50 [Assemblée nationale.] parleurs représentants; pourquoi ne leur serait-il as permis de l’exercer ? pourquoi ne pas attribuer des syndics élus pour un temps par les matelots de chaque quartier l’autorité autrefois exercée par les commissaires? Point de complication dans ce régime, puisqu’il est réduit au moindre nombre d’agents qu’il soit possible d’employer. 11 est facile d’apercevoir les avantages nombreux qui découlent d’un système d’administration aussi simple, aussi conforme aux droits des citoyens, et ofi la confiance des matelots dans les administrateurs qu’ils se seront donnés eux-mêmes répond d’avance de leur fidélité et de leur promptitude à exécuter les ordres que ceux-ci auront donnés. Tel est, Messieurs, le régime que la majorité de votre comité a cru devoir mériter la préférence sur tous les autres, et c’est dans l’esprit de ce régime, ainsi que d’après la nécessité reconnue des classes, qu’il a l’honneur de vous proposer le projet de décret que voici : PROJET DE DÉCRET. Le service et la défense de la patrie étant une obligation commune à tous les citoyens, le service de l’armée navale doit être l’obligation spéciale des gens de mer; en conséquence l’Assemblée nationale a décrété et décrète : Art. lor. Tous les Français qui ont embrassé ou qui embrasseront la profession de navigateur sur la mer et sur les rivières, et tous ceux qui exercent des professions maritimes, seront, à l’âge de dix-huit ans, inscrits sur la matricule des classes, et tenus dès lors de servir, à tour de rôle, dans l’armée navale ou dans les ports ou arsenaux, jusqu’à cinquante-six ans, à moins qu’ils ne se trouvent dans un état d’infirmité qui ne leur permette pas les voyages de long cours. Cette obligation cessera pour eux lorsqu’ils auront renoncé à la navigation ou à la pêche, sauf le temps de guerre pendant lequel ces renonciations ne seront pas admises. Art. 2. Les gens de mer classés seront exempts de tout autre service militaire et de toutes impositions qui pourraient être établies en remplacement dudit service. Art. 3. Les hommes de mer qui ne seront point commandés pour lé service de l’armée navale seront libres de s’embarquer sur les navires marchands et sur les bateaux de pêche, à la charge seulement défaire inscrire leurs mouvements sur la matricule des classes. Art. 4. La paye des novices et des matelots, qui était graduée de 14 à 21 livres, sera désormais de 15 à 24 livres; et tous les gens de mer servant dans l’armée navale seront payés de leurs salaires au désarmement sans aucun délai. Après 72 mois de campagne sur les vaisseaux du roi, ils seront de droit citoyens actifs, et iis continueront de jouirde toutes les gratifications, pensions, demi-soldes et autres avantages qui leur sont attribués par les ordonnances actuellement existantes. Art. 5. Tous les gens de mer et navigateurs sur les rivières éliront librement dans chaque quartier, en présence des officiers municipaux, un syndic qui sera appellé syndic des gens de mer , et dont les fonctions dureront trois ans pendant lesquels il sera exempt de tout service. Art. 6. On conservera les commissaires actuellement existants dans les quartiers, mais ils seront réduits aux fonctions énoncées dans les articles suivants. Art. 7. Le commissaire tiendra les matricules et [15 avril 1790.} les registres où seront inscrits les gens de mer. 11 recevra les ordres de l’administration sur l’époque des levées et le nombre des hommes dont elles doivent être composées, et les communiquera au syndic chargé de leur exécution. Il sera chargé de la comptabilité des payements à faire dans chaque quartier aux gens de mer qui l’habitent, et de la correspondance avec l’administration de la marine exigée par ses différentes fonctions. A luiencoreappartiendront les arrangements relatifs au départ des levées. Art. 8. Le syndic averti par le commissaire del’é-poque et de la force de la levée ordonnée indiquera, en suivant le tour de rôle prescrit par les registres, les hommes qui doivent la composer; et si cette disposition, faite par le syndic, fait naître quelque contestation, elle sera jugée par le directoire du district. Art. 9. Dès que la levée aura été complétée par le syndic, elle sera par lui remise au commissaire duquel elle recevra les ordres relatifs à son départ pour le lieu de sa destination. Art. 10. Ainsi, citoyens dans leur domicile, les gens de mer n’y doivent être soumis qu’à la municipalité du lieu qu’ils habitent. Ils seront dans la dépendance du syndic pour le fait seulement des levées ; mais, la levée formée, ceux qui la composent doivent dépendre du commissaire, et être, dès cet instant, assujettis à toutes les ordonnances qui règlent la subordination militaire dans les armées navales. Art. 11. Si le commissaire ou le syndic éprouvent quelques obstacles dans l’exécution des fonctions qui leur sont confiées, ils pourront demander main-forte à la municipalité qui deviendra responsable des suites de son refus. Art. 12. Tous les officiers actuels des classes seront supprimés, à l’exception des commissaires qui continueront d’être dépositaires des matricules ou registres des gens classés, et il sera pourvu par le roi à l’inspection des classes. 11 sera accordé aux officiers supprimés des pensions de retraite proportionnées à leurs grades et à l’ancienneté de leurs services. M. le Président. L’Assemblée passe à son ordre du jour et à la discussion sur le projet du comité des finances relatif aux assignats. M. le baron de Landenberg-Wagenbourg. Messieurs, la sévérité de l’Assemblée, son absolue et presque arbitraire puissance... (Il s’élève beaucoup de murmures.) M. le Président. Je vous rappelle à l’ordre au nom de l’Assemblée. M. de Landenberg. L’organe de l’Assemblée vient de me communiquer ses ordres; je me rétracte. Je me plaignais de la sévérité de l’Assemblée sur la parole. Les citoyens qui m’ont envoyé ici m’ont ordonné de me faire entendre, et voilà plusieurs jours qu’il m’est impossible de parler. il m’a plusieurs fois paru étrange de voir fermer la discussion quand quelqu’un de nous avait encore quelque chose à dire... M. le Président. Au nom de l’Assemblée, je vous ordonne de ne vous permettre aucune digression. M. de Landenberg. Il m’est pénible d’avoir été rappelé à l’ordre deux fois et presque dans le même moment... Il y a quelques jours que je vou-ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [15 avril 1790.] lais vous offrir un plan de finances; mais hier on m’a ôté mes bases; et désespérant de trouver des appuis assez forts pour mon système, j’y renonce. Je demande seulement si les assignats auront un cours forcé? Eh! quoi, la nation pourrait former de l’or en un instant, tandis qu’il faut à la nature des siècles pour le préparer dans son sein! Prenez garde de faire concevoir des inquiétudes en accordant des intérêts aux assignats. Il faut tout ménager, lorsqu’une opération préalable et nécessaire n’est pas inattaquable et inattaquée. Je conclus à ce que la circulation des assignats soit libre. J’ai été souvent témoin de la défaveur avec laquelle l’Assemblée reçoit les demandes d’exception; dussé-je éprouver cette défaveur, je parlerai, parce qu’il est de mon devoir de le faire. L’introduction des billets en Alsace y produira des effets funestes; elle pourra soulever le peuple et lui faire perdre de vue la sagesse et l’utilité de vos décrets. Si la circulation des assignats y était forcée, cette province ne pourrait faire de ‘commerce avec l’étranger; c’est pour elle que je demande une exception. M. Hell. Les députés de la province d’Alsace ont demandé, à plusieurs reprises, d’être traités, dans les diverses opérations de l’Assemblée, comme toutes les autres provinces. Je ne crois pas que le préopinant ait mission pour réclamer l’exception qu’il demande. M. le duc d’ Aiguillon (1). Messieurs, le projet de décret qui vous est proposé par votre comité des finances, mérité de fixer votre attention la plus sérieuse sous différents rapports. Rien n’est plus important que l’objet soumis aujourd’hui à votre décision. Il faut examiner, avant de prendre un parti, plusieurs questions préliminaires qui peuvent avoir la plus grande influence sur votre opinion. 1° Qu’est-ce que les assignats? 2° La somme de 400 millions d’assignats est-elle suffisante pour les besoins de l’année? Les assignats doivent-ils être forcés, et s’ils sont forcés peuvent-ils être nuisibles à la chose publique ? 4° Faut-il que les assignats aient un intérêt ? Quel est l’intérêt qu’on doit leur attribuer ? PREMIÈRE QUESTION. 1° Qu’est-ce que les assignats ? C’estune lettre de change, payable à une époque indéterminée, dont la valeur numérique est garantie par une portion des biens à la disposition de la nation. De pareils effets méritent certainement toute confiance; c’est la seule ressource dont l’Assemblée nationale puisse faire usage pour concilier, à la fois, la célérité du paiement de la dette exigible, et le service de tous les départements de l’administration; c’est enfin le meilleurmoyen pour faciliter le passage de cet état ancien de nos finances, plein d’abus et de déprédations, à celui que vous allez établir, et que votre sagesse saura rendre pur, simple et nullement onéreux pour les peuples. Pour parvenir à ce but si désiré, une question importante se présente à votre examen : (1) Le discours de M. le duc d’Aiguillon est très incomplet; au Moniteur . SECONDE QUESTION. 2° La somme de 400 millions est-elle suffisante? Je ne le pense pas, Messieurs. En effet, vous devez 1,149 millions de dettes exigibles, et le service de l’année s’élève à environ 500 millions; 1,659 millions de ressources vous sont donc nécessaires. Vous n’avez à recevoir des impositions, soit arriérées, soit du service de cette année, qu’environ 450 millions ; par conséquent il vous faut 1 ,209 millions de ressources extraordinaires pour passer de l’état ancien des finances à l’ordre constitutionnel que vous voulez et que vous devez établir. Les 400 millions qu’on vous propose sont donc insuffisants et ne peuvent être qu’un palliatif qui, loin de calmer les craintes, les excitera peut-être davantage, parce qu’on croira que c’est là le terme de vos ressources. La confiance n'est que le résultat de l’évidence des moyens d’effectuer ce qu’on promet. Vous avez solennellement promis de toutpayer; si vous ne présentez pas, dès aujourd’hui, à vos créanciers, une masse de ressources au-dessus de la somme que vous avez contracté l’engagement de payer, voua vous exposez aux plus terribles inconvénients. Le seul moyen de ranimer le crédit national est de savoir enfin notre position au juste, et d’obtenir des comptes clairs et précis, que la probité connue du ministre des finances doit lui faire désirer de vous rendre jusqu’aux moindres détails. 11 est passé sans retour ce temps d’erreurs, où un voile épais couvrait les dilapidations des finances de l’Etat; ce temps malheureux où les peuples étaient sacrifiés à l’avidité des gens en faveur et des ministres. Tout doit désormais être connu; tout doit être clair dans les différentes parties de l’administration.: mais, par une fatalité inconcevable, à l’instant où nous sommes, au milieu des périls pressants qui menacent notre heureuse Constitution, au moment où le bon. ordre dans les finances peut seul affermir notre ouvrage, les moyens d’éviter les écueils qui nous environnent sont encore dans l’obscurité la plus profonde, parce que nous ne connaissons pas le véritable état de nos finances. Prenons-y garde, le délire de la crainte s’est emparé de tous les esprits : une faute, uneerreur peuvent être aujourd’hui la cause des plus grands malheurs ! Non, Messieurs, ce ne sera point en vain que vous aurez mis les créanciers de l’Etat sous la sauvegarde de l’honneur et de la loyauté française. Ce ne sera point en vain que vous aurez décrété que toutes les impositions seront rigoureusement supportées par tous les citoyens, en raison proportionnelle de leurs facultés. Vous allez sonder toute la profondeur de nos maux en finances ; vous allez les guérir. Pour y parvenir, nous devons, ce me semble, repousser avec mépris toutes les ressources précaires : des palliatifs insuffisants aggraveraient le mal sans nous soulager. Assez et trop longtemps nous avons compté sur les ressources offertes par M. Necker, pour opérer la restauration des finances. Tout nous dit aujourd’hui que nous ne devons nous en rapporter qu’à nous-mêmes, tout nous dit que nous devons examiner avec soin les demandes des ministres, et nous prémunir contre leurs suggestions ; car enfin, Messieurs, qu’avons-nous fait en finances? Nous avons fait tout ce qui nous a été demandé : continuation des anciennes impositions, emprunts, 52 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [15 avril 1790.] contribution du guart des revenus, prolongation desurséance des paiements de la Caisse d’escompte, assignats sur les biens ecclésiastiques et les domaines à la disposition de la nation, vaisselle portée à la Monnaie. Cependant, Messieurs, qu’en est-il résulté? Grand discrédit, resserrement extrême du numéraire, perte sur les billets décaissé, baisse des fonds publics et perte immense dans le change. Dans des circonstances aussi alarmantes, quelles ressources vous ont été indiquées parle ministre? Dés palliatifs temporaires, fondés