217 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [29 septembre 1789.] pagner, que les magistrats, retirés dans l’intérieur de la chambre du conseil, se livrent, dans le calme le plus profond, à cette fonction redoutable; ils rentreront, pour prononcer leur sentence ou arrêt devant le peuple assemblé; car la peine décernée au crime, ou la justification de l’innocence ne sauraient être accompagnées d’une publicité trop éclatante. Vous fixerez, Messieurs, dans votre sagesse, si vous le jugez à propos, quelle pluralité de suffrages sera désormais requise pour faire prévaloir l’opinion qui condamne un homme à une peine afflictive, et surtout à perdre la vie. La ville de Paris avait provoqué votre décision sur ce quatrième objet; mais il n’est pas renfermé dans le décret que vous avez porté sur la délibération des représentants de celte commune. Ce ne serait pas ici le lieu d’objecter que toute fixation proportionnelle, autre que la simple pluralité, aboutit à faire prévaloir l’avis de la minorité sur celui de la majorité ; car cette observation , vraie en général, ne reçoit pas son application quand l’avis de la majorité simple est combattu par de fortes présomptions de droit, qui lui sont contraires. Toutes les délibérations ne sont que des calculs de probabilités. Ce sont des probabilités qu’additionne tout homme qui recueille et qui compte des suffrages. Or, toute probabilité doit être comparée avec les présomptions opposées; et de toutes présomptions, la plus forte et la plus sacrée, celle qui doit être la plus religieusement consultée, c’est la présomption de l’innocence. Vous déterminerez, Messieurs, à quelle majorité proportionnelle de suffrages doit céder cette présomption, sur laquelle toute justice se repose. Là finit la procédure ; mais nous avons cru devoir à l’humanité de vous adresser une dernière observation. Déjà le Roi, digne en tous points du titre glorieux que vous lui avez décerné, a banni de la France l’usage cruellement absurde d’arracher aux accusés, à force de tourments, l’aveu des crimes, vrais ou faux, dont ils étaient prévenus; mais il vous a laissé la gloire de compléter ce grand acte de raison et de justice. Il reste encore dans votre Gode une torture préalable; si les raffinements de la cruauté la plus inouïe ne sont plus employés à forcer les hommes de s’accuser eux-mêmes, ils sont encore mis en usage pour obtenir des révélations de complices. Fixer vos yeux sur ce reste de barbarie, n’est-ce pas, Messieurs, en obtenir de vos cœurs la proscription? Ce sera un beau, un touchant, spectacle pour l’univers, de voir un Roi et une nation, unis par les liens indissolubles d’un amour réciproque, rivaliser de zèle pour la perfection des lois, et élever, comme à l’envi, des monuments à la justice, à la liberté et à l’humanité. M. Thouret, autre membre du même comité , remplace M. de Beaumetz à la tribune et donne lecture du projet de décret sur la réformation provisoire de la procédure criminelle; ce projet de décret est ainsi conçu : L’Assemblée nationale considérant : 1° qu’un des principaux droits de l’homme, qu’elle a reconnus, est celui de jouir, lorsqu’il est soumis à l’épreuve d’une accusation criminelle, de toute l’étendue de liberté et de sûreté pour sa défense, qui peut sy concilier avec l’intérêt de la société qui commande la punition des délits ; 2° que l’esprit et les formes de la procédure pratiquée jusqu’à présent en matière criminelle, s’éloignent tellement de ce premier principe de l’équité naturelle et de l’association politique, qu’ils nécessitent une réforme entière de l’ordre judiciaire pour la recherche et le jugement des crimes ; 3° que si l’exécution de cette réforme entière exige la lenteur et la maturité des plus profondes méditations, il est cependant possible de faire jouir dès à présent la nation du bienfait de plusieurs dispositions, qui, sans subvertir l’ordre de procéder actuellement suivi, rassureront l’inno-nocence, et faciliteront la justification des accusés, en même temps qu’elles honoreront davantage le ministère des juges dans l’opinion publique, a arrêté et décrété les articles qui suivent : Art. 1er. Dans tous lieux où il y a un ou plusieurs tribunaux judiciaires établis, la municipalité nommera un nombre suffisant de notables, eu égard à l’étendue du ressort, parmi lesquels seront pris les adjoints qui assisteront à l’instruction des procès criminels, ainsi qu’il va être dit ci-après. Art. 2. Ces notables seront choisis dans la classe des citoyens de bonnes mœurs et de probité reconnues, et leur élection sera renouvelée tous les ans; ils prêteront serment à la commune, entre les mains des officiers municipaux, de remplir