[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [31 août 1789.] 513 que l’on doit révoquer les députés ignorants, corrompus et suspects. « Délibéré au Palais-Royal, ce 30 août 1789. » Des cris d’indignation ont interrompu le morne silence avec lequel cet écrit a été entendu. Un membre s’est écrié qu'il fallait faire imprimer la liste de ces prétendus mauvais citoyens pour les justifier. On a donné lecture d’une lettre anonyme, écrite à M. le président, et qu’il venait de recevoir. « L’Assemblée patriotique du Palais-Royal a l’honneur de vous faire part que si le parti de l’aristocratie, formé par une partie du clergé, par une partie de la noblesse, et cent vingt membres des communes ignorants ou corrompus, continue de troubler l’harmonie, et veut encore la sanction absolue, quinze mille hommes sont prêts à éclairer leurs châteaux et leurs maisons, et les vôtres particulièrement, monsieur. » Autre lettre à MM. les secrétaires. « Vous n’ignorez pas l’inOuencede l’Assemblée patriotique, et ce qu’elle peut contre le pouvoir aristocratique. « Nous venons d’instruire M. le président sur son désir particulier de faire adopter le veto absolu, que nous regardons comme destructeur de la liberté. « Il est à craindre qu’il ne passe, et nous en accusons la cabale du clergé et de la noblesse, formée contre le bien public, cent vingt membres des communes qui se sont laissé corrompre. Deux mille lettres sont prêtes de partir pour les provinces et pour les instruire de la conduite de leurs députés ; vos maisons répondront de votre opinion, et nous espérons que les anciennes leçons recommenceront. Songez-y, et sauvez-vous. » M. de Clermont-Tonnerre. Ou nous réussirons en faisânt le bien, ou nous mourrons en voulant le faire. Mon avis à moi est que la liste des citoyens menacés soit imprimée, pour que le blâme des méchants serve de gloire aux honnêtes gens. Je pense qu’il faut que la justice reprenne son cours ordinaire, et informe contre les hommes tels que ceux qui figurent dans les papiers qui nous ont été renvoyés. En conséquence, je propose l’arrêté suivant : « L’Assemblée nationale arrête que M. le maire de la ville de Paris et le commandant de la milice nationale de Paris seront invités à venir prendre leur place pour déclarer s’ils peuvent répondre de la tranquillité de Paris; et dans le cas où ils ne répondraient pas de la tranquillité de Paris, par suite de la liberté des délibérations de l’Assemblée nationale, l’Assemblée nationale se transportera dans un autre lieu. « Arrête, en outre , que le nom des personnes désignées par les factieux comme mauvais citoyens sera honorablement inscrit sur le procès-verbal ; que les tribunaux informeront contre les auteurs d’un pareil attentat, et qu’il sera sursis à l’exécution des chefs, s’il y échoit, jusqu’au rapport du comité des douze. # Un membre demande la question préalable. M. Goupil de Préfeln. Catilina est aux portes de Rome, Catilina menace d’égorger les V9 SÉRIE, T. VIII. sénateurs, et l’on fait la futile et frivole question : Y a-t-il lieu de délibérer ? Certes, quand nous sera-t-il permis de délibérer si ce n’est dans ce moment? M. le duc de Liancourt propose de ne rien délibérer que M. de Lafayette n’ait élé entendu. M. Duport. Nous n’avons pas été envoyés par nos provinces pour être intimidés par les menaces des factieux. Nous avons délibéré au milieu de trente mille hommes armés, commandés par un chef expérimenté, et nous pourrions craindre quinze ou vingt mille hommes sans aucun projet, érigés en république, sans lois, sans constitution, aü milieu même de leur faction ? C’est ici que nous devons sauver l’Etat, même aux dépens de nos jours; c’est ici que nous devons délibérer au milieu de l’effroi ; au moins soyons un éternel exemple de la fidélité avec laquelle on doit servir la pairie. Un membre demande que chaque député soit autorisé à envoyer sur-le-champ un courrier dans sa province, pour prévenir les menaces des factieux du Palais-Royal. On dénonce un membre du clergé, qui disait secrètement que les communes avaient fait bassement la cour à son ordre pour le sacrifier après, et qu’on verrait les communes ramper