sur des assertions hasardées, la cumulation de tous les moyens de discrédit; soixante millions d’anticipation sur les revenus de 1791, lorsque vous avez déjà manifesté une volonté contraire, un empruntde trente millions lorsque les emprunts des anciens États de Languedoc et du mois d’août dernier ne sont pas encore rem plis, un nouveau retard de cinquante millions sur le paiement des rentes, lorsque les rentiers supportent déjà dix-huit mois de retard ; ou, ce qui est pis encore, la proposition de laisser un an toujours en arrière sur les rentes, et de les payer trois quarts en papier et un quart en argent : enfin le retard du paiement des effets à termes de diverses dépenses ordinaires et extraordinaires pour trente millions, et un nouveau crédit de trente à quarante millions sur la Caisse d’escompte. Pour développer sous tous leurs rapports les effets fâcheux de ces palliatifs il faudrait peut-être remonteraux causes de la Révolution, et vous les détailler, mais je ne veux point abuser de vos instants, Il me suffira, Messieurs, de vous rappeler que cette heureuse Révolution se préparait depuis longtemps par le concours des lumières, et par les progrès de la philosophie et de la raison. Son époque a été bâtée, son succès a été assuré, j’ose le dire, par les erreurs, par les fautes des ministres, notamment depuis M. Turgot. Le moment où les peuples devaient enfin recouvrer leurs droits imprescriptibles, ce moment où la face entière de l’empire devait changer, a été suivi d’une explosion terrible; et tousles bons citoyens gémissent encore des violences qui ont été l’effet inévitable de l’insurrection générale des opprimés contre leurs oppresseurs. Cependant, Messieurs, cette explosion n’a pas été aussi funeste qu’on aurait pu le croire, car vingt-quatre millions d’hommes partageaient vos dangers, et s’indignaient des obstacles qn’on opposait à leur bonheur. Vous avez alors commencé votre ouvrage immortel. La raison traçait notre route. Chacun de nous savait ce qu’il fallait abattre. Un instant, une seule nuit, pour ainsi dire, a détruit tous les abus. Il nous a fallu plus de temps pour créer une constitution nouvelle, dégagée des erreurs de l’ancien ordre de choses ; cependant la postérité croira à peine, je ne crains pas de le dire, la promptitude avec laquelle, à travers des obstacles en tout enre, l’Assemblée nationale est venue à bout ’exécuter une entreprise aussi difficile . Il vous reste à présent, Messieurs, à vous occuper essentiellement des finances. Le succès de vos efforts à cet égard peut assurer à la France le fruit de vos travaux. 11 est donc évident qu’il faut un plan général de finances, qu’il faut présenter la masse imposante de nos ressources, et que le crédit ne peut point renaître d’une opération partielle, quand elle serait bonne en elle-même. Qui de nous, par conséquent, pourrait douter que ces palliatifs qui nous sont offerts, et dont j’ai eu l’honneur de vous développer le tableau, auraient l’effet inévitable d’éteindre entièrement la confiance, et d’anéantir la circulation. Dès lors, il en résulterait la suspension forcée des paiements des banquiers, et un désastre général dans le commerce. Je ne me permettrai pas de vous détailler tous les maux que produirait la suppression totale de la circulation. La peinture en seraittrop effrayante. Représentez-vous les horreurs de la guerre civile, le pauvre armé contre le riche, toutes les impositions détruites, l’armée dissoute faute de solde, enfin l’anarchie et le despotisme : voilà les maux horribles que votre sagesse va prévenir en rejetant des moyens temporaires et partiels pour adopter un plan général. Vous devez dire au peuple incessamment : « Songez aux malheurs dont vous étiez accablés sous le régime ancien ; une masse effrayante d’impôts vous écrasait pour enrichir vos oppresseurs. Sous le nouveau, vous allez jouir d’une diminution considérable dans ces mêmes impositions. Anciennement, un mode de perception dur, barbare, portait la désolation dans vos familles ; désormais vous n’aurez plus à souffrir des vexations d’une horde d’exacteurs, et le tribut que vous devez à la patrie sera perçu sans vous coûter de larmes. Autrefois vous gémissiez sous le régime féodal, sous toutes les servitudes possibles ; maintenant vous en êtes délivrés ». Enfin Messieurs, on ne saurait assez exprimer aux peuples, et tous les abus dont ils étaient la victime et la somme de félicités que leur prépare l’ordre nouveau des choses. L’Assemblée nationale va montrer en même temps aux créanciers de l’Etat, et sa situation véritable et la somme imposante de ses moyens; elle leur prouvera que la banqueroute est impossible, qu’il ne faut qu’un ordre constant dans la manutention des deniers publics pour assurer le crédit national, affermir la confiance, et faire cesser ces craintes, ces terreurs dont les ennemis du bien public cherchent à nous environner. Quand vous aurez ainsi rassuré les créanciers de l’Etat et tranquillisé les peuples, doutez-vous un instant, Messieurs, de l'affermissement de votre ouvrage, que des ressources partielles, des palliatifs ne peuvent point consolider? Non, vous en êtes certains ; vous n’avez qu’à le vouloir, et la sécurité va succéder à la défiance. Qu’il me soit permis de vous faire remarquer combien il est important surtout de faire sentir tousles abus anciens. L’impression du Livre rouge, celle de tous les autres recueils dès déprédations ministérielles, que vous avez eu tant de peine à obtenir, servent la chose publique mieux que tout. La publicité des preuves multipliées de l’avidité des gens en faveur et des dilapidations de toute espèce, sera le désespoir des ennemis de la Révolution et la consolation des bons citoyens. Je crois donc qu’il faut plus tôt que plus tard obtenir les comptes exacts de notre situation actuelle en finances ; présenter au peuple les abus que vous détruisez et adopter un plan général qui embrasse toutes les parties. Ce sera là la base de notre crédit et de notre constitution. J'en reviens à la question que j’ai proposée ; 400 millions d’assignats sont-ils suffisants ? Vous savez que non, Messieurs; mais l’urgence des choses, le désir public vous forceront peut-êtreà les établir : que ce soit au moins en déclarant formellement que vous ne voulez plus faire d’opérations partielles et que vous allez, sans interruption, adopter un plan général de finances, et présenter au public les fondements inébranlables sur lesquels notre crédit va s’asseoir. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [15 avril 1790.] 53 Vous avez encore, Messieurs, à examiner une question bien importante, et c’est celle-ci : TROISIÈME QUESTION. 3° Les assignats doivent-ils être forcés, et s’ils sont forcés, peuvent-ils être nuisibles à la chose publique? Les assignats*, de quelque espèce qu’ils soient, auron t pour hypothèque une propriété qui garantira le paiement futur et peut-être très prochain de leur valeur numérique. Donc les créanciers de l’Etat ne peuvent rien désirer de plussolideen paiement de leurs créances. Le seul inconvénient des assignats non forcés, se réduit à ce que la somme de 400 millions n’est pas suffisante pour solder la dette exigible. L’Assemblée doit-elle décréter que les assignats serout forcés? Dans toute autre circonstance où l’urgence des événements ne serait pas aussi grande, je répondrais que non, et que ce serait forcer la confiance et s’écarter des principes. Il est impossible de se dissimuler que nier les principes, c’est substituer l’erreur à la vérité, et que forcer la confiance, c’est créer des dupes et des fripons. Je crois pouvoir le proposer sans réplique. Les créanciers de l’Etat, en prêtant de l’argent au gouvernement, ont couru des chances plus ou moins avantageuses; ils ont seuls joui du bénéfice, et si, dans le paiement que vous leur faites, il y a une chance de perte à courir, ils doivent être seuls à la supporter. Si vous rendez les assignats forcés, vous donnez le pouvoir, aux porteurs des assignats, d’évincer tous les citoyens de leurs propriétés en contrats sur les terres et maisons, ou en billets et lettres de change; et ceux qui ont continuellement gémi des dilapidations ministérielles et de la folle imprévoyance des prêteurs d’argent, se trouveront encore les victimes de la forme de paiement de ces mêmes dilapidations. Si vous pouviez vous croire permis de forcer les assignats, il n’est pas du moins dans votre pouvoir d’éviter que, du premier moment de leur émission, ils ne tombent plus ou moins au-dessus de la valeur qui leur sera désignée. Ainsi, il y aura nécessairement deux cours, celui de la somme exprimée par l’assignat, et celui de cette même somme contre des écus. Cette différence étant actuellement de 5 0/0 sur les billets de la Caisse d’escompte, et de 20 0/0 sur l’emprunt national, elle sera peut-être très considérable sur les assignats, surtout si vous n’annonciez pas le dessein formé d’adopter un grand plan propre à rameoer la confiance. Dès lors, pouvez-vous vous dissimuler que le propriétaire d’un contrat, d’une lettre de change, payés en assignats, supportera la perte des assignats et recevra d’autant moins de l’argent qu’il avait prêté, que les assignats perdront davantage? L’action et la réaction de la perte des assignats n’opèreront-elles pas la ruine de tous les citoyens dont la fortune était en contrats et en lettres de change? Les citoyens payés en assignats ne se-ront-ilS pas dupes? Et quel nom faut-il donner à ceux qui s’autoriseront de vos décrets pour payer moins qu’ils n’ayaient reçu? En cessant d’examiner les assignats forcés, du côté de l’honnêteté, de la moralité qui doivent toujours accompagner nos opérations, que n’aurait-on pas à dire si on voulait les considérer relativement: 1° à la circulation du numéraire; 2° à notre commerce avec l’étranger; 3° à notre commerce intérieur; 4° au prix de la main-d’œuvre; 5° au paiement des contributions ; 6° au prix de toutes les denrées qui haussera en proportion de la perte des assignats, etc, etc. Mais je crains d’abuser de vos moments, et je laisse à des personnes plus instruites que moi en finances, à vous développer mieux que je ne pourrais le faire, les inconvénients immenses des assignats forcés. 11 nous reste encore une question importante à traiter : QUATRIÈME QUESTION. 4° Faut-il que les assignats aient un intérêt? Quel est l’intérêt qu’il faut leur attribuer? Si l’on pouvait se procurer des ressources effectives en argent, et suffisantes pour que les porteurs d’assignats puissent, à volonté, les échanger contre des écus, nul doute qu'il ne faudrait allouer aucun intérêt aux assignats. En attendant cette époque qui, sans doute, n’est pas éloignée, je pense qu’il faut attribuer un intérêt de 3 0/0 aux assignats, faisant à peu près deux deniers par jour par 100 livres. Je dis 3 0/0 pour que le propriétaire ait un grand intérêt à le faire circuler, et à le prêter à plus fort intérêt, sans cependant que le taux de l’intérêt du commerce soit plus fort que 5 0/0. Si vous allouez quatre et demi 0/0 d’intérêt, le porteur, pour le prêter, demandera un bénéfice pour les risques; et ce bénéfice est de 1 0/0 pour trois à six mois et 2 0/0 pour plus de six mois sur toutes les places de commerce; dès lors l’intérêt de l’argent serait à six et demi. Si vous n’attribuez que 3 0/0, dès lors le plus fort intérêt de l’argent sera à 5 0/0, et à ce taux l’agriculture, les manufactures et le commerce se trouveront, sans un trop grand désavantage, en concours avec les puissances rivales qui jouissent du numéraire le plus abondant. Je suis donc d’avis, d’après ces considérations, que le taux de 4 1/2 0/0, proposé par le comité, doit être réduit à 3 0/0. D’après les résultats que je viens de vous présenter, Messieurs, j’ose vous soumettre, mais avec la plus grande timidité, mon opinion, qu’en toute autre position que celles des finances de l’Etat, je vcus présenterais sans hésiter sur la matière qui est soumise à votre délibération. Je serais d’avis qu’il faudrait que l’Assemblée nationale commençât par donner au public l’état des dettes et des ressources de la nation, ainsi que celui de ses moyens pour parvenir à l’amélioration des finances, et qu’après avoir assuré son crédit sur les bases les plus fermes, elle décrétât, sur des hypothèques solides, la somme d’assignats qui lui est nécessaire pour le paiement des engagements de l’Etat, et que ces assignats, portant un intérêt modique, ne fussent pas forcés. Je sens, Messieurs, combien cette façon de penser rencontrera d’obstacles dans la situation critique où nous nous trouvons. Je ne l’aurais pas même hasardée, sans la conviction intime où je suis, que chaque membre du Corps législatif doit à la nation entière, l’hommage libre et franc de ses opinions. On peut m’objecter qu’il faut un temps considérable pour présenter l’état des finances, et pour adopter un plan d’améliorations ; enfin que nous sommes pressés par les circonstances d’une manière impérieuse. {Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. |15 avril 1790.] Il est difficile, en effet, de répondre à ces objections ; on ne peut que s’affliger sur la fatalité des événements qui ne nous ont jamais permis de faire en opérations de finances ce qu’il y avait de mieux, et nous ont toujours contraints de céder à l’urgence