364 Assemblée nationale.! ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (27 avril 1791.J les décrets à l’examen du commissaire liquidateur et à la décision de l’Assemblée nationale. » {Adopté.) M. Le Chapelier, rapporteur. Viennent ensuite quatre articles destinés à fixer pour l’avenir la manière dont procéderont ceux qui, à raison des marchés, des traités, des engagements quelconques, auront fait des affaires avec la nation et la manière dont les agents les poursuivront. Ces articles exigent plus de réflexion et une discussion plus étendue; si l’Assemblée y cousent, je les ferai imprimer, ainsi que les motifs qui ont aéterminé le comité à vous les présenter. M. Malouet. 11 faut prendre en considération l’état actuel des choses relativement aux administrations et aux manufactures. Je crois que, dans l’ancien ordre de choses, les administrations locales participaient à l’autorité du conseil. Je demande que le comité nous présente ses vues sur cette administration. (L’Assemblée décrète l’impression et l’ajournement des quatre derniers articles du projet de décret.) M. Legrand, au nom du comité ecclésiastique , présente un projet de décret relatif à la circonscription des paroisses de Liancourt , Chaumont et Chartres et à la réunion de plusieurs hameaux. Ce projet de décret est ainsi conçu : « L’Assemblée nationale, après avoir entendu son comité ecclésiastique, décrète : Art. 1er. « La paroisse de Saint-Pierre du village de Liancourt, département de l’Oise, est et demeure réunie, avec son territoire, à la paroisse de Notre-Dame dudit lieu, sous l’invocation de Notre-Dame. Art. 2. « Dans la ville de Chaumont, même département, les paroisses de Saint-Martin, de Lailleiie et de Saint-Brice sont réunies, avec leur territoire, à celle de Saint-Jean-Baptiste de Ghaumont, sous cette invocation. Art. 3. « Il sera conservé un oratoire dans l’église de Laillerie. Art. 4. « Dans la ville de Chartres, département d’Eure-et-Loire, les 7 paroisses de l’intérieur de la ville, sous lis invocaiions de Saint-Aignunt, Saint-André, Sainte-Foy, Saint-Hilaire, Saint-Martin, Saint-Michel et Saim-Saturnin, sont supprimées et réunies à la paroisse cathédrale. Art. 5. « Les deux paroisses extra muros de Saint-Maurice et de Saint-Brice sont également supprimées et réunies avec leur territoire, sauf les exceptions ci-après, à ladite paroisse cathédrale. Art. 6. « Le hameau de Serreville sera réuni à la paroisse de Maiuvilliers. Art. 7. * Le hameau d'Ouarville sera réuni à la paroisse de Saiut-Lazare-de-Lères. Art. 8. « Le hameau de Milanet sera réuni à la paroisse de Champhot. Art 9. « Le hameau du Petit-Beaulieu, ci-devant de la paroisse de Saint-Brice, sera réuni à la paroisse de Saint-Ghéron. Art. 10. « La paroisse deLucê est éteinte et supprimée, et réunie à celle de Mainvilliers, avec son territoire, à l’exception du faubourg de Nicochet, qui est réuni à la paroisse cathédrale. Art. 11. « La paroisse de Saint-Barthélemy est supprimée et réunie, avec son territoire, à celle de Saint-Chéron, à l’exception des maisons situées dans l’intérieur de la ville et du faubourg, qui étaient de la paroisse de Saint-Barthélemy et qui sont et demeureront réunies à la paroisse cathédrale. Art. 12. « Il sera établi deux oratoires : l’un dans l’église de Saint-Maurice et l’autre dans l’église des ci-devant capucins. Art. 13. « Tous les revenus et fonds des fabriques des paroisses supprimées par le présent décret sont réunis et attachés aux églises auxquelles chacune d’elle est réunie. » (Ce décret est adopté.) L’ordre du jour est la suite de la discussion sur V organisation de la garde nationale (1). M. Rabaud - Saint - Etienne , rapporteur. Messieurs, dans la dernière séance où il s’est agi de l’organisation des gardes nationales, je vous ai rappelé les principes des décrets constitutionnels que vous avez rendus sur cette organisation. Le projet que votre comité de , Constitution vous propose aujourd’hui, ayant pour unique objet le développement de ces principes, ne paraît pas susceptible d’une discussion générale dans laquelle on ne pourrait que remettre en question ce qui est déjà décrété. Notre projet de décret est divisé en cinq sections ; la première, intitulée : De la composition de la liste des citoyens , a pour objet le mode d’exécution de votre décret sur la circonscription militaire; la seconde, intitulé� : De l'organisation des citoyens pour le service de la garde nationale , est la détermination du mode suivant lequel la garde nationale doit faire le service quand elle en sera requise; la troisième, intitulée : des fonctions des citoyens servant en qualité de gardes nationales , est la nomenclature de tontes les parties du service de la garde nationale ; la détermination des devoirs des citoyens en leur qualité de gardes nationales. Les principes déjà établis par vos propres décrets sont qu’elles doivent prêter main-forte à l’exécution des jugements; qu’elles doivent repousser et réprimer toute espèce de brigandage, marcher, sur la réquisition des corps administratifs, contre les ennemis du dedans ou du dehors. Elle doit être (1) Voy. ci-dessus, séance du 20 avril 1791, pages 218 et suiv., le commencement de la discussion et le projet de décret sur cet objet. I Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (27 avril 1791.] 365 regardée comme la grande force nationale qui doit agir quand l’armée en commission est insuffisante. La quatrième section a pour objet l’ordre du service les rangs, les grades; la cinquième enfin, la discipline des citoyens servant en qualité de gardes nationales ; mais ce Code de discipline n’est, pas plus que les autres points, susceptible d’être discuté dans ses principes généraux et fondamentaux; car ces principes sont déjà établis. Je demande donc que, pour ne pas remettre en question ce qui est décrété, pour ne fias nous exposer à désavouer nos propres principes, noos assions à la discussion successive des articles. ependant, comme ces discussions de détail pourront porter principalement sur ce qui concerne les fonctions des gardes nationales, on peut mettre ce litre le premier de la discussion. Lorsque l’on saura à quelles fonctions la garde nationale est destinée, il sera plus facile de prononcer sur le régime de son organisation. La grande question des réquisitions pourra se subdiviser. On discutera d’abord ce qui concerne la réquisition habituelle, celle qui tient essentiellement à l’institution des gardes nationales, qui les oblige en tout temps, à toute heure, de prêter main-forte à l’exécution de la loi, de maintenir l’autorité des jugements, de réprimer le flagrant délit; on discutera ensuite ce qui concerne la réquisition particulière qui, faite par les officiers civils, aura pour objet de réprimer les incursions extraordinaires du brigandage ou les attroupements séditieux contre lu sûreté des personnes et des propriétés, de protéger la perception des contributions ou la circulation des subsistances, etc. Enfin la réquisition permanente, qui aura lieu aux époques d’alarmes et de troubles, lorsque des ennemis extérieurs ou intérieurs menaceront la sûreté ou la liberté publiques, pour que tous les citoyens se tiennent prêts à un service effectif. Dès que la patrie est hors de péril, cette réquisition, qui doit être faite, par le Corps législatif ou par le roi, cesse ; mais elle est permanente tant que dure le danger... Ces réflexions que je jette en avant font voir que vous devez nécessairement discuter successivement les différentes dispositions de notre projet de décret, mais qu’il ne peut plus s’établir de discussion générale sur le projet en entier, puisque tous les principes généraux sont déjà constitutionnellement établis et qu’il ne s’agit que d’en faire l’application. M. V injuinals. Les bases du plan du comité me pai. lissent, en général, sages. J’y aperçois d’excellentes vues et je crois qu’avec du changement on peut faire de ce projet une loi digne de vous et du bien auquel nous devons tendre, qui est d’assurer la tranquillité et la sûreté publique. Dans la discussion préliminaire, je me bornerai à des observations générales sur des corrections et améliorations que je proposerai avec brièveté et que je vous prierai d'écouter avec indulgence. M. Durand -Maillane. J’observe, sur l’ordre de la discussion, qu’il n’est aucun rapport du comité militaire qui n’ait été adopté de confiance et que tous les décrets qu'on pourrait opposer aujourd’hui à ceux qui voudraient combattre le plan du comité, ont passé presque sans discussion. Je demande que la discussion soit faite article par article. M. Déineunier. Le comité est bien loin de s’opposer à une discussion générale. Le préopinant s’est trompé lorsqu'il a dit que les principes décrétés sur cet objet n’ont point entraîné de discussion. Vous avez attaché à la qualité de citoyen actif l’obligation indispensable défaire le service de la garde nationale; c’est sur cette base fondamentale que repose en eniier le plan du comité. Dans vutre position, que devez-vous tous désirer ? Que la garde nationale qui a fait la Révolution, sans laquelle vous n’auriez pas pu achever vos travaux, continue son service non seulement jusqu’à la lin de la Constitution, mais toutes les fois que la patrie ou la liberté publique en péril demanderait qu’elle prenne les armes. Alors qu’arrivera-t-il? Non seulement dans les iemps ordinaires la garde nationale sera chargée de faire exécuter la loi, de maintenir l’ordre public; mais dans un moment de crise, dans un moment orageux pour la liberté publique, il suffirait île. frapper la terre du pied; uue armée tout entière, organisée d’une manière assez exacte, paraîtrait, et vous pourriez alors déjouer tous les ennemis de la Constitution. Si, au contraire, après nos travaux achevés, le calme rétabli partout ne demande qu’un service passager, qu'un service local, l’organisation qui vous est présentée se prête encore à ces mêmes détails. Dans l’opinion que le préopinant a proposée dans une des dernières séances, il a demandé que les gardes nationales fussent incorporées aux troupes de ligne. Je dis que c’est aller contre tous vos décrets. Peut-on espérer que des citoyens iront naturellement s’enrôler dans les troupes de ligne; ce qui les rendrait ennemis nés de leur pays. Dans les contrées despotiques d’Allemagne, au moins le despotisme s’est arrêté à ce qu’il appelle des agriculteurs et des laboureurs qu’il enrôle de force, sous le nom de milice, dans les troupes de ligne. Un pareil système ne tiendra pas contre la plus légère discussion. J’ai vu un autre plan d’organisation de gardes nationales, où l’on demande un extrait de toutes les gardes nationales du royaume, composées de 1,450,000 hommes. On part au moins des principes que vous avez décrétés. On dit : Tout citoyen actif est garde nationale et doit en faire le service. On demande que les citoyens actifs se réunissent et que, par la voix de l’élection, ils nomment proportionnellement, dans les départements, le nombre de gardes nationales en activité qui sera nécessaire pour faire le service, et on porte le nombre à 4,500,000. Que résulterait-il de ce plan ? Vous altéreriez complètement l’esprit fondamental de votre Constitution, qui est que celui qui jouit de la qualité de citoyen doit non seulement concourir par des contributions, mais concourir, par sa personne et par son courage, à défendre les intérêts de la patrie. Il ne s’agit pas ici d’élection et il est clair que toute espèce de mode électif en cette matière aurait les plus grands inconvénients. Voilà deux systèmes généraux qui ont été présentés; j’en connais un ou deux autres qui ne me paraissent pas plus conformes à vos décrets ni à l’esprit de la Constitution que vous avez établie. Loin donc de m’opposer à une discussion générale, je demande qu’on examine si le plan au comité n’est pas l’application pure et simple de v> Voilà, Messieurs, comment la folie du duel pourra être combattue avec succès, en y joignant des lois sévères contre les violences, contre les insultes personnelles. Il est dit dans le projet que les vieillards distribueront des prix ; il faudrait aussi, pour animer l’ardeur et le zèle des gardes nationales, créer des jeux civiques; mais, pour qu’on n’y apportât point l’esprit de galanterie, je demande que les femmes en soient exclues. (Rires.) Eloignez de vos jeux civiques les idées galantes de notre ancienne chevalerie; elles convenaient au despotisme, mais elles ne conviennent pas aux mœurs, sans lesquelles il n’y a point de liberté. Il faut que les exercices si précieux à la jeunesse puissent être faits volontairement une fois la semaine, pendant toute l’année. C’est le vœu de nos jeunes concitoyens. Il est trop légitime pour qu’on puisse le repousser. Voilà les observations générales que j’avais à proposer. M. de Custine. En appréciant à leur juste valeur les réflexions du préopinant, on est convaincu qu’il est inutile d’ouvrir une discussion 368 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [27 avril 1791.] générale. Le plan du comité n’est que le résultat des principes déjà décrétés. Je demande, Monsieur le président, afin d’en fixer la délibération d’une manière invariable, que vous mettiez aux voix si on adoptera le plan du comité pour base de la discussion, et ensuite si ce sera section par section que cette discussion sera ouverte. M. Robespierre (1). Messieurs, vous êtes tous convaincus que, de toutes les institutions qui vous restent à former, l’organisation des gardes nationales est celle qui doit avoir la plus puissante influence sur le sort de la liberté et sur la stabilité de votre ouvrage. Je me hâte donc d’en rechercher les principes, sans en prouver l’importance. Vous le savez; toutes les institutions politiques ne sont que des moyens de parvenir à un but utile à la société, et, pour bien choisir et employer les moyens, il est toujours nécessaire, il suffit souvent de connaître parfaitement le but et de ne le jamais perdre de vue. Examinons donc avant tout quel est l'objet précis de l’institution des gardes nationales, quelle est la place qu’elles doivent tenir, quelle est la foncticm qu’elles doivent remplir dans l’économie politique; et toutes les règles de leur organisation s’offriront d’elles-mêmes à nous comme des conséquences palpables de ce principe. Ce serait en vainque nous chercherions ici des autorités ou des exemples étrangers parfaitement analogues. L’idée de l’institution des gardes nationales, du moins telle que nous la concevons, est neuve; elle appartient à notre Révolution; elle fut presque également inconnue et aux peuples libres, et aux peuples subjugués par le despotisme. Chez les premiers, les citoyens, nés soldats pour défendre la patrie, s’arment dans les dangers qui la menacent, repoussent les invasions des ennemis du dehors, et rentrent dans leurs foyers où ils ne sont plus que des citoyens. Quant aux autres (je parle des peuples modernes), ils entretiennent, ou plutôt leurs monarques entretiennent, à leurs dépens, des corps de troupes permanents qu’ils emploient alternativement pour combattre leurs ennemis étrangers et pour enchaîner leurs sujets. Tel est l’ordre de choses que vous avez trouvé, parmi nous, en commençant votre carrière. Je ne vous rappellerai pas ce qu'il devait vous coûter si, par un enchaînement extraordinaire d’événements dont l’histoire du monde n’offre pas un exemple, les soldats du despotisme n’étaient devenus tout à coup les soldats de la liberté... Les circonstances extérieures qui vous environnaient vous ont déterminé à conserver une armée nombreuse sur pied; vous l’avez laissée entre les mains du prince ; mais en même temps vous avez senti que cette force, dangereuse â la liberté, jugée par vous un mal nécessaire, exigeait un puissant remède, et vous avez appelé les gardes nationales; ou plutôt, au premier cri de la liberté naissante, tous les Français* ont pris les armes, et se sont rangés en bataille autour de son berceau; et vous, convaincus qu’il ne suffisait pas de créer la liberté, mais qu’il fallait la conserver, vous avez mis dès lors, au rang de vos premiers devoirs, le soin de consolider, par des lois sages, cette salutaire institution que les premiers efforts du patriotisme avaient fondée. Déjà ce simple historique nous montre le (1) Le Moniteur ne donne que de courts extraits de ce discours. véritable objet de l’établissement des gardes nationales ; et la nature de la chose nous le dit encore plus clairement. Les lois constitutionnelles tracent les règles qu’il faut observer pour être libres; mais c’est la force publique qui nous rend libres de fait, en assurant l’exécution des lois. La plus inévitable de toutes les lois, la seule qui soit toujours sûre d’être obéie, c’est la loi de la force. L’homme armé est maître de celui qui ne l’est pas ; uu graud corps armé, toujours subsistant au milieu d’un peuple sans armes, est nécessairement l’arbitre de sa destinée ; celui qui commande à ce corps, qui le fait mouvoir à son gré, pourra bientôt tout asservir. Plus la discipline sera sévère, plus le principe de l’obéissance passive et de la subordination absolue sera rigoureusement maintenu; plus le pouvoir de ce chef sera terrible; car la mesure de sa force sera la force de tout le grand corps dont il est l’àme; et fût-il vrai qu’il ne voulût pas en abuser actuellement, ou que des circonstances extraordinaires empêchassent qu’il pût le vouloir impunément, il n’en est pas moins certain que, partout où une semblable puissance ' xiste sans contrepoids, le peuple n’est pas libre, en dépit de toutes les lois constitutionnelles du monde; car l’homme libre n’est pas celui qui n’est point actuellement opprimé; c’est celui qui est garanti de l’oppression par une force constante et suffisante. Ainsi, toute nation qui voit dans son sein une armée nombreuse et disciplinée aux ordres d’un monarque, et qui se croit libre, est insensée, si elle ne s’est environnée d’une sauvegarde puissante. Elle ne serait pas justifiée par la prétendue nécessité d’opposer une force militaire égale à celle des nations esclaves qui l’entourent. Qu’importe à des hommes généreux à quels tyrans ils seront soumis ? Et vaut-il la peine de se donner tant de soins et de prodiguer tant de sang, pour conserver à un despote un. immense domaine où il puisse paisiblement fouler aux pieds plusieurs millions d’esclaves? Je n’ai pas besoin d’observer que le patriotisme généreux des soldats français; que les droits qu’ils ont acquis dans cette Révolution, à la reconnaissance de la nation et de l’humanité entière, ne changent rien à la vérité de ces principes ; on ne fait point des lois ; on ne fait point une Constitution pour une circonstance et pour un moment. La pensée du législateur doit embrasser l’avenir comme le présent. Or, celte sauvegarde, ce contrepoids nécessaire, quel est-il ? Les gardes nationales. Posons donc pour premier principe qu’elles doivent être organisées de manière qu’elles mettent le pouvoir exécutif dans l’impuissance de tourner, contre la liberté publique, les forces immenses dont il est sans cesse armé. Mais ce ne sera point assez, il faudra encore qu’elles ne puissent jamais elles-mêmes opprimer la liberté, ni le pouvoir exécutif; puisque, tant qu’il se renferme dans les bornes que la Constitution lui prescrit, il est lui-même une portion des droits delà nation. Tel est le double objet que doit remplir la constitution des gardes nationales ; tel est le double point de vue sous lequel nous allons la considérer. Le premier ne nous présente que des idées infiniment simples. S’il est vrai que cette institution soit un remède contre le pouvoir exorbitant qu’une aunée toujours sur pied donne à celui qui en dispose, il s’ensuit qu’elles ne doivent point êtie constituées L Assemblée aaüonale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (27 avril 1791.] 339 comme les troupes de ligne ; qu’elles ne doivent point être aux ordres du prince; qu’il faut bannir de leur organisation tout ce qui pourrait les soumettre à son influence , puisqu’alors, loin de diminuer les dangers de sa puissance , cette institution les augmenterait, et qu’au lieu de créer des soldats à la liberté et au peuple, elle ne ferait que donner de nouveaux auxiliaires à l’ambition du prince. De ce principe simple, je tire les conséquences suivantes qui ne le sont pas moins : 1° Que le prince, ni aucune personne sur laquelle le prince a une influence spéciale, ne doit nommer les chefs, ni les officiers des gardes nationales ; 2* Que les chefs et les officiers des troupes de ligne ne peuvent être chefs, ni officiers des gardes nationales ; 3° Que le prince ne doit ni avancer, ni récompenser, ni punir les gardes nationales. Je rappellerai à ce sujet gue ce fut, de la part du dernier ministre, un trait de politique aussi adroit dans le système ministériel, que repréhensible dans les principes de notre Constitution, d’avoir envoyé des croix de Saint-Louis aux gardes nationales de Metz qui assistèrent à la fatale expédition de Nancy. Ce procédé doit, au moins, avertir la vigilance et la sagesse de l’Assemblée nationale, comme il à étonné tous les citoyens éclairés. Enfin, Messieurs, évitez soigneusement tout ce qui pourrait allumer dans l’âme des citoyens soldats ce fanatisme servile et militaire, cet amour superstitieux de la faveur des cours, qui avilit les hommes au point de les porter à mettre leur loire dans les titres mêmes de leur servitude ; éplorables effets de nos mœurs frivoles et de nos institutions tyranniques. L’évidente simplicité de ces idées me dispense de tous développements; et je passe au second et au plus important des deux objets que j’ai annoncés : je veux dire à l’examen des moyens à employer pour que les gardes nationales ne puissent pas elles-mêmes opprimer la liberté des citoyens. Tous ces moyens me semblent se rapporter à un principe général : c’est d’empêcher qu’elles forment un corps, et qu’elles adoptent aucun esprit particulier qui ressemble à l’esprit de corps. . 11 est dans la nature des choses que tout corps, comme tout individu, ait une volonté propre, différente de la volonté générale, et qu’il cherche à la faire dominer. Plus il est puissant, plus il a le sentiment de ses forces; plus cette volonté est active et impérieuse. Songez combien l’esprit de despotisme et de domination est naturel aux militaires' de tous les pays; avec quelle facilité ils séparent la qualité de citoyen de celle de soldat, et mettent celle-ci au-dessus de l’autre. Redoutez surtout ce funeste penchant, chez une nation dont les préjugés ont attaché longtemps unp considération presque exclusive à la profession des armes; puisque les peuples les plus graves n’ont pu s’en défendre. Voyez les citoyens romains commandés par César : Si, dans un mécontentement réciproque, il cherche à les humilier, au lieu du nom de soldats, il leur donne celui de citoyens, quintes; et à ce mot ils rougissent et s'indignent. Un autre écueil pour le civisme des militaires, c’est l’ascendant que prennent leurs chefs. La discipline amène l’habitude d’une prompte et entière soumission à leur volfnté; les caresses, desjrertus plus ou moins réelles la changent en i" Série * T. XXV. dévouement et en fanatisme; c’est ainsi que les soldats de la République deviennent les soldats deSylla,de Pompée, de César, et ne sont plus que le3 aveugles instruments de la grandeur de leurs généraux et de la servitude de leurs concitoyens. Il sera facile, parmi nous, de prévenir toutes ces espèces d’inconvénients. Rappelons-nous la distance énorme qui doit exister entre l’organisation d’un corps d’armée destiné à faire la guerre aux ennemis du dehors, et celle des citoyens armés pour être prêts à défendre leurs lois et leur liberté contre les usurpations du despotisme ; rappelons-nous que la continuité d’un service rigoureux, que la loi de l’obéissance aveugle et passive, qui change des soldats en des automates terribles, est incompatible avec la nature même de leurs devoirs, avec le patriotisme généreux et éclairé qui doit être leur premier mobile. Ne cherchez point à les conduire par le même esprit, ni à les mouvoir par les mêmes ressorts que nos troupes de ligne. Soit que, dans les commencements de la Révolution, il ait été nécessaire, comme on l’a dit, de leur donner beaucoup de ressemblance avec l’armée, soit que des motifs différents ou seulement l’esprit d’imitation aient multiplié ces états-majors, ces grades, ces décorations militaires, il me paraît certain que ce ne doit point être là l’état permanent des gardes nationales. Il faut surtout s’appliquer à confondre, chez elles, la qualité de soldat dans celle du citoyen : les distinctions militaires les séparent et les font ressortir. Réduisez le nombre des officiers à la stricte mesure de la nécessité. Gardez-vous surtout de créer, dans le sein de cette famille de frères confédérés pour la même cause, des corps d’élite, des troupes privilégiées, dont l’institution est aussi inutile que contraire à l’objet des gardes nationales. Prenez d’autres précautions contre l’influence des chefs. Que tous les officiers soient nommés pour un temps très court : je ne voudrais pas qu’il excédât la durée de 6 mois. Que les commandements soient divisés de manière au moins qu’un seul chef ne puisse réunir plusieurs districts sous son autorité. Ajoutez une disposition dont l’importance est peut-être plus grande qu’elle ne paraît au premier coup d’œil. On n’imagine pas aisément à quel point cet esprit de despotisme militaire, que nous cherchons à éteindre, peut être fomenté par l'usage de porter continuellement les marques distinctives du grade dont on est revêtu. En général, tout magistrat, tout fonctionnaire public, hors de l’exercice de ses fonctions, n’est qu’un simple citoyen. Les insignes qui rappellent son caractère ne lui sont donnés que pour le moment où il les remplit et pour la dignité du service public, et non pour sa décoration personnelle ; Phabitude de les étaler dans le commerce ordinaire de la vie peut donc être regardé, en quelque sorte, comme une espèce d’usurpation, comme une véritable atteinte aux principes de l’égalité. Elle ne sert qu’à l’identifier, à ses propres yeux, avec son autorité; et je ne crois pas m’éloigner beaucoup de la vérité en disant que ces distinctions extérieures, qui poursuivent partout les hommes en place, n’ont pas peu contribué à faire naître dans leurs âmes cet esprit d’orgueil et de vanité et, dans celles des simples citoyens, cette timidité rampante, cet empressement adulateur également incompatibles avec le caractère des hommes libres. A qui cette vanité puérile convient-elle moins qu’aux chefs des citoyens soldats? Défen-24 370 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [2*7 avril 1791.} seurs de la liberté, vous ne regretterez pas ces hochets dont les monarques payent le dévouement aveugle de leurs courtisans. Le courage, les vertus des hommes libres, la cause sacrée pour laquelle vous êtes armés, voilà votre gloire, voilà vos ornements. ( Applaudissements .) Je n’ai pas dit que ces officiers devaient être nommés par les citoyens, parce que cette vérité me paraissait trop palpable. Aussi n'ai-je pu concevoir encore la raison qui avait pu déterminer vos comités de Constitution et militaire à vous proposer de les faire choisir moitié par les citoyens, moitié par les administrateurs du département. Ils sont sans doute partis d’un principe ; or, si ce principe exigeait le choix du peuple, pourquoi le respecter en partie et le violer en partie? Ou pourquoi décider une question unique et simple par deux principes contradictoires? N’est-il pas évident que l’exercice du droit d’élection appartient essentiellement au souverain, c’est-à-dire, au peuple, dont l’autorité est circonscrite dans les bornes des affaires administratives ; qu’il est contradictoire de faire concourir, avec le souverain lui-même, ses propres délégués, pour choix de la même espèce de fonctionnaires publics ? Quel avantage peut-on trouver à confier cette partie de sa puissance à un petit nombre d’administrateurs? Ceux qui savent, au contraire, à quel point il est exposé au malheur d’être trahi ou abandonné par ceux qui exercent son autorité, par tous ceux qui ne sont pas lui, craindront que l’intervention de ces directoires ne serve à donner aux gardes nationales des chefs ennemis de la cause populaire, propres à appesantir le joug militaire sur les citoyens faibles, et à servir lesintérêts de l’aristocratie, monstre qui existe sous plus d’une forme, que les ignorants croient mort, et qui est immortel. S’ils poussent encore plus loin leurs réflexions, ils craindront peut-être que ce système n’aille jusqu’à remettre bientôt une grande partie des forces nationales entre les mains du pouvoir exécutif, dont la destinée fut toujours de tout asservir et de tout corrompre. Ces inconvénients ont échappé sans doute aux deux comités (l). Il me paraît qu’ils se sont encore trompés en voulant étendre à deux années la durée des fonctions des officiers et que cette erreur, dangereuse surtout dans le système dont je viens de parler, est suffisamment réfutée par les principes que nous avons établis. Au reste, quelque importantes que soient en elles-mêmes les dispositions que nous venons d’indiquer, elles n’atteignent pas encore le point capital de la grande question que nous devons résoudre; et si j’avais dû négliger quelqu’une des idées qu’elle semble offrir les premières à l’esprit, je les aurais laissées de côté pour aller droit au principe simple et fécond dont elles ne sont que des conséquences. Quoi que vous puissiez faire, les gardes nationales ne seront jamais ce qu’elles doivent être, si elles sont une classe de citoyens, une portion quelconque de la nation, quelque considérable que vous la supposiez. (1) Je dois prévenir ici que, depuis que ce discours a été composé, cette disposition qui avait été lue à l’Assemblée par le rapporteur des comités, a été changée dans le rapport imprimé ; ils se contentent d’exiger que les élections soient faites en présence des administrateurs, ce qui ne me paraît encore qu’une formalité inutile, contraire aux principes et à la liberté dos assemblées électives. Les gardes nationales ne peuvent être que la nation entière armée pour défendre au besoin ses droits; il faut que tous les citoyens en âge de porter les armes y soient admis sans aucune distinction. Sans cela, loin d’être les appuis de la liberté, elles en seront les fléaux nécessaires. Il faudra leur appliquer le principe que nous avons rappelé au commencement de cette discussion, en parlant des troupes de ligne : dans tout Etat où une partie de la nation est armée et l’autre ne l’est pas, la première est maîtresse des destinées de la seconde ; tout pouvoir s’anéantit devant le sien. D’autant plus redoutable qu’elle sera plus nombreuse, cette portion privilégiée sera seule libre et souveraine; le reste sera esclave. Etre armé pour sa défense personnelle est le droit de tout homme ; être armé pour défendre la liberté et l’existence de la commune patrie est le droit de tout citoyen. Ce droit est aussi sacré que celui de la défense naturelle et individuelle dont il est la conséquence, puisque l’intérêt et l’existence de la société sont composés des intérêts et des existences individuels de ses membres. Dépouiller une portion quelconque des citoyens du droit de s’armer pour la patrie et eu investir exclusivement l’autre, c’est donc violer à la fois et cette sainte égalité qui fait la base du pacte social, et les lois les plus irréfragables et les plus sacrées de la nature. (Bruit de conversation dans quelques parties de la salle.) M. de Nfontlosier. Ce que dit M. Robespierre vaut sans doute la peine d’être écouté; ainsi, Messieurs qui causez, silence 1 ( Applaudissements .) M. Robespierre. Mais, remarquez, je vous prie, que ce principe ne souffre aucune distinction entre ce que vous appelez citoyens actifs et les autres. Que les représentants du peuple français aient cru, pendant quelque temps (1), qu’il fallait interdire à tant de millions de Français qui ne sont pas assez riches pour payer une quantité d’impositions déterminée, le droit de paraître aux assemblées où le peuple délibère sur ses intérêts ou sur le choix de ses représentants et de ses magistrats ; je ne puis, en ce moment, que me prescrire sur ces faits un silence religieux, tout ce que je dois dire, c’est qu’il est impossible d’ajouter à la privation de ces droits la prohibition d’être armé pour sa défense personnelle, ou pour celle de sa patrie. C’est que ce droit est indépendant de tous les systèmes politiques qui classent les citoyens, parce qu’il tient essentiellement au droit inaltérable, au devoir immortel de veiller à sa propre conservation. Si quelqu’un m’objectait qu’il faut avoir ou une telle espèce ou une telle étendue de propriété pour exercer ce droit, je ne daignerais pas lui répondre. Eh! que répondrais-je à uu esclave assez vil, ou à un tyran assez corrompu pour croire que la vie, que la liberté, que tous les biens sacrés que la nature a départis aux plus pauvres de tous les hommes ne sont pas des objets qui vaillent la peine d’être défendus? Que répondrais-je à un sophiste assez absurde pour ne pas comprendre que ces superbes domaines, que ces fastueuses jouissances des riches, qui seuls lui paraissent d’un grand prix, sont moins sacrés au nom des lois et de l’humanité, que la plus (1) Je dis pendant quelque temps, parce que le décret du marc d’argent et ceux qui tiennent au même principe sont jugés depuis longtemps par l’Assemblée nationale, qui ne se séparera pas sans avoir exaucé à cet égard le vœu de la nation. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [27 avril 1791.] 374 chétive propriété mobilière, que le plus modique salaire auquel est attaché la subsistance de l’homme modeste et laborieux? Quelqu’un osera-t-il me dire que ces gens-là ne doivent pas être ad rais au nombre des défeoseurs des lois et de la Constitution, parce qu’ils n’ont oint d’intérêt au maintien de la Constitution et es lois? Je le prierai, à mon tour, de répondre à ce dilemme : si ces hommes ont intérêt au maiotieQ des lois et de la Constitution, ils ont droit, suivant vos principes mêmes, d’être inscrits parmi les gardes nationales; s’ils n’y ont aucun intérêt, dites-moi donc ce que cela signifie, si ce n’est que les lois, que la Constitution n’auraient pas été établies pour l’intérêt général, mais pour l’avantage particulier d’une certaine classe d’hommes ; qu’elles ne seraient point la propriété commune de tous les membres de la société, mais le patrimoine des riches ; ce qui serait, vous en conviendrez, sans doute, une supposition trop révoltante et trop absurde. Allons plus loin. Ces mêmes hommes dont nous parlons sont-il, suivant vous, des esclaves, des étrangers? ou sont-ils citoyens? Si ce sont des esclaves, des étrangers, il faut le déclarer avec franchise et ne point chercher à déguiser cette idée sous des expressions nouvelles et assez obscures. Mais non; ils sont en effet citoyens. Les représentants du peuple français n’ont pas dépouillé de ce titre la très grande majorité de leurs commettants ; car on sait que tous les Français, sans aucune distinction de fortune ni de cotisation, ont concouru à l’élection des députés à l’Assemblée nationale. Ceux-ci n’ont pas pu tourner contre eux le même pouvoir qu'ils en avaient reçu, leur ravir les droits qu’ils étaient chargés de maintenir et d’affermir, et par cela même anéantir leur propre autorité, qui n’est autre que celle de leurs commettants : ils ne l’ont pas pu, ils ne l’ont pas voulu, ils ne l’ont pas fait ; mais si ceux dont nous parlons sont en effet citoyens, il leur reste donc des droits de cité, à moins que cette qualité ne soit un vain titre et une dérision. Or, parmi tous les droits dont elle rappelle l’idée, trouvez-m’en, si vous le pouvez, un seul qui y soit plus essentiellement attaché, qui soit plus nécessairement fondé sur les principes inviolables de toute société humaine, que celui-ci : Si vous le leur ôtez, trouvez-moi une seule raison de leur en conserver aucun autre. II n’en est aucune. Reconnaissez donc, comme le principe fondamental de l’organisation des gardes nationales, que tous les citoyens domiciliés ont le droit d' être admis au nombre des gardes nationales , et décrétez qu'ils pourront se faire inscrire comme tels dans les registres de la commune où ils demeurent . C’est en vain qu’à ces droits inviolables on voudrait imposer de prétendus inconvénients et de chimériques terreurs. NonI non ! L’ordre social ne peut être fondé sur la violation des droits imprescriptibles de l’homme, qui en sont les bases essentielles. Après avoir annoncé d’une manière si franche et si imposante, dans cette déclaration immortelle où nous les avons retracés, qu’elle était mise à la tête de notre Gode constitutionnel, afin que les peuples fussent à portée de la comparer à chaque instant avec les principes inaltérables qu’elle renferme, nous n’affecterons pas sans cesse d’en détourner nos regards sous de nouveaux prétextes, lorsqu’il s’agit de les appliquer aux droits de nos commettants et au bonheur de notre patrie. L’humanité, la justice, la morale: voilà de la politique, voilà la sagesse des législateurs : tout le reste n’est que préjugés, ignorance, intrigue, mauvaise foi. Partisans de ces funestes systèmes, cessez de calomnier le peuple et de blasphémer contre votre souverain, en le représentant sans cesse indigne de jouir de ses droits, méchant, barbare, corrompu; c’est vous qui êtes injustes et corrompus; ce sont les castes fortunées auxquelles Vous voulez transférer sa puissance. C’est le peuple qui est bon, patient, généreux; notre Révolution, les crimes de ses ennemis l’attestent. Mille traits récents et héroïques, qui ne sont chez lui que naturels, en déposent. Le peuple ne demande que tranquillité, justice, que le droit de vivre. Les hommes puissants, les riches sont affamés de distinctions, de trésors, de voluptés. L’intérêt, le vœu du peuple est celui de la nature, de l’humanité ; c’est l’intérêt général. L’intérêt, le vœu des riches et des hommes puissants est celui de l’ambition, de l’orgueil, de la cupidité, des fantaisies les plus extravagantes, des passions les plus funestes au bonheur de la société. Les abus qui l’ont désolée furent toujours leur ouvrage. Ils furent toujours les fléaux du peuple. Aussi, qui a fait notre glorieuse Révolution ? Sont-ce les riches, sont-ce les hommes puissants ? Le peuple seul pouvait la désirer et la faire ; le peuple seul peut la soutenir, par la même raison.... Et l’on ose nous proposer de lui ravir des droits qu’il a reconquis l On veut diviser la nation en deux classes, dont l’une ne semblerait armée que pour contenir l’autre, comme un ramas d’esclaves toujours prêts à se mutiner 1 Et la première renfermerait tous les tyrans, tous les oppresseurs, toutes les sangsues publiques, et l’autre, le peuple ! Vous direz, après cela, que le peuple est dangereux à la liberté. Ah ! il en sera le plus ferme appui, si vous la lui laissez. Cruels et ambitieux sophistes, c’est vous qui, à force d’injustices, voudriez le contraindre, en quelque sorte, à trahir sa propre cause par son désespoir. M. d’André. Je demande quelle différence monsieur l’opinant met entre ce qu’il appelle peuple et ce qui ne l’est pas. M. Lucas. Qu’est-ce que monsieur entend par peuple ; moi, j’entends tous les citoyens. M. Robespierre. Je réclame moi-même contre toute manière de parler qui prend le mot peuple dans une acception limitée. J’entends par peuple la généralité des citoyens qui composent la société.... M. Lucas. En ce cas, votre distinction était parfaitement inutile. M. Robespierre. Et si je me suis un moment servi de cette expression, si je l’ai employée dans ce discours dans un sens moins étendu, c’est que je croyais avoir besoin de parler le langage de ceux que j’avais à combattre, c’est que, d’après nos anciennes habitudes, d’après notre langue actuelle, il est impossible de caractériser, par un seul mot, les personnes à qui on interdit le port d’armes, sans se servir de cetie expression. Cessez donc de vouloir accuser ceux qui ne cesseront jamais de réclamer les droits sacrés de l’humanité ! Qui êtes-vous pour dire à la raison et à la liberté : « Vous irez jusque-là ; vous arrêterez vos progrès au point où ils ne s’accorde- 372 (Assemblée nationale.! ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [27 avril 1791.] raient plus avec les calculs de notre ambition ou de notre intérêt personnel? » Pensez-vous que l’univers sera assez aveugle pour préférer à ces lois éternelles de la justice qui l’appellent au bonheur ces déplorables subtilités d’un esprit étroit et dépravé, qui n’ont produit jusqu’ici que la puissance, les crimes de quelques tyrans et les malheurs des nations? C’est en vain que vous prétendez diriger, par les petits manèges du charlatanisme et des intrigues de cour, une révolution dont vous n’êtes pas dignes ; vous serez entraînés, comme de faibles insectes, dans son cours irrésistible; vos succès seront passagers comme le mensonge, et votre honte immortelle comme la vérité. Mais, au contraire, supposons qu’à la place de cet injuste système on adopte les principes que nous avons établis; et nous voyons d’abord l’organisation des gardes nationales en sortir, pour ainsi dire, naturellement, avec tous ses avantages, sans aucune espèce d’inconvénients. D’un côté, il est impossible que le pouvoir exécutif et la force militaire dont il est armé puissent renverser la Constitution, puisqu’il n’est fioint de puissance capable de balancer celle de a nation armée. D’un autre côté, il est impossible que les gardes nationales deviennent elles-mêmes dangereuses à la liberté, puisqu’il est contradictoire que la nation veuille s’opprimer elle-même. Voyez comme partout, à la place de l’esprit de domination ou de servitude, naissent les sentiments de l’égalité, de la fraternité, de la confiance et toutes les vertus douces et généreuses qu’ils doivent nécessairement enfanter. Voyez encore combien, dans ce système, les moyens d’exécution sont simples et faciles. On sent assez que, pour être en état d’en imposer aux ennemis du dedans, tant de millions de citoyens armés, répandus sur toute la surface de l’Empire, n’ont pas besoin d’être soumis au service assidu, à la discipline savante d’un corps d’armée destiné à porter au loin la guerre. Qu’ils aient toujours à leur disposition des provisions et des armes; qu’ils se rassemblent et s’exercent à certains intervalles et qu’ils volent à la défense de la liberté lorsqu’elle sera menacée: voilà tout ce qu’exige l’objet de leur institution. Les cantons libres de la Suisse nous offrent des exemples de ce genre, quoique leurs milices aient une destination plus étendue que nos gardes nationales et qu’ils n’aient point d’autre force pour combattre les ennemis du dehors. « Là, tout habitant est soldat, mais seulement quand il faut l’être, pour me servir de l’expression de Jean-Jacques Rousseau. Les jours de dimanche et de fête, on exerce ces milices selon l’ordre de leurs rôles. Tant que les hommes ne sortent point de leurs demeures, peu ou point détournés ae leurs travaux , ils n’ont aucune paye ; mai s, sitôt u’ils marchent' en campagne, ils sont à la solde e l’Etat. » Quelles qu'aient été nos mœurs et nos idées avant la Révolution, il est peu de Français, même parmi les moins fortunés, qui ne pussent ou qui ne voulussent se prêter à un service de cette espèce, que l’on pourrait rendre, parmi nous, encore moins onéreux qu’en Suisse. Le maniement des armes a pour les hommes un attrait naturel qui redouble lorsque l’idée de cet exercice se lie à celle de la liberté et à l’intérêt de défendre ce qu’on a de plus cher et de plus sacré. Il me semble que ce que j’ai dit jusqu’ici a dû prévenir une difficulté rebattue que l’on sera peut-être tenté d’opposer à mon système; elle consiste à objecter qu’un très grand nombre de citoyens n’ont pas les moyens d’acheter les armes, ni de suffire aux dépenses que le service peut exiger. Que concluez-vous de là? Que tous ceux que vous appelez citoyens non actifs, qui ne payent point une certaine quotité d’impositions, sont déchus de ce droit essentiel du citoyen? Non, en général l'obstacle particulier qui empêcherait ou qui dispenserait tels individus de l’exercer ne peut empêcher qu’il n’appartienne à tous, sans aucune distinction de fortune; et, quelle que soit sa cotisation, tout citoyen qui a pu se procurer les moyens, ou qui veut faire tous les sacrifices nécessaires pour en user, ne peut jamais être repoussé. Cet homme n’est pas assez riche pour donner quelques jours de son temps aux assemblées publiques; je lui défendrai d’y paraître. Cet homme n’est point assez riche pour faire le service des citoyens soldats, je le lui interdis. Ce n’est pas là le langage de la raison et de la liberté. Au lieu de condamner ainsi la plus grande partie des citoyens à une espèce d’esclavage, il faudrait, au contraire, écarter les obstacles qui pourraient les éloigner des fonctions publiques. Payez ceux qui les remplissent; indemnisez ceux que l’intérêt public appelle aux assemblées ; équipez, armez les citoyens soldats. Pour établir la liberté, ce n’est pas même assez que les citoyens aient la faculté oisive de s’occuper de la chose publique, il faut encore qu’ils puissent l’exercer en effet. Pour moi, je l’avoue, mes idées sur ce point sont bien éloignées de celles de beaucoup d’autres. Loin de regarder la disproportion énorme des fortunes, qui place la plus grande partie des richesses dans quelques mains, comme un motif de dépouiller le reste de la nation de sa souveraineté inaliénable, je ne vois là, pour le législateur et pour la société, qu’un devoir sacré de lui fournir les moyens de recouvrer l’égalité essentielle des droits, au milieu de l’inégalité inévitable des biens. Eh quoi! ce petit nombre d’hommes excessivement opulents, cette multitude infinie d’indigents, n’est-elle pas en grande partie le crime des lois tyranniques et des gouvernements corrompus I Quelle manière de l’expier que d’ajouter à la privation des avantages de la fortune l’opprobre de l’exhérédation politique, afin d’accumuler sur quelques têtes privilégiées, et sur le reste des hommes toutes les humiliations et toute la misère! Certes, il faut ou soutenir que l’humanité, la justice, les droits du peuple sont de vains noms, ou convenir que ce système n’est point si absurde. Au reste, pour me renfermer dans l’objet de cette discussion, je conclus de ce que j’ai dit, que l’Etat doit faire les dépenses nécessaires pour mettre les citoyens en état de remplir les fonctions de gardes nationales; qu’il doit les armer; qu’il doit, comme en Suisse, les salarier lorsqu’ils abandonnent leurs foyers pour le défendre. Eh! quelle dépense publique fut jamais plus nécessaire et plus sacrée! Quelle serait cette étrange économie qui, prodiguant tout au luxe funeste et corrupteur des cours, ou au faste des suppôts du despotisme, refuserait tout aux besoins des fonctionnaires et des défenseurs de la liberté I Que pourrait-elle annoncer si ce n’est qu’on préfère le despotisme à l’argent, et l’argent à la vertu et à la liberté ! Après avoir établi les principes constitutifs des gardes nationales, il faut, pour compléter cette, [Assemblés nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [28 avril 1791.] 373 discussion, déterminer leurs fonctions d’une manière plus précise. Plusieurs membres demandent que la suite du discours de M. Robespierre soit renvoyée à la séance de demain. (Ce renvoi est ordonné.) M. Rabaud-Saint -Etienne, rapporteur. Je viens d’entendre avec satisfaction les idées que l’opinant vient d’exposer. J’observe que, si on en excepte l’admission des citoyens non actifs, pour laquelle j’aurais du penchant, mais contre laquelle s’élèvent desdécre’s formels, nous sommes entièrement de son avis. Je pourrais citer un ancien: «Deux hommes se présentaient -, l’un dit ce qu’il fallait faire, l’autre dit: Je l’ai fait.» Je dis, moi, que tout ce qu’on demande est dans le plan du comité. M. le Président donne lecture d’une lettre du ministre de la marine, qui fait parvenir à l’Assemblée des dépêches apportées de Saint-Domingue par l’aviso le Serein , expédié du Gap le 15 mars. (L’Assemblée renvoie ces pièces au comité des colonies.) M. Tronchet, qui était absent par coDgé, fait part de son retour à l’Assemblée. M. le Président annonce l’ordre du jour de la séance de demain. La séance est levée à trois heures. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. REWBELL. Séance du jeudi 28 avril 1791, au matin (1). La séance est ouverte à neuf heures du matin. M. Rongins, secrétaire, fait lecture du procès-verbal de la séance d’hier qui est adopté. Un membre présente une adresse des entrepreneurs des hôpitaux de la marine de Provence. (Cette adresse est renvoyée aux comités de marine et de liquidation.) M. le Président. Je viens de recevoir une adresse de la municipalité de Port-au-Prince, qui a envoyé des députés extraordinaires. Je ne ferai part à l’Assemblée que d’une phrase. Ils disent : « Si notre voix avait pu se faire entendre avec la même liberté qu’aujourd’hui,nous eussions protesté, comme nous le faisons en ce moment, que les intérêts du commerce de France seront toujours sacrés pour nous; que l’As: emblée nationale fixera seule la condition qui doit nous lier réciproquement, etc... » A cette adresse sont jointes différentes pièces. (L’Assemblée décrète le renvoi de l’adresse et des pièces annexées à son comité colonial.) M. le Président. J’ai reçu de M. de Menou, (1) Cette séance est incomplète an Moniteur. rapporteur de l’affaire d’Avignon, la lettre suivante : « Monsieur le Président, j’ai plus promis que je ne pouvais tenir et mes forces ne répondent as à ma volonté. Mon travail sera prêt aujour-’hui, mais il y a impossibilité physique que je puisse le lire à l’Assemblée, car je suis tellement fatigué que je ne pourrai pas lire un quart d’heure de suite et mon rapport tiendra près de deux heures de lecture, je suis très affligé de ce contre-temps; cependant j’espère que l’Assemblée me rendra assez de justice pour croire que je sacrifierai tout pour obéir à ses ordres et remplir ses intentions. J’espère, Monsieur le Président, que vous voudrez bien être mon interprète auprès de l’Assemblée. » « Je suis, etc. « Signé : Jacques de Menou. » M. Bonche. Le zèle de M. de Menou est sans doute louable; mais je puis m’étonner du long temps qu’il demande pour faire un rapport qui, dans ma manière de voir, n’est pas d’une haleine si difficile et si longue. Quoi qu’il en soit, Messieurs, comme les heures sont des années dans l’infortuné et intéressant pays du Gomtat Venaissin, et que dans une heure on peut y occasionner des désordres, y commettre des crimes, plus que dans une année entière de guerre extérieure, comme peut-être, d’après les dernières nouvelles arrivées, il est possible que dans ce moment la ville de Garpentras n’existe plus; comme il est possible dans ce moment que des milliers d’hommes, de femmes et d’enfants soient égorgés; comme il est vrai que les campagnes et les granges sont brûlées, les troupeaux enlevés; comme il est vrai que tout le pays est dans la plus grande désolation et que nos départements voisins, dans ce moment, s’arment ou pour ou contre, il est instant que vous discutiez. Nous sommes instruits, cette affaire est connue. Il n’est pas nécessaire de nous donner la lecture préalable du rapport. (Murmures.) Il vous a été fait un rapport, Messieurs ; il vous a été distribué une multitude d’instructions qui ont parfaitement éclairé l’Assemblée, et il est temps, sans que vous perdiez une minute, que vous disiez oui ou non. Le comité est pour la réunion. M. Rougi ns. Je demande de doux choses l’une : ou M. de Menou prétend que son rapport est fini, il faut alors qu’il le communique à un autre pour en faire la lecture; ou bien ce rapport a été sans doute concerté dans les comités, alors on n’a besoin que de nous lire le projet de décret, tel qu'il a été adopté par le comité; la discussion sera ensuite ouverte. M. Rartineau. Il n’y a qu’à envoyer un huissier chez M. de Menou pour lui demander son rapport afin qu’il puisse être lu par une autre personne. Un membre demande que le rapport soit renvoyé à la séance de demain. M. d’André. J’appuie la motion de M. Martineau et je ne comprends pas l’impatience que montrent plusieurs personnes de vouloir traiter l’affaire d'Avignon sans entendre le rapport. L’affaire d’Avignon dépend de deux principes essentiels ; elle repose sur deux bases principales: la première qui est un point de droit exige de grands développements historiques. Elle consiste