incessamment. Cette dénonciation n’a pas de suite. On reprend la délibération. M. Mounîer. J’appuie la motion de M. le comte de Clermont, en y faisant cependant un amendement, le même que celui de M. Duport. Il est évident que des hommes pervers veulent élever leur fortune sur les débris de la patrie. Vous voyez le projet d’empêcher la Constitution de se former et de se développer. En un seul et même jour, dans la même heure, toute l’Assemblée a élé plongée dans les alarmes. C’est ici que le comité des douze doit agir ; j’ajouterai encore qu’il faut accorder une récompense de 300,000 livres à celui qui viendra dénoncer les auteurs et les instigateurs de ces faits. L’Assemblée ne doit pas quitter Versailles ; elle doit braver les périls, et s’il faut qu’elle périsse, les bons citoyens de Paris et des provinces la vengeront. M. Muguet de Nanthou. J’applaudis au zèle de M. le comte de Clermont; mais n’est-il pas en contradiction avec lui même? Lorsque les citoyens du Palais-Royal ont été arracher des prisons quelques soldats des gardes françaises, M. le comte de Clermont a dit qu’il n’y avait lieu à délibérer , que l’Assemblée devait laisser gronder les orages autour d’elle et être impassible sur ses sièges. Je pense donc qu’il en est de même aujourd’hui, et qu’il n’y a pas lieu à délibérer. M. de Clermont-Tonnerre. La conduite du Palais-Royal à cette époque n’était qu’un scandale, et aujourd’hui elle est un attentat à la liberté française. Si lorsque trente mille hommes armés voulurent nous réduire à l’esclavage, on eût dit qu'il n'y avait lieu à délibérer , qu’auriez-vous pensé ? Mais vous avez délibéré, et vous avez par votre vertu mis cette armée en fuite. Vous n’avez pas voulu obéir au despotisme armé; obéirez-vous à l’effervescence populaire? L’un commandait des bassesses, l’autre vous commandera des crimes, Vous ne pouvez pas délibérer au mi* 33 o 14 ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [31 août 1789.] [Assemblée nationale.] lieu de quinze mille hommes armés, dont les projets sont inconnus, et qui sont perdus de réputation. (On applaudit .) M. Chasset. Voici une lettre que m’a adressée un ecclésiastique, qui n’est certes ni modéré ni désintéressé, en un mot qui déshonore son ordre, et que je dois mépriser. « Associé à l’horrible conspiration formée contre le Roi et la monarchie, vil scélérat, tu m’as dépouillé de tous mes biens. J’avais des pensions, des canonicats, des abbayes; tu m’as privé de tout ; je n’ai plus rien qu’un désespoir contre toi. Ne pense pas qu’à mon âge je mourrai de faim sans venger Dieu , les lois, les pauvres, et trois cent mille hommes réduits comme moi à la mendicité. « Je suis anonyme, tu me connaîtras au moment de la vengeance. » J’observe que s’il est question de faire une liste de proscrits, mon sort est étrange; si l’on me porte dans celle des proscrits par le Palais-Royal, je reste toujours exposé aux fureurs des ecclésiastiques; si au contraire on me met dans celle de l’ecclésiastique, je cesse d’être en butte aux persécutions du Palais-Royal, mais je n’en suis pas moins exposé au courroux du bénéficier dépouillé. Un membre de la noblesse expose que c’est faire trop d’honneur à de pareilles menaces que de délibérer sur un semblable objet; que l’on ne doit pas craindre des lettres anonymes, symboles de la crainte de ceux à qui ils veulent en inspirer, et des factieux que le hasard rassemble. M. Target observe qu’il n’y a pas lieu à délibérer, puisque la dernière lettre annonce que tout est calme. Enfin il est décidé qu'il n’y a lieu à délibérer. M. le Président annonce qu’on va discuter la question de la sanction royale, mais qu’il donne d'abord la parole à M. le comte de Lally-Toïlendal et à M. Mounier, rapporteurs du comité de Constitution. M. le comte de Tally-Tollendal fait le rapport suivant sur le chapitre 2 de la Constitution relaiif au pouvoir législatif. Messieurs, Le Corps législatif doit-il être composé d’un seul pouvoir? — L’Assemblée nationale doit-elle être formée d’une ou de deux Chambres? — Quels seraient l’espèce d’action etles divers degrés d’influence des différentes portions du Corps législatif s’il