fidèlement leurs fonctions. La liste de leurs noms, qualités et demeures sera déposée, dans les trois jours, aux greffes des tribunaux judiciaires, par le greffier de la municipalité. Art. 3. Aucune plainte ne pourra être présentée au juge qu’en présence de deux adjoints ; il sera fait mention de leur présence et de leurs noms dans l’ordonnance qui sera rendue sur la plainte, et ils signeront avec le juge, à peine de nullité. Art. 4. Les procureurs généraux et les procureurs du Roi ou fiscaux qui accuseront d’office, seront tenus de déclarer par la plainte s’ils ont un dénonciateur ou non, à peine de nullité ; et s’ils ont un dénonciateur, ils déclareront en même temps, son nom, ses qualités et sa demeure, afin qu’il soit connu du juge et des adjoints à l’information, avant qu’elle soit commencée. Art. 5. Les procès-verbaux de l’état des personnes blessées, ou du corps du mort, du lieu où le délit aura été commis, et des armes, hardes et effets qui peuvent servir à conviction ou à décharge, seront dressés en présence de deux adjoints, qui pourront faire au juge leurs observations, dont sera fait mention, et qui signeront ces procès-verbaux, à peine de nullité. Dans le cas où le lieu du délit serait à une trop grande distance du chef-lieu de la juridiction, les notables, nommés dans le chef-lieu, pourront être suppléés dans la fonction d’adjoints aux procès-verbaux, par les membres de la municipalité du lieu du délit. Art. 6. L’information qui précédera le décret, continuera d’étre faite secrètement, mais en présence de quatre adjoints qui assisteront à l’audition des témoins. Art. 7. Les adjoints seront tenus en leur âme et conscience de faire au juge les observations tant à charge qu’à décharge, qu’ils trouveront nécessaires pour l’explication des dires des témoins, ou l’éclaircissement des faits déposés; et il en sera fait mention dans le procès-verbal d’information, ainsi que des réponses des témoins. Le procès-verbal sera coté et signé à toutes les pages par les quatre adjoints, ainsi que par le juge, à l’instant même et sans désemparer, à peine 218 [29 septembre 1789.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Assemblée nationale.] de nullité ; il en sera également fait une mention exacte, à peine de faux. Art. 8. Dans le cas d’une information urgente et provisoire qui se ferait sur le lieu même pour flagrant délit, les notables pourront, en cas de nécessité pressante, être remplacés par deux des principaux voisins qui ne seront pas dans le cas d’être entendus comme témoins. Art. 9. Les décrets ne pourront plus être prononcés que par trois juges au moins ; et les commissaires des coufs souveraines qui seront autorisés à décréter dans le cours de leur commission, ne pourront le faire qu’en appelant deux juges du tribunal du lieu, ou, à leur défaut, des gradués. Aucun décret de prise de corps ne pourra désormais être prononcé contre les domiciliés, que dans le cas où, par la nature de l’accusation et des charges, il en pourrait écheoir peine corporelle. Art. 10. L’accusé décrété de prise de corps, pour quelque crime que ce soit, aura le droit de se choisir un ou pic sieurs conseils, avec lesquels il pourra conférer librement en tout état de cause; et dans le cas où l’accusé ne pourrait pas en avoir par lui-même, le juge lui eu nommera un d’office, à peine de nullité. Art. 11. Aussitôt que l’aCcusé sera constitué prisonnier, ou se sera présenté sur les décrets d’assigné pour être ouï, ou d’ajournement personnel, tous les actes de l'Instruction seront faits contradictoirement avec lui, publiquement, et les portes ouvertes. De ce moment, l’assistance des adjoints cessera. Art. 12. Dans les vingt-quatre heures de l’emprisonnement de l’accusé, le juge le fera paraître devant lui, lui fera lire la plainte, la déclaration du nom du dénonciateur, s’il y en a, les procès-verbaux ou rapports, et l’information ; il lui fera représenter aussi les effets déposés pour servir à l’instruction; il lui demandera s’il entend choisir un conseil, ou s’il Véüt qu’il lui en soit nommé un d’office : en ce dernier cas, le juge nommera le conseil; et l’interrogatoire ne pourra être commencé que le jour suivant. « Art. 13. 