et aux terreurs du moment. Je diraimême, comme quelques personnes, qu’il est essentiel de créer 400 millions d’assignats forcés, pour ramener la sécurité dans le commerce, qui semble les désirer, pour calmer les inquiétudes de l’instant actuel, enfin pour nous donner le temps de construire d’une manière tranquille, sans être troublés par des agitations extérieures, l’édifice imposant et régulier du régime de nos finances. Ces raisons puissantes vont, sans doute, faire une grande impression sur les esprits. Tout ce qui peut donner aux législateurs de la France le temps, les moyens d’assurer d’une manière certaine le bonheur des peuples, doit avoir un grand poids pour diriger leur opinion. L’urgence des circonstances, la conviction intime de vos ressources, la certitude que vous avez de faire renaître le crédit national, dès que vous aurez fait connaître la position des finances, vont vraisemblablement vous forcer à adopter les assignats forcés ; mais qu’il me soit permis au moins de vous présenter les moyens d’adoucir les effets fâcheux que je croirais qu’ils peuvent produire et peut-être même de les rendre avantageux. Je pense donc, Messieurs, qu’un des moyens les plus certains pour y parvenir est d’éviter de laisser la disposition de ces 400 millions d’assignats à la volonté du ministre, et que vous devez la fixer de la manière la plus positive. Je crois qu’il faut aussi vous occuper incessamment des moyens d’établir une caisse nationale, sur laquelle l’Assemblée pourra veiller avec l’attention la plus scrupuleuse. Je suis encore d’avis de quelques autres articles, que je vais laisser sur le bureau, en priant l’Assemblée de les mettre en délibération, lorsqu’elle voudra décréter le plan de son comité des finances. J'ai l’honneur de proposer : 1° Que dans le décret qui admettra les assignats, l’Assemblée déclare l’intention de s’occuper constamment des finances les jours qu’elle aura désignés; qu’elle en examine l’ensemble, pour présenter le plan général qu’elle compte suivre à cet égard; qu’elle indique la situation exacte du Trésor national, et affermisse, par la certitude des ressources, le crédit de l’Etat, en même temps qu’elle prouvera au peuple tout ce qu’il a gagné à la Révolution; 2° Que les 400 millions d’assignats soient absolument et uniquement réservés aux besoins réels et urgents de 1790 et 1791, ainsi qu’il suit : Le paiement de tous les billets de la Caisse d’escompte actuellement en circulation ; Le service des départements; Le paiement d’un semestre des rentes; Que surtout ces 400 millions ne puissent être employés à d’autres objets, et que cet emploi soit fixé dans le décret ; 3° Que l’Assemblée déclare qu’elle va s’occuper au premier jour, des moyens de payer tout l’arriéré, et d’établir un mode constitutionnel d’impositions pour le soulagement des peuples ; 4° Qu’elle déclare en outre qu’elle va fixer exactement les dépenses annuelles et le tableau des objets dont la vente doit faire l’hypothèque des assignats , car il est certain que c’est le seul moyen de prouver clairement que les intérêts des assignats, et leur extinction, ne peuvent courir aucuns risques; ■ 5° Que chaque assignat soit de la somme de 100 livres parce que la charge du papier forcé étant onéreuse, il faut, pour l’alléger, autant que possible, que les billets soient distribués par petites sommes, afin de pouvoir se subdiviser en plus de mains, et par là donner plus de moyens de les échanger contre des écus, à l’époque la plus prochaine, sans qu’on ait à craindre d’être assailli à la fois par de trop fortes sommes ; 6° Que l’intérêt des assignats soit à 3 0/0 par an, ou à 5 sols par mois d’intérêt, sur chaque billet de 100 livres; 7° Que l’Assemblée déclare qu’elle va examiner s’il est possible d’établir, avant la fin de la présente session, une ou plusieurs caisses où les assignats puissent être échangés, sans perte, contre de l’argent. M. Dupont (de Nemours). Il faut examiner, avec toute la profondeur dont nous sommes capables, ce que nous pouvons, ce que nous voulons. Il est des choses“où l’autorité publique s’arrête : telles sont les valeurs; c’est la nature qui les donne; la concurrence et l’usage les déterminent. La valeur de l’argent est fondée sur les proportions usuelles. Dans aucun pays, elle ne dépend pas de la dénomination, mais de la concurrence et des marchandises. Ce n’est pas 6 livres que vaut un écu, mais la quantité de marchandises qu’on peut avoir pour une once d’argent. Que doit donc faire une nation qui ne peut payer ? Désigner le moment où elle paiera, et délivrer une promesse de paiement; mais elle ne peut pas faire que la promesse soit un paiement. Qu’est-ce qu’un assignat? C’est une délégation sur une vente, c’est une promesse ; c’est un engagement contracté à terme plus ou moins long. Le paiement ne peut avoir lieu qu’au moment où la vente sera effectuée. Quand le comité des finances vous a dit : « Suspendez vos anticipations, et faites des assignats, » il vous a dit tout simplement : « suspendez les anticipations. » L’abbé Terray avait dit tout uniment : « Gardez votre titre, je vous paierai les intérêts. » Il n’y a nulle différence entre ce procédé, si ce n’est en faveur de l’abbé Terray, qui a fait quelque chose de plus loyal. En effet, le nouveau titre présente un plus faible intérêt; le fonds assigné est exposé à des dangers, à des cas fortuits; ainsi les assi-gnatsdonnent lieu à un peu de faillite volontaire. La proposition du comité a deux branches : 1° il suspend les anticipations, et les transforme en assignats sur la caisse de l’extraordinaire; 2° il répand des assignats sur l’espoir d’une recette future. La première opération n’a rien que d’excusable ; on ne peut pas payer quand on n’a pas d’argent : c’est un malheur, et non pas un délit; mais il veut faire ordonner que les créanciers, dont la dette est suspendue, doivent se croire payés, et faire croire à leurs créanciers qu’ils les paient. Le comité passe son pouvoir et celui de la nation. La circulation forcée ajouterait à tous les embarras. Elle doit être considérée sous divers rapports. Le papier-monnaie ne peut être appliqué aux dépenses courantes qui doivent être soldées : tels sont les troupes, les ouvriers et autres dépenses journalières. Vous savez que 100,000 écus, délivrés par jour à Paris, sont insuffisants. Ainsi les assignats-monnaie ne pourront subvenir à la disette de la monnaie. Nos fautes du temps de Law ont fait mettre dans tous les actes la clause d’être remboursé en espèces sonnantes : il est vrai que le comité a mis dans son décret l’idée mal sonnante que les assignats seraient réputés des [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [15 avril 1790.] 55 espèces sonnantes ; mais j’espère que le comité conviendra avec moi que ce remède ne remédie à rien. Voyons maintenant l’influence des assignats-monnaie sur le commerce national, sous le rapport du commerce qui a vendu et de celui duquel on veut acheter. Le premier éprouvera une perte, car le papier forcé perdra; le second augmentera le prix de ses marchandises. Le commerce étranger craindra également d’acheter et de vendre. Il y aura aussi de grands inconvénients dans la manière dont l’impôt s’effectuera : comment l’Etat, qui donnera le papier, pourra-t-il ne pas le recevoir? S’il le reçoit, il faudra donc qu’il achète de l’argent pour payer les troupes et les ouvriers? À quoi tiennent tous ces inconvénients? Uniquement à la contrainte et à la prétention de faire passer les assignats pour autre chose que des promesses de paiement. Convenez, osez convenir qu’il s’agit d’une surséance involontaire; osez être justes envers ceux qui éprouveront cette surséance : cessons de nous faire illusion sur sa nature; c’est une anticipation sur des biens-fonds; c’est donc l’intérêt du fonds qui doit être celui de l’anticipation. Le porteur de l’anticipation suspendue doit être libre ou de prendre la promesse de paiement, ou de demander un transport par endossement sur la caisse de l’extraordinaire, pour le terme d’un an. Le créancier de l’arriéré recevra avec joie plus tôt qu’il n’espérait; le rentier aura le même sort : il soldera les comptes de ses fournisseurs : il se procurera de nouvelles jouissances, et 100 millions, ainsi livrés dans la capitale, ranimeront l’aisance et le travail. Les assignats ne seront pas refusés quand on pourra les refuser; ils ne perdront jamais, parce qu’on n’osera pas offrir moins qu’ils ne valent, lorsqu’on pourra ne pas les prendre. Quant à la Caisse d’escompte, il est impossible de l’obliger de payer en argent, quant l’Etat ne la paiera qu'en assignats. Il faut aussi se préparer les moyens de payer au moins 100,000 écus par jour de billets et d’assignats. Je termine, Messieurs, en vous soumettant les propositions suivantes : 1° Que dans le décret qui admettra les assignats, l’Assemblée déclare l’intention de s’occuper constamment des finances les jours qu’elle a désignés; qu’elle en examine l’ensemble pour présenter le plan général qu’elle compte suivre à cet égard; qu’elle indique la situation exacte du Trésor national, et affermisse par la certitude des ressources le crédit de l’Etat, en même temps qu’elle prouvera au peuple tout ce qu’il a gagné à la Révolution. 2° Que les 400 millions d’assignats soient absolument et uniquement réservés aux besoins réels et urgents de 1790 et 1791, ainsi qu’il suit : Le paiement de tous les billets de la Gaisse d’escompte ; Le service des départements; Le paiement d’un semestre de rentes ; Que surtout ces 400 millions ne puissent pas être employés à d’autres objets, et que cet emploi soit fixé dans le décret. 3° Que l’Assemblée déclare qu’elle va s’occuper, au premier jour, des moyens de payer tout l’arriéré, d’établir un mode constitutionnel d’impositions pour le soulagement des peuples. 4° Qu’elle déclare en outre qu’elle va fixer exactement les dépenses annuelles, et le tableau des objets dont la vente doit faire l’hypothèque des assignats. 5° Que chaque assignat soit de la somme de 100 livres. 6° Que l’intérêt des assignats soit à 3 0/0 par an, ou à 5 sols par mois d’intérêt sur chaque billet de 100 livres; 7°Que l’Assemblée déclarant qu’elle va examiner s’il est possible d’établir, avant la lin de la présente session, une ou plusieurs caisses où les assignats puissent être échangés sans perte, contre de l’argent. M. le duc de La Rochefoucauld (1). Messieurs, accoutumés à professer les mêmes principes que le préopinant, je ne combattrai point ceux qu’il a développés sur le papier-monnaie; mais je me permettrai d’attaquer les conséquences qu’il en a tirées contre les assignats-monnaie, qui vous sont aujourd’hui proposés par votre comité des finances. En effet, Messieurs, ils sont, comme il en est convenu lui-même, d’une nature tout à fait différente de ce que l’on appelle communément papier-monnaie , auxquels ils ne ressemblent que par leur assimilation à la monnaie métallique en vertu de la loi. Pourquoi donc veut-il leur attribuer les mêmes effets pernicieux? J’espère que les doutes qu’il aurait pu répandre sur l’adoption d’un moyen à la fois nécessaire et salutaire seront bientôt dissipés. Et d’abord, je dirai, comme lui, que les assignats monnaie que l’on propose de substituer aux assignats créés par votre décret du 19 décembre, sont la véritable représentation d’un fonds de terre, puisque avec ces assignats l’on pourra se procurer la propriété des biens ecclésiastiques et domaniaux, dont vous avez décrété la vente. II n’a pas été pourtant jusqu’à les comparer avec le papier-monnaie de cet écossais fameux (2) dont les talents, mal guidés par une imagination ardente, et mal employés par le régent du royaume, homme d’esprit, mais incapable de gouverner, ont été si funestes à la France. D’autres entreprendront peut-être ce parallèle qu’un seul mot réfutera d’avance : les billets de la banque de Law étaient hypothéqués sur des mines d’or, que l’on découvrirait peut-être dans un autre monde , et vos assignats le seront sur des fonds territoriaux bien connus, et dont la vente est ouverte dès ce moment. On doit donc les considérer comme autant de délégations données par l’Etat, et dont les porteurs pourront entrer aussitôt qu’ils le voudront en possession d’une partie de biens domaniaux ou ecclésiastiques d’une valeur équivalente à celle de leurs assignats : peut-il y avoir une base de confiance plus solidement établie? Mais doivent-ils être, par vos décrets, assimilés à la monnaie de métal? oui, Messieurs : je ne balance pas à le dire. Vous le devez par esprit de (1) Le Moniteur ne donne qu’une analyse du discours de M. le duc do La Rochefoucauld. (2) La Banque de Law, si elle était restée dans lest bornes qu’on lui avait d’abord prescrites, aurait été un établissement utile; mais l’ignorance générale alors en matières de finances, l’avidité des courtisans du régent, et la légèreté avec laquelle il traitait les affaires, entraînèrent le contrôleur général, homme ardent, dans des mesures exagérées, dont les funestes effets ont été longtemps sentis : et c’est de cette époque que date en France la désastreuse fureur de l’agiotage. On ne peut pas craindre de pareils malheurs dans un pays devenu libre, où la publicité de l’administration lui donnera autant de surveillants que de citoyens, où les lois no seront plus les mouvements momentanés de la volonté d’un seul homme. 