226 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE chevaux navarrais à nos hussards et à nos dragons. C’était une branche de commerce qui vivifiait les montagnes et les vallées des Basses-Pyrénées. La ressemblance du climat de ces pays avec celui d’Espagne produisait une variété dans la finesse des lainages bien remarquable pour tous les connaisseurs et les manufacturiers. La race des chevaux navarrais surtout était si estimée, que les habitants du ci-devant Poitou amenaient, tous les ans, dans les montagnes, des troupeaux de juments pour les faire saillir et croiser. Il ne faut pas, citoyens, qu’on nous accuse d’avoir négligé d’exploiter des mines aussi fécondes pour la prospérité publique. Lorsque les Romains firent la conquête de l’Italie, ils ne manquèrent pas de s’approprier les chefs d’oeuvre des arts. Imitons leur exemple ; que la victoire agrandisse chez nous le domaine de l’agriculture; et si, dans les Pays-Bas, la commission des arts a su conserver à la République des grands modèles en peinture, de riches manuscrits, que celles d’agriculture et de commerce attachent au sol français la race des brebis espagnoles et celle de leurs superbes coursiers; que la main de la liberté soigne et fasse prospérer ces animaux, si utiles à l’homme. Je vous le répète, citoyens, ce seront là de véritables conquêtes; car aucune puissance de la terre, aucun traité de paix ne pourront vous les enlever. Voici le projet de décret que je propose : Art. Ier. - La Convention nationale décrète que tous les étalons et béliers de race espagnole que la République aura acquis sur le territoire ennemi, par droit de conquête ou autrement, seront conduits en France. Art. II. - La commission de commerce et celle d’agriculture se concerteront, sous l’inspection des comités respectifs, pour les faire distribuer dans les départements les plus favorables par leur climat à leur reproduction. On demande l’impression et l’ajournement (79). Un autre membre en demande le renvoi aux comités de Salut public et d’Agricul-ture, réunis, afin que ces deux comités présentent dans trois jours un moyen d’organisation pour tirer des pays conquis en général les chevaux, bestiaux ou autres objets, et un mode de répartition à en faire. Cette proposition est décrétée (80). 53 On fait lecture de la correspondance, et d’un grand nombre d’adresses qui félicitent la Convention des mesures qu’elle prend chaque (79) Moniteur, XXII, 132. (80) P.V., XLVI, 231. C 320, pl. 1330, p. 13, minute de la main de Bentabole. Décret non mentionné par C* II 21, p. 4. jour, et de ce qu’elle a établi le règne de la justice (81). La Convention nationale, après avoir entendu la lecture de l’adresse de la société populaire d’Ussel, chef-lieu de district, département de la Corrèze, en date du dernier jour des sans-culottides, contenant huit articles, improuve le premier, et passe à l’ordre du jour sur les autres (82). [Adresse imprimée de la société populaire d’Ussel à la Convention nationale, le 5ème jour s. c. an II. Ussel, chez Wolpmann et Rossignol, imprimeurs de la Société populaire ] (83) LIBERTÉ ÉGALITÉ Mort aux tyrans, paix aux peuples Les hommes libres, composans la société populaire des Jacobins d’Ussel, chef-lieu de district, Département de la Corrèze, À LA CONVENTION NATIONALE REPRÉSENTANS DU PEUPLE, Nous sommes vraiment Montagnards par notre position et par nos sentimens. Nous ne sommes pas orateurs, et nous nous soucions peu de l’être, tout notre esprit est dans notre coeur, la franchise est notre seule éloquence. Voici donc notre profession de foi. Article premier. - Invinciblement attachés à la Représentation Nationale, et soumis à la loi, nous croyons fermement que le modérantisme cherche à tendre des pièges à la Convention nationale ; mais qu’après avoir déjoué toutes les factions, elle déjouera celle-ci, et de suite; car il en est grand temps. Jean-Jacque dit quelque part : « Le patriotisme et l’humanité (prétexte du modérantisme) sont deux vertus incompatibles dans leur énergie, et sur-tout chez un peuple entier. Le Législateur qui les voudra toutes deux, n’obtiendra ni l’une ni l’autre. Cet accord ne s’est jamais vu; il ne se verra jamais, parce qu’il est contraire à la nature, et qu’on ne peut donner deux objets à la même passion. » Art. II. - Nous croyons fermement que la destruction des Sociétés populaires, seroit celle de toute liberté et égalité, que la proposition seule est un blasphème. Autant vaudroit proposer la dissolution de la République dans les flots du sang des patriotes. Art. III. - Nous croyons fermement que la liberté indéfinie de la presse est subversive de l’esprit révolutionnaire, et ne peut favoriser que l’aristocratie et toutes ses factions. Art. IV. — Nous croyons fermement que, loin (81) Moniteur, XXII, 132. (82) P.