SÉANCE DU 4 FRIMAIRE AN III (24 NOVEMBRE 1794) - N° 32 141 C’est avec de pareils moyens que pendant trois ans, et antérieurement à la mémorable révolution du 10 thermidor, on avait rempli les places d’hommes révolutionnaires à la manière des conspirateurs. Il arrivait qu’il fallait dix personnes pour faire ce qu’auraient fait deux hommes instruits, et encore était-ce mal fait. Il ne suffit pas d’être patriote, il faut des moyens pour remplir une place. Je demande l’ordre du jour, motivé sur les dispositions du décret qui charge le comité de Salut public d’épurer les commissions, et le rapport du décret qui a nommé la commission; décret qui tend en effet à détruire l’autorité des comités. MAURE : Je veux que la République soit juste. Il faut renvoyer des places ceux qui ne sont pas en état de les remplir, et y mettre des gens qui sachent bien travailler. Mais si la Convention est juste, elle ne doit pas permettre que ceux qui n’ont pas eu le courage de voler aux combats évitent l’ignominie qui les attend. Les administrateurs, au lieu de placer leurs amis, feront des amis à la Révolution; la faveur ne fera plus entrer dans les bureaux, des amis, des frères, des cousins. Une voix : Tu avilis la Convention ; l’ordre du jour! MAURE : Je demande pour les jeunes gens eux-mêmes, pour leur honneur, qu’ils soient renvoyés où le devoir les appelle, et qu’ils ne restent pas dans les bureaux où la honte et l’ignominie les attendent, quand leurs braves frères d’armes auront battu les ennemis. On met aux voix la proposition de Cambacérès. Elle est décrétée (82). La Convention nationale, sur les diverses propositions qui lui ont été faites relativement à la composition des bureaux des comités, commissions exécutives et des administrations, passe à l’ordre du jour, motivé sur les décrets qui ont chargé les comités de la Convention nationale d’épurer les commis employés dans les commissions et administrations qu’ils surveillent (83). b La Convention rapporte le décret du 30 brumaire dernier, portant création d’une commission chargée d’examiner les dépenses qu’ont occasionnées les établissemens (82) Moniteur, XXII, 600. Rép., n° 66 (suppl.) ; Débats, n° 792, 911-915; F. de la Républ., n° 67; J. Fr., n° 790; Gazette Fr., n° 1058; M.U., n° 1352; J. Univ., n° 1826; Mess. Soir, n° 829 ; Ann. R.F., n° 64 ; J. Perlet, n° 792. (83) P.-V., L, 89. Rapporteur Cambacérès selon C*II, 21. d’armes portatives à Paris, et les ressources qu’ils ont procurées à la République (84). c La Convention nationale décrète, en outre, que les comités de Sûreté générale et de Salut public se réuniront pour faire cesser les désordres occasionnés par les malveillans dans les ateliers d’armes de Paris (85). MONMAYOU : Rien n’est si vrai que les épurations des bureaux sont pressantes, puisque dans les comités même, on a falsifié des signatures pour mettre des contre-révolutionnaires en liberté. Les ouvriers sont de vrais sans-culottes, mais on jette le trouble dans leurs ateliers ; le temps qu’on leur fait passer à venir ici est un moyen de contre-révolution. Depuis deux décades, plus de douze cents ouvriers sont venus perdre leur temps ici. Nous connaissons les hommes qui agitent sans cesse les sections et les ateliers, et qui veulent soulever les faubourgs ; mais il y a ici des hommes qui ont la confiance du peuple. Le peuple veut finir enfin ; il est las du désordre ; un de ces vingt-quatre millions de citoyens demande que la justice règne dans la République Ces hommes qui agitent sections, ateliers, sociétés populaires, qui soulèvent la Convention nationale, sont ces hommes placés par Robespierre ; il faut savoir les reconnaître. Je demande que les comités de Salut public et de Sûreté générale prennent toutes les mesures pour faire régner la paix et l’ordre dans les ateliers. Cette proposition est mise aux voix et décrétée au milieu des applaudissements (86). 32 La section du Bonnet-Rouge [Paris] vient de manifester son adhésion au décret qui suspend les séances de la société des Jacobins. Mention honorable, insertion au bulletin (87). Une députation de la section du Bonnet-Rouge est admise à la barre (88). L’ORATEUR (89) : Représentants du peuple, Votre décret concernant la société populaire, dite des Jacobins, assurant aux sections de (84) P.-V., L, 89-90. Rapporteur Cambacérès selon C*II, 21. (85) P.-V., L, 90. C 327 (1), pl. 1431, p. 21. Rapporteur Mont-mayou selon C*II, 21. (86) Moniteur, XXII, 600. Débats, n° 792, 915; M.U., n° 1352. (87) P.-V., L, 90. (88) Bull., 4 frim. M. U., n° 1352 ; Ann. R.F., n° 64 ; J. Perlet, n° 792. (89) C 328 (2), pl. 1454, p. 21. 142 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE Paris, et à toutes les communes de la République, la liberté des suffrages, il est juste que la section du Bonnet-Rouge vous en offre les prémices, en vous félicitant d’avoir dissipé cet ombrage pernicieux à l’autorité suprême. On ne peut nier que le grand art de cette secte ne consiste à créer au public, où elle moissonnoit au centuple le produit de l’opinion qu’elle y faisait germer. Nous ne détaillerons pas ici les moyens qu’elle employoit pour y parvenir ; nous ne le pourrions sans inculper plusieurs de nos frères dont nous désirons plutôt le repentir que le désespoir. Enfin, vous avez fermé cette salle où l’on pré-tendoit former l’esprit public, en égarant l’esprit du peuple, pour commander sans droit et agir sans mission ; cette salle, où l’on ne s’établissoit sentinelle des autorités constituées que pour les enchaîner, où l’on ne formait l’avant-poste du corps législatif que pour le déplacer; cette salle, dont les voûtes même frémirent de la terreur mise à l’ordre du jour, phrase dont le tour barbare est digne de l’idée qu’elle énonce. Qu’attendre d’un pareil système, qui prouve et la volonté de faire le mal et l’impuissance de faire le bien? Aussi, que de maux n’a-t-il pas produit? Ici, l’affreux déguisement du meurtre sous la forme juridique d’une accusation en masse qui distribuoit solidairement le crime entre une foule de prétendus complices, inconnus les uns des autres; là, sans détours et à découvert, un spectacle de cruautés, d’assassinats, d’atrocités, combinés par le feu et l’eau, que mettait d’accord l’art de grouper les supplices. La France alloit périr: dans ses champs, blanchis d’ossements humains, il ne seroit plus resté que les monstres capables de digérer les fruits d’un sol engraissé de sang et de carnage. Comment de simples sociétaires avoient-ils pu la réduire à cette extrémité ? Nous sommes les amis du peuple, disoient-ils, nous poursuivons les conspirateurs ; et pour établir l’égalité, nous n’avons d’autre niveau que la hache de la loi. Tout le monde n’appercevoit pas qu’ils calom-nioient la Révolution ; car dans le détail qu’ils faisoient des conspirateurs, tels qu’égoïstes, modérés, alarmistes, hommes de loi, gens de lettres, négocians, financiers, artisans, cultivateurs, ils supposoient une majorité qui n’étoit par conséquent plus pour la Constitution, et alors où était-elle ? que devenoit-elle ? de quelle autorité découloit-elle ? Cependant plusieurs furent séduits par le langage hypocrite de la secte ambitieuse; il trompa même quelques uns de ces sages qu’a choisis la Nation pour se faire représenter; l’ardeur du bien public les dévorait d’un feu qui tarissoit jusqu’à la source de leur faculté de réfléchir. O France ! que deve-nois-tu si ta représentation conventionnelle ne leur avoit enfin ouvert les yeux ? Mais ton destin sublime a prévalu ; il vous a inspiré, représentants du peuple, cette instruction condescendante qui ramène d’estimables collègues à la vraie direction de leurs intentions louables ; et il vous a aussi transportés d’indignation contre des intrus dans le gouvernement, des factieux dans l’État, pour lesquels bon ordre, paix, subordination, sûreté des personnes, respect des propriétés étoient cet élément liquide et pur, que craint, rebute et fuit la rage parvenue à son comble. LE PRÉSIDENT (90) : Le peuple souverain a confié ses pouvoirs à la représentation nationale ; elle doit conserver et elle conservera certainement ce dépôt précieux jusqu’à ce qu’elle soit remplacée par l’Assemblée législative qui doit lui succéder. Une prétendue puissance qui étoit en insurrection contre la Convention nationale, dans la nuit du 9 au 10 thermidor, a voulu rivaliser avec elle; c’étoit l’ouvrage de quelques meneurs; téméraires qu’ils étoient! ils se croyoient des géans, ils n’étoient que des pygmées ; les comités de gouvernement ont suffi pour les anéantir. Ils dévoient se rappeler que le peuple en détruisant le trône à Versailles, ne vouloit point de tyrans à Paris, ni qu’il y eût une ménagerie dangereuse pour la liberté ; la Convention nationale a suivi le vœu du peuple ; elle a fait son devoir, et elle le fera toujours. 33 Des commissaires des sections de l’Unité [Paris], et de la Fidélité [Paris] se présentent, avec les épouses des canonniers de la section des Droits-de-l’Homme [Paris] ; ils demandent que prompte justice soit rendue à ces canonniers. Renvoyé au comité de Sûreté générale (91). 34 La Convention nationale décrète que les comités des Finances et de Législation, réunis, lui présenteront dans la décade un rapport tendant à fixer le mode de liquidation des créances sur les émigrés, et que la discussion sera continuée à chaque séance, au grand ordre du jour, jusqu’à ce que ce mode soit définitivement réglé (92). 35 La Convention nationale décrète que les comités de Législation et des Finances, réunis, lui feront sous trois jours un rapport sur les secours à accorder aux pères, (90) Bull., 4 frim. (91)P.-V., L, 90. Rép., n° 66 (suppl.); M.U., n° 1352; J. Univ., n° 1824; J. Perlet, n° 792. (92) P.-V., L, 90. C 327 (1), pi. 1431, p. 22 de la main d’Eschasseriaux jeune. Rapporteur Eschasseriaux jeune selon C*II, 21.