m [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [21 novembre 1790.) projet de décret sur l’organisation de la force publique (1). TITRE I«r. De la force publique en général. Art. Ier. L’Assemblée nationale décrète, comme principes constitutionnel?, ce qui suit : 1° La force publique, considérée d'une manière générale, est la réunion des forces de tous les citoyens ; 2° L’armée est une force habituelle, extraite de la force publique et destinée essentiellement à agir contre les ennemis du dehors; 3° Les corps armés pour le service intérieur sont une force habituelle, extraite de la force publique , et essentiellement destinée à agir contre les perturbateurs de l’ordre et de la paix ; 4° La nation ne forme point un corps militaire ; mais les citoyens seront obligés de s'armer aussitôt que l’ordre public troublé, la patrie attaquée ou la liberté en péril demanderont l’emploi de la force publique ; 5° Ceux-là seuls seront citoyens actifs, qui, réunissant d’ailleurs les conditions prescrites, auront pris l’engagement de rétablir l'ordre au dedans, quand ils en seront légalement requis, et de s’armer pour la défense de la liberté et de la patrie; 6° La force armée est essentiellement obéissante ; 7° Nul corps armé ne peut exercer le droit de délibérer; 8° Les citoyens ne pourront exercer le droit de suffrage dans aucune des assemblé, s politiques, s’ils sont armés, ou seulement vêtus d’un uniforme ; 9° Les citoyens ne peuvent exercer aucun acte de farce publique établie par la Constitution, sans avoir été requis ; 10° Les citoyens ne pourront refuser le service dont ils seront requis légalement. Art. 2. Les citoyens actifs et leurs enfants mâles, âgés de dix-huit ans, déclareront formellement la iésolution de remplir au besoin ces devoirs, en s’inscrivant sur les registres à ce destinés. Art. 3. L’organisation de la garde nationale n’est que le plan d’après lequel les citoy. ns doivent se rassembler, se former et agir lorsqu’ils seront requis de remplir leur service. Art. 4. Les citoyens, requis de défendre la chose publique et armés en vertu de cette réquisition, ou s’occupant des exercices qui seront institués, porteront le nom de gardes nationales. (Ce rapport est fort applaudi.) (1) Le comité de Constitution, avant de présenter à l’Assemblée les projets de décrets sur l’organisation de la force publique dans ses diverses parties, a cru devoir les faire précéder des articles constitutionnels. La postérité y trouverait ces principes dans toute leur pureté, pour corriger les erreurs que le temps aurait pu introduire. C’est même le seul moyen de conserver la Constitution dans son intégrité, parce que les principes constitutionnels expliquent clairement la pensee du législateur et qu’ils la perpétuent sans altération. Enfin si l’As-semblce trouvait quelque eliose à y changer, à ajouter ou à retrancher, le comité en profiterait pour rectifier les diverses parties de son travail, qui sont des conséquences de ces principes. Divers membres demandent l’impression. (L’impression est ordonnée.) M. le Président. L’ordre du jour est un rapport sur les successions ab intestat, sur l'inégalité des partages, tant en pays de droit écrit qu'en pays coutumier. M. Merlin, rapporteur des comités réunis de Constitution et d'aliénation (1). Me-sieurs, vous avez ordonné à vos comités de Constitution et de l’aliénation des domaines nationaux de vous présenter un projet de loi sur les inégalités de partage que l’ordre des successions ab intestat offre encore dans quelques parties du royaume. En se réunissa it pour préparer ce projet, la première question que se sont faite vos comités, a été de savoir dans quel esprit vous aviez pu, les appeler tous deux à uu travail qui, du premier abord, paraissait aussi simple. « S’il n’est question, se sont-ils dit, que de « donner un nouveau mouvement aux ventes « des biens nationaux, en faisant cesser les in-« justices monstrueuses de sept ou huit cou-« tûmes, dans lesquelles les droits d’aînesse et « de masculinité survivent encore à la destruc-« tion de la féodalité et à l’abolition des parti lages nobles, qu’est-il besoin ici de l’interven-« tion du comité de Constitution ? Le comité de « Constitution a-t-il été adjoint au comité féodal, « lorsqu’il s’est agi, au mois de mars dernier, « de supprimer les inégalités de partages qui « résultaient de l'ancienne qualité noble des biens « ou des personnes? A-t-il été adjoint au comité « de l’aliénation des biens natiouaux , lorsque « celui-ci a été chargé, au mois de juin et de « juillet suivants, de présenter ses vu s sur le « retrait lignager, sur le retrait de bourgeoisie, « sur le reirait de société, sur les droits d’é-« cart, etc. ? Non ; et cependant ces objets nré-« taieut pas moins importants : le premier sur-« tout n’éiait |>as d’un intérêt moins général « que celui dont il est actuellement question. « Il faut donc que l’Assemblée nationale ait eu o des motifs particuliers pour charger le comité « de Constitution de concourir, avec celui de « i’aliénatfan, à la préparation du décret qu’elle « doit rendre sur 1 s inégalités de