56 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [15 avril 1790.] justice pour ceux à qui vous les donnerez, parce que vous devez leur procurer la facilité de les transmettre comme ils auraient transmis l’argent dont ces assignats tiendront la place; et vous le pouvez sans crainte de léser personne, parce que la confiance en soutiendra le cours. Je ne parlerais pas, sans doute, avec cette assurance, si l’opération que l’on vous propose devait être conduite par le ministre d’un despote; alors on pourrait redouter la versatilité d’un gouvernement arbitraire, et le porteur d’un assignat ministériel pourrait se voir enlever son gage par le successeur d’un ministre qui le lui aurait donné, ou par le ministre lui-même, qui placerait l’autorité entre le créancier et lui. Mais quand les représentants d’une grande nation, privés par le régime autérieur des moyens d’acquitter sur-le-champ une dette qu’ils ont cru devoir mettre sous la sauvegarde de la loyauté de cette nation, quoiqu’elle ait été contractée, pour ainsi dire, en son absence, prennent toutes les mesures qui peuvent assurer l’exactitude et la solidité de leurs engagements, ils sont certains que ces mesures seront suivies avec la ponctualité la plus scrupuleuse, lorsqu’une législature permanente doit leur succéder. Vous n’en négligerez aucune, Messieurs; et c’est le moment de vous rappeler, avec un des préopinants (1), la nécessité de mettre dans le plus grand jour l’état des finances, de ne laisser rien ignorer au peuple que vous représentez de la situation dans laquelle vous les avez trouvées, d’organiser une caisse nationale, dont le régime et les formes de comptabilité joignent à l’avantage de la publicité celui de présenter dans tous les moments, sous un aspect simple et clair, la position du Trésor public, et enfin, de former un plan de finances, qui, présentant à la nation ses engagements et ses ressources, démontre avec évidence combien les dernières surpassent les premiers, et avec quelle facilité une administration fondée sur de bons principes rétablira la chose publique. Votre comité de l’imposition travaille avec zèle au système des contributions qui doivent remplacer les anciens impôts, dont la forme de perception était plus vexatoire encore que la quotité, et, toujours appuyé sur les bases de justice et d’égalité que vous avez posées, il ose vous assurer que les citoyens soulagés de toutes les vexations, le seront encore sur la somme totale des contributions. Tout concourra donc, Messieurs, à certifier aux citoyens la bonté des effets que vous allez mettre en circulation ; et je suis si persuadé de la confiance qu’ils acquerront et de leur succès mérité, que je n’hésiterais pas à vous proposer de les déclarer libres dès le moment de leur création, si la considération des circonstances orageuses dans lesquelles nous nous trouvons encore ne venait seule m’arrêter. Beaucoup d’intérêts particuliers, beaucoup de passions ont été choqués par vos opérations ; quelques hommes mal intentionnés, plusieurs autres trompés entreprendraient peut-être de traverser celle-ci ; une intrigue de malveillants qui joueraient à la baisse, pourrait dans les premiers moments jeter de l’incertitude sur la valeur de ces effets. Le papier discrédité ne se relève qu’avec peine ; si par malheur, après l'avoir créé libre, vous étiez obligés de le déclarer monnaie, la confiance ne viendrait plus se placer à côté de vos décrets, et faute d’une précaution sage, que la situation des esprits exige de vous, vous courriez le risque de perdre une ressource qui sauvera l’Etat. Il s’agit maintenant d’examiner si les assignats-monnaie porteront intérêt, et quel en sera le taux. Le premier point entraînera, je crois, fort peu de discussion, et tous les avis paraissent se réunir en faveur de l’intérêt ; ce sera même un moyen de les distinguer du papier-monnaie proprement dit, qui, représentatif d’une pièce d’argent, ne doit pas avoir d’autre valeur qu’elle-même. Vous assignats, au contraire, seront à la fois destinés à remplacer entre les mains des créanciers de l’Etat des effets grevés d’un intérêt, et à servir de monnaie; il faut donc qu'ils réunissent le double caractère d’argent et de contrats, puisqu’ils doivent remplir les deux fonctions; ils seront d’ailleurs plus recherchés, et cet avantage doit vous guider encore pour déterminer le mode et le taux d’intérêt que vous leur attribuerez. Il paraît assez généralement convenu que l’intérêt par jour remplira mieux vos vues, en distribuant le profit entre tous les porteurs, à raison du temps que les effets auront séjourné dans leurs mains, et le succès de cette méthode en Espagne est un présage heureux pour l’usage que vous en ferez. Mais les opinions, d’accord sur le mode, sont fort partagées sur le taux ; elles varient depuis deux et demi ou trois pour cent, jusqu’à quatre et demi ou cinq. La crainte devoir hausser le prix de l’escompte et même l’intérêt du commerce est le motif sur lequel se fondent ceux qui désirent que l’intérêt soit faible; et cet inconvénient est réel, puisque l’un et l’autre doivent toujours se tenir au-dessus du taux que vous attribuerez à vos assignats : mais, quoique réel, cet effet ne sera pas aussi considérable qu’on paraît le redouter, parce que les assignats portant avec eux leur escompte, la masse des papiers à escompter sera beaucoup moins grande, et que la diminution de concurrence empêchera le prix de s’élever autant qu’il le serait, si la somme des escomptes, sur laquelle les objections se calculent, restait la même. Cette réponse peut aussi s’appliquer à l’intérêt du commerce pour lequel les assignats diminueront les demandes d’argent. Votre comité des finances et celui pour l’aliénation des biens domaniaux et ecclésiastiques ont consulté sur cet objet important les députés extraordinaires du commerce, qui ont presque unaninement voté pour le taux de cinq ou au moins de quatre et demi ; et c’est ce dernier que votre comité des finances a cru devoir adopter. Il applique un intérêt par jour sans fraction aux coupures de 200, de 300 et de 1,000 livres, qui est celle des billets de la Caisse d’escompte, et cette considération n’est point à négliger ; car si l’échange qui doit se faire de ces billets contre les assignats présentait quelques difficultés, ou si, pour solder l’intérêt d’un porteur à l’autre, il fallait un calcul compliqué, la circulation en souffrirait nécessairement, et vous devez tendre au contraire à la faciliter. Les assignats dont vous vous occupez actuellement, ont été créés par vous le 19 décefhbre avec un intérêt de 5 0/0; l’abaissement de leur taux à 4 1/2 sera compensé par la qualité de monnaie que vous leur imprimerez ; ainsi leurs porteurs, qui sont en petit nombre, ne seront pas lésés (1) ; vous pourriez d’ailleurs, en les remboursant à (1) La Caisse d’escompte avait reçu le 15 avril pour 12,800,000 livres d’assignats ; mais elle n’en avait encore donna dans le public que pour 1,791,000 livres. (1) M/'le duc d’Aiguillon. 57 [Assemblée nationale.! ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [15 avril 1790-1 leurs échéances, leur payer l’intérêt convenu ; ainsi cette considération n’est pas celle qui doit vous déterminer. Mais une autre bien plus importante, c’est l’effet que vous voulez produire par l’émission de vos assignats. Est-ce de suppléer au défaut de numéraire? Non, Messieurs, le numéraire ne manque pas, et les craintes dont on a cherché souvent à vous affrayer sur son exportation sont vaines : il en sortait certainement bien davantage lors des guerres que nous avons soutenues loin de nos frontières, et cependant on n’éprouvait point alors les difficultés qui nousembarrassent aujourd’hui. C’est la crainte de la disette qui fait disparaître les grains, parce que chacun veut conserver ce qu’il en a, soit pour pourvoir à des besoins qu’il s’exagère, soit pour spéculer sur des ventes avantageuses ; et le défaut de confiance produit sur le numéraire les mêmes effets. Beaucoup de citoyens, incertains de leur sort, ne veulent pas s’en dessaisir : l’accélération de vos opérations fera disparaître cette cause ; ceux mêmes à qui elles auront fait éprouver des pertes connaîtront leur véritable situation, et chacun calculant avec assurance sur ce qu’il aura, les dépenses particulières aujourd'hui suspendues reprendront leur cours. C’est donc bien plus à faire sortir l’argeot qu’à le suppléer dans la circulation, que vous devez destiner vos assignats-monnaie, et vous remplirez votre objet en leur attribuant un intérêt qui, joint à la solidité de leur hypothèque, puisse les faire préférer à l’argent lui-même, qui ne rapporte rien dans le repos d’un coffre-fort. Voilà, Messieurs, le motif que les députés extraordinaires du commerce ont principalement fait valoir; il paraît certain que si le bas intérêt est profitable aux banquiers et à ceux qui font le commerce d’argent, l’intérêt un peu fort sera plus agréable et plus avantageux à toutes les autres classes de citoyens. Il reste maintenant à savoir si l’émission de quatre cents millions d’assignats sera suffisante; et les avis sur ce point sont encore partagés : mais, comme les inconvénients d’une somme trop forte sont bien plus grands que ne pourraient l’être ceux d’une quantité trop faible, je crois que vous devez la borner à ce que les besoins de l’année exigent de vous. Les 400 millions suffiront pour l’acquittement des 170 que vous devez à la caisse d’escompte, des 130 formant le montant des anticipations qui seront ainsi toutes éteintes; il vous restera 100 millions pour rapprocher les rentes d’un semestre; et c’est le moment d’observer à l’un des préopinants (1) que le décret proposé se conforme à ses vues, puisqu’il spécifie l’emploi des assignats dont la disposition ne restera pas arbitraire; il suffira de rendre l’article XII plus précis. Je désire encore avec lui que le comité des finances se hâte de présenter incessamment à l’Assemblée l’état certain des dettes exigibles arriérées, et les mesures propres à assurer ie mode et les époques de leur paiement. Permettez-moi, Messieurs, de vous faire, en finissant? une dernière observation : l’opération que vous discutez aujourd’hui est précisément la même que nous avions eu l’honneur de vous présenter, M. Rœderer et moi, le 19 décembre. Nous ne vous proposions pas alors de déclarer les assignats, monnaie ; et peut-être, à cette époque, la mesure aujourd’hui nécessaire, ne l’était-elle pas encore; mais l’augmentation du mal, que l’incertitude de moyens partiels a produite, ne vous (1) M. le duc d’Aiguillon. permet plus d’employer de simples palliatifs, et vous ne devez pas exposer aux risques d'une intrigue malveillante le succès d’un remède puissant qui le guérira. Je pense donc, en me résumant, que vous devez : 1° Déclarer assignats-monnaie ceux que vous avez créés par votre décret du 19 décembre; 2° Les borner aux 400 millions déjà décrétés; 3° Leur attribuer un intérêt de 4 1/2 0/0 par an et payable par jour. Et en conséquence, j’adopte dans son ensemble le projet de décret qui vous est proposé par votre comité des finances, en y ajoutant : 1° Que votre comité s’occupera sans relâche à mettre dans le plus grand jour l’état actuel des finances ; 2° Qu’il vous présentera les moyens d’acquitter avec certitude, et à des époques rapprochées, les dettes arriérées exigibles; 3° Qu’il formera, de concert avec le comité de constitution, le plan d’organisation d’une caisse nationale, dans laquelle toutes les recettes, tant ordinaires qu’extraordinaires de l’Etat, devront se déposer pour être versées ensuite dans les caisses chargées des diverses dépenses publiques (1). M. de Boisgelin, archevêque d’Aix (2). Messieurs, on a proscrit le nom de banqueroute. (1) Pendant que l’on imprimait cette opinion, plusieurs orateurs éloquents ont parlé avec beaucoup de force contre le papier-monnaie, et presque tous ont eu raison lorsqu’ils ont posé les principes, et même lorsqu’ils ont développé les effets funestes de ce papier ; mais ils n’ont jamais considéré que la question n’élait pas précisément si nous établirions un papier-monnaie, puisqu’il en existe un déjà, mais si nous devions substituer à ce papier-monnaie existant et frappé de tous les vices qui opèrent son discrédit, des assignats-monnaie dignes de la confiance publique ; ils ont sans cesse confondu le papier-monnaie dénué d’intérêt et d’hypothèque, avec les assignats-monnaie, auxquels ces deux caractères donneront un crédit mérité que l’autre ne peut jamais acquérir. Ils se sont efforcés d’élever l’intérêt des provinces contre celui de la capitale, à laquelle seule ils prétendaient que cette opération pouvait être utile, comme si la consommation de cette capitale n’était pas le débouché des denrées d’un grand nombre de provinces ! comme si les propriétaires de terres, de bestiaux, les manufacturiers n’avaient pas tous un intérêt égal à voir ranimer la circulation qui vivifie toutes les parties de l’Etat ! et comme si toutes les classes de citoyens ne désiraient pas également un moyen sûr de faire cesser la stagnation du numéraire, et de rendre le cours au commerce et aux travaux de tous les genres que son resserrement a suspendus ! On a beaucoup discuté aussi le taux de l’intérêt à donner aux assignats, et le comité des finances a cru devoir charger celui porté dans le projet de décret et le fixer à 3 0/0 ; ce dernier taux est un peu moins commode pour l’intérêt par jour ; cependant il ne donne point de fractions de deniers. La principale considération qui l’a déterminé dans cette fixation que l’Assemblée a adoptée, est le trop grand avantage que les porteurs auraient eu à conserver les assignats, avantage qui les eût peut-être détournés de l’acquisition des biens dont le prix doit les éteindre. Quoique j’eusse été d’abord d’avis différent, par le désir de donner à la conservation des assignats un fort attrait pour engager à mettre l’argent en circulation, je suis cependant persuadé que l’intérêt de 3 0/0 sera suffisant et que, si dans les premiers moments, on hésite à préférer les assignats au numéraire, les ventes qui vont très incessamment avoir lieu lèveront tous les doutes, et donneront aux assignats le plus heureux succès. (2) Le Moniteur ne donne qu’une analyse du discours de M. de Boisgelin. 