SÉNÉCHAUSSÉE DE PERPIGNAN. Nota. Le cahier de l’ordre du clergé du Roussillon n’existe pas aux Archives de l’Empire. — Nous le faisons rechercher avec soin dans les Pyrénées-Orientales, et nous l’insérerons dans le Supplément qui terminera le Recueil des cahiers, si nous parvenons à le retrouver. CAHIER Des instructions et doléances dont l’ordre de la noblesse des comtés de Roussillon, Confient et Cer-dagne charge ses députés aux Etats généraux (1). L’an 1789, et le mardi 28 du mois d’avril, en vertu des lettres de convocation qui ordonnent aux trois ordres des cointés de Roussillon, Gonflent et Cerdagne, d’élire leurs représentants aux Etats libres et généraux du royaume et de leur remettre tous les pouvoirs et instructions nécessaires pour la restauration générale et particulière de l’administration et de l’ordre public, la noblesse desdits comtés donne par ces présentes, à ses députés auxdits Etats, dont l’ouverture a été fixée au 27 du présent mois en la ville de Versailles, les pouvoirs et instructions qui suivent. Les députés aux Etats généraux ne sont que des mandataires, des fondés de pouvoirs, des organes de la volonté publique. Ceux 'de la noblesse du Roussillon, en concourant au bien général du royaume, et à celui de tous ses ordres, n’oublieront point ce qu’ils doivent à la province et à leur ordre en particulier. MANIÈRE DE VOTER AUX ÉTATS GÉNÉRAUX. Il sera opiné par ordre, et non par tête, excepté dans les cas extraordinaires, où la nécessité de voter par tête serait reconnue par la majorité des suffrages de chaque ordre séparé. « Lorsque Cromwel voulut envahir la liberté «de son pays, il réduisit le parlement à une « seule chambre, et bientôt la loi ne fut autre « chose que l’expression constante de sa vo-« lonté. » Le travail pourra être distribué par bureaux, mais les délibérations devront toujours être le résultat des suffrages recueillis dans l’ordre réuni. CONSTITUTION DES ÉTATS GÉNÉRAUX. Les députés valideront par leur consentement, mais sans tirer à conséquence, la forme prescrite pour la présente tenue de l’assemblée nationale; ils en fixeront le retour périodique au terme de cinq ans pour le plus tard, sans préjudice d’une convocation extraordinaire , dans ’ l’intervalle, pour les objets qui n’auront pu être déterminés dans cette première tenue. Mais ils s’opposeront avec force à tout établissement d’une commission intermédiaire, représentative des Etats généraux, soit après leur séparation, soit même pendant le temps de leur réunion. (1) Nous publions ce cahier d’après un manuscrit des Archives de l'Empire. I II s’agit, dans l’assemblée nationale, bien plus du bonheur des hommes, que de leur intérêt pécuniaire. L’assemblée arrêtera dans son sein la manière de convoquer et composer les tenues suivantes, en proportionnant le nombre des représentants à la population et jamais à la contribution. Elle réglera sa police intérieure, et prendra les mesures les plus efficaces pour assurer la liberté de ses membres, celle des suffrages, et l’entière exécution de tout ce qui aura été déterminé entre Sa Majesté et lesdits Etats généraux. Aucune résolution ne sera définitive que lorsque l’objet en aura été discuté dans deux séances différentes. Le Roussillon a été régi dans tous les temps par les Etats provinciaux, et Louis XIV en avait annoncé la restauration, en attribuant, dans les lettres patentes de juillet 1661, à Don Joseph d’Ar-dena la présidence de la noblesse, lorsque les Etats desdits comtés de Roussillon, Gonflent et pays adjacents seraient assemblés. Enfin les députés demanderont pour toutes les provinces, et notamment pour celle du Roussillon, des Etats provinciaux annuels, organisés sur les mêmes bases que les Etats généraux, auxquels toute juridiction et autorité, en matière d’administration, soit dévolue; les membres ne devant être responsables de leur conduite qu’en vers les Etats provinciaux réunis, et finalement par-devant les Etats généraux. Ces préliminaires remplis, les députés s’occuperont de la constitution générale du royaume. CONSTITUTION GÉNÉRALE. La définir et la régler d’une manière précise et invariable, doit être le principal objet de leurs délibérations. En conséquence, les députés demanderont qu’il soit déclaré; 1° Que la France est une monarchie héréditaire, de mâle en mâle, par ordre de primo�éniture, à l’exclusion des filles, gouvernée par le roi suivant les lois. 2° Qu'au prince seul appartient, sans partage, le pouvoir exécutif pour le maintien de l’ordre public et la défense de l’Etat. II n’y a de liberté que dans les Etats où ces deux pouvoirs sont clairement distingués. 