partages dans « les successions ab intestat. » Telles ont < té, Messieurs, nos premières idées sur la mu-sion dont vous nous aviez bon res. En les méditant de plus en plus, nous n’avons pas tardé à sentir que vous n’y aviez pas appelé le comité de Constitution, sans y être excités par dis considérations liées plus ou moins intimement à la Constitution même. Et il ne nous a pas été difficile de deviner quelles avaieut pu être ces considérations. L’état où se trouvait la France avant 1789, relativement à ce que les provinces, les villes, les bourgs appelaient leurs privilèges, s’est représenté à notre souvenir. Nous nous sommes rappelé qu’incompatibles avec l’intérêt général ces privilèges formaient dans l’Etat un nombre infini de petites confédérations; qu’il n’existait point en France de société commune entre les Français; que partout on entendait parler de concession d’immunité ue traités particuliers, de capitulations, nulle part de nation, de patrie; qu’aussi n’existait-il alors m patrie, ni nation, et que si, par l’article 10 de vos décrets à jamais mémora-(1) Le rapport de M. Merlin est incomplet au Moniteur. [21 novembre 1790.] 599 ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Assemblée nationale.] blés, du 4 août 1789, vous n’aviez pas commencé, je ne dis pas à abolir ces privilèges, mais par les confondre , suivant votre heureuse expression, dans le droit commun de tous les Français , certainement nous n’aurions jamais eu de Constitution en France ; puisqu’une Co stilution ne peut exister que par l’opinion politique de tous les membres de l’Etat en un seul corps, et par la subordination de chacune des parties au tout national. Mais, avons-nous ajouté, si cette grande opération a été le préliminaire indispensable de nos lois constitutionnelles, il en est une autre non moins grande qui doit en être le couronnement : je m’explique. Il n’est personne de vous, sans doute, qui n’ait mille fuis gémi sur celte multitude énorme, sur cette variété bizarre de lois romaines, coutumières, royales et parlementaires dont est composé le code civil de la Fiance. Il n’est personne qui ne sache que le reçut il de ces lois formerait plus de cent volumes in-folio, et que l’efft t de celte immense diversité d s lègles qui gouvernent nos propriétés, et toui ce que nousa�ons de plus cher, le légiste le plus habile, éloigné de ses livres, est souvent hors d’état de répondre à la question la plus triviale sur les usages des contrées qui l’environne 't. Montaigne disait, il y a plus de deux siècles (1) : « Nous avons eu France « plus' de lois que tout le reste du monde ensemble, « et plus qu'il n en faudrait à régler tous les mondes « d' bpicure... d vaudrait mieux n'en point avoir « du tout que de les avoir en tel nombre. » Et cependant, lorsque Montaigne écrivait, notre législation n’était pas encore, aux trois quarts p/ès, aussi chargée qu’elle l’est aujourd’hui, de dispositions variées, eontradictoires et embrouillées. Je ne m’arrête pas aux ambarras, aux lenteurs, aux difficultés de toute espèce qu’éprouve l’ad-miuislraiion de Injustice dans ce dédale. Je laisse à part le tourment qui en résulte pour i’hommede loi, condamné, par cet ordre de choses, à passer sa vie dans un éternel et inextricable chaos. Je fais abstraction de la prodigieuse latitude que donnent à la chicane et à la malice des plaideurs, — dans les pays de droit écrit , cette multitude effrayante de lois étrangères, dont le moindre défaut est d’être écrite dans une langue que les 99 centièmes des citoyens n’entendent pas, et sur chacune desquelles s’élèvent à chaque instant la question de savoir si elle est généralement adoptée dans toutes ses dispositions, ou si elle est absolument rejetée, ou si admise à Toulouse, elle n’est pas rebutée à Bordeaux, et moditù e à Grenoble; — dams les pays coutumiers , ces usages qui, dans le môme département, varient souvent d’un district, et quelquefois d’un canton à l’autre, et font que ce qui est vérité dans une vile, devient erreur dans le faubourg; partout, cette armée innombrable de commenta-teuis qui, par leur étrange patience à expliquer, gloser et coniregloser, semblent s’être donné le mot pour altliger le royaume entier du bavardage le plus prolixe qui ait jamais déshonoré la raison humaine, et dont les iravaux se sont grossis à un tel point qu’il n’y a guère de coutume dont les gloses étendues feuille à feuille ne couvrissent plusieurs fois tout le pays qu elle gouverne. Encore une fois, je fais abstraction de tout cela et je ne m’arrête qu’aux inconvénients, qu’aux dangers dont je vois la Constitution menacée, si vous laissez subsister cette marqueterie bizarre, cet assortiment ridicule de lois, de statu's et de coutumes. Gomment peut-elle en effet subsister, cette Constitution qui vous a coûté tant de travaux, tant de sueurs, tant de veilles, si la base sur laquelle elle repose est chaque jour méconnue ou minée par des chocs de toute espèce? Cette base, nous l’avous déjà dit, c’est la fusion de toutes les parties de l’Empire en un seul tout; c’est, par conséquent, l’unité de tout le peuple franç