422 [8 décembre 1789.] [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. troupe et qu’il fallait bien lui commaüdef préalablement de porter ses armes. Quoi qu’il en soit de ce petit événement étranger à l’autre, sur lequel on s’est cependant fort appesanti dans le mémoire et dans les opinions contraires à M. d’Albert, revenons à ce qui se passait au même moment à l’bôtel de la marine : la députation du corps municipal et de la milice bourgeoise demande la grâce de deux maîtres renvoyés ; elle est d’abord refusée par le général, qui motive son refus sur les conséquences qui peuvent résulter d’une pareille condescendance. Les députés insistent, et la grâce fut accordée. Malgré cela le tumulte augmente. Le général envoie un officier pour requérir la promulgation de la loi martiale : elle est refusée; M. de Bonneval, officier aussi recommandable par ses vertus que par ses longs services, est blessé, son épée est cassée dans son fourreau , preuve certaine que ses dispositions n’étaient assurément pas hostiles; les chefs de la milice bourgeoise veulent contenir leurs troupes, mais ils n’en sont pas les maîtres, l’hôtel est investi, attaqué, emporté, trois généraux et deux officiers supérieurs de la marine sont traînés au cachot, d’où on les fait sortir pour les tenir dans une prison, où on laisse au général l’ombre insultante du commandement. M. de Bonne-val, blessé, est confondu dans le même hôpital que ses matelots, et on lui refuse la consolation d’être soigné au sein de sa famille : tirons le rideau, Messieurs, sur cette scène d’horreur (1), mais plaignons un peuple aveugle qui prend la licence pour la liberté ; sévissons, Messieurs, contre les auteurs et les instigateurs de pareils troubles ; ce sont les vrais ennemis de la liberté; ils cherchent à en dégoûter par l’excès du désordre et de l’anarchie ; je suis bien loin de vouloir solliciter un jugement particulier, car je sais que nous ne formons point un tribunal, mais je demande que votre sagesse et votre justice s’occupent de quelques points généraux, essentiels et capitaux, et principalement de donner quelque activité au pouvoir exécutif. Vous m’avez rappelé à l’ordre, Messieurs, Je jour où j’ai dit à l’Assemblée que si nous sapions les fondements de l’autorité royale, nous anéantirions la plus belle monarchie du monde ; rappelez-vous, Messieurs, que ce fut à l’époque du 5 octobre, et dans la séance qui fut prolongée jusqu’au jour qui succéda à cette nuit désastreuse et qui éclaira tant d’horreurs. Veuillez vous rappeler que, depuis, les ministres n’ont pas manqué une occasion de vous dire que leurs moyens pour faire respecter vos décrets et l’autorité du monarque étaient presque nuis: tous ont été dénoncés et accusés sans preuve, sans motifs ; il n’y a presque point de régiment intact: il vient (2), dit-on, (1) Je n’ai pas cru devoir parler de la querelle particulière avec les volontaires de Toulon. M. Malouet l’a expliquée beaucoup mieux que je ne pourrais le faire en disant qu’ils étaient composés en partie d'ouvriers de l’arsenal, et qu'on s’accoutume difficilement à se voir obligé de respecter l’être qui nous était subordonné une demi-heure auparavant. . (2) Dans presque tous les régiments il est question de motion, d’assemblée, de comité, etc. Un capitaine de vaisseau, revenu il y a peu de temps de l’Inde, m’a assuré qu’à la rentrée de sa troupe dans la caserne à Brest on lui avait demandé si quelqu’un j avait des griefs contre son capitaine. Sur la réponse j négative, on leur demanda: « Vous a-t-il donné du pain frais tous les jours? » Nouvelle réponse négative (on sait que cela est impossible). «Il ne vous a pas donné J d’en passer un tout entier à l’étranger ; il n’en est pas un seul où on ose sévir contre les réfractaires aux ordonnances militaires ; l’aventure arrivée à Brest , celle d’Arras étaient le prélude de celle de Toulon ; le nombre des accidents de ce genre est incalculable, et si vous ne venez au secours de la chose publique, en redonnant du ton et de l’énergie au pouvoir du monarque, si vous ne rendez à la discipline militaire son activité, si les agents du pouvoir exécutif ne sont pas réintégrés dans leur entière autorité, le printemps prochain trouvera le royaume de France sans armée, sans vaisseaux et sans défense. Personne n’est plus porté que moi à croire à la valeur d’un citoyen qui défend ses foyers ; mais personne ne croit moins