290 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE parents ou héritiers étaient, en vertu d’un acte de famille ou d’un jugement, mis provisoirement en possession de ses biens, mais la propriété ne leur en était acquise qu’après un espace de temps qui variait suivant les coutumes. Le séquestre ordonné par la loi du 11 brumaire leur retire ces biens dont ils jouissaient depuis longtemps, qu’ils étaient fondés à regarder comme les leurs. Ils réclament contre cette disposition trop rigoureuse ; ils demandent l’exception des séquestres et l’exécution des actes de famille et des jugements qui avaient alors force de loi, et d’après lesquels ils ont compté sur le produit du sol qu’ils ont améhoré. Dans les pétitions de cette nature qui lui ont été présentées, votre comité a distingué les faits suivants. En 1779, Fidèle Bergues (de Sarrebourg) est parti pour les Indes; il n’a depuis donné aucunes nouvelles; seulement on a reçu des avis incertains indiquant qu’il était mort pendant la traversée. Après bien des recherches inutiles, les frères Bergues ont été, par acte du 28 mars 1790, provisoirement autorisés à se partager son bien; mais la loi du 11 brumaire est venue les en dépouiller. Pillard père était infirmier à l’armée française dans la Bavière; après la déroute d’une partie de cette armée à Ingolstad, en 1793, il n’a plus donné de signes de son existence. Des lettres particulières ont attesté qu’il avait été tué, mais on n’a pu se procurer son extrait mortuaire. Les enfants de Pillard, qu’un jugement a autorisés à recueillir la succession, ne peuvent obtenir l’inscription au grand livre d’une rente qui en fait partie. Votre comité a pensé que ce serait en quelque sorte attenter aux propriétés que d’appliquer avec rigueur la loi du 11 brumaire, dans des cas semblables à ceux qui viennent d’être exposés. La Convention nationale a voulu punir les Français qui sont restés sur une terre étrangère, sourds à la voix de la patrie qui les rappelait; mais elle n’a pu vouloir arracher à de bons citoyens des biens dont ils jouissaient sous l’autorité des lois, et qu’ils avaient recueilhs de leurs parents morts peut-être pour la défense de l’État. Il a trouvé le moyen de concilier les intérêts de la nation avec la justice due aux particuliers, en vous proposant une exception à la loi du 11 brumaire en faveur des citoyens qui ont été mis en possession, avant le 14 juillet 1789, des biens des absents. Voici le projet de décret que je suis chargé de vous proposer, tant au nom du comité des Finances que de celui de Législation, auquel il a été communiqué (102). La Convention nationale, après avoir entendu le rapport des comités de Législation et des Finances, décrète : Les biens des Français absens du territoire de la République avant le premier juillet 1789 [sic], dont la jouissance avoit (102) Moniteur, XXII, 287. été accordée antérieurement à cette époque à leurs héritiers ou ayants droit, ne sont pas compris dans les dispositions de la loi du 11 brumaire, qui ordonne le séquestre des biens des Français qui, sortis de la République avant le premier juillet 1789, n’étoient pas rentrés le 11 brumaire (103). 52 CAMBON, au nom des mêmes comités : Par décret du 6 floréal, la Convention nationale a accordé aux comités civils des sections de Paris une indemnité de 3 L par journée de travail qu’ils justifieraient avoir employée au service public des citoyens de cette commune. Un décret du 23 fructidor a réglé le mode de payement de cette indemnité. Il y est dit qu’elle n’aura lieu que pour les journées employées au service public depuis l’établissement de la République, et que ce service serait prouvé par la signature des membres au registre des délibérations ou dans leurs fonctions. Cette dernière disposition, qui avait paru à la Convention nationale le seul moyen de constater le travail des commissaires et leur droit à l’indemnité décrétée, a excité les réclamations d’un grand nombre d’entre eux, sur les difficultés d’exécution. Ils représentent que, dans la plupart des comités civils, le registre des délibérations n’est signé que du président; que les fonctions dont les membres de ces comités sont journellement chargés ne sont pas mentionnées dans les délibérations ; qu’enfin la mesure de produire leurs signatures dans leurs fonctions est presque impraticable. Ils exposent que les travaux multipliés qu’exigeait d’eux le service public étaient répartis à chacun d’eux, selon les circonstances, sans aucunes formalités, et sans aucun acte qui en pût laisser des traces certaines; que la nature même de ces travaux ne leur avait pas paru jusqu’alors susceptible d’être constatée dans les formes que la loi a exigées depuis. En supposant ces objections fondées pour le temps antérieur au décret du 6 floréal, il est toujours vrai de dire que, depuis cette époque, les comités civils eussent dû prèndre les précautions convenables pour se mettre en état de justifier, ainsi que le voulait la loi, des journées par eux employées au service public, et prévoir que cette justification serait exigée d’eux. Ils ne l’ont pas fait; cette irrégularité doit-elle les priver de tout payement? Votre comité des Finances a pensé à cet égard que la Convention nationale, en exigeant des preuves de services, n’a pas eu l’intention de priver d’une juste in-(103) P.