lois et de permettre la circulation des grains et des farines, unique moyen d’égaliser la distribution et le prix des subsistances, sous la sauvegarde de la nation et du Roi; « A décrété et décrète : « Art. 1. Que les lois subsistantes et qui ordonnent la libre circulation des grains et des farines dans l’intérieur du royaume, de province à province, de ville à ville, de bourg à bourg, de village à village, seront exécutées selon leur forme et teneur ; casse et annule toutes ordonnances, jugements et arrêts qui auraient pu intervenir contre le vœu desdites lois ; fait défense à tous juges et administrateurs quelconques d’en rendre de semblables à l'avenir, à peine d’être poursuivis comme criminels de lèse-nation ; fait pareillement défense à qui que ce soit de porter directement ou indirectement obstacle à ladite circulation, sous les mêmes peines. « Art. 2. Fait pareillement défenseàqui que ce soit d’exporter des grains et farines à l’étranger jusqu’à ce que, par l’Assemblée nationale, et sur le rappport et réquisitoire des assemblées provinciales, il en ait été autrement ordonné, à peine d’être, les contrevenants, poursuivis comme criminels de lèse-nation. « Et sera le présent décret envoyé dans toutes les provinces aux municipalités des villes et bourgs du royaume, pour être lu, publié, affiché partout où besoin sera. » La séance est levée.