58 Assemblé* nationale. J ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [15 arril 1790. Je croyais que vous aviez proscrit le papier-monnaie'. Qu’est-ce qu’un papier-monnaie? Ce sont des billets d’Etat que les receveurs des caisses publiques, que les créanciers de l’Etat, que les particuliers, dans le cours du commerce, et dans l’ordre de leurs engagements respectifs, sont obligés de recevoir en paiement. On n’appelle point papier-monnaie des billets qui circulent librement et sans contrainte, par le simple effet de la confiance publique. C'est la liberté de recevoir ou de refuser des billets d’Etat en paiement qui les distingue du papier-monnaie. C’est la nécessité de les recevoir en paiement, qui réduit en papier-monnaie les billets d’Etat. Un papier-monnaie est l’aveu du discrédit : il en est l’effet; il en devient la cause. Il est le signe des ressources qui manquent; il détruit les ressources qui restent, celles du crédit. Il faut regarder le papier-monnaie comme une banquerouté d’un moment ; il n’est pas aussi sûr qu’elle sera réparée qu’il est sûr qu’elle est faite. Je ne dis pas que le papier-monnaie est purement et simplement une banqueroute, parce qu’on peut le faire cesser par des remboursements. Je dis : le papier-monnaie n’est pas un remboursement. Il est bien plus facile de le créer que de le rembourser. Il est facile encore de le multiplier dans une proportion dans laquelle il n’y a plus de remboursement. Il faut se défier plus encore de sa funeste commodité que de celle des emprunts. Enfin le papier-monnaie est un mal, puisqu’il faut le faire cesser pour faire le bien de l’Etat. On établit un papier-monnaie, parce qu’on croit que les ressources présentes manquent, et parce qu’on n’a pas l’assurance des ressources à venir. Si ces ressources à venir étaient assurées, on n’aurait pas besoin de papier-monnaie : des billets pourraient circuler sans être forcés; des billets maintiendraient leur crédit et leur valeur, quand les moyens de leur remboursement seraient assurés. S’ils ne le sont pas, il n’est donc pas bien sûr que le papier-monnaie sera remboursé; il n’est donc pas bien sûr que l’établissement du papier-monnaie n’est pas une banqueroute. On donne une hypothèque à ces billets, la vente décrétée des biens du domaine et du clergé à la concurrence de 400 millions. Cette hypothèque est bonne ou ne l’est pas. Dans lepremiercas, il faut donner la preuve qu’elle est bonne, et le papier-monnaie prouve qu’elle ne l’est pas. Dans le second cas, on fait une souveraine injustice d’établir des billets d’Etat sur une hypothèque insuffisante. On dit qu’une hypothèque suffisante n’est pas toujours assez connue, que la disposition du public résiste à la persuasion ; que les parties intéressées répandent des doutes sur des opérations utiles, et qu’il ne faut pas enfin laisser aux oppositions des partis le moyen de faire manquer les paiements, par l’erreur même du public abusé. Voilà, sans doute, les difficultés qu’il faut considérer. C’est une première question de savoir à quel point ces difficultés sont fondées. 11 suffit de peu de mots pour énoncer les idées bien vagues, bien difficiles à démêler, et plus difficiles encore à vérifier. Est-il vrai que la disposition du public résiste à la persuasion, quand il s’agit de l’intérêt ie plus sensible de cbaque citoyen ? Si c’est la crainte qui tient le numéraire caché; si c’est la crainte qui le fait passer à l’étranger, c’est la confiance qui doit le retenir dans la capitale, le reproduire et le répandre. Le premier besoin de tous ceux qui possèdent des capitaux est de les placer et de les rendre utiles. On perd une partie de l’argent qu’on garde parce qu’on perd le gain qu’on retirerait de son emploi. Le public est bien plus porté, dans l’ordre de ses besoins, à la confiance qu’au doute. On sait avec quelle facilité ie système Law séduisit l’imagination du peuple. Nous avons bien plus à défendre le public de sa crédulité qu’à craindre le défaut de sa confiance. 11 est des parties intéressées aux ventes décrétées qui sont bien étrangères à toutes les affaires du commerce et à la circulation des papiers. Ce n’est pas leur voix qui peut diriger l’opinion de ces capitalistes, et c’est l’opinion des capitalistes qui répand les craintes ou qui décide la confiance. Les oppositions des différents partis doivent, sans doute, avoir plus d’influence sur les événements. Mais il n’v a point de partis qui ne doivent souffrir du défaut de paiement; et si le moyen qu’on propose, assure mieux les fortunes de chaque classe de citoyen, quelle est la classe qui puisse avoir le désir de multiplier ses pertes? Enfin supposons les difficultés, les oppositions, les doutes et les craintes. Il faut persuader les esprits avant de les contraindre : on n’a pas le droit de les contraindre, uand on n’a pas épuisé les moyens de les persua-er. On veut les prendre, ces moyens. L’Assemblée a décrété la vente aux municipalités; elle a nommé des commissaires pour régler les conditions de la vente et pour la rendre à la fois plus avantageuse et plus sûre. Il faut attendre l’effet de ces opérations, pour savoir quelle sera la nature. et la valeur des assignats sur les ventes. On n’a pas le temps, dit-on, d’attendre, il faut rétablir les finances. C’est parce qu’il faut rétablir les finances qu’il ne faut pas établir de papier-monnaie. C’est parce qu’il faut rétablir les finances, qu’il faut savoir quel doit être l’effet des assignations sur les ventes, et qu’il ne faut pas moins s’occuper, en attendant, de tous les autres moyens de contribuer au rétablissement des finances. On observe qu’il s’agit moins de faire une création qu’une substitution de papier-monnaie, parce qu’on retire les 160 millions de billets de la Caisse d’escompte qui circulent dans le commerce. On propose une émission de 400 millions de billets. Il resterait encore dans la circulation, 240 millions de nouveau papier-monnaie, qui n’ont point leur excuse dans la reprise des billets de la Caisse d’escompte. Ces 160 millions de billets de la Caisse d’escompte devaient être payables en argent, au 1er de juillet. On substitue à des billets payables en argent au 1er de juillet, des billets forcés et non payables en argent. On a dit que les billets de la Caisse d’escompte ne seront point payables à l’époque du lûr de juillet. On avait fixé l’époque. On doit prendre les moyens de remplir les engagements au terme fixé. Ce sont là les moyens qu’il faut chercher. Le [Assemblée n&tionals.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [15 avril 1790.] §9 droit du public est acquis. Le public réclame un droit qu’on ne peut pas lui faire prendre. On peut substituer les assignats aux billets de la Caisse d'escompte. 11 faut que ces assignats soient soumis aux mêmes obligations. On ne se charge pas d'une dette pour ne pas la payer. Il faut que tes assignats soient payables au 1er juillet, comme devaient l’être les billets de la Caisse d’escompte. Ils ne peuvent être payables que par la facilité que donnerait le crédit de les négocier pour de l’argent dans le cours du commerce; et ils ne peuvent pas avoir de crédit si le paiement est forcé. Il n’y a de crédit que pour le papier libre, il n’y en a point pour le papier-monnaie. Les billets de la Caisse d’escompte n’étaient point papier-monnaie par leur création; ils le sont devenus par un arrêt de surséance. S’ils devaient être reçus comme comptant dans le commerce, c’est qu’ils devaient être payés à bureau ouvert. C’est par l’effet combiné de la loi qui rend leur acceptation forcée, et de l’arrêt qui suspend leur paiement effectif, qu’ils sont devenus papier-monnaie. Un arrêt de surséance n’est pas un exemple à suivre, et ne doit pas être le principe des opérations de l’Assemblée nationale. Il vaudrait mieux, ce qu’à Dieu ne plaise et ce que nous devons prévenir par tous nos efforts, il vaudrait mieux prolonger la surséance de la Caisse d’escompte, qui n’est pas l’ouvrage de l’Assemblée nationale, que de faire un nouvel établissement sous la protection de surséance. Quelle serait la nature de ce papier forcé? Il n’a pas l’effet d’une banque, puisqu’on ne peut pas le porter au Trésor public pour le convertir en argent. Ce n’est pas un emprunt, puisque l’Etat n’en a pas reçu le capital. Ce ne sont pas encore des anticipations, des assignations, des billets à terme, puisqu’on n’affecte à leur paiement ni des revenus certains ni des fonds fixes et déterminés, et qu’on ne leur marque pas un terme. Il n’y a pas d’exemple d’une opération semblable en France, en Hollande, en Angleterre. C’est pendant la guerre en Amérique, c’est pendant la guerre daas la Brandebourg et la Saxe, c'est dans un pays sans commerce, comme la Russie, qu’on a vu circuler un papier-monnaie, une fausse monnaie et des monnaies de cuir, sans hypothèque et sans terme. S’il était vrai qu’un papier-monnaie pût suppléer au défaut des ressources et réparer tous les torts du discrédit, pourquoi toutes les nations n’auraient-elles pas eu recours au papier-monnaie dans les embarras des guerres et des affaires publiques? S’il était vrai qu’un papier-monnaie pût faire reparaître le numéraire, pourquoi n’emploierait-on pas, même dans les temps d’aisance et de prospérité, un moyen qui multiplie en même temps la circulation des effets et celle des espèces, et qui réunit tous les avantages du commerce, en remplissant tous les besoins des finances? Ce serait une chose bien aisée que l’administration des finances, s’il suffisait de faire d’autorité, des créations et des versements de papier pour payer les dettes de l’Etat ou pour en augmenter la richesse. On veut attribuer un intérêt à ces nouveaux billets, parce qu’il faut donner un appât pour retenir les billets de la Caisse d’escompte. Ou donne ce même appât à 240 millions de billets créés au delà de la proportion des billets de la Caisse d’escompte. On avoue en général que ces billets ne seraient pas accrédités par eux-mêmes, puisqu’on a besoin de leur donner un intérêt. On excuse leur création, parce que leur hypothèque est bonne. On reconnaît que leur hypothèque n’est pas bonne, puisqu’on y joint un intérêt pour y suppléer. On ne s’aperçoit pas que l’on cumule deux opérations bien différentes. 11 n’y a point de raison pour donner un intérêt au papier. L’intérêt est l’indemnité de l’emploi d’un capital. On n’a point donné de capital, ou ne peut pas demander une indemnité. Ce ne serait pas un intérêt, ce serait une prime. On dit que les députés du commerce ont désiré qu’il n’v eût point de prime. On conçoit leur raison : une prime annonce qu’un effet est en perte; on veut que sa perte soit compensée par la prime. Il n’y a de raison pour donner un intérêt, que celie-ci : Ces billets seront donnés à des créanciers auxquels on paie un intérêt, ils ne peuvent pas le perdre. Ici se présente une nouvelle contradiction. Si ces billets sont reçus en paiement forcé, le capital est payé quand on a donné les billets. On n’a plus d’intérêt à remplir quand on a payé le capital. C’est une contradiction d’affecter un intérêt à des billets qui sont papier-monnaie et qui valent l’argent. Si ces billets sont sans intérêt, comme ils doivent l’être, et s’ils ne sont pas accrédités dans le commerce, on voit bien quels peuvent en être les abus dans l’embarras des finances; on ne voit pas quels peuvent en être les avantages dans le cours du commerce. On dit qu’on demande de tous côtés le papier-monnaie. Certes, il faut que l’opinion publique soit bien changée. On a vu la terreur se répandre dans toutes les classes au seul nom de papier-monnaie quand il semblait que l’Etat sans crédit n’avait plus d’autre moyen pour se dérober à la banqueroute menaçante, et pour attendre le retour de ses forces naturelles, et c’est alors qu’une première Assemblée nationale peut assurer à la nation toutes ses ressources, que le vœu général ne sollicite d’autre opération et d’autre ressource que celle d’un papier-monnaie! Il faut considérer les besoins des différentes classes de citoyens pour connaître leurs désirs. Les propriétaires de terres, les fermiers, les cultivateurs ont besoin d’argent pour renouveler les travaux de la culture et pour en étendre les entreprises et les améliorations. Quand ils donnent des valeurs réelles, telles que leurs denrées, ils veulent qu’on leur donne des valeurs réelles en échange. Ils ont besoin de numéraire pour tous les achats de détail, sans lesquels la terre ne se cultive point; ils ont besoin d’emprunts et d’avances, et ce n’est point avec du papier qu’on leur donnerait en échange de leurs denrées qu’ils pourraient obtenir des avances et des emprunts. Ainsi les frais d’exploitation deviendront chaque jour une charge plus difticile et plus coûteuse; les travaux se réduiront dans la même proportion que les moyens; les productions diminueront comme les dépenses et l’introduction du papier-monnaie sera l’obstacle le plus funeste qu’on puisse imposer aux progrès de la culture. 