-V., XLVII, 269-270. C 321, pl. 1337, p. 47, minute de la main de Cambon fils aîné, rapporteur. Bull., 28 vend. Ann. R.F., n“ 29; Débats, n° 757, 423; F. de la Républ., n° 29; J. Fr., n° 754; J. Perlet, n° 757; J. Univ., n° 1790; M. U., XLIV, 444; Rép., n" 29. SÉANCE DU 28 VENDÉMIAIRE AN III (19 OCTOBRE 1794) - N° 52 291 demnité les citoyens qui ont servi réellement la chose publique, mais seulement d’en écarter des hommes insouciants qui n’avaient voulu qu’un titre pour s’en parer au besoin; et, après avoir mûrement discuté et entendu les parties, il s’est réuni à la mesure qu’il vous propose par l’article Ier, et qui paraît tout concilier pour le passé. Il lui a paru aussi nécessaire de prévenir toute difficulté pour l’avenir en déterminant clairement de quelle manière le travail des membres des comités civils sera désormais constaté. Le président et secrétaire du comité attesteront, sur un registre qui sera tenu dans chaque section, et la présence aux délibérations et l’activité de service au-dedans ou au-dehors. Le comité doit vous rendre compte de la demande qui avait été faite pour ces comités d’un traitement de 5 livres par jour ; dans l’examen qu’il a fait, il a remarqué que les comités civils n’exercent réellement que les fonctions municipales, que ces fonctions sont gratuites dans toutes les autres communes de la république, quoique dans beaucoup de communes les fonctionnaires municipaux soient aussi surchargés qu’à Paris de travaux extraordinaires. L’indemnité dont il s’agit n’est donc rigoureusement qu’une faveur qui coûtera à la nation près de 900000 L par an; elle monterait à 1 million 400 000 L si on accordait l’augmentation demandée. Votre comité des Finances ne doit point vous dissimuler que l’administration est déjà très chère, et occasionne une dépense énorme. La France occupe déjà un nombre infini d’administrateurs, commissaires, agents et commis salariés; si l’on n’y prend garde, bientôt les deux tiers des Français seront salariés sous différents titres, car ces dénominations ne sont pas difficiles à trouver, et celui qui est parvenu à se faire donner le titre de quelque fonction publique cherche bientôt à s’en faire payer. Un des grands vices d’un État démocratique est le grand nombre des fonctionnaires publics salariés, et ce n’est pas un des moindres reproches qu’on pourra faire aux personnes qui ont provoqué la création d’une armée de cinq cent quarante mille surveillants auxquels on avait promis 3 livres par jour, ce qui occasionnerait une dépense particulière de 1 million 620 000 livres, et par an de 591 millions 300000 livres. Heureusement cette dépense n’est pas entièrement payée; votre comité des Finances a ajourné jusqu’à ce jour les réclamations qu’on ne cesse de vous faire. Il se propose de vous faire un rapport à ce sujet, afin de mettre fin à toutes les réclamations. Ce rapport se trouve lié avec les taxes révolutionnaires . Il vous présentera aussi ses vues sur les moyens qu’il croit nécessaires pour diminuer les dépenses, en diminuant le nombre des fonctionnaires publics. Tous réclament aujourd’hui des augmentations de traitement; mais la dépense qui s’accroît augmente la circulation des assignats, dont la surabondance causerait à la République de nouveaux embarras. Les membres des comités civils ont senti la force des raisons de votre comité, et leur patriotisme ne s’est pas démenti ; ils n’ont pas balancé à sacrifier à l’amour du bien public leurs premières prétentions. Quelques-uns d’entre eux nous ont observé qu’occupés depuis deux ans, dans les comités, à des travaux pénibles et assidus qu’ils n’avaient pas cru pouvoir quitter dans les circonstances critiques qui se sont succédé, il devrait leur être permis de se retirer pour vaquer à leurs propres affaires. Votre comité, frappé de la justice de leur demande et de la nécessité de remplacer souvent les fonctionnaires, vous propose de décréter le renouvellement des comités civils par quart tous les trois mois ; le comité de Législation sera chargé, d’après la loi du gouvernement révolutionnaire, de faire ce renouvellement. Voici le projet de décret que je suis chargé de vous proposer, au nom de vos comités de Législation et des Finances. Hier au soir, après avoir communiqué le projet au comité de Législation, le comité des Finances a pensé qu’il conviendrait de réduire à douze le nombre des comités civils des sections, ce qui ferait cinq cent soixante-seize personnes encore employées, et diminuerait la dépense de 225000 livres par an. Je suis chargé de vous faire cette proposition (104). La Convention nationale, après avoir entendu le rapport des comités de Législation et des Finances, décrète : Article premier. - Les commissaires civils des sections de Paris qui, d’après le décret du 23 fructidor dernier, doivent prouver, par leur signature au registre ou dans leurs fonctions, les journées qu’ils ont employées au service public, pour recevoir l’indemnité de 3 L qui leur a été accordée, seront admis à justifier, pour le passé, leurs journées d'exercice dans leurs fonctions, par un certificat qui sera signé par neuf membres au moins du même comité. Art. II. - Il sera tenu à l’avenir, dans chaque comité civil, un registre de présence. Le président et le secrétaire constateront chaque jour, par leurs signatures, les noms des membres présens ou en activité de service. Art. III. - Le nombre des membres des comités civils des sections de Paris, sera réduit à douze; ils seront renouvelés par quart tous les trois mois, par le comité de Législation, qui fera imprimer et distribuer à la Convention les noms des citoyens qu’il aura choisis. Le sort décidera quels seront les membres actuels qui sortiront, jusqu’à ce que les comités soient entièrement renouvelés. Le premier renouvellement aura lieu le premier brumaire prochain. (104) Moniteur, XXII, 287-288.