[Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [26 septembre 179Ô.] 247 du scrutin, lès membres adjoints au comité de Constitution sont : MM.Barnave, De Clermont-Tonnerre, Alexandre de Lameth, Duport, JBuzot, Pétion, De Beaumetz. M. le Président annonce également que MM. Salomon et Charles-Claude Ûelacoür, fci-de-vant d’Ambezieux, ont réuni les suffrages et sont nommés commissaires inspecteurs des archives. M. lë Président annonce une lettre de Mi l'abbé Perrotiù, dit de Barmond ; elle est ainsi conçue : « Monsieur le Président, mes réclamations pourraient paraître importunes à l’Assemblée, si la justicé de ma cause était moins évidente ; je ne réclame que l’exécution de vos décrets. Vous avez ordonné que le comité des recherches remettrait au procureur du roi toutes les pièces relatives à mon affaire : elles ont été remises, dix-sept témoins ont été entendus, le procès allait être jugé, lorsque le comité des recherches a annoncé qu’il avait de nouveaux témoins à faire entendre et de nouvelles pièces à produire : en vain ont-elles été réclamées, elles n’ont point encore été produites* Je prie l’Assemblée de vouloir bien ordonner que ie comité des recherches remettra, dans le jour, les nouvelles pièces relatives à mon affaire, et qu’il lui soit enjoint de ne se mëier aucunement d’une affaire qui ne peut être instruite en même temps par deux tribunaux, sans blesser à la fois la justice et l’humanité. » M. dê Hl&caÿe, membre du comité des recherches. Le procureur du rdi au Châtelet â été saisi des pièces depuis hier au Soir. Ces pièces n’ont pii êtrë envoyées plus tôt parce que plusieurs étaient arrivées récemment et qu’il avait été nécessaire d’attendre que le comité se trouvât en nombre pour les examiner. M. Durai, ci-devant d'Eprémesnil. L’Assemblée a décrété que M. l’abbé de Barmond serait en état d’arrestation. On ne sait pas comment cette arrestation a été exécutée. Je représente à votre humanité que non seulement sa porte est gardée, mais qu’il a un détachement dans sa cour et que trois officiers couchent dans sa chambre; il ne peut pas travailler. (On demande vivement la reprise de l’ordre du jour.) M. le Président met cette proposition aux voix. Elle est adoptée. La discussion est reprise sur lé mode de liquida' tion de la dette publique. M. Raynaud de Montlosier (1). Messieurs, si nous ne voulions écouter que le sentiment qui s’est produit de nos divisions particulières, peut-être il. serait de l’intérêt d’un grand nombre d’entre nous de vous abandonner à une mesure impudente, qui justifierait, auprès des peuples, nos réclamations continuelles et le zèle constant (1) Le Moniteur ne donne qu’une analyse du discours dë M. dë Montlosier. que nous n’avons cessé de montrer pour la conservation de cet Empire; mais lorsque, entouré de ruines, ces ruines s’agitent autour de vous ; lorsque le danger menace de toutes parts, et semble demander impérieusement la réunion de tous les moyens et de tous les efforts, c’est alors que nous devions oublier tous nos dissentiments personnels et monter encore une fois à cette tribune, pour vous offrir l’hommage de nos conseils et de nos lumières. Vous aviez décrété pour 400 millions de ventes des domaines du roi et du clergé; les quatre cents millions d’assignats que vous aviez mis en circulation pouvaient être considérés, dès lors, comme une sorte d’anticipation; c’était en quelque manière des billets de l’échiquier pour lesquels le malheur des temps vous avait forcés de commander la confiance, et cependant vous n’avez pas tardé à vous apercevoir combien cette opération était malheureuse et insuffisante. C’est en vain qu’on a voulu vous en adresser des éloges, et vous en vanter le succès; le premier ministre des finances ne vous a pas laissé ignorer que vos assignats , repoussés de toutes parts, étaient obligés de se réfugier dans toutes les caisses du Trésor public. La prime de 3 0/0 d’intérêt, les efforts de certaines villes de commerce, les tentatives de vos clubs, de vos sociétés patriotiques, rien n’a pu les sauver d’une perte et d’un discrédit progressifs, et c’est d’après cette triste expérience, c est lorsque vous êtes encore dans les embarras d’une première opération mauvaise qu’on vient vous en proposer Une plus mauvaise encore, en vous pressant de l’exagérer, au point d’en couvrir toute la dette publique exigible. Certes, Messieurs* il est difficile de croire que ceux qui vous ont conseillé Une semblable entreprise, e'n aient bon calculé tous les dangers ; ils vous ont déjà été développés avec une grande sagacité. Il ne me reste qu’à ajouter quelques réflexions aux excellentes observations qui vous ont été présentées; et pour cela je considérerai d’abord l’opération des assignats dans sa nature* j’en examinerai ensuite la nécessité. Le premier caractère qui se présente dans la nature des assignats-monnaie qu’on vous propose, c’est leur hypothèque fictive, et je l’appelle exprès hypothèque fictive parce que vous allez voir que cette hypothèque n’a aucun terme réel et qu’elle est toujours prête à fuir devant le porteur d’assignats. En effet, on conviendra que toute hypothèque, pour être bonne, doit être constituée de manière à répondre certainement du prix qu’elle a pour objet. Or, je laisse ici de côté tous les doutes qne je pourrais élever sur la sûreté de l’hypothèque qu’on nous présente; mais je soutiens que quand môme les biens nationaux pourraient être regardés comme Une bonne hypothéqué pour la dette publique, il ne s’ensuivrait pas pour cela qu’ils dussent être regardés comme une lionne hypothèque pour les assignats : là raison en est bien simple. S’il ne s’agissait qUe de [réunir tous les créanciers de l’Etat et de leur présenter une masse de biens territoriaux, jugée égale ou supérieure à leur créance, cette hypothèque pourrait leur paraître valable et sûre ; mais du moment qu’on mobilise en même tefnps l’ hypothèque et la dette, sans les