60 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [15 avril 1790.] Si l’on pensait qu’une émission de 400 millions de billets circulant dans la capitale n’est pas assez considérable pour se répandre dans la campagne et pour nuire à la culture, il faudrait en conclure que les propriétaires de terre, les fermiers et les cultivateurs seront à l’abri des maux du papier-monnaie, et l’on ne peut pas supposer qu’ils puissent désirer les maux dont il faut les préserver. Il faut penser que 400 millions d’un papier sans crédit, qui forme des paiements forcés, circulent avec une grande rapidité, parce que chacun, obligé de les recevoir, veut s’en défaire, et cette circulation, qui devient l'effet de la crainte et du discrédit, donne à ce papier un cours que la confiance publique suffirait à peine à lui donner, et qui semble tripler ou quadrupler sa proportion; et c’est cette vive et rapide circulation du papier-monnaie qui rendra plus rare encore la circulation du papier-monnaie, qui rendra plus rare encore la circulation du numéraire. Le prix des valeurs réelles augmentera dans la même proportion que le papier-monnaie manquera de crédit. On sera toujours plus tenté de resserrer des valeurs réelles et solides, qui n’ont rien à craindre des vicissitudes de tous les effets publics, et cette opération, qui devrait faire ressortir le numéraire, ne sera qu’un moyen de plus pour le faire disparaître. Comment peut-on préserver du papier-monnaie les campagnes dont toutes les denrées sont apportées à Paris, si ceux qui les achètent à différents termes de paiement peuvent acquitter leurs dettes en papier? Gomment peut-on en préserver les propriétaires plus éloignés, qui transportent leurs vins dans la capitale? Comment peut-on en préserver les campagnes, dans le territoire des grandes villes qui sont en correspondance avec la capitale? Comment peut-on empêcher que la circulation de l’argent dans les provinces ne soit pas gênée ou suspendue par l’effet même des lettres de change qui devaient la favoriser, quand on pourra donner du papier-monnaie pour l’acquit des lettres de change? Tous Jes débiteurs paieront leurs créances, et même, autant qu’il leur sera possible, leurs consommations en papier, et ce ne sont sûrement ni les créanciers des particuliers ni les vendeurs qui peuvent désirer la substitution du papier à l’argent. ' On assure que les députés du commerce demandent, au nom de tous les commerçants, l’émission du papier-monnaie. Ce ne sont pas ceux dont le commerce se fait dans les pays étrangers, qui peuvent se passer du numéraire. S’ils exportent les denrées hors du royaume, ils veulent que leur paiement soit effectif. Ils ne peuvent renouveler une grande partie de leur commerce qu’en donnant eux-mêmes des espèces et non des papiers. C’est l’argent de l’étranger qui doit payer leurs exportations. Ce serait l’étranger qui trouverait peut-être quelque facilité à payer les denrées qu’il aurait reçues de la France avec le papier circulant en France ; mais il est impossible au commerçant français de préférer le papier à l’argent de l’étranger. Il faut avouer, au moins, que, sous ce rapport, le commerçant français n’a point de raisons de désirer l’établissement du papier-monnaie. On dira qu’il aurait l’avantage de faire ses achats en France avec du papier, et de faire payer ses ventes en argent par l’étranger. Il ne lui serait pas toujours possible de faire ses achats avec du papier. Il ne donnerait que le papier qu’il aurait reçu, et ce n’est pas un avantage pour lui de recevoir du papier au lieu d’argent. L’étranger paie par lettres de change. Les lettres de change ne seraient payées qu’en papier par les banquiers. Ainsi le commerçant français manquerait du numéraire dont il aurait besoin pour une partie de ses achats et n’en recevrait point en paiement de l’étranger. On sent bien que les importations ne peuvent pas se payer à l’étranger en papier-monnaie de France. Il faudrait lui donner de l’argent, quand on ne recevait que du papier. L’étranger peut profiter de la facilité de payer en argent. On voit à quel point l’établissement d’un papier-monnaie est contraire à tous les intérêts du commerce au dehors. C’est la source du discrédit de la France. C’est le moyen de faire passer le numéraire à l’étranger sans le faire revenir. C’est la perte de tous les avantages du change, dont on sent bien que la balance ne peut pas se soutenir avec du papier-monnaie. C’est la ruine entière du commerce extérieur. Ce ne sont donc pas ceux qui font le commerce extérieur, soit par exportation, soit par importation, qui demandent l’établissement d’un papier-monaie. Il faut considérer les intérêts du commerce intérieur. Le commerce provient et dépend tout entier des productions de la terre, puisquil n'est que le transport de ces productions même, ou naturelles ou travaillées. On a vu jusqu’à quel point il est contraire à l’intérêt des propriétaires de terres, des fermiers, des cultivateurs, d'être payés en papier et non en argent. Leur souffrance devient celle des commerçants et des marchands auxquels ils vendent leurs denrées, parce que la diminution de la culture est une diminution du commerce. Le transport des productions de la terre, travaillées parla main des hommes, est le commerce de tous les entrepreneurs de fabriques et de manufactures. Ce commerce se fait pour leur compte ou pour le compte de ceux auxquels ils vendent leurs ouvrages. Ces ventes leur donnent le produit dont ils ont besoin pour renouveler leurs achats et pour soutenir leurs entreprises. Si ce produit est en papier, comment pourront-ils acheter les productions naturelles, qui doivent être payées en argent? Les manufactures ne se soutiennent et surtout ne s’établissent que par des emprunts. Il faut distinguer les emprunts faits et les emprunts à faire. Il semble que les entrepreneurs auraient quelque avantage à rembourser en papier-monnaie les emprunts qu’ils ont contractés. Mais comment pourront-ils avoir ce papier-monnaie, s’ils n’ont pas d’avance d’autres papiers à donner en échange 1 Ils n’en ont point; ils n’en gardent point; ils emploient, ils versent tous leurs fonds dans les dépenses de leurs entreprises. Ce sont des emprunteurs qui n'ont jamais prêté. Ce sont des manufacturiers et non des capitalistes. 11 ne faut, pas parler des emprunts à faire. Les emprunts en papier leur seraient inutiles; les [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES . [15 avril 1790.] 61 emprunts en argent leur deviendraient impossibles. Ce ne sont donc pas encore, d’un bout du royaume à l’autre, les entrepreneurs de fabriques et de manufactures qui peuvent désirer le papier-monnaie. Quel est ce vœu du commerce, contraire à tous les intérêts des commerçants? 11 est des commerçants qui sont liés par une correspondance d’intérêts communs avec les capitalistes et qui font en partie le négoce de papier par lettres de change, escompte, placement de capitaux en effets publics; et c’est sous le rapport de capitalistes, et non sous celui de commerçants, qu’ils peuvent former un vœu contraire à celui du commerce. Quel est l’intérêt des capitalistes? 11 faut distinguer les capitalistes qui sont mêlés dans l’administration ou dans le versement des effets publics. On croit que les capitalistes forment une classe à part. Il faut entendre, en général, par capitalistes, tous ceux qui possèdent des papiers portant intérêt et reconnaissance des capitaux prêtés à l’Etat. Ces papiers ont circulé dans toutes les classes de la société. Les propriétaires de terres, les usufruitiers, les propriétaires de meubles ou d’immeubles de tous les genres, ont des actions, des rescriptions, des billets d’emprunt public, et tous ceux qui n’ont que des effets isolés, en petite quantité, qui ne les négocient pas sans cesse, et qui laissent aller les affaires publiques sans s’en mêler, ne sont pas associés aux combinaisons du petit nombre de capitalistes qui vendent, rachètent et revendent les effets publics, et ils ne peuvent pas en partager les intérêts et les sentiments. Ce grand nombre de capitalistes inactifs de toutes les classes n’a nul intérêt à l’établissement d’un papier-monnaie qui discrédite tous les autres effets qui restent dans leurs mains. Il faudra qu’ils les vendent et qu’ils supportent les pertes proportionnées au discrédit. Ceux-là, tous ceux-là qui forment la classe la plus nombreuse et qui compensent par le nombre la moindre quantité d’effets que chacun peut avoir, ne savent point former des spéculations utiles, et ne peuvent pas désirer l’établissement d’un papier-monnaie. Restent les compagnies privilégiées, les administrateurs de la Caisse d’escompte, les banquiers et les agents de change. Il est dans les principes de l’Assemblée de faire disparaître les privilèges et les compagnies privilégiées, et ces principes ont dicté le décret qui supprime la compagnie des Indes. Les administrateurs de la Caisse d’escompte désirent peut-être un papier-monnaie, parce que l’Etat leur doit 170 millions ; parce qu’ils craignent que ces 170 millions ne soient pas assez assurés dans l’état actuel des choses; parce qu’on n’a pas pris encore des moyens pour en faire le remboursement; parce qu’on les menace sans cesse de nouveaux emprunts ; parce que les engagements de l’Etat avec eux, qui semblent leur donner des droits, doivent au contraire les mettre dans une dépendance constante de toutes les affaires de l’Etat; parce qu’ils ont des dettes qu’ils liquideront avec le nouveau papier-monnaie, et parce qu’ils pourront se retirer du milieu des embarras que leur donne l’incertitude de la situation actuelle des finances. Ce vœu des administrateurs de la Caisse d’escompte est le résultat de leur position actuelle et du défaut des moyens qui pourraient l’améliorer. Leur vœu ne sera pas pour le papier-monnaie, si des moyens suffisants doivent améliorer leur position. La Caisse d’escompte, remboursée en papier-monnaie de ce que l’Etat lui doit, serait réduite alors au simple escompte, et pourrait se maintenir dans un état moins dangereux, sans entreprise et sans arrêt de surséance. Le vœu de ses administrateurs est un intérêt particulier juste et légitime, qui ne doit pas décider d’une opération générale de l’Etat. Les banquiers sont dans la même situation que la Caisse d’escompte. Iis ont fait des avances à l’Etat; ils ont répandu des billets en leur nom; ils sont responsables d’un côté; ils ne sont pas assurés de l’autre; ils sont placés dans un centre d’embarras entre des dettes passives auxquelles ils veulent satisfaire et des dettes actives dont le sort leur donne des inquiétudes; ils paieraient en papier ce qu’ils recevraient en papier, et leur position à venir leur donnerait moins de profits et moins de pertes. Leur vœu, comme celui de la Caisse d’escompte, se subordonnent aux projets plus ou moins utiles qui peuvent être adoptés par l’Assemblée nationale. Ce sont quelques banquiers en particulier, et quelques capitalistes, ce sont les agents de change et ceux qui participent à leurs spéculations, ce sont des étrangers prêteurs et créanciers de l’Etat, qui doivent trouver un profit certain dans la préférence donnée au papier-moDnaie, tout autre moyen plus convenable au rétablissement des finances ne peut pas leur procurer les mêmes avantages. Il y a des effets dans leurs mains qui sont en perte. Ces effets seront repris par l’Etat au prix du nouveau papier-monnaie; ils seront reprisa la valeur de leur capital. La perte entière sera pour l’Etat. Ce nouveau papier-monnaie sera donné pour acquit de dettes. S’il est remboursé dans la suite, il n’y a point de perte. S’il doit tomber un jour sans remboursement, la perte sera pour le dernier acquéreur. Ceux qui suivent ie cours des effets publics ont soin de s’en défaire avant le terme fatal. Ces calculs d’un moment ne peuvent pas être regardés comme les intérêts constants du commerce et ne peuvent pas former ce vœu des commerçants, qui doit diriger l'opinion publique. Pourquoi veut-on créer ce papier-monnaie? Il semble qu’il y a deux objets : Le premier consiste à retirer 160 millions de billets de la Caisse d’escompte. Le second, à remplacer ce qui manque aux besoins de l’année courante. Le remboursement des billets de la Caisse d’escompte est une suite de l’établissement du papier-monnaie et n’en est pas l’objet. On sent bien qu’on ne peut pas établir le papier-monnaie en laissant circuler les billets de la Caisse d’escompte : on sent bien qu’on ne peut pas les faire tomber sans procurer une plus grande charge à l’Etat, qu’on ne peut lui procurer davantage par l’établissement du papier-monnaie. On pouvait prendre des billets pour assurer les paiements de la Caisse d’escompte. L’émission du papier-monnaie ne permet aucun autre moyen que celui du remplacement des billets circulants de la Caisse d’escompte; et la nécessité de les retirer est une suite, une charge du projet qu’on propose, et ne peut pas en être le principal objet gg [Assemblés nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [15 avril 1790. Le principal objet est de remplacer ce qui manque aux besoins de l’année courante. S’il s’agissait de former un plan général de liquidation des dettes de l’Etat, si tous les moyens épuisés étaient encore insuffisants, on conçoit les motifs qui pourraient excuser la grande erreur de la création d’un papier-monnaie. Ce n’était pas pour suppléer au défaut d’une partie de paiement de l’année 1717, que Law forma cette entreprise immense qui transmettait à l’Etat tous les capitaux qui restaient dus aux créanciers de l’Etat. On estime les besoins de cette année à 132 millions. C’est pour une somme de 132 millions que la nation entière semble succomber sous le poids de ses dettes. Elle ne croit pas être dans la triste nécessité de recourir au papier-monnaie pour satisfaire à 3 millions qui forment les dettes constantes de l’Etat; elle a recours à la dernière extrémité pour faire face à 132 millions qui forment l’excédent delà dépense d’une année. Quelle en sera l’utilité pour l’Etat? Les nouveaux billets porteront ou ne porteront pas d’intérêt. Dans le premier cas l’Etat ne gagne rien. Le remboursement de 160 millions de billets de la Caisse d’escompte, sans intérêt, opère une nouvelle charge pour l’Etat de 8 millions de rente, et cette charge équivaut à l’intérêt d’une somme égale empruntée de la Caisse d’escompte, dont on éteint le capital. Si Jes 240 millions de billets de surplus, qui seraient versés dans le commerce, portent un intérêt, cet intérêt qui serait un avantage sans doute pour des papiers qu’on voudrait accréditer, n’est qu’une charge de plus dans l’établissement d’un papier-monnaie. On n’a pas besoin d’accréditer des paiements dont on ordonne l’acceptation. On ne peut pas prétendre à la confiance quand on n’emploie que l’autorité. C’est un intérêt en pure perte. Dans le second cas, le remboursement des billets de la Caisse d’escompte n’est pas encore un avantage pour l’Etat. Quel en serait l’avantage ? On ne substitue point de numéraire aux billets de la Caisse d’escompte, on détruit du papier, on y supplée par du papier. Le papier sans intérêt n’est pas même un gain pour l’Etat. Il circule par voie de force et de contrainte; chacun le repousse dans son cours’, et tel est l’effet de cette circulation forcée, que, semblable au Méandre qui se replie sur lui-même, elle repasse bientôt au même point dont elle est émanée, et l’Etat, qui reçoit en paiement des papiers sans intérêt qu’il a donnés ne peut rien y gagner. Cependant l’Etat perd sur la valeur de tous les autres effets publics, qui baissent et qu’on lui rend en échange de son nouveau papier-monnaie. Il perd d’un côté, il ne gagne point de l’autre, et cette triste opération n’est qu’une erreur humiliante de l’administration. Quels sont les objets auxquels on emploiera ces 140 millions de billets? Faut-il les employer aux dépenses ? Les dépenses supposent un marché volontaire entre les acheteurs et les vendeurs. On ne fera de fournitures que sous la condition de paiements effectifs. On ne recevra pas un papier-monnaie quand on pourra le refuser. On ne pourra du moins le faire accepter qu’à des conditions plus onéreuses. On stipulera l’indemnité proportionnée à la perte. Il en résultera le plus haut prix de tous les marchés des fournisseurs. Ce serait une grande injustice de payer les rentes foncières et viagères avec un papier-monnaie que peuvent prendre des débiteurs, parce qu’ils le donnent à leurs créanciers, et qui devient stérile, ou qui circule avec perte entre les mains de ceux qui n’ont point de dettes à payer. Les consommateurs qui n’ont point de dettes recevront la loi des vendeurs, sans la faire à des créanciers. Il serait également injuste et dur de payer, avec un papier forcé, des anticipations dont le droit est acquis sur des revenus certains et des termes fixes. On n’établit un papier-monnaie que pour l’avantage des créanciers de l’Etat, et c’est la plus grande partie des créanciers de l’Etat qui perdraient tous leurs avantages par l’établissement d’un papier-monnaie. 11 n’y aura vraiment de papiers -monnaie à donner, sans faire une extrême injustice, que ceux qui seront échangés avec les autres effets publics : et ce serait une grande perte pour l’Etat. Il faut compter au rang des pertes de l’Etat, celles des créanciers des particuliers, qui seront d’abord remboursés en papier forcé par leurs débiteurs. On a si bien senti cette injustice, qu’on a proposé de prohiber tout paiement forcé en assignats des créances non échues, et d’autoriser les créanciers à refuser les assignats, en prolongeant le terme du paiement. C’est un mélange arbitraire d’une injustice établie et d’une injustice réparée. L’Etat ne peut pas être étranger à toutes les injustices et à toutes les pertes qui sont la suite de ces opérations. On établit un papier forcé, pour proscrire toutes les anticipations. C’est un grand bien de les proscrire, quand on peut s’en passer, quant on substitue aux anticipations des moyens assurés et constants, qui suffisent à toutes les charges de l’Etat. On croyait qu’on avait à substituer aux anticipations de valeurs réelles et présentes ou des assurances déterminées, quand on proposait de les proscrire. On ne pensait pas que le supplément des anticipations ne serait qu’une préférence accordée au papier-monuaie. Qu’est-ce qu’une anticipation ? C’est un papier auquel on affecte une partie du Trésor public, dans Un terme plus ou moins éloigné. Le papier-monnaie forme la même charge pour l’Etat, si l’on veut effectuer son remboursement; et la seule différence est que les anticipations ne circulent pas, ou circulent librement dans le commerce, et que le versement du papier-monnaie est un paiement forcé. Quand l’Etat n’aura retiré de son papier-monnaie que des billets éteints de la Caisse d'escompte, et et des effets discrédités dont il ne pourra plus faire usage, quelles seront ses ressources pour payer ses dettes et ses dépenses? 11 éteindra des intérêts pour 240 millions. IJ n’y gagnera rien si ses billets portent intérêt; il n’y gagnera que 12 millions pour cette année si ses nouveaux billets ne portent point intérêt. Il avait 132 millions à payer. Ses billets sont épuisés par la Caisse d’escompte etpar les échanges de papier. Il lui reste 120 millions, auxquels il n’y a point de fonds affectés. C’es t peu t-êt re à ces 1 32 millions qu’on affecterait les nouveaux billets. On en a démontré l’impossibilité si ce sont des [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [15 avril 1790,] 63 dépenses à faire, et l'injustice si ce sont des rentes à payer et des anticipations à remplir. Il ne faut pas, dans ce moment, croire que l'autorité, quelle qu’elle soit, puisse suffire à protéger une grande injustice. On doit observer quel est l’objet et la nature de ce papier-monnaie : quelque forcé qu’il puisse être, on veut lui donner une hypothèque. On ne doit pas séparer les billets d’Etat de l’hypothèque qui leur sert de gage. Ce papier-monnaie consiste en assignats sur la tente des biens du domaine et du clergé, jusqu’à la concurrence de 400 millions. Ces assignats devraient être offerts à ceux qui veulent acheter quelque partie de ces biens, ou à ceux qui veulent placer leurs deniers à charge d’un remboursement sur les ventes; ils ne devraient pas être donnés en payement forcé à ceux qui ne veulent point faire d’acquisition ou qui veulent retirer leur argent au lieu de le placer. Si ces billets doivent être offerts selon des convenances et des vues particulières, leur versement ne doit pas être forcé dans le commerce, et ils ne peuvent tenir lieu ni des billets de la Caisse d’escompte, ni d’un papier-monnaie. Telle est la différence des assignats libres et des assignats convertis en papier-monnaie. Les premiers ne s’éloignent point de leur objet. Ils sont donnés pour être remplacés par les biens qui leur sont affectés ou par les fonds de leur vente. Les seconds n’ont plus aucun rapport avec l’objet qui forme leur valeur réelle. Ils sont donnés par voie d’autorité. L’Etat doit répondre sur tous ses revenus de la valeur d’un paiement forcé. La confiance aplanit les difficultés, parce qu’elle calcule les risques : elle les fait entrer dans ses spéculations. Elle reçoit avec connaissance un papier libre dont l’objet est déterminé. C’est sur cet ob-'et seul que la confiance a fondé ses reprises; elle es préfère à des engagements vagues et généraux, qui sont susceptibles de toutes les erreurs de l'administration et de toutes les variations des circonstances. Des assignats dont la confiance seconderait la libre circulation dans le public pourrait tenir lieu d’anticipation sur un fonds qui ne fait point encore partie des revenus de l’Etat ; ils auraient le même effet que le papier-monnaie, quand ils seraient reçus en payement; ils tiendraient lieu d’emprunts s’ils étaient accrédités, parce qu’ils pourraient être échangés pour des sommes payables à terme. Un aurait des ressources pour l’année courante ; on ne consommerait point les revenus des années suivantes. On avait si bien compris ces raisons, que le cours du commerce rend chaque jour plus sensibles, qu’on avait proposé d’établir 200 millions d’assignats forcés et 200 millions d’assignats non forcés. L’autorité ne doit point placer son thermomètre à côté d’elle. Le discrédit des assignats libres, s’il y avait lieu, aurait été la mesure toujours juste et toujours présente du discrédit et de l’injustice des assignats forcés. Il n’y a point de conciliation entre l’injustice et la confiance. Les assignats libres les mieux constituésauraient perdu leur crédit, quand les assignats forcés auraient intercepté la circulation naturelle de lous les effets publics. Ainsi tous les projets, tous les efforts doivent tendre à donner aux effets publics le crédit et la liberté. 11 faut chercher les moyens, non de convertir les assignats en papier-monnaie, mais de donner à ces assignats un cours libre et favorable dans le commerce. G’est au comité des finances à comparer les moyens différents qu’on a proposés, soit pour établir dans le courant de cette année le niveau de la recette et de la dépense, soit pour assurer les paiements de la Caisse d’escompte et à préférer tous les moyens suffisants et praticables à la triste nécessité d’établir un papier-monnaie. L’examen de ces moyens, ou de ceux qu’on peut y substituer, doit être l’objet d’une autre discussion, et c’est cet examen qui forme la tâche importante du comité des finances et de l’Assemblée nationale. M. Rœderer. On peut faire à M. l’archevêque d’Aix les mêmes réponses que celles que M. de Larochefoucauld a faites à M. Dupont. On a exposé, avec beaucoup de sagacité, les inconvénients du papier-monnaie. 11 ne s’agit pas d’un papier-monnaie ; il s’agit, comme on l’a déjà dit, de substituer au papier-monnaie déjà employé, et reconnu pour être désastreux, un autre papier avantageux à la circulation du numéraire et au commerce. Le papier-monnaie est un signe auquel le souverain attache une valeur ; c’est un effet dont le remboursement n’est pas fixé. 11 s’agit ici de délégations, d’assignations , avec une véritable hypothèque ; et, en effet, les porteurs de la délégation et de l’assignation auront non seulement une hypothèque de 400 millions, mais encore une garantie municipale qui assurera le remboursement ; ils auront une époque déterminée d’extinction fixée à deux années. La contribution patriotique, dans le cas où le produit des ventes ne suffirait pas pour rembourser, est destinée à ces remboursements. Le papier qu’on vous propose, fût-il un papier-monnaie, devrait être adopté, puisqu’il remplace un papier désastreux. Les billets de la Caisse n’ont pas de gages physiques, n’ont pas d’intérêt, n’ont point d’époque de paiement déterminé. Le l«r de juillet est trop rapproché pour qu’on puisse espérer de voir à ce terme effectuer les paiements. Les nouveaux billets auront une époque plus reculée, mais une époque évidemment certaine. Ce papier se répandra dans tout le royaume. D’ailleurs, et ce qui est décisif, c’est que l’opinion de la capitale et de plusieurs villes de manufactures est favorable à cette opération. Une autre considération importante est que ce plan vous libère de plusieurs millions d’intérêt : par exemple, vous ne vous liquiderez pas avec la Caisse d’escompte, vous serez obligés de lui payer 5 0/0. J’ajoute encore qu’en répandant pour 400 millions d’assignats vous intéresserez un grand nombre de citoyens à la liquidation de la dette et à l’aliénation des biens du clergé. J’adopte entièrement la conclusion de M. de Larochefoucauld. M. l’abbé Hlanry. Avant de traiter l’importante question d’un papier-monnaie, je demande qu’il me soit permis d’offrir quelques observations rapides sur le dispositif du projet de décret. Quiconque vous avertira de votre puissance pour vous faire oublier d’être justes, sera l’ennemi de votre gloire. Daignez considérer que les créanciers du clergé, qui ne sont pas des agioteurs, mais des pères de famille respectables, ont îou3 prêté leur argent en achetant une hypothèque sûre par la perte d’un cinquième d’intérêb Jamais ces effets n’ont circulé sur la place ; jamais un hasard perfide et méprisable n’a pu compenser la modicité g4 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [15 avril 1790.] de leur produit. Sans doute, vous remplirez des engagements que vous auriez bien su nous engager à remplir si l’administration de nos biens nous fût restée. Ce n’est pas notre cause que nous plaidons, c’est celle de nos créanciers ; ce n’est pas à notre intérêt que nous cédons, c’est à notre devoir que nous sommes fidèles, x’est la morale politique que nous invoquons. ll\st impossible de porter atteinte à l’bypothèque établie. L’hypothèque est une véritable propriété ; des biens ne peuvent changer de mains si l’hypothèque n’est purgée. Sans doute, le Corps législatif ne se croira pas exempt d’une loi qu’il impose à tous les citoyens. Vous voulez rétablir le crédit, vous le voulez dans une malheureuse circonstance. Quel crédit auriez-vous si vous violiez la loi générale ? 11 est de votre honneur, il est de l’intérêt du bien public, qu’une grande nation soit juste. Vous serez donc justes ; vous conserverez donc l’hypothèque, qui doit être à vos yeux une propriété sacrée. J’examinerai la question du papier-monnaie avec le saint respect qu’inspire une nation entière: car c’est du bonheur ou du malheur du peuple français qu’il s’agit. Qu’est-ce que créer un papier-monnaie? Un orateur distingué par son éloquence a donné une définition parfaite : « c’est voter le sabre à la main. •> Ce qu’a dit l’honorable membre, je vais le prouver. Je voudrais en ce moment que le royaume entier pût entendre ma voix. Je voudrais appeler en témoignage de la pureté de mes intentions le dernier homme du peuple. Je ne demande pas qu’on y croie, mais qu’on me juge. Je vais d’abord faire un important aveu : Il faut moins examiner la théorie que la pratique, c’est l’expérience qu’il faut interroger : je vous avoue que j’ai été singulièrement tenté de vous lire le plus beau mémoire qui ait été fait en faveur du papier-monnaie. Eh bien! ce chef-d’œuvre, cet ouvrage si fortement raisonné, est celui que Law a lu à M. le régent. Mon respect profond pour cette Assemblée m’a seul empêché d’en faire l’essai sur vos esprits. Quand vous l’aurez lu, il n’y auraplusderaisonnementqui puisse vous séduire, puisque tous ceux qu’il renferme, malgré tout ce qu’ils ont en apparence de juste et de convaincant, ont fait le malheur du royaume. Il n’y a pas de grandes différences entre les assignats et le papier-monnaie ; mais ne pensez pas que ces précautions qu’on vous propose doivent rassurer votre patriotisme. Je ne trouve pas dans les assignats les mêmes principes de mort, mais j’en trouve d’autres ni moins prompts ni moins infaillibles. Je commence d’abord par une observation : on a dit qu’il ne s’agissait pas d’une première émission de billets, mais seulement d’un remplacement d’effets désastreux. Je vous prierai de considérer, je ne dis pas toutes les fautes, je ne veux accuser personne, mais tous les malheurs dont cette phrase retrace l’idée. Les assignats ont été présentés deux fois, ils ont été rejetés; ils reparaissent aujourd’hui avec aussi peu d’avantage. Je vais lire des observations que j’ai écrites pour simplifier mes idées, ensuite je mettrai pour ainsi dire le papier-monnaie hors de cette Assemblée; je le ferai circuler dans la société; nous le suivrons dans sa marche. Ou a beaucoup parlé de l’établissement d u papier-monnaie; mais jamais on ne l’a envisagé sous les grands rapports de l’administration. Un billet de caisse ne peut entrer en circulation que comme signe représentatif d’un dépôt ou d’une dette; c’est pour cela qu’il est remboursable à volonté. Le papier-monnaie, au contraire, entre en circulation comme paiement d’une dette contractée. On prétend que le papier-monnaie, n’ayant aucune valeur intrinsèque, doit être payé à présentation et établi avec gages. La monnaie n’est pas représentative des valeurs, mais signe représentatif des valeurs... Le papier-monnaie circule essentiellement; s’il portait intérêt, il resterait en stagnation. Le papier-monnaie n’est point un emprunt; s’il en était un, ce serait le plus désastreux de tous; ce serait l’opération la plus fiscale que l’on ait jamais proposé. 11 est indispensable de chercher à ramener tous les effets publics à une valeur égale. Si le papier-monnaie porte intérêt, il éprouvera une perte, précisément parce qu’il portera intérêt. Si cette valeur change, la monnaie n’existe plus, car son attribut est d’avoir une valeur constante : ainsi, il est contre l’essence du papier-monnaie de porter intérêt Le papier-monnaie est inutile si c’est un supplément pour nos besoins existants; mais aussi il doit cesser à l’instant où le numéraire est revenu. Si le papier ne disparaît pas, le numéraire disparaîtra de nouveau. Le papier-monnaie, dit Hume, peut enrichir un Etat riche; mais il ruinera un Etat pauvre. La richesse d’un Etat ne peut être que momentanée. Qnand la confiance n’existe pas, le papier-monnaie, qui paraît être le remède à tous les maux, en est le comble. Il ne peut être un moyen de circulation ou d’échange, mais il peut payer les intérêts et servir de moyen pour le remplacement et le déplacement des capitaux. Voilà les principes généraux sur cette matière. Suivons maintenant ce papier. Allons dans la société où nous l’avons répandu. Qui nous le demande? Les marchands d’argent, Jes agents de change, laCaisse d’escompte et quelques marchands de province. Sont-ce-là de grands intérêts auxquels il faille sacrifier la France entière? La Caisse d’escompte le désire parce qu’il deviendra dans ses mains un moyen d’avoir de l’argent. Les agents de change n’ont que du papier auquel ils voudraient que vous donnassiez la vie. Eh! la vie qu’il aurait reçue serait la mort pour les provinces et pour les campagnes, qui ne savent pas même le nom de nos opérations. Les villes de provinces le demandent, parce qu’elles ne peuvent avoir de l’argent. Eh bien ! quel effet y produira-t-il? Pla-çons-le entre le débiteur et le créancier, entre le fabricant et l’ouvrier, entre le consommateur et le propriétaire, vous allez voir les ravages qu’il va produire sous ces différents rapports. Voici la plus belle question de morale publique qu’il soit possible d’avoir à discuter. Je demande qu’on ne s’arrête pas à quelque expression ; qu’on ne me désapprouve point que je n'aie entièrement expliqué ma pensée. Si l’on venaitàvous,àvous généreux représentants de la plus loyaledes nations ; si l’on vous proposait la banqueroute, vous frémiriez d’horreur. Eh bien ! c’est pire encore, c’est la mort publique qu’on vous propose. Donnerez-vous un intérêt au papier-monnaie? S’il perd 1 0/0, ce sera une banqueroute d’un vingtième. Il perdra; il sera frappé d’une perte inévitable dès le premier jour de sa création. Il peut par la suite éprouver une perte incalculable qui le réduise à rien. Le débiteur sera donc autorisé à faire banqueroute à tous ses créanciers? Tout homme en France qui ne doit rien, et à qui tout est dû, est un homme ruiné par le papier-monnaie. Avons-nous le droit de ruiner un seul de nos concitoyens? Non : cette immoralité n’est pas dans vos principes : mais ce citoyen se servira de son papier pour faire des acquisitions. Prenez-y garde; ici la question change beaucoup de nature. [Assemblée nationale. 1 ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [15 avril 1790.1 65 Le papier qui arrive déshonoré par des pertes entre les mains des créanciers, et que vos décrets ordonnent de recevoir, n’a plus que cette valeur déshonorée. Mais alors d’autres auront mis un prix en argent à ces biens. Le propriétaire de papier-monnaie sera donc obligé de proportionner le prix qu’il donnera au discrédit de son papier. Eh! de quel droit forcerions-nous un papier qui perdrait 20 0/0? qu’arrivera-t-il? Il est dans les qu’elle ne peut consacrer. Voila ce qui aura lieu entre le créancier et le débiteur. Voyons entre le manufacturier et l’ouvrier. L’argent ne peut pas exister partout où il n’a pas la préférence. Dans cette guerre le peuple meurt de faim ; celui qui n’a que sa journée a besoin d’argent, et non pas de papier. Entre le consommateur et le propriétaire, le propriétaire ne suivra pas le taux que vous avez fixé : il se créera des règles de proportion; il augmentera ses denrées dans le rapport du discrédit du papier. Il viendra un jour où le peuple ne pourra atteindre à ces denrées, et ce jour il maudira les illusions, il maudira l’instant où il a demandé un papier-monnaie qui n’est autre chose qu’une banqueroute. Entre le Français et l’étranger, votre change deviendra plus funeste qu’il n’a jamais été ; vous verrez l’argent ne vous arriver que pour subir une perte d’un neuvième... Entre le sujet et le souverain, dites-moi si c’est avec des impôts payés en papier qu’un Etat peut se soutenir?... Ces raisons n’ont rien de recherché; ce sont des souvenirs qu’elles retracent, c’est l’expérience qui nous les a découvertes. Nos provinces, après soixante-dix ans, n’ont pas oublié leur détresse et les malheurs dont la génération présente gémit encore... S’il fallait juger d’après les intérêts des villes, je dirais que la ville de Lyon, qui fait un commerce de 150 millions, ne veut point de papier-monnaie, parce qu’il deviendrait stérile entre ses mains. Les villes de Rouen et de Bordeaux, qui en demandent, n’en voudront plus dans trois mois. Quelques villes de commerce, deux ou trois provinces, qui n’en voudront pas, suffiront pour l’anéantir. Mais qu’avons-nous besoin de tous ces témoignages? Qui n’est pas certain que l’intérêt du propriétaire et du négociant est de vendre au comptant? Le papier s’amoncellera donc dans la capitale; que deviendra cette malheureuse ville? Par ces considérations, je conclus que le papier-monnaie avec intérêt est une absurdité politique; que le papier-monnaie sans intérêt est une calamité; et je m’oppose, autant qu’il est en moi, et au nom de ma province, à tout papier-monnaie. M. Bégonen, député du bailliage de Gaux, demande à s’absenter pendant quinze jours, pour ses affaires. L’Assemblée le lui permet. La séance est levée à trois heures. ASSEMBLEE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. LE MARQUIS DE BONNAY. Séance du ieudi 15 avril 1790, au soir (1). La séance est ouverte à six heures du soir. Un de MM. les secrétaires donne lecture des adresses suivantes : Adresses de félicitation, adhésion et dévouement des nouvelles municipalités des communautés de Vobles et Mougeffond en Franche-Comté; de Bel-pech, de Sollies-lès-Toucas, de Ghâteaumur, district de la Châtaigneraie ; de Plazac, de Grenay en Champagne; de Fontenay, près Charolles; de Gressigny, de Fichons, de Guq, de Toulza, de Fraisse et de la ville de Galonné en Anjou. Des communautés de Saint-Léger en Angou-mois ; de la baronnie de Gonches en Bourgogne, et de la ville de Trévoux : elles font le don patriotique du produit de la contribution des ci-devant privilégiés. De la communauté de Foulquemont; elle demande d’obtenir la préférence, pour le tribunal de district, à la communauté de Mouhauge. De la ville de Sales; elle demande la conservation d’un tribunal dans son sein, comme il a été décrété par l’Assemblée nationale. De la ville de Négreplisse en Quercy; elle fait le don patriotique d’une constitution de rente sur l’Etat, de la somme de 1,260 livres et des intérêts arriérés. Elle annonce que les habitants, par une imposition réelle et une contribution volontaire, ont pourvu, jusqu’au terme de la récolte prochaine, à la subsistance de cinq cent-soixante pauvres individus de tout âge et de tout sexe, par l’établissement d’ateliers de charité. Enfin de la ville de Nîmes; elle envoie une délibération relative à la prétention des officiers du présidial de cette ville, d’occuper à la cathédrale le banc d’honneur pendant la quinzaine de Pâques, et de présenter le pain-béni le jour de Pâques. Elle sollicite de l’Assemblée nationale une décision solennelle qui règle définitivement les droits et les prétentions respectives des corps, et ne permette plus qu’il s’élève à l’avenir de semblables difficultés, toujours préjudiciables à l’esprit de paix et de fraternité qui doit régner entre des concitoyens. Adresse de la ville de Mirepoix, qui exprime avec énergie les sentiments d’admiration, de reconnaissance et de dévouement dont elle est pénétrée pour l’Assemblée nationale. Adresses des nouvelles municipalités des communautés de Cambronne, de Thauvenay, de Gondé, près Gharente; de Huos, de Vielmur,de Pumirol,de Reignac-sous-Barbezieux, de Vias, de Castellon, de Gauve, de Ghizé en Poitou; de Pointis, de Rivière en Languedoc; des villes de Dax et de Preuillv en Touraine. De la communauté de Gournay en Poitou; elle se plaint d’avoir été augmentée, dans ses impositions, par la commission intermédiaire de Saint-Maixent. De la communauté de Sermaize; elle fait des observations sur les formes d’élection des représentants de la nation. De la ville de Mornans en Lyonnais; elle fait (1) Cette séance est incomplète au Moniteur. iT* SÉRIE, T. XIII. 8