3° Que nul acte n’est réputé loi, s’il n’a été proposé ou sanctionné par le roi, consenti ou demandé par la nation assemblée en Etats généraux. 4° Que toute loi, qui a ainsi reçu son complément, doit être portée au nom du roi, et contenir cette clause expresse : de l’avis et consentement des gens des trois Etats du royaume. [États gén. 1789. Cahiers.] 5° Que toutes lois nouvelles, tenant à la constitution générale de l’Etat, doivent être envoyées, les Etats généraux tenant, aux cours souveraines pour y être enregistrées sans délai, et sans modification ni restriction. 6° Que les mêmes cours, dont les magistrats sont inamovibles, hors le cas de forfaiture, continueront d’en être les dépositaires pour veiller à leur exécution. 7° Que toutes déclarations émanées de la volonté du Roi, dans l’intervalle d’une tenue d’Etats à l’autre, relatives néanmoins à tous autres objets qu’aux subsides, doivent être provisoirement exécutées, après avoir été toutefois vérifiées et enregistrées par les cours souveraines. « Le même serment lie le prince à tous ses su-« jets; mais diverses conditions règlent l’obéis-« sance des différentes provinces. « 8° Que les Etats provinciaux, et en leur nom, leurs procureurs généraux-syndics, seront autorisés à mettre opposition par-devant lesdites cours à l’enregistrement des lois locales et momentanées qui pourraient blesser la constitution particulière des provinces. 9° Qu’à la nation légalement assemblée en Etats généraux, appartient privativement le droit d’octroyer les subsides par forme de don gratuit (le don gratuit des subsides est un droit commun aux trois ordres; il est la sauvegarde de leur propriété); d’en fixer la durée, d’en ordonner l’assiette et la répartition, d’en régler l’emploi; d’assigner à chaque département les fonds reconnus nécessaires, d’en demander compte, enfin d’ouvrir les emprunts absolument indispensables, lesquels doivent être soumis aux mêmes règles. 10° Que tout subside que l’autorité tenterait de lever, au mépris des formes ci-dessus prescrites, ainsi que tout accroissement particulier des subsides déjà établis , quand même il serait consenti par les Etats provinciaux, est nul et vexa-toire, et que les préposés à leur levée doivent être poursuivis comme concussionnaires, par-devant les cours souveraines, à la diligence du ministère publique ou des procureurs-syndics des Etats provinciaux. LIBERTÉ CIVILE. La liberté du citoyen étant le plus précieux des biens et le plus sacré des droits, toute lettre de cachet et tous ordres arbitraires, émanés du souverain ou de ses ministres, seront déclarés illégaux, et l’usage en sera proscrit à jamais : et pour rassurer entièrement la nation contre les coups d’autorité, Sa Majesté sera suppliée d’ordonner incessamment la suppression des prisons d’Etat, et même leur vente, sous l’inspection des Etats provinciaux, pour le produit en être appliqué à l’acquittement de la dette publique; que ceux qui se trouveront détenus dans lesdites prisons , sans ordonnance de juge compétent, soient élargis ou remis à la justice ordinaire. Que les exilés par lettre de cachet obtiennent leur liberté, sauf à être poursuivis suivant les lois, s’il y a lieu. Dorénavant nul citoyen ne pourra être arrêté que pour être remis dans les vingt -quatre heures entre les mains de son juge naturel, qui prononcera, dans le plus court délai, sur la cause de la détention, dont connaissance sera donnée au prévenu. Et afin d’assurer l’observation de la règle qui sera établie à cet égard, l’officier chargé de la capture sera tenu d’en rendre compte sur-le-P Série, T. V. [Sénéchaussée de Perpignan.] 369 champ à la partie publique, et il sera enjoint à toutes cours de justice de requérir la remise des détenus ; le tout à peine, pour les uns et pour les autres, d’en demeurer responsables. Les commissions ne servent qu’à favoriser les ressentiments particuliers des ministres, à opprimer l’innocent sans appui, et à sauver le coupable puissant. Il ne pourra être établi de commission extraordinaire pour juger les particuliers, quel que soit leur rang, et dans quelque cas qu’ils se trouvent. Les députés pourront cependant concerter , avec ceux des autres provinces , les moyens propres à sauver l’honneur des familles ” en prévenant les crimes et l’éclat des désordres domestiques. Le secret des lettres remises à la poste sera inviolablement respecté ; et ces relations de confiance ne pourront jamais faire titre d’accusation contre aucun citoyen. LIBERTÉ DE LA PRESSE. Par une suite de la liberté civile, il sera permis de répandre toute sorte d’écrits par la voie de l’impression, à la charge par Fauteur, éditeur ou imprimeur d’y apposer leur nom, et de répondre personnellement de tout ce qu’ils pourraient présenter