faire correspondre dans leurs parties, de la même manière qu’elles correspondent en masse, leurs relations changent évidemment de nature, et l’hypothèque est nécessairement altérée, par cela seul qu’elle 248 [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (26 septembre 1790.] se-trouve enchaînée à toutes les convulsions des ventes partielles ; car on aura beau dire qu’il y aura deux milliards de terres pour deux milliards de créances, si, pour cent pistoles d’assignats, il n’y a pas de même pour cent pistoles de terre. Aussi, tandis que dans les hypothèques ordinaires le créancier est indépendant du prix des ventes, et que même il a souvent intérêt à ce que la chose hypothéquée se vende mieux pour être plus assuré des prix de sa créance; dans celle-ci, au contraire, il a toujours intérêt à ce qu’elle se vende moins, et il se trouvera toujours mieux payé, en raison de ce qu’elle se vendra plus mal. On peut s’étonner d’après cela que les partisans des assignats ne cessent d’appeler leur papier papier-arpent, papier-territorial, et qu’ils osent même en comparer la valeur à celle des écus. Je ne sais si un écu est un assignat; mais c’est un assignat dans lequel est développée une valeur fixe et déterminée, et cette valeur l'accompagne sans cesse : l’empreinte de l’écu, qu’on veut comparer à l’assignat, est donc un certificat sûr de ce qu’on donne, au lieu que l’empreinte de l’assignat, non seulement n’offre pas un certificat sûr de ce qu’on donne, mais n’olfre pas même une assurance positive de ce qu’on donnera. Je ne connais qu’une manière de rendre la valeur des assignats égale ou approchante de celle des écus, la voici : Je suppose que le gouvernement ait un cube d’argent de la valeur de deux milliards, et que ne pouvant le dépécer assez tôt, il soit néanmoins pressé d’en jouir, je conviens qu’avec beaucoup de confiance et un ordre parfaitement établi, il pourra parvenir à le mettre d’avance en circulation par le moyen d’assignats; mais alors, on sent que chaque assignat répondrait à une partie aliquote fixe et déterminée du bloc. C’est ainsi qu’est organisée la banque d’Amsterdam. Vous avez une masse de propriétés disponible que vous estimez deux milliards, trois milliards, quatre milliards. Je veux bien ne pas vous contrarier dans vos calculs, mais je vous demande si les assignats sont une partie aliquote fixe de cette masse de propriétés? Si les assignats ne représentent pas une partie aliquote fixe de cette masse de propriétés, ils ne sont donc point une véritable assurance, une sincère représentation de leur hypothèque ; et comment peut-on les comparer alors? soit à de bonnes lettres de change, soit à de bons billets de banque, surtout à des écus qui, non seulement sont des représentations d’une quantité fixe de métal, mais qui sont le métal lui-même. A l’égard du papier-arpent, veut-on savoir comment il serait possible de faire en grande masse un véritable papier de cette espèce ? Le voici, mais vous allez voir combien il serait différent de vos assignats. Je me représente une plaine immense de terre, partout d’une égale valeur; je suppose que la tenue de cette plaine soit bien circonscrite, c’est-à-dire composée d’une auantité fixe de cases d’une étendue déterminée. ne fois maîtres de cette étendue de terrain, après l’avoir fait estimer suivant le taux commun de terres du pays, il est clair que vous pourriez la mobiliser pour ainsi dire, et en constituer des signes représentatifs, que vous mettriez en circulation. Un assignat de mille livres, par exemple, représenterait une mesure fixe de terre; un assignat de 500 livres, une demi-mesure; un assignat de 250 livres, un quart de mesure, ainsi de suite ; de manière que l’assignat serait toujours une partie aliquote fixe de cette masse de terrrain. C’est alors que ce qu’on appelle aujourd’hui l’hypothèque des assignats serait solide et invariable. C’est précisément de cette manière que les gouvernements font estimer. la valeur du cuivre qui est un véritable assignat sur l’or et sur l’argent, et l’or et l’argent, à leur tour, sont aussi des assignats sur le cuivre. Mais on sent que, dans tous ces cas, l’hypothèque se subdiviserait toujours dans la même proportion que l’assignat, et que l’assignat correspondrait, d’une manière invariable, à toutes les subdivisions de l’hypothèque. En dernière analyse si l’assignat, c’est-à-dire une parcelle donnée de la dette, ne répond pas invariablement à aucune partie aliquote fixe de la terre, nos assignats ne sont pas même de véritables assignats. Ici je sais qu’on a fait deux objections qui ont paru importantes ; la première, c’est que l’or et l’argent monnayés, eux-mêmes, ont deux valeurs différentes ; une comme marchandise, l’autre comme signe des échanges, et on a voulu en conclure qu’il pourrait en être de même du rapport de l’assignat avec la terre; celte çbjec-tion ne présente qu’un seul point d’obscurité qui est très facile à éclaircir. L’argent est une marchandise, les denrées sont des marchandises aussi. Les unes et les autres ne sont susceptibles d’énchérir qu’en proportion de leur abondance ou de leur rareté. L’argent en monnaie ne fait ici aucune différence ; car l’argent en monnaie ne présente autre chose qu’une barre d'argent divisée en différentes fractions de poids déterminé, et auxquelles on appose un sceau qui en atteste la pureté et le poids. La différence de valeur, qui se trouve entre l’argent monnayé et l’argent en barre, ne peut donc être autre chose que celle qui se trouve naturellement entre la valeur d’une manière brute et celle d’une matière ouvrée. Que le gouvernement prenne ou ne prenne pas un droit de seigneu-riage, cela ne fait qu’un accident à la valeur de l’argent, comme les marques sur les cuirs, sur certaines étoffes, les droits sur certaines marchandises, deviennent des accidents particuliers dans leur valeur; tout cela n’a rien de commun avec les assignats, tout cela