était divisé? Ces trois questions sont peut-être les plus intéressantes que vous puissiez agiter. C’est d’elles que vont dépendre la stabilité de vos opérations, la force et la durée de votre Constitution, le maintien de cette liberté que vous avez déjà fait triompher, et le salut de cet empire que vous êtes appelés à régénérer. La première de ces questions semble être résolue d’avance. La dRision du pouvoir législatif, la réunion du pouvoir exécutif sont deux axiomes politiques que la raison et l’expérience ont placés hors de toute atteinte. Partout où le pouvoir législatif est dans une seule main, partout où le pouvoir exécutif est partagé entre plusieurs, la liberté ne peut exister. Il n’est pas besoin de prouver que les représentants de la nation doivent être la première portion du Corps législatif. Le tout appartient originairement à cette nation. Il n’est aucune puissance, il n’est aucune fonction publique qui n’émane d’elle : elle a pu et dû faire un partage; mais elle n’a pu ni dû se dépouiller entièrement; elle s’est donné son chef, comme elle se nomme ses représentants, et ses droits sont aussi sacrés pour celui qu’elle a admis à les partager, que pour ceux qu’elle a chargés de les faire valoir. U serait également superflu de chercher à établir que le roi doit être une portion intégrante du pouvoir législatif; nous avons peine à croire qu’un seul doute puisse s’élever à cet égard ; et s’il s’en formait un, nous le repousserions par le raisonnement et par les faits. Quant au raisonnement, nous dirions d’abord, avec les plus habiles publicistes (1), que pour maintenir la balance de la Constitution, il est nécessaire que la puissance exécutrice soit une branche sans être la totalité de la puissance législative; que comme l’union entière de ces deux puissances produirait la tyrannie, leur désunion absolue la produirait égarement ; que la législation, si elle était totalement séparée du pouvoir exécutif, entreprendrait sur les droits de ce dernier, et se les arrogerait insensiblement; qu’ainsi, sous Charles 1er, le long parlement, tant qu’il continua d’observer la constitution et d’agir de concert avec le roi, redressa plusieurs, griefs, et porta plusieurs lois salutaires; mais que quand il se fut arrogé à lui seul le pouvoir législatif, en excluant l’autorité royale, il ne tarda pas à s’emparer de l’administration, et que la conséquence de cette invasion et de cette réunion de pouvoirs fut le renversement de l’Eglise et de l’Etat, et une oppression du peuple pire que celle dont on avait prétendu le délivrer. Nous dirions que la nécessité d’établir un point d’union entre le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif, étant une fois reconnue, le pouvoir législatif étant divisible par sa nature, et le pouvoir exécutif étant indivisible par la sienne, c’est par conséquent à la totalité de ce dernier que doit être attachée une portion du premier ; et nous ajouterions que cette portion étant restreinte au droit d’approuver ou de rejeter; et l’initiative, c’est-à-dire la proposition, la discussion, la rédaction des lois appartenant exclusivement à l’Assemblée nationale, l’autorité royale n’acquiert par là que le moyen d’empêcher le mal et non celui de le faire. Nous dirions enliu que celui qui est chargé de faire exécuter la loi, devant être le premier à s’y soumettre, nous aurons un garant de plus de cette soumission, lorsqu’il aura concouru lui-même à faire cette loi. Lassant ensuite des raisonnements aux faits, nous dirions avec courage que nous n’avons pas même ie droit de mettre en question le concours du Roi dans la législation ; que ce serait une grande erreur d’agir comme si rien dans la monarchie n’était préexistant à l’époque où nous sommes ; que sous Charlemagne et ses successeurs le concours dans la législation appartenait constamment au Roi, et qu’il l’exerçait au milieu des assemblées nationales ; que dans les assemblées postérieures les représentants de la nation, délivrés par leurs rois de la tyrannie féodale, se laissèrent môme entraîner jusqu’à leur abandonner la législation entière; que c’était sans (1) Voyez Blackstone, liv. I, ehap. 2.