de contraire à la religion, aux mœurs et à l’honneur des citoyens. Pour prévenir les contraventions, et arrêter la licence, l’imprimerie sera conservée en jurande, et les imprimeurs seront multipliés dans chaque province, jusqu’à tel nombre que les Etats provinciaux estimeront convenable. RESPONSABILITÉ DES MINISTRES. Les ministres du Roi, et tous officiers publics, sont comptables par-devant les Etats généraux, ou tel tribunal qu’ils assigneront, des atteintes portées à la constitution, et des fonds dont l’administration leur aura été confiée. Les principes de la constitution française seront arrêtés et reconnus, préalablement à toute délibération sur les finances, et Sa Majesté sera instamment suppliée d’en assurer à jamais l’observation, ainsi que celle des capitulations et traités qui unissent les diverses provinces à la couronne, par une charte nationale, authentique et permanente qui sera envoyée à toutes les cours souveraines et aux Etats provinciaux, pour lui donner la publicité convenable , et mettre ces différents corps à portée d’en réclamer l’exécution. Les rois la jureront à leur sacre, et tous les officiers civils et militaires lors de leur installation . FINANCES. Les députés proposeront de consentir les impôts actuellement existants, provisoirement et en attendant que les Etats généraux aient adopté un nouveau plan de subsides. Mais avant de fixer et de consolider la dette publique, ils entreront dans tous les détails relatifs au déficit actuel ; ils s’attacheront à acquérir une connaissance exacte et précise de toutes les charges de l’Etat, notamment des rentes tant viagères que perpétuelles et des titres sur lesquels elles sont établies, afin de les discuter, de rejeter celles qui porteraient sur des titres illégitimes, et de réduire celles qui seraient excessives au taux général fixé par la loi ; enfin ils demanderont un tableau méthodique et raisonné de la recette et de la dépense dans toutes le? parties de l’administration. ARCHIVES PARLEMENTAIRES. n 370 [États gén, 1789. Cahiers.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Sénéchaussée de Perpignan. L’impôt indirect est le moins sensible et le plus général. Ces connaissances acquises , ils fixeront la dette ; ils la fonderont sur les impô.ts indirects. Et avant d’aviser aux moyens de remplir les engagements du souverain, ils arrêteront de concert avec lui la dépense annuelle de chaque département, et leur assigneront les fonds particuliers. MOYENS DE SUBVENIR AUX DÉPENSES COURANTES ET A L’ÉXTINCTION DE LA DETTE. Les députés rechercheront les moins onéreux, et tâcheront de prévenir, suivant les vues de Sa Majesté, le renouvellement des abus qui ont mis les finances du royaume dans l’état le plus déplorable. Ils épuiseront d’abord les ressources qui peuvent fournir l’économie. Ils demanderont : 1° que les rentes perpétuelles au denier vingt sur l’Etat soient sujettes aux mêmes retenues qu’éprouvent les rentes constituées sur les particuliers ; 2° Que les émoluments excessifs soient réduits à un taux proportionné à l’importance des emplois ; qu’il soit fait sur les pensions actuellement existantes telles réductions qu’aviseront les Etats généraux, d’après le tableau qui leur en sera présenté, contenant les motifs sur lesquels elles auront été accordées ; et qu’il soit déterminé pour l’avenir à quelle somme leur totalité pourra s’élever dans chaque département ; 3u Qu’on supprime toutes les places lucratives, purement honorifiques ; toutes celles qui sont doubles pour le même objet ; celles enfin qui ne sont pas indispensablement nécessaires, et dont les fonctions, partagées entre plusieurs titulaires, peuvent être exercées par un seul ; 4° Qu’on rejette sur les économats dont les Etats généraux amélioreront le régime, tous les secours et pensions que le gouvernement accorde aux hôpitaux de malades et maisons d’enfants trouvés, aux collèges, universités, séminaires, maisons d’éducation, communautés religieuses et toutes autres dépenses de ce genre. C’est donner à ces biens une application nouvelle, sans en changer la destination. Après avoir réglé ces divers objets d’économie et de suppression, les députés détermineront enfin le montant d’imposition indispensablement nécessaire pour subvenir aux dépenses courantes, et à l’extinction graduelle de la dette. « La périodicité des Etats jugée indispensable-« ment nécessaire, on ne peut l’assurer que pour « le terme imposé par la nation à la totalité des « subsides ; l’octroi ne devra donc être accordé « que pour quelques mois au delà du terme qui « sera fixé pour la réunion des Etats. » Iis consentiront en conséquence les subsides dont ils limiteront la durée au terme des prochains Etats, se conformant du reste aux clauses de leurs pouvoirs. L’ordre de la noblesse persistant dans le vœu qu’il a exprimé de supporter avec les autres ordres, dans une exacte proportion, les impôts et les contributions générales de la province, autorise spécialement ses députés à consentir l’égalité de répartition sans exemption pécuniaire quelconque; leur enjoignant cependant de veiller à ce qu’il ne soit porté aucune atteinte à la propriété et aux distinctions honorifiques et droits inhérents à l’ordre de la noblesse, qui tiennent à l’essence d’un gouvernement monarchique. 