11 en sera usé de même à l’égard des accusés qui comparaîtront volontairement sur un décret d’assigné pour être ouï, ou d’ajournement personnel. Art. 14. Après l’interrogatoire, la copie de toutes les pièces de la procédure sera délivrée à l’accusé, en papier libre, s’il la requiert ; et son conseil aura le droit de voir les minutes, ainsi que les effets déposés pour servir à l’instruction. Art. 15. La continuation et les additions d’information, qui auront lieu pendant la détention de l’accusé, seront faites publiquement et en sa présence, sans qu’il puisse interrompre le témoin pendant le cours de sa déposition. Art 16. Après que la déposition sera achevée, l’accusé pourra faire faire au témoin, par le juge, les observations et interpellations qu’il croira utiles pour l’éclaircissement des faits rapportés, ou pour l’explication de la déposition. La mention, tant des observations de l’accusé que des réponses du témoin, sera faite ainsi qu’il se pratique à la confrontation; mais les aveux, variations ou rétractations du témoin, en ce premier instant, ne le feront pas réputer faux témoin. Art. 17. Lorsque le procès aura été réglé à l’extraordinaire, il sera publiquement et en présence de l’accusé, procédé par un seul et même acte, d’abord au récolement des témoins, et de suite à la confrontation. Les reproches contre les témoins pourront être proposés et prouvés en tout état de cause, tant après qu’avant la connaissance des charges. Art. 18. Le Conseil de l’accusé aura le droit d’être présent à tous les actes de l’instruction, sans pouvoir y parler au nom de l’accusé, ni lui suggérer ce qu’il doit dire ou répondre; si ce n’est dans le cas d’une nouvelle visite ou rapport quelconque, lors desquels il pourra faire ses observations, dont mention sera faite dans le procès-verbal. Art. 19; L’accusé aura le droit de proposer, en tout état de cause, ses faits justificatifs ou d’atténuation ; et la preuve sera reçue de tous ceux qui seront jugés pertinents, quoiqu’ils n’aient point été articulés par l’accusé dans son interrogatoire et autres actes de la procédure. Les témoins que l’accusé voudra produire, sans être tenu de les nommer sur-le-champ, seront entendus publiquement, et pourront l’être en même temps que ceux de l’accusateur sur la continuation ou addition d’information. ■ Art. 20. Il sera libre à l’accusé, soit d’appeler ses témoiùs à sa requête, soit de les indiquer au ministère public pour qu’il les fasse assigner ; mais dans l’un ou l’autre cas, il sera tenu de commencer ses diligences ou de fournir l’indication de ses témoins, dans les trois jours du jugement qui aura admis la preuve. Art. 2t. Le rapport du procès sera fait par un , des juges, les conclusions du ministère public données ensuite et motivées, le dernier interrogatoire prêté, et le jugement prononcé, le tout à l’audience publique. L’accùsé ne comparaîtra à cette audience qu’au moment de l’interrogatoire, après lequel il sera reconduit, s’il est prisonnier; mais son conseil pourra être présent pendant la séance entière, et parler pour sa défense après le rapport fini, les conclusions données, et le der-- nier interrogatoire prêté. Les juges seront tenus de se retirer ensuite à la chambre du conseil, d’y opiner sur délibéré, et de reprendre incontinent leur séance publique, pour la prononciation du jugement. Art. 22. Les personnes présentes aux actes publics de l’instruction criminelle se tiendront dans le silence et le respect dûs au tribunal, et s’interdiront tout signe d’ approbation et d’hnpfobation, à peine d’être emprisonnées süMe-châmp par � forme de correction, pour le temps qui Sera fixé" par le juge, et qui ne pourra cependant excéder huitaine, oü même poursuivies extraordinairement, en cas de trouble ou d’indécence graves. Art. 23. L’usage de la sellette au dernier interrogatoire, et la question préalable sont abolis. Art. 24. Aucune condamnation ne pourra être prononcée qu’aux deux tiers des voix, et la condamnation à mort qu’aux quatre cinquièmes. 4 Art. 25. Tout ce qui précède sera également observé dans les procès poursuivis d’office et dans ceux qui seront instruits en première instance dans les cours souveraines. La même pu-' blicité y aura lieu, pour le rapport, les conclusions, le dernier interrogatoire, le plaidoyer du défenseur de l’accusé, et le jugement dans les procès criminels qui y sont portés par appel. < Art. 26. Dans les procès commencés, les procédures déjà faites subsisteront; mais il sera procédé au surplus de l’instruction et au jugement, suivant les formes prescrites par le "présent r décret. Art. 27. L’ordonnance de 1670, et les édits, déclarations et règlements concernant la matière continueront d’être observés en tout ce qui n’est y [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [30 septembre 1789.] 219 pas contraire au présent décret, jusqu’à ce qu’il ëü ait été autrement ordonné. Là séance est levée. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DË M. MOÜNIEfi. Séance du mercredi 30 septembre 1789, au matin [ 1). La séance est ouverte à 9 heures du matin; M* Démeunier, secrétaire , donne lecture des procès-verbaux des 28 et 29 septembre. Les corrections faites au premier, d’après diverses observations de la veille, avaient nécessité d’en recommencer la lecture; � M. le marquis d’Ambly déhonce à l’Assemblée le refus du comité des finances de donner à l’imprimeur l’état des pensions. L’on peut juger, dit-il, d’après tous les obstacles que le comité des finances oppose à l’impression, si cet état excitera la confiance publique. Cette observation n’a pas de suite. k M. le Président annonce Tordre du jour qui appelle la discussion sur le projet d'organisation du Corps législatif. L’article 1er est ainsi conçu : « Art. 1er. Le Roi peut inviter l’Assemblée nationale à prendre un objet en considération, mais la proposition des décrets appartient exclusivement au Corps législatif.- » M. Démeunier propose de dire : la proposition des lois appartient exclusivement aux représentants de la nation , M, Legrand, député du Berry. Il serait essentiel de borner la prérogative royale à proposer de prendre un objet en considération lorsqu’il s’agira d’une ancienne loi, mais non lorsqu’il s’agira d’en faire une nouvelle parce qu’alors ce Serait reconnaître au Roi l’initiative des lois. M. Treilhard regarde l’article comme inutile, puisque la distinction des pouvoirs est déjà fixée. M. H! artineau répond que l’article est nécessaire et bien rédigé avec l’amendement de M. Démeunier, parce que le Roi pouvant proposer un objet pour être mis en discussion, il est �prudent d’excepter l’initiative de la loi , sans quoi les ministres, sous prétexte de demander que l’on prît un objet en considération, pourraient s’emparer du droit de proposer les lois et bientôt celui de les faire. M. Target combat le mot lois substitué par l’amendement de M. Démeunier au mot décrets proposé par le comité de Constitution. 11 fait ►remarquer que le décret ne devient loi que par la sanction royale. Plusieurs membres appuient cette observation. Néanmoins l’amendement est adopté. (1) Cette séance est incomplète au Moniteur. L’article 1er passe à l’unanimité dans les termes suivants : « Art. 1er. Le Roi peut inviter l’Assemblée nationale à prendre un objet en considération, mais la proposition des lois appartient exclusivement aux représentants de la nation. » M. lé Président donné lecture de l’article suivant, ainsi libellé : « Art. 2. Le pouvoir exécutif ne peut faire aucune loi, même provisoire, mais seulement des proclamations conformes aux lois, pour en ordonner ou en rappeler l’observation. » M. Malouet prétend que le Roi doit avoir le droit de faire des règlements provisoires pour les différents départements qui lui Sont subordonnés ; que l’Assemblée nationale, qui â ordonné la responsabilité, ne peut elle-même se réserver le droit de faire des règlements d*admi-nistration; enfin il conclut à ce que le Roi soit autorisé à faire des règlements aü moins provisoires. Un membre réfute M. Maloüet, en disant que l’article remplit ses vues, puisque le Roi est autorisé à mire des proclamations conformes aux lois. Un autre mémbrè refüse au Roi le droit de faire des règlements provisoires; il prétend que ce droit résidant dans les mains du pouvoir exécutif nous replongerait dans les maids dü despotisme. Au milieu de cette diversité d’opinions, M. Target défend l’arrêté du comité. Un membre de là noblesse prétend que si le Roi ne pouvait faire de règlements, il faudrait que le Corps législatif fût toujours en activité ; car, par exemple, pour l’armée, les règlements provisoires sont à chaque moment nécessaires. M. dé la Luzerne, évêqüë de Langres, va plus loin ; il Convient que les règlements concernant la législation ne peuvent être faits que par le Corps législatif; mais quant à l’administration, il dit que le Roi doit avoir le droit de faire des règlements ndii pas provisoires, mais définitifs. U fait donc un sous-amendement à l’amendement de M. Malouet ; c’est de retrancher le mot provisoire. Un membre de la noblesse Cite un exemple OÙ il croit que les règlements provisoires, de la part du Roi, sont nécessaires. L�Angleterre, pour entraîner la désertion des matelots, accorde des primes considérables ; il faut donc laisser au Roi le moyen de prévenir la désertion. M. Aiislôn propose une autre rédaction : « Le Roi ne pourra pas, par des réglements, même provisoires, suspendre' ou arrêter l'exécution des lois. » Cette rédaction, bien inférieure à Celle du comité, a cependant été applaudie. M. Rewbeli parie avec force et éloquence. Il y aura toujours des bases, dit-il, sur lesquelles le Roi pourra appliquer ses proclamations. Certainement il n’est pas nécessaire d’accorder au Roi pour cela le pouvoir de faire des règlements provisoires. M. La Poulë dit que ce serait accorder au Roi