à la bonne formation d’une armée non disciplinée, point exercée et sans expérience ; je sens toute la défaveur qui appartient de droit à une opinion aussi contraire aux idées reçues en ce moment, mais rien ne m’empêchera de dire la vérité lorsque je la croirai utile, et jamais il n’a été aussi nécessaire de la dire et plus encore de ne la pas repousser ; d'après toutes ces considérations, je propose à l’Assemblée le projet d’arrêté ci-dessous : « L’Assemblée nationale, considérant que, si la liberté affermit les empires, la licence les détruit, principe qu’elle a déjà consacré dans le préambule de la loi martiale ; ouï le rapport de l’événement affreux qui a eu lieu à Toulon le 30 novembre ; désapprouvant la conduite tenue par les officiers municipaux et de la garde nationale de cette ville; déclarant l’emprisonnement des officiers généraux et supérieurs de la marine illégal, leur détention injuste; ordonne l’élargissement desdits officiers; leur réserve toute action contre les officiers municipaux et de la milice bourgeoise, qui resteront suspendus de leurs fonctions; et pour conserver ses principes a décrété et décrété, etc. » Les dispositions de mon projet de décret étaient conformes à peu près à celle de M. de Malouet ; mais je m'en suis référé aux siennes, ayant beaucoup plus de confiance dans les lumières de cet excellent citoyen, dont j’estime la probité et respecte les talents, que dans mon inexpérience et mon peu d’habitude à traiter de pareilles matières. Nota. Un courrier, arrivé aujourd’hui de Toulon, nous a appris entre autres suites des précédentes horreurs, que le père de M. d’Albert, âgé de 83 ans, s’étant présenté aux geôliers de son fils pour obtenir la permission de le voir, ils lui répondirent : « Vieillard, vous êtes bien âgé; mais votre fils est plus vieux que vous. » Connaissez-vous, Messieurs, un pareil raffinement de barbarie ? ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. FRËTEAU DE SA1NT-JUST. Séance du mardi 8 décembre 1789 (1). M. Chassebeuf de Volney, l'un de MM. les secrétaires, donne lecture du procès-verbal des du pain blanc tous les jours? il faut le dénoncer à la municipalité. » Et cela suit. On pourrait citer mille autres exemples de la même nature. (1) Cette séance est incomplète au Moniteur. 428 [Assemblée nationale ] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [8 décembre 1789.] deux séances de la veille. Il est dit dans la séance du matin que le 8e article du comité de constitution a été rejeté à une petite majorité. M. Martineau. Aucun des procès-verbaux antérieurs ne nous fournit pareille indication; j’en demande le retranchement parce qu’elle est une injure au Corps législatif dont la majorité plus ou moins grande doit toujours faire loi. M. Chasseeleuf de ’Voiney. H est de l’intérêt de la nation et des législatures suivantes de connaître le point fixe de la valeur d’un décret; il y a donc avantage à consigner au procès-verbal le chiffre des voix qui se prononcent dans un sens ou dans un autre. M. le Président consulte l’Assemblée qui décide qu’il n’y a pas lieu à délibérer sur la question soulevée par M. de Volney et prononce la suppression de la partie du procès-verbal attaquée par M. Martineau. M. Anson, l'un de MM. les secrétaires du comité des finances, demande que le comité soit autorisé à faire imprimer deux rapports concernant : 1° les dépenses du département de la marine ; 2° les dépenses des colonies. ( Voyez ces deux documents annexés à la séance.) L’Assemblée décide que les rapports seront imprimés. Un membre critique la manière employée jusqu’à ce jour pour recueillir les voix à l’appel nominal ; après avoir fait apercevoir les inconvénients de cette méthode, il fait la motion suivante : « Attendu que, dans la manière usitée de recueillir les voix à l’appel nominal, il existe des différences inévitables entre les résultats des secrétaires, d’où suit pour les résultats une sorte d’incertitude qui pourrait, en certains cas, rendre un appel indécis et nul, a demandé : « Qu’il soit dorénavant procédé à l’appel par liste de noms des membres, dont chaque secrétaire aura un exemplaire sur lequel il notera le oui ou le non, de manière que par la confrontation de ces listes, l’on puisse reconnaître où se trouvent les différences, et, par là, obtenir le moyen de les redresser. » Cette motion est ajournée. On lit ensuite plusieurs adresses de différentes villes ou provinces du royaume, exprimant leur adhésion aux décrets de l’Assemblée et dont la teneur suit : Adresse de félicitations, remercîments et adhésion de la ville de Vatan en Berry, et de quinze communautés voisines ; elles demandent l’établisement d’un siège royal dans ladite ville. Adresse du même genre de la ville d’Yvetot en Normandie; elle déclare renoncer expressément à tous les privilèges dont jouissait, de temps immémorial, sa principauté. Elle demande la création d’un bailliage royal en remplacement de sa justice seigneuriale. Délibération du même genre de ville de Cannes en Languedoc; elle demande une justice royale. Adresse du même genre du comité permanent de la ville de Luze ; il forme des vœux pour qu’elle devienne le chef-lieu d’un district et le siège d’un bailliage royal; il annonce qu’il a pris les mesures les plus actives pour arrêter les dévastations inappréciables qui se commettaient dans les bois du chapitre de cette ville. Adresse du même genre de la ville de Galvinet en Auvergne ; elle demande la conservation de son siège royal. Adresse du même genre de la ville de Castres en Languedoc ; elle adhère notamment au décret concernant la contribution patriotique, et demande d’être le chef-lieu d’un département. Adresse du même genre de la municipalité et comité de la ville de Saint-Maixent en Poitou ; ils demandent la conservation de deux monastères de religieux Bénédictins et Bénédictines établis dans cette ville, qui sont de la plus grande utilité. Adresse du même genre de la ville d’Àlbi en Languedoc ; elle déclare qu’elle improuve toute délibération prise ou à prendre, tendante à affaiblir le respect dû aux décrets de l’Assemblée nationale, ou à en éluder l’exécution. Adresse du même genre de la ville de Qüimper en Bretagne; elle se glorifie à juste titre d’être la première ville du royaume qui le 13 novembre 1788, ait offert à l’Etat un don patriotique, et qui, le 2 octobre dernier, ait donné l’exemple de faire hommage à la nation de ses boucles, et de ses bijoux en or et argent; elle se flatte encore d’avoir vu dans son sein les premiers gentilshommes bretons joindre leurs offres patriotiques à celles de la commune, et se déclarer ouvertement pour les décrets de l’Assemblée nationale ; elle espère qu’elle voudra bien lui témoigner son approbation. Adresse du même genre de la ville de Falaise en Normandie. Adresse de la gardé nationale de Strasbourg, qui s’empresse de détruire les soupçons qu’on a voulu jeter dans un libelle sur son patriotisme et son dévouement absolu pour l’exécution des décrets de l’Assemblée nationale. Adresse des officiers du bataillon de chasseurs royaux de Dauphiné, en garnison à Romans, qui, considérant que d’après le mémoire sur la constitution militaire il pourrait être supposé que l'officier aurait sollicité une augmentation de traitement, assurent à l’Assemblée, qu’en désirant que le sort de leurs braves soldats soit amélioré, ils n’ont rien sollicité pour le leur, et qu’ils se font gloire d’être toujours guidés par le même désintéressement dont s’honoraient les officiers français sur les remparts de Prague et dans les plaines de l’Allemagne. Adresse de la ville d’Eauze, sénéchaussée de Lectoure, qui adhère avec une respectueuse reconnaissance à tous les décrets de l’Assemblée nationale, et demande une justice royale. Délibération de la communauté de Château-neuf d’Isère en Dauphiné, qui jure d’être invio-lablement attachée à la constitution française, et adhère à tous les décrets de l’Assemblée nationale, notamment à celui de la contribution patriotique, quoique la rigueur du dernier hiver ait causé la mortalité des arbres dans son arrondissement ; elle désapprouve formellement toute assemblée de la province qui ne serait pas légalement convoquée, et proteste contre ce qui pourrait y être fait de contraire au désir du Boi et de l’Assemblée nationale. Adresse des officiers municipaux de la ville de Nangis, tendant à obtenir une assemblée de district,' placée dans le département de Provins, et que Provins soit le chef-iieu du département. Adresse du défi niteur général de l’ordre de la Trinité, et de deux religieux, qui offrent à l’Assemblée nationale tous les biens du monastère de Montpellier, qu’ils évaluent à 100,000 livres, s’en rapportant à la justice de l’Assemblée nationale pour pourvoir à leur subsistance. Adresse de 35 curés du diocèse de Mâcon, qui