11 n’y a jamais eu moins de liberté que dans les empires, où, pour être libre, chacun voulut être égal ; tout gouvernement populaire a fini par l’anarchie ou la servitude. Pour assurer plus efficacement la libération de l’Etat, les députés proposeront qu’il soit établi une caisse d’amortissement, dont les fonds ne pourront être divertis à aucun autre objet, et dont rassemblée nationale prescrira le régime, en ordonnant d’abord le payement des dettes les plus onéreuses et les plus privilégiées. Afin d’entretenir la confiance, et de constater aux yeux de la nation le maintien de l’ordre qui sera établi dans les finances, les comptes détaillés de la recette et de la dépense effectives de chaque département seront rendus publics chaque année par la voie de l’impression, dans le délai fixé par les Etats généraux. «Les subsides ne vous appartiennent point, « Sire, ils sont à l’Etat, disait Fivalguiero à Fer-« dinand II. » GABELLES, TRAITES, DROITS DOMANIAUX. En attendant que des circonstances plus heureuses amènent la possibilité de supprimer la gabelle, les députés demanderont une modération dans le prix du sel, au moins en faveur de l’agriculture, et surtout que le débit de cette denrée soit soumis à l’inspection de la police ordinaire des lieux. Ils exigeront l’abolition des chambres de Reims, Caen, Saumur et Valence, cette dernière si funeste en Roussillon et-si contraire à ses libertés. Ils solliciteront la reprise du travail pour le re-culement, aux frontières, des douanes et autres droits qui gênent le commerce. Ils demanderont avec instance un nouveau tarif pour le contrôle, clair et précis, et dans lequel on fera disparaître les distinctions d’état, pour établir en tous sens l’égalité de l’impôt. «Il faut, pour se défendre du traitant, de « grandes connaissances. Ces choses étant sujettes « à des discussions subtiles, pour lors le traitant « interprète des règlements du prince, exerce un « pouvoir arbitraire sur les fortunes. » ( Esprit des lois.) Et comme la perception du centième denier sur les successions indirectes, expose le citoyen à des contraventions, souvent involontaires, par les déclarations que le fisc exige, et qui sont sujettes à être recherchées pendant vingt ans, les députés demanderont la suppression de ce droit, sauf à le remplacer par un autre, qui n’ait pas les mêmes inconvénients. Désormais les contestations en matière d’impôt ne seront plus jugées par des commissaires du Roi. Celles qui concerneront l’impôt direct seront portées par-devant la commission des Etats provinciaux, dont le jugement sera provisoirement exécuté, sauf l’appel auxdits Etats assemblés. Les contestations relatives aux impôts indirects seront portées, de plein vol, par-devant les cours souveraines,1 qui statueront, sans délai, sur mémoire et sans frais. SIMPLIFIER LA PERCEPTION DES SUBSIDES. Les députés proposeront à l’examen de l’assemblée, s’il ne serait pas plus avantageux d’assigner à chaque province sa quotité d’impôt, et de leur permettre d’en faire l’assiette, la répartition et la perception selon les convenances locales, et d’en verser directement le produit dans les coffres du Roi, par un trésorier au choix de l’Etat. [Etats gén. 1789. Cahiers. ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Sénéchaussée de Perpignan.] 371 DOMAINE DE LA COURONNE. Les députés ne s’opposeront point à la vente des domaines de la couronne, dans le cas où les représentants des autres provinces la requerraient , mais ils donneront la plus grande attention à ce que les lois de la justice ne soient point .blessées envers les engagistes de bonne foi. Ils proposeront cependant d’examiner s’il ne serait pas plus avantageux de mettre plutôt, et pour un temps déterminé, ces domaines en régie sous l’inspection des Etats provinciaux. « Quand nos rois ne demandaient rien à leurs « sujets pour la dépense de leurs maisons et de « leur personne, il était prudent qu’une loi les « empêchât d’aliéner leurs domaines ; ils étaient « comme des enfants de famille, dont on substi-« tue les terres, pour qu’ils ne ruinent pas les « héritiers. Mais aujourd’hui qu’un roi, qui arrive-« rait à la couronne sans aucun domaine, « obtiendrait de ses sujets les mêmes revenus « qu’un Roi propriétaire des mines du Pérou, il « n’est sûrement plus nécessaire qu’il conserve « des domaine dont les revenus mal administrés « ne diminuent pas les impositions, et dont la « vente produirait deux grands avantages, au-« jourd’hui des hommes considérables qui aide-« raient à payer les dettes de l’Etat, et à l’avenir « une augmentation sur les impôts, dont devien-« draient susceptibles ces biens, améliorés par « ceux qui les auraient acquis. » RÉFORMES GÉNÉRALES. Les députés de l’ordre auront les pouvoirs les plus étendus pour concerter, avec ceux des autres provinces, les réformes et les améliorations en tout genre que le temps leur permettra d’entreprendre. Ils concourront de tous leurs efforts à tout ce qui intéresse le maintien de la religion, le repect dû au culte, la restauration si nécessaire des mœurs et de l’éducation nationale, qui, dans les anciens gouvernements, était confiée à l’expérience et à la maturité de l’âge. Ils solliciteront le rétablissement de la discipline ecclésiastique ; et notamment l’observation exacte des lois qui prohibent la pluralité des bénéficiers, et qu’ils prescrivent la résidence des bénéfices et prélats, aussi importante à la vivification des provinces, qu’à l’édification des peuples. Ils jetteront les yeux sur cette foule de solitaires, dont les talents et les travaux pourraient devenir plus utiles à l’Etat. Ils prendront en considération l’administration de la justice et les moyens de la rendre plus prompte et moins dispendieuse, mais surtout pins instructive en obligeant les cours souveraines à motiver leurs arrêts ; (tel était l’usage du tribunal souverain auquel ressortissait le Roussillon, lorsqu’il était uni à la principauté de Catalogne) ; la législation civile et criminelle, et les changements dont elle est susceptible, celui surtout que réclame l’humanité de donner un conseil à tout accusé, etd’abolir les peines atroces; et à cet effet, ils demanderont qu’il soit établi une commission de jurisconsultes et de magistrats pour traiter un objet aussi essentiel, avec le concours des parlements et des cours souveraines. On a dit avec raisonque les magistrats sont les conseillers de la législation et les ministres de la justice. Ils ne perdront point de vue l’intérêt que mérite l’agriculture, les encouragements qui sont dus au commerce , et ils demanderont que celui des grains en particulier jouisse de la liberté qui lui a été accordée. Ils demanderont qu’on délibère sur les avantages du prêt à jour avec intérêt, et sur celui qui pourrait résulter du placement, à 4 p. 0/0 des capitaux remboursés aux mainsmortables. Des capitaux considérables restent oisifs ; les rendre à la circulation, c’est faire le bien public et particulier-, cette autorisation amènerait peut-être la baisse de l’intérêt. Ils exposeront avec énergie le scandale de ces banqueroutes si multipliées, dont les causes sont si diverses et les effets si funestes; ils prescriront des règles pour prévenir et réprimer un fléau aussi destructeur du commerce, qu’affligeant pour la société. Ils représenteront les abus qui se sont glissés dans la manière d’acquérir la noblesse ; ils demanderont en conséquence qu’on supprime les offices et charges qui donnent au premier degré la noblesse héréditaire et transmissible, et qu’il soit statué pour l’avenir qu’elle ne sera acquise que par trois générations au moins de noblesse personnelle. CONSTITUTION MILITAIRE. Les députés de l’ordre s’efforceront de lui donner plus de stabilité, et d’en écarter les institutions étrangères;ils demanderont en conséquence : 1° Que la discipline et les peines qui servent à la maintenir soient analogues au caractère national ; que les coups de plat de sabre, qui humilient autant celui qui les inflige que celui qui les reçoit, soient proscrits; et qu’en général on restreigne l’usage des punitions avilissantes qui étiendraient dans le soldat français les sentiments de l’honneur ; 2° Que dorénavant le soldat, que ses services ' ont élevé au grade d’officier, soit connu sous le nom d’officier de mérite, et puisse parvenir, par son rang, aux emplois supérieurs ; 3° Que la croix de Saint-Louis ne soit désormais que le prix du temps de service fixé par les ordonnances, ou celui d’une action d’éclat à la guerre ; 4° Qu’aucun officier ne puisse, à l’avenir, être destitué qu’en vertu d’un jugement porté par un tribunal de sept officiers, dont quatre au moins de son grade ; 5° Qu’afin d’augmenter la considération due aux officiers généraux, même aux grades inférieurs et décharger l’Etat des pensions et traitements onéreux, le nombre des officiers généraux, qui est excessif, soit réduit en proportion de la force de l’armée ; 6° Que les gouvernements particuliers, qui sont une surcharge pour l’Etat, soient abolis; 7° Que les gouverneurs et commandants des provinces trouvant dans leurs appointements respectifs un revenu convenable à leurs grades, leurs pensions soient supprimées; 8° Qu’attendu que les pensions accordées, pour cause de retraite, aux lieutenants-colonels, majors, capitaines et autres officiers des deux armes, ont éprouvé différentes réductions, contre la promesse solennelle de Sa Majesté; que ces pensions sont purement alimentaires, et réellement méritées; que d’ailleurs elles ne présentent point d’excès, les plus fortes ne s’élevant point au-dessus de 1,000 écus, elles soient rétablies, et payées sans retenue ; 9° Que pour assurer au soldat une constitution robuste et vigoureuse, pour augmenter ses moyens 372 [États gën. 1789. Cahiers. J ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Sénéchaussée de Perpignan.] de subsistance, et ménager les bras que les travaux publics enlèvent à l’agriculture, les troupes soient employées, en temps de paix, aux constructions et réparations des grandes routes et autres ouvrages de cette nature. Tels sont les objets généraux sur lesquels les députés demanderont qu’il soit statué dans l’assemblée nationale; si leurs efforts étaient infructueux pour faire admettre l’opinion de leurs commettants sur les points énoncés d’une manière précise, ils se borneraient à consigner leurs principes dans une protestation énergique, dont ils demanderaient acte. Mais ils ne se retireraient point : ils n’adhéreraient à aucune scission, et tâcheraient au contraire d’entretenir la paix et la concorde. redressement des griefs particuliers de la PROVINCE. Après avoir fixé la constitution générale, et préalablement encore à toute délibération sur les subsides, les députés s’occuperont des intérêts de la province, et feront valoir les droits avec tout le zèle du patriotisme : iis demanderont en conséquence la confirmation des traités par lesquels la province s’est volontairement soumise à la France, de celui de Péronne de 1641, et de celui des Pyrénées de 1659, sauf cependant, en conformité de l’article 1er du traité de Péronne, les changements que les circonstances et le laps de temps rendraient nécessaires, et qui seraient votés par les Etats provinciaux. Ils réclameront l’exécution littérale des articles 2 et 8 du traité de Péronne, et surtout le droit sacré-qu’ont les Roussillonnais d’avoir des juges de leur province, et à leur choix, et de ne pouvoir être traduits hors de leur ressort tant en matière criminelle pour quelque cause que ce , soit. Ils demanderont en conséquence de n’être réunis à aucun ressort étranger, et que la cour souveraine, à laquelle ressortissent et ressortiront toujours nûment toutes les autres juridictions de la province, soit réservée avec toutes les attributions, dont par l’édit de sa création elle est susceptible comme chambre des comptes, cour des aides et bureau des finances, exceptant toutefois les affaires de frontière à frontière, dont la connaissance doit être conservée aux Etats provinciaux. TRAITE DE PÉRONNE. Art. 2. « Qu’aux archevêchés, évêchés , ab-« bayes, dignités et autres bénéfices ecclésiasti-« ques, Sa Majesté présentera seulement des Ca-« talans. » Art. 8. « Que les charges des capitaines ou « gouverneurs des châteaux et principautés de « Catalogne, et des comtés de Roussillon et de « Gerdagne, et tous les offices de justice, seront « donnés aux Catalans naturels et non à d’autres. » « Un génie, fait pour éclairer les rois, disait à « votre auguste bisaïeul, sur la fidélité aux capi-« tulations : Qu’y aurait-il de sacré, si une pro-« messe si solennelle ne l’est pas ? C’est un con-« trat passé avec vos peuples pour se rendre vos « sujets. » (Rem. clerg. 1788.) Le traité de Péronne est un contrat de cette nature ; pour s’en convaincre il suffit d’en peser le titre : Traité et conventions. (Foy. les Conv. de Catalogne , livre Ier, titre LX en entier.) Us solliciteront l’abolition de toute évocation et commission, la suppression de tous les tribunaux d’exception, s’opposant à la création de tout nouveau tribunal, qui altérerait l’ordre judiciaire actuellement établi dans la province, et si conforme à la localité. Ils exposeront que la constitution de Roussillon, toute différente de celle des provinces voisines, exigeant une forme particulière d’administration, cette province doit avoir aussi des Etats particuliers; à l’effet de quoi les députés s’opposeront formellement à toute réunion qui pourrait être proposée. Ils réclameront pour les villes de la province, et notamment pour celle de Perpignan, la restitution, également sollicitée par toutes les villes du royaume, des privilèges qui ne sont pas en opposition avec les lois générales de l’Etat, la libre élection de leurs officiers municipaux, et la disposition de leurs revenus patrimoniaux et d’octroi, sous la direction immédiate des Etats provinciaux, dont l’autorité patriotique sera plus active et plus efficace. Ils réclameront encore la confirmation de toute concession de domaines faite par le souverain, avant la réunion de la province à la couronne, des lois locales qui établissent le franc-fief et la prescription de quatre-vingts ans contre le Roi ; tous objets consacrés par la constitution du pays et par des pièces particulières authentiques, réunies dans le dépôt des chartes. Attendu que les abbayes et monastères de Saint-Michel de Cuixa en Gonflent et de Notre-Dame' d’Arles en Vallespir, facilitent les moyens de subsistance dans des cantons dénués de ressources, les députés en demanderont la restauration et la conservation, soit dans leur état, soit en forme de collégiales, qui pourraient dans ce cas offrir des retraites aux anciens curés. Ils demanderont que les revenus de Saint-Martin de Canigou, monastère dont la suppression a été consommée, soient destinés à des maisons d’enseignement public, pour l’un et l’autre sexe, sous l’inspection et direction immédiate des Etats provinciaux. Ils exposeront avec force la surcharge qui résulte pour les peuples des constructions, réparations et entretien des églises et presbytères, objets auxquels il devrait être pourvu sur les revenus des fabriques ou sur le produit des dîmes ecclésiastiques. Dans la vue d’épargner aux campagnes des corvées onéreuses, et de ménager des journées précieuses à la subsistance de leurs habitants, ils supplieront Sa Majesté d’abolir l’usage des patrouilles établies pour la recherche et la saisie des déserteurs, dont l’expérience a démontré l’inutilité. Us se joindront aux députés des autres ordres, et notamment du tiers-état de la province pour obtenir l’abolition générale des cotes privilégiées de capitation, dont le fardeau retombe à plomb sur la partie la plus indigente des citoyens. Ils demanderont en conséquence la suppression des gardes de la province, des enrôlés en la capitainerie, des canonniers des places ; sauf, si ces derniers sont nécessaires, à supplier Sa Majesté d’en réduire le nombre, et de leur assigner un traitement proportionné à leur service, sur les fonds de la guerre. Us demanderont encore que les cotes d’office assignées à certains emplois et places de finance, à quelques suppôts de l’administration, à certaines fonctions, etc., soient uniquement relatives à leurs traitements et profits, et ne dispensent en aucun cas d’une capitation particulière propor- [États gén. 1789. Cahiers.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Sénéchaussée de Perpignan.] 373 tionnée aux biens et fortunes, ainsi que cela se pratique pour les officiers militaires. Ils représenteront qu’en vertu de lettres patentes de septembre 1785, le prix du sel en Roussillon a été porté à un taux excessif ; qu’il en est résulté un dommage évident pour l’agriculture, et un nouveau genre de fraude inconnue dans cette province; et comme la ferme générale paraît trouver déjà, dans l’introduction de la douane de Lyon, une compensation suffisante des sacrifices qu’elle a pu faire , ils demanderont que les Etats provinciaux soient autorisés à soumettre à un nouvel examen un traité condamné par l’opinion publique, et que provisoirement le prix du sel soit modéré. Ils représenteront encore que le droit odieux de pied-fourché, et celui qu’on perçoit sur les huiles et leur fabrication, occasionnent des frais énormes et une gêne perpétuelle destructive de toute industrie et d’une liberté raisonnable ; que l’intérêt du fisc se réunit donc à celui du citoyen pour en demander la suppression ; et si la situation des finances ne permet pas à l’Etat des sacrifices de cette nature, les députés pourront solliciter le rachat de ces droits par des abonnements proportionnés, non aux produits forcés d'une régie sévère, mais à la consommation modérée du pays. Ils relèveront aussi les inconvénients de l’établissement d’une messagerie royale en Roussillon; ils feront connaître les entraves que ce privilège exclusif met au commerce, et la gêne qu’il impose au voyageur. Le cri public en réclame la suppression. Enfin, les députés mettront sous les yeux du Roi et de la nation la position de la province. Ils observeront que, bornée dans sa population, sans numéraire, sans industrie, sans manufactures, et presque sans commerce, elle est réduite au produit de son sol ; qu’exposée tour à tour aux funestes effets de la sécheresse ou aux ravages des inondations, elle 11e peut compter que sur un revenu précaire; que déjà elle a été soumise successivement à divers droits onéreux, notamment à l’introduction du papier timbré et du parchemin de formule, impôt qui n’est pas général pour toutes les provinces, et duquel ses capitulations semblaient devoir la garantir ; que, dans cet état, le plus léger accroissement d’impositions serait au-dessus de ses forces ; leur épuisement seul peut mettre des bornes aux sacrifices que l’ordre de la noblesse, en particulier, serait toujours prêt à faire pour la prospérité de l’Etat et le bonheur de son Roi. (Il a été mis sous les yeux des commissaires , par Vun deux , un mémoire appuyé d’un tableau qui démontre qu’en proportion de la population , le Roussillon paye plus que toute autre province du royaume .) En désirant de prêter une main secourable au tiers-état de la ville de Perpignan, que les dispositions suivies dans l’assemblée particulière de la viguerie de Roussillon et Vallespir ont privés de l’influence que, d’après les vues de Sa Majesté, cette ville devait avoir dans une délibération à laquelle sa population lui donnait le plus grand intérêt ; L’ordre de la noblesse, qui, de concert avec celui du clergé, s’est efforcé d’amener cette affaire à une conciliation désirable, charge spécialement ses députés de représenter à Sa Majesté les inconvénients desdites dispositions qui ont donné lieu à des protestations et informations, sur lesquelles elle seule peut prononcer ; et attendu que la ville de Perpignan n’a point eu de part à la rédaction des cahiers, que ses représentants n’ont point signé, et qu’ils ont même soutenu ne pas être l’expression fidèle du vœu des communes, mais plutôt celui de quelques volontés particulières ; que dès lors la ville de Perpignan n’a point été représentée à l’assemblée générale des trois viguenes, et par conséquent n’a point influé sur la nomination des députés aux Etats généraux; Sa Majesté sera suppliée de ne point envisager les députés du tiers-état de la province comme mandataires de la ville de Perpignan, ni les cahiers dont ils sont chargés comme contenant le vœu Je cette capitale, qu’il ne lui a pas été même permis d’exprimer, à cause du refus de recevoir ses protestations ; de permettre en conséquence à la ville de Perpignan de lui faire connaître ses doléances générales et ses griefs particuliers sur ce fait, dans un cahier qui lui sera présenté par tel nombre de députés que le Roi voudra bien l’autoriser à envoyer à l’assemblée nationale, mais qui n’auront qu’une seule voix, laquelle se confondra dans celle des autres députés du tiers-état de la province. Avant la clôture des Etats généraux, les députés de l’ordre se concerteront avec ceux des autres provinces pour supplier Sa Majesté de consacrer l’événement le plus mémorable, l’époque la plus glorieuse de son règne, par un de ces actes de bienfaisance qui ne coûtent rien à son cœur, par une amnistie générale en faveur des déserteurs et de ces malheureux qui, coupables uniquement envers le fisc, par le seul fait de contrebande, sont poursuivis ou punis par le glaive d’une justice trop rigoureuse. Sa Majesté, en accordant au vœu de l’assemblée cette double grâce, dont l’une intéresse toute la nation, et l’autre plus particulièrement les provinces frontières, rendra des enfants à leurs pères, des pères à leurs familles, des sujets à l’Etat, et acquerra de nouveaux droits à l’amour et à lare-connaissance des peuples. Fait et arrêté dans l’assemblée générale de l’ordre et signé par MM. les commissaires et tous les membres présents. A Perpignan, le 28 avril 1789. Collationné conforme à l’original Signé : De LeüCIA, secrétaire de l’ordre de la noblesse. CAHIER Des plaintes , doléances et remontrances du tiers-état de la province du Roussillon (1). Le tiers-état de la province du Roussillon remercie très-humblement Sa Majesté de ce qu’elle a bien voulu convoquer les Etats généraux du royaume, en une forme vraiment nationale et constitutionnelle, et y appeler ses fidèles sujets de la province du Roussillon, en donnant à l’ordre du tiers une représentation égale à celle des deux autres ordres réunis. 11 demande que les distinctions humiliantes qui avilirent les communes du royaume, lors des derniers Etats généraux tenus à Blois et à Paris, soient abolies. Qu’à l’assemblée nationale, les voix soient comptées par tête et non par ordre. Que la constitution française soit établie sur (1) Nous p blions ce cahier d’après un manuscrit des Archives de l’Empire .