ne dit pas que, comme représentation, leur valeur soit fixe et invariable. La seconde objection, c’est de comparer le cours forcé de la monnaie au cours forcé des assignats. J’avoue que je sais bien ce que c’est que des assignats forcés; mais je ne sais nullement ce que c’est que des écus forcés, à moins qu’on ne veuille parler de ceux qu’on fabriquait du temps de Philippe de Valois et de Philippe-le-Bel. Je vends une mesure de blé dix écus ; je conviens donc librement que je prendrai dix écus en échange de ma mesure de blé; les dix écus n’ont donc pas pour moi un cours forcé ; mais si au lieu de dix écus, dont j’ai connu la pureté et l’aloi, on me donnait dix écus d’une monnaie étrangère ou fausse, ou dix pièces de cuivre, ou morceaux de papier, il est clair que ma convention libre serait violée. Une infinitéde conventions libres de cette espèce existe en France; nombre de propriétaires ont consenti à échanger leurs fonds, leurs prés, leurs bois, leurs denrées, leurs marchandises, contre un certain nombre d’écus; que fait cependant votre émission d’assignats ? Elle dénature toutes ces conventions, elle fait que tous ceux qui avaient promis des écus en échange ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [26 septembre 1790.] 249 [Assemblée nationale.] des propriétés ou des marchandises, pourront violer leurs promesses et De payer qu’avec du papier. G’est dans ce seas uniquement qu’on peut dire que votre papier est forcé, parce que vous le substituez en effet de violence à des écus qui ne l’étaient pas. Passons maintenant à quelques détails sur vos assignats considérés comme monnaie; je ne parlerai pas de la facilité de la contrefaçon, tout le monde convient qu’aucun moyen possible ne peut vous en mettre à l’abri; et voilà sur ce seul point la fortune du royaume livrée au hasard; mais je m’attacherai sur les vices attachés à leur expression, quelque forme que vous lui donniez. Les assignats doivent représenter des sommes; mais quelles sommes doivent-ils représenter? Si vous leur conservez la même expression qu’ils ont aujourd’hui, il est clair que vous aurez l’avantage de laisser dans le commerce une quantité de numéraire circulant; mais il est clair aussi qu’ils ne tarderont pas à en venir embarrasser et obstruer toutes les opérations ; car un homme, avec des sommes considérables, pourra se trouver hors d’état de faire les moindres affaires; ce serait donc comme s’il y avait dans le commerce un métal en barre, et qu’il y eût peu ou point de monnaie, et cependant on aurait alors la ressource, comme dans les premiers âges de la civilisation, de dépécer ces barres, et d’en livrer les morceaux au poids, ce qui ne se peut faire pour le papier. Il ne resterait donc évidemment que la ressource des changes; mais on va sentir combien ces changes, toujours pressés et multipliés, et toujours difficiles, donneraient de la valeur à la monnaie, en même temps qu’ils feraient descendre celle des assignats. Dans un vaste Etat, dont les mouvements sont déjà composés depuis longtemps, il règne une proportion constante entre les grandes et les petites affaires. Or, quel embarras ne surviendrait-il pas dans le commerce, si la monnaie, propre aux grands mouvements qui sont rares, devenait surabondante, tandis que celle qui est propre aux petits mouvements qui sont communs et journaliers , deviendrait elle-même excessivement rare; si le manufacturier, par exemple, ne recevait sans cesse pour son travail qu’un prix qui iui serait inutile pour ses ouvriers? Celui qui achète en gros pour vendre en détail, pourrait faire ses affaires; mais celui qui achète en détail pour vendre en gros, serait sans cesse arrêté. Or, comme tout commerce est échange, comme dans tout, et principalement dans les objets de nécessité, le change d’un objet rare contre un objet commun se fait toujours au désavantage de ce dernier, il arriverait que, même en supposant à l’assignat la meilleure valeur et la meilleure hypothèque, la seule rareté de la monnaie par rapport à lui la ferait baisser de prix. Ainsi, indépendamment de toute autre considération, il est clair que l’assignat doit nécessairement diminuer de prix à mesure que son moyen de change deviendra respectivement plus rare. Ces inconvénients vous mèneront nécessairement à faire de petits assignats ; mais du moment que vous aurez adopté cetie mesure, voici les nouveaux embarras qui vous attendent. Toutes les opérations de commerce intérieur ne se feront plus qu’en assignats ; l’étranger, au contraire, ne se fera solder qu’en monnaie. Le numéraire disparaîtra de plus en plus, il s’enfuira par toutes les issues de la France, et pour peu que le papier baisse, on craindra qu’il ne baisse encore; on tremblera dé montrer de l’argent de peur de recevoir ensuite en retour du papier. L’argent se resserrera et augmentera de prix; le papier se montrera partout et baissera de valeur; c’est alors que l’un et l’autre deviendront des objets de spéculation, c’est alors que les détenteurs de l’argent se combineront pour procurer ces convulsions de hausse et de baisse, ressource éternelle de l’agiotage. Sans doute, comme vous l’a dit M. l’évêque d’Autun, cet agiotage sera inévitable dans tous les partis; mais tandis qu’autrefois il ne s’exerçait qu’au détriment des classes opulentes, ici, il portera des ravages jusque surles dernières classes de la société. L’agiotage s’exercait sur des effets royaux qui appartenaient à des banquiers, à des capitalistes, àdes hommes du fisc ; mais il y a autant de différence de cette espèce d’agiotage à celui qui s’exercera sur la monnaie, qu’il pourrait y en avoir entre des accaparements de sucre et des accaparements de blé. Le nouvel agiotage se fera donc sentir à la médiocrité et à l’indigence; il poursuivra le peuple jusque dans ses premiers besoins, la nation entière s’en trouvera pour ainsi dire enveloppée, et l'inquiétude d’une situation toujours pénible et tourmentée la portera inévitablement à toutes sortes de mouvements et d’excès. Ces inconvénients sont, comme on le voit, inséparables de la nature même des assignats. De quelque manière qu’on forme leur représentation, soit en grandes sommes, soit en petites sommes, ils subsisteront toujours. Et l’on vous propose d’en créer ainsi pour quatre cents millions, pour huit cents millions, pour deux milliards ; on vous propose de doubler tout à coup la masse de numéraire qui est en circulation 1 IL est vrai qu’on nous dit que la somme des effets de commerce sera doublée, puisqu’on met en vente pour un prix semblable de terres qui notaient point dans le commerce ; mais il est aisé de s’apercevoir que la masse au numéraire qu’on veut mettre eu circulation sera bien plus mobilisée, bien plus divisible que celle des terres à vendre; que, par conséquent, le nouveau numéraire s’attachera bien davantage à toutes les opérations partielles entre lesquelles il circulera nécessairement, avant d’arriver à des acquisitions vers lesquelles il n’a aucune tendance obligée ; or, tandis qu’il traversera avec lenteur toutes les relations d’affaires et de commerce existantes dans ie royaume, il est impossible qu’on ne voie augmenter sur-le-champ le prix de toutes les denrées, de toutes les marchandises, de tous les objets de commerce ; car le prix des “marchandises étant réglé aujourd’hui sur le rapport de leur quantité avec celle de la monnaie, il est clair que la quantité de celle-ci augmentant du double, tandis que la quantité de l’autre demeurerait au même niveau, les marchandises doivent nécessairement augmenter du double ; et qu’on fasse bien attention que ce qui arrivera ici, arriverait également quand même, au lieu de doubler la monnaie circulante par de mauvais papier, vous la doubleriez par de bon numéraire. Qu’on juge après ce qui arrivera si, au lieu de doubler cette circulation par de bon numéraire, vous la doublez par de mauvais papier. C’est alors que la défaveur du papier fera qu’on en voudra davantage pour s’indemuiser en quelque sorte de chances qu’il peut courir ; c’est alors qu’il est impossible de calculer jusqu’où pourraient aller le renchérissement de la monnaie et la dépré- 230 [Àsseaiblêè tiütionalë.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [26 septembre 1790i] dation du papier, et les différentes convulsions dans le prix des marchandises suivant les différents accès de crainte ou d’espérance; c’est alors, en un mot, qu’il est impossible de prévoir tous les malheurs et les désordres auxquels serait livré ce royaume. Les partisans des assignats ne laissent pourtant pas que d’être rassurés sur toutes ces craintes. M. Anson, pour discréditer nos présages sinistres, a cherché surtout à nous établir en contradiction. Il nous a opposé d’abord ce que nous disons des assignats qui doivent nécessairement faire fuir la monnaie; or, si les assignats chassent la monnaie, dit-il, il n’y aura donc plus d’excédant de numéraire, les denrées n’augmenteront donc pas de prix; et pourquoi se servir, a-t-il ajouté, d’une arme à deux tranchants, en opposant d’urte part la rareté de la monnaie, et de l’autre la surabondance du numéraire? Ma réponse à ce reproche de contradiction sera bien simple, c’est que nous ne parlons pas de la rareté de la monnaie et de ia surabondance du numéraire comme dë deux effets contemporains, mais comme de deux effets qui doivent être la conséquence l’un de l’autre. Nous disons que les assignats chasseront les écus,eteela est démontré; mais pour les chasser, il faudra qu’ils soient quelque temps aux prises; il faudra qu’ils coexistent ensemble. Or, ce sera pendant cette coexistence, que tous les objets doubleront nécessairement de valeur; et qu’oil ne dise pas que les lenteurs pour l’émission physique des assignats modéreront le surhaussement de toutes les denrées : cette élévation subite aura lieu, pour ainsi dire, du moment de l’émission de votre décret, et je sais que déjà, sur le simple bruit de la question que nous agitons, les ventes dans plusieurs de nos ports ont été suspendues. Du resté, il faudrait avoir bien peii dë connaissance de la matière sur laquelle nous délibérons, pour ignorer que tout excédant même d’argent dans un royaume se chasse lui-même, et que, quoi qu’on fasse, il tend à se placer à un certain niveau ; mais ici il ne se placera à ce niveau qu’à notre détriment, qu’en enrichissant les étrangers de tout notre numéraire réel, et nous laissant pour unique ressource un triste et stérile papier. On se plaint aujourd’hui de ceux qui enfouissen t l’argent ; encore quelques instants, et on le verra reparaître; mais on le verra reparaître attiré par les spéculations impudentes d’un lucre excessif et usuraire, et après que ceux qui le possèdent aujourd’hui l’auront fait ressortir pour usurper totites les possessions et toutes les richesses : il ne s’enfuira pas moins dans les pays qui nous environnent, en nous laissant les victimes de toutes les ruses de la cupidité. C’est donc en vain qu’on cherche à éloigner l’idée du surhaussëment des denrées ; c’est un effet nécessaire et inévitable de toute émission nouvelle de monnaie, et surtout de papier-monnaie, et alors comment se dissimuler l’action terrible que cet effet aurait sur toutes les classes indigentes? On cherche à nous persuader que le prix des salaires augmenterait dans la même proportion. Et moi je réponds que cela n’est pas sûr; que le prix de la main-d’œuvre ne se règle pas sur le besoin que les ouvriers ont d’un certain salaire, mais sur le besoin qu’on a des ouvriers , et puis, si les deux effets ne marchaient pas d’une manière correspondante et parallèle* à quelles secousses n’exposeriez-vous pas le royaume ? Mais je veux m’attacher ici à une ëbnsidération plus importante encore et plus décisive, c’est que le prix de toutes les denrées ayant doublé en France, les dépenses du gouvernement doubleront de la même manière. Or, comment fera-t-il pour acquitter le prix de toutes les dépenses accoutumées avec un revenu qui n’aura pas crû avec elles; car il est évident qu’ayant les mêmes dépenses à faire, et les payant moitié plus, c’est comme si, dans un état ordinaire, il percevait moitié moins. Cependant songez encore qu’il n’aura qüe du papier ; or, il lui faudra nécessairement négocier une partie de ce papier, tant pour une infinité d’appoints, que pour tous ses besoins extérieurs, et si des événements malheureux nous _ entraînaient dans une guerre étrangère, croit-on qu’il serait très commode de payer avec des assignats une armée campée en pays ennemi ? Croit-on qu’il serait très facile de rembourser en napier des avances que les fournisseurs auraient faites en écus? croit-oh que nos escadres se ravitailleraient gaiement de cette manière, que les bois de construction qu’on tire de l’étranger, les ambassadeurs, les consuls qu’on y entretient, que toutes les matières exotiques qu’on est forcé de tirer de toutes les parties du monde, se solderaient facilement en papier ? Voilà donc le gouvernement réduit sans cesse aux abois ; voilà les ministres et les généraux dans des embarras extrêmes, les voilà réduits à ne prendre conseil que des événements, et à tirer, comme ils pourront, parti des circonstances, sauf à aller expier ensuite sur un échafaud, comme le maréchal de Marillac, les désordres que le besoin le plus pressant aurait rendus inévitables. Ce n’est pas tout, le royaume de France n’est pas isolé, il vit, si j’ose m’exprimer ainsi, avec et au milieu de toute l’Europe, et il a des relations de commerce et d’affaires établies avee le monde entier. Or, quel commerce la France pourra-t-elle fdiré avec l'étranger, du moment que tous ses objets de commerce auront augmenté du double, et que les mêmes objets, hors de chez elle, seront demeurés au même taux? qui voudra aller porter à l’étranger pour un écu, ce qu’il aura acheté six francs ? Le commerce d’exportation sera donc bien arrêté. Le commerce d’importation au contraire sera favorisé dans un sens extravagant et disproportionné; car celui qui achèterait un écu à la frontière pour le porter en France, se trouverait le vendre deux ou trois fois plus. Il serait aisé de prouver que les relations et la proportion du commerce d’importation et d'exportation sont moins arbitraires et plus essentielles à conserver qu’on ne pense; mais indépendamment de cette considération, c’est que du moment qu’avec un écu de monnaie réelle, on pourra se procurer facilement six francs ou neuf francs de monnaie fictive, la monnaie fictive ne tardera pas à se placer bientôt à ce point de valeur, par rapport à la monnaie réelle. Tant que durera celte bouffissure artificielle, les assignats perdront donc nécessairement par rapport à l’argent toute là différence qui se trouvera entre le prix externe des marchandises et leur prix interne. Or, quelle convulsion affreuse non seulement dans les changes, mais dans toutes les affaires, dans toutes les fortunes particulières : lorsque celui qui aura affermé des terres ou des propriétés se trouvera en solder leprixau-dessous de moitié de leur valeür; lorsque cette foule dè citoyens, propriétaires, riches, aisés, médiocres ou pauvres, se trouveront tout à coup frustrés d’une partie de leur fortune! plus d’emprunts, [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [26 septembre 1790.] plus de billets, plus de lettres de change qu’à un taux usuraire, toutes les propriétés attaquées, toutes les conventions anéanties. Il n’est pas possible de se former une idée des désordres qui accompagneraient un semblable état de choses. Et qu’on ne dise pas qu’avec 5 ou 600 millions seulement d’assignats on éviterait la plus grande partie de ces malheurs. Je sais que des hommes à demi-résolution vous ont proposé une demi-mesure comme un moyen terme avantageux, et moi je crois que toutes les demi-mesures en finance sont les plus mauvais de tous les partis, et les hommes à demi-résolution les plus dangereux de tous les conseillers. Sans doute, ceux qui voient dans cette opération de germes de bonheur et de prospérité, des moyens pour faire fleurir le commerce et les arts, pour ramener parmi nous l’abondance et l’opulence, sont excusables de nous proposer un parti que le patriotisme égaré peut conseiller, et que l’égarement seul du patriotisme peut excuser; mais ceux qui, d’après leur conviction, vous ont fait un tableau déchirant des malheurs auxquels l’opération des assignats livrerait le royaume; ceux qui ont vu dans vos mains un glaive dont vous perceriez tout le peuple français, et qui viennent ensuite vous proposer de ne l’enfoncer que d’une certaine profondeur, ceux-là sont véritablement coupables : je lés accuse ici devant vous et devant la nation entière; car ils ont menti à leur conscience et à leurs lumières. Non, Messieurs, lés demi-partis qu’on vous propose né libéreraient pas le royaume et ne feraient qu’avancer notre ruine. Du moment que vous auriez passé les barrières de la justice, qui pourrait encore vous retenir au delà? Vous n’autoriseriez pas moins la méfiance et la crainte; tous les contrats, tous les actes, toutes les conventions ne se croiraient pas moins menacés. Prés d’un milliard de monnaie fausse ne circulerait pas moins avec la véritable, et comme c’est la disette du numéraire qui vous force aujourd’hui à cette opération, cette opération augmenterait elle-même cette disette, qui vous forcerait encore à une nouvelle émission. C’est ainsique les peuples et les rois, qui ont commencé une fois à abuser de la monnaie, se sont vus bientôt entraînés malgré eux aux mesures les plus désastreuses. Songez-ÿ, Messieurs, Ce furent ces abus de la monnaie qui, après des siècles de malheurs, obligèrent les Français à appeler sur eux l’impôt de ia gabelle. Quelle serait la malheureuse destinée de ce royaume, si à peine racheté de cë dernier fléau, il était forcé de revenir à l’autre. Rappelez-vous tous les mouvements qui agitèrent le règne de Philippe-le-Ëel, et auxquels ce prince ü’échàppa que par sa mort. Rappelez-vous les associations des provinces, ces ligues, ces fédérations dont le dépôt est conservé encore au trésor des chartes pour votre instruction et celle des âges à venir. Craignez que , les mêmes mouvements ne se reproduisent. Tous les jours vous montrez tant d’inqüiétude pour votre Constitution chérie ; mais c’est bien alors que vous verriez vos travâUx attaqués, vos succès anéantis. Vous avez passé comme un torrent sur nos usages, nos institutions, nos abus ; mais les torrents, après avoir entraîné les débris des montagnes, finissent par se perdre dans les sables qu’ils ont accumulés. Enfin, vous avez vu que l’opération des assignats forcés qu’on vous propose était mauvaise par sa Rature, cfu’eUe u’offTait aucune véritable 281 hypothèque, et qu’il était absurde de la comparer avec des écus ; vous avez vu les inconvénients graves d’en faire urte émission, sans en morceler les prix, et les inconvénients plus graves encore de les morceler; en un mot, vous avez vu le bouleversement que causerait dans le royaume une émission considérable d’àssigiiats. Ainsi* tout justifie pleinement le mot échappé à un dès membres de votre comité des finances* lorsqu’il les a appelés comme d’inspiration : ces misérables assignats. 11 ne me reste qu’à voir comment Une opération aussi dangereuse a pu vous être Conseillée, il faut qu’ori l’ait jugée indispensable. Je vais donc en examiner la nécessité. Il est un seul but auquel vous devez tendre, c’est d’acquitter la dette publique, c’est de payer avec les biens nationaux les créanciers de l’Etat ; c’est d’établir assez de concurrence à ces biens nationaux, pour s’assurer qu’ils ne seront pas vendus au-dessous de leur valeur. Or, pour que ces biens soient vendus au moins au niveau de leur valeur, il faut s’assurer d’une assez grande quantité de signes pour les acheter. Les signes sont ici le moyen, ils doivent être proportionnés à leur (in qui est la vente. Mais comme le numéraire* qui est aujourd’hui en circulation, suffit à peine pour les mouvements journaliers du commerce, il est clair qu’il ne pourrait se tourner du côté des biens nationaux, qu’autant que ceux-ci descendraient extrêmement dé leur valeur* d’où il résulterait un grand dommage pour la chose publique. Il faut donc absolument trouver de nouveaux moyens, il faut que vous formiez un levier proportionné à la masse que vous avez à remuer; eu uu mot, puisqu’il faut le dire, il vous faut nécessairement un numéraire fictif; si toutefois c’estpar des ventes partielles que vous comptez effectuer le dépècement des biens nationaux. Mais s’il vous faut un numéraire fictif pour cela, il est évident du moins qu’il ne vous le faut que pour cela, et qu'il ne doit pas avoir d’aütre buh Or, en mettant en billets d’Etat ou en quittances de finance, soit la dette exigible, soit la dette en général, eù leur donnant Valeur d’espèces dans les achats des domaines nationaux, voilà, ce nie semble, le seul numéraire fictif dont vous avez besoin, vos vues sont entièrement remplies* et je ne vois pas pourquoi on vous proposerait d’aller au delà. On vous a désigné à cet égard plusieurs précautions essentielles à prendre, prémièremebt de faire en sorte que ce numéraire fictif fut au niveau de son emploi, et si vous ne le mettez qu’au niveau vous pouvez n’avoir pas une concurrencé assez active. Il faut donc que vous preniez un, de ces deux partis; que vous montriez une prédilection particulière pourla partie de la dette qui est exigible, alors vous serez forcés d’y associer, pour animer la concurrence, tout ce qui se trouve ehéorô de numéraire dans le royaume, et qui voudra bien s’y présenter. Mais ici un nouveau danger vous menace; c’est qu’eu admettant le mitnéfâire réel, cette mesure peut effrayer la côüliande. On peut douter de la fidélité du Trésor public envers une accumulation de sommes, cfue les besoins pressants du gouvernement détourneraient peut-être bientôt de leur but primitif. Car depuis que ia fatale doctrine de la nécessité s’est aceféditëô parmi nous, il serait à craindre que les premiers événements difficiles, que des troubles intérieurs ou extérieurs, que des suspensions de recouvrements d’impôts* que je fie sais combien de causes 252 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [26 septembre 1790.] puissantes ne portassent la main du gouvernement dans le dépôt sacré de la créance publique. Le second parti qui se présente n’aurait pas cet inconvénient. Ce serait celui de couvrir toute ia dette publique avec vos billets d’Etat, et c’est celui que M. l’évêque d’Àutun vous a proposé. Par ce moyen vous auriez sur-le-champ cinq à six milliards d’effets qui, se portant sur deux milliards de fonds, en élèverait nécessairement la valeur à un taux assez avantageux. Il est pourtant bien essentiel de remarquer que si on voulait admettre aux achats des biens nationaux que la seule partie de la dette qui est exigible, il n’y en aurait jamais qu’une partie qui pourrait s’employer; car non seulement ce qui entrerait dans le commerce par la circulation de confiance, ne pourrait s’appliquer à des achats, mais encore tout ce que les spéculations de l’agiotage viendrait à bout d’en accaparer; et les capitalistes seraient d’autant plus portés à se prêter à ces mouvements qu’ils verraient avec plus de regret leur fortune échapper de leur portefeuille. Si l’Assembfée n’adoptait pas cette mesure, quelle est celle qu’elle pourrait lui substituer? Gomment parviendrait-elle à forcer la partie de la dette publique qu’elle aurait privilégiée, à se verser sur les» possessions territoriales? Serait-ce en stipulant que les billets d’Etat ne porteraient aucun intérêt? cette mesure opérerait certainement son effet; mais il s’agit de savoir si elle serait juste, s’il serait juste de fausser ainsi ses promesses, et de se rendre in fidèle aux engagements les plus solennels pris au nom de l’honneur et de la loyauté française? Serait-ce de diminuer l’intérêt de ces créances au point que leurs possesseurs se trouvassent comme contraints à se tourner vers les biens nationaux? Ce parti serait une moindre injustice sans doute; mais il serait encore une injustice, et, encore une fois, quand on a abandonné certains principes on ne sait plus où l’on doit s’arrêter. Enfin serait-ce de suspendre seulement ces intérêts pour les payer ensuite sur le fonds des ventes? rien n’empêche il est vrai d’adopter cette mesure, il faudrait même l’adopter pour la totalité des intérêts plutôt que pour une partie; mais alors vous avez encore à craindre que votre masse de numéraire n’étant qu’au niveau ou même au-dessous du niveau, la concurrence pour les biens nationaux ne fût tiède et insuffisante. Mais ce qui affaiblit surtout ce système de M. l’évéque d’Autun, c’est qu’on ne peut se dissimuler que la concurrence de la dette constituée avec la dette exigible, d’une dette que vous devez rembourser actuellement si vous êtes justes, avec une dette, que vous pouvez ne rembourser jamais, ne présente des difficultés graves, et si l’on pense à la disproportion du capital d’une partie de cette dette avec ses revenus, les difficultés s’aggravent encore. En un mot, avec ce moyen, vous êtes sûrs de vendre, vous êtes encore sûrs de payer; mais il peut arriver que vous payez ceux à qui vous ne devez pas, et que vous ne payez pas ceux à qui vous devez. J’avoue que j’aurais bien désiré que M. l’évêque d’Autun eût fait quelques efforts pour nous sauver de cette difficulté. En attendant, je crois pouvoir vous dire qu’il vous reste un autre parti qui ne vous a point été proposé : parti qui eût été, suivant moi, le plus loyal, le plus simple et le plus facile de tous, si on avait su l’adopter dans le principe, et surtout, si les besoins de ia caisse d’escompte n’avaient pas commencé à nous familiariser avec les ressources malheureuses auxquelles nous nous sommes accoutumés; ce parti serait encore de faire d’une portion de la créance publique, une masse absolument semblable à celle des biens nationaux disponibles, et de couvrir l’une avec l’autre, en constituant tous les créanciers du royaume pour élire une commission entre eux. Cette commission travaillerait avec un de nos comités ad hoc, à l’effet de procéder ensemble à la liquidation de cette partie de la dette. En cette forme, il serait nommé des experts par les directoires des départements : il en serait nommé également par la commission, et les biens seraient ainsi livrés directement à ces créanciers, au prix et suivant i l’estimation amiable. Je sais qu’une opération de cette espèce réveille l’idée des formes dispendieuses consacrées dans les anciens tribunaux; mais il serait si facile d’en éloigner les formes inutiles et avides des praticiens, et j’ose croire que se faisant ainsi dans toutes les parties du royaume à la fois, dans moins de trois mois, avec du zèle et de l’intelligence, elle pourrait être achevée. Sans blâmer le projet de liquidation de la dette publique par le moyen des quittances de finance, d’obligation nationale ou de tout autre papier de confiance, j’avoue que ce serait ce dernier parti que j’adopterais de préférence. Dans tous les cas, je ne peux imaginer que vous ayez le droit de créer desassignats-monnaie. Dans aucun cas, vous ne pouvez renverser toutes les conventions, dissoudre toutes les fortunes, disposer de toutes les propriétés. Dans aucun cas, vous ne pouvez forcer des citoyens à s’immoler pour le bonheur ouïe bien-être d’autres citoyens. Les bords de l’abîme où la banqueroute nous appelle présentent assurément une situation douloureuse; il faut en éloigner autant qu’il sera possible les créanciers de l’Etat; mais il ne faut pas y appeler pour cela les créanciers de la terre, les citoyens possesseurs des fonds etdes denrées, et leur faire subir les chances funestes d’un jeu auquel ils n'ont pu songer au sein de nos campagnes agricoles ou de nos \villes commerciales. On vous dit qu’il faut attacher un grand nombre d’amis à la Révolution, et moi, je dis que cette mesure vous donnera partout des contradicteurs et des ennemis. Je pourrais dire encore, qu’on s’attache toujours facilement à une Révolution qui est bonne. Si votre Constitution n’a pas violenté les rapports des hommes par l’appât d’une trompeuse égalité, si elle a accoutumé leur cœur à un sentiment d’indignation pour les spoliations et les injustices, pour les scènes de cruauté et de barbarie, pour les délations, les inquisitions, les trahisons de toute espèce ; si elle les a façonnés au respect de l’ordre, de la religion, de l’humanité; de tout ce qu’il y a de plus sacré parmi les hommes, sans doute voire Constitution sera honorée et admirée, sans doute elle sera appuyée et défendue. Vous n’avez pas besoin de lui donner des étais de papier; vous n’avez pas besoin de lui chercher des partisans du moment, des partisans d’argent, des partisans précaires ; malheur à une Constitution pour laquelle il faut acheter des amis, pour laquelle il faut corrompre la conviction intérieure par l’appât de l’intérêt. Laissons aux démagogues des républiques, le soin de tout acheter et de tout corrompre; mais nous, j’ai cru que nous étions faits pour d’autres moyens et pour d’autres destinées. Je conclus en exposant : 1° Que les premiers Assemblée nationale.] 253 ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [26 septembre 1790.] assignats, rais dans la circulation, peuvent être convertis en billets d’Etat et de confiance ; 2° Que les créanciers de la dette publique exigibles peuvent être constitués pour former entre eux une commission ; 3° Que cette commission pourra travailler avec un comité ad hoc, pris dans le sein de l’Assemblée nationale, à l’effet de se faire adjuger, comme chargés de procuration spéciale, une masse des biens terriloriaux égale à celle de la dette exigible ; 4° Les directoires des départements où les biens nationaux se trouveront placés, ainsi que la commission des créanciers de l’Etat, nommeront des experts pour estimer la valeur desdits biens qui seront livrés à la commission, suivant et conformément au tarif de leur estimation. Je dois vous ajouter, Messieurs, que je ne fais ici que vous indiquer cette mesure sans prétendre vous la proposer ; car je vous préviens que, quand vous l’adopteriez, comme elle a pour base la spoliation territoriale du clergé, aussi bien que celle de l’usufruit des titulaires, je serais forcé d’opiner contre ; car l’une et l'autre ont toujours été et seront toujours contre tous mes principes et contre tous les sentiments de mon cœur. Mais j’ai cru qu’au milieu des maux qui nous entourent, il était permis de vous indiquer le moindre, et c’est le seul motif qui m’a déterminé. Encore une réflexion, Messieurs, et c’est la dernière : c’est que, quelque parti que vous preniez, il n’en est poiutsans le rétablissement de l’ordre public, sans la restauration de l’autorité et de la dignité royale. Les calamités présentes sont certainement l’effet de nos passions ou de nos principes, ce sont donc nos passions ou nos principes qu’il faut d’abord réformer. M. Duval d’Eüprémesnîl. L’impression du discours. Voix nombreuses : Non ! non ! (La séance est levée à 3 heures.) ANNEXE A LA SÉANCE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE, DU 26 SEPTEMBRE 1790. Nota. Nous insérons ci-dessous un document qui sert en quelque sorte de complément à l’opinion de M. de Montlosier sur les assignats. — Ce document a été imprimé et distribué à tous les membres de l’Assemblée nationale. Observations sur les Assignats, par M. de llont-losier, député d’Auvergne. Iniquitas mentita est sibi. Elle est donc déjà tombée dans l’opinion cette grande, cette sublime opération à laquelle vous aviez attaché toutes vos espérances (1) ! Elle est (1) Dans le premier moment d’effervescence, les billets de la caisse d’escompte, représentatifs des assignats, étaient à 2 0/0 de perte. Aujourd’hui, il en coûte 5 0/0 pour se procurer des écus. Les réclamations de Ïilusieurs provinces, la totalité de l’émission future et a cessation de l’impulsion d’engouement donnée par les agioteurs annoncent encore une baisse considérable. tombée; il ne vous restera plus que la honte d’avoir aggravé nos malheurs, et à nous l’insuffisante consolation de vous les avoir prédits. Ce n’était donc rien que la fortune de tous les citoyens français; puisque vous ne craigniez pas d’èn faire l'abandon à de vils agioteurs ; puisque vous ne craigniez pas de leur immoler en même temps tous les principes de l’honneur et de la justice, et jusqu’aux lois éternelles de la propriété! Mais vous avez trouvé bien plus doux de céder à de petites affections pour de misérables usuriers, ou à de petites haines contre des prêtres. Vous avez trouvé bien plus doux de consommer une œuvre prônée avec tant de complaisance et annoncée avec tant d’éclat. Depuis longtemps elles étaient désignées vos victimes ; vous avez voulu les atteindre à tout prix, et vous n’avez pas craint de percer tout un peuple pour arriver jusqu’à elles. Voyez-le donc actuellement, ce peuple, se débattre au milieu des maux que vous avez faits. Entendez ce cri unanime qui a rompu tout à coup le silence que vous aviez imposé et qui demande où sont les pères de la patrie ! C’était bien la peine de tourmenter avec si peu de générosité des frères, des concitoyens, des amis ; c’était bien la peine de mettre tant d’art à appeler sur eux l’opprobre, la persécution, l’indigence ! Et voilà comme l’iniquité s’aveugle et se trompe elle-même. De tant de maux que vous avez faits jusqu’à présent, vous n’en avez encore retiré aucun fruit. Vous avez semé partout la désolation et les larmes; et ces larmes même ont frappé de stérilité la terre qu’elles ont arrosée. Tant d’exemples seront-ils toujours inutiles à votre instruction ? Il faut croire que vous prendrez enfin le parti de sonder sérieusement l’étendue de nos maux ; ils sopt grands, mais ils ne sont peut-être pas encore sans remède, et du moins nous voulons conserver jusqu’à la dernière extrémité l’espérance d’un roi et de la liberté. Je jetterai d’abord, si vous le trouvez bon, un coup d’œil rapide sur l’opération des assignats en elle-même ; j’en montrerai tous les vices; j’examinerai ensuite la position actuelle des finances, mais avant de calculer vos ressources, j’espère vousmontrer qu’elles sont nulies sans la confiance; et peut-être aurai-je l'honneur de vous convaincre que ce n’est pas en agaçant, comme vous avez fait, tous les intérêts et toutes les haines qu’on peut venir à bout d’établir cette quiétude politique sans laquelle il ne saurait y avoir ni confiance, ni crédit, ni Constitution, ni prospérité. Lorsqu’un Etat est endetté et qu’il veut payer ses dettes, il n’a qu’un seul parti à prendre, c’est d’augmenter sa recette ou de diminuer sa dépense ; et encore mieux de faire l’un et l’autre. Car ce sont toujours les impôts d’une nation qui sont le premier gage de ses créanciers. En France, tant que les impôts ont été au niveau des engagements publics, la confiance s’est soutenue. Du moment que les impôts ont paru au-dessous, la confiance a baissé; bientôt l’opinion publique s’est montrée d’une manière menaçante, et il a fallu bien vite s’environner de moyens extraordinaires pour la calmer. Malheureusement ces moyens extraordinaires n’ont su se tourner que contre leur propre destination. Au lieu de commencer à raffermir le gouvernement et l’impôt, ces deux bases de tout crédit, leur premier mouvement a été de les détruire. Des hommes appelés à montrer de la sagesse n’ont voulu faire ostentation que de leur force ; il a fallu que cette force se mesurât à tout et c’est au milieu des in-