-V., XLVI, 231. C 320, pl. 1330, p. 13, minute de la main de Clauzel, rapporteur. (83) C 321, pl. 1350, p. 24. SÉANCE DU 11 VENDÉMIAIRE AN III (2 OCTOBRE 1794) - N° 53 227 de ralentir la marche du Gouvernement révolutionnaire, on doit l’accélérer, pour qu’il écrase sous son char brûlant tous les conspirateurs, et qu’il épouvante tous ceux qui seroient tentés de l’être. Art. V. - Nous croyons fermement que, quelles que puissent être les lumières du Comité de sûreté générale, il ne peut pas connoître aussi bien que les Sociétés populaires des lieux la conduite de ceux qui ont été incarcérés sous leurs yeux. Art. VI. - Nous croyons fermement que la Convocation des assemblées primaires dans ce moment serait le tocsin de la guerre civile. Art. VII. - Nous croyons fermement que la Convention et la Société des Jacobins professent les mêmes principes, et que toutes les Sociétés populaires jureront de périr avec elles pour leur soutien. La Société populaire d’Ussel est prête à sceller de son sang cette profession de foi. Vive le Peuple, vive la Montagne, vive le Gouvernement révolutionnaire. Le président et les secrétaires de la Société populaire d’Ussel, Lachaud, président, Lafon et Malguid, secrétaires. On lit une autre adresse qui, s’autorisant d’un passage de Rousseau, dit que dans ce moment l’humanité est incompatible avec le patriotisme : elle croit aussi que la liberté de la presse ne peut entraîner que de graves inconvénients. On demande, d’une part, la mention honorable, et, de l’autre, le renvoi au comité de Sûreté générale. CLAUZEL : Je m’oppose à ces deux propositions. Il est impossible que l’Assemblée ordonne la mention honorable, ni même le renvoi pur et simple d’une adresse qui ose dire que l’humanité est incompatible avec le patriotisme. L’Assemblée professe des principes tout contraires. Je demande que cette adresse ait le même sort que celle de la société populaire de Richelieu, que vous avez fait insérer dans le bulletin, avec une improbation formelle. Quand il serait vrai que le philosophe de Genève, cet ami de l’humanité, aurait écrit le passage qu’on cite, eh bien, ce ne serait, de sa part, qu’une erreur; car nul homme n’est exempt d’en commettre. Guyomar et plusieurs membres crient que le passage de Rousseau est tronqué, cité à faux. On observe qu’on ne peut pas improuver dans son entier une adresse où il y a des erreurs, mais aussi où il y a de bonnes choses. CLAUZEL : L’Assemblée ne peut pas approuver une adresse où l’on s’élève contre la liberté de la presse. Je demande l’improbation du premier article, et l’ordre du jour sur le reste (84). (84) Moniteur, XXII, 132. [Clauzel remarque qu’elle prête à J.-J. Rousseau un axiome qui n’exista pas plus dans son coeur que dans son esprit; elle prétend que ce grand homme a dit que l’humanité et le patriotisme étoient incompatibles, surtout chez une grande nation. Des murmures s’élèvent : Clauzel demande l’improbation de cette partie de l’adresse et l’ordre du jour sur le reste.] (85) THIBAUDEAU : On ose avancer que le patriotisme est incompatible avec l’humanité, quand le patriotisme n’est autre chose que l’amour des hommes, que l’humanité éclairée; il est temps enfin que la Convention se prononce, qu’elle mette un terme aux fluctuations qu’on veut imprimer à l’opinion publique. On a dit, il y a quelques jours, que c’était à elle à fixer cette opinion, et cela est vrai : qu’elle le fasse donc, il en est temps. Si quelques fripons se disputent dans des libelles l’influence qu’ils voudraient exercer, s’ils disputent leur tête au châtiment qu’ils ont mérité (on applaudit) c’est à la majorité de la Convention nationale, qu’ils voudraient entraîner, à laquelle ils voudraient faire partager leurs passions, à se montrer ferme, à mettre un terme à tous ces excès... On vous a fait, sur la situation de la République, un rapport dont vous aviez adopté les principes; vous aviez manifesté le voeu de les adopter pour règle de votre conduite. Eh bien, ces principes sont méconnus. Peut-être ces principes étaient-ils enveloppés dans de grandes considérations du bien public et d’intérêt commercial, peut-être étaient-ils obscurcis; qu’avez-vous à faire? Chargez vos trois comités de les en isoler, de rédiger une adresse aux Français, dans laquelle ces principes seront exposés d’une manière simple, distincte et positive (Vifs applaudissements). Alors vous verrez le peuple entier se rallier autour de ces principes (Nouveaux applaudissements). Vous aurez une pierre de touche pour distinguer ceux qui veulent la liberté pour elle-même des intrigants et des fripons. Quand on osera proférer dans les sociétés populaires ou ailleurs des principes opposés à ceux que vous aurez proclamés, on sera honni (Applaudissements). Après ces considérations générales, je vais vous citer quelques faits particuliers et une sorte d’escamotage qui se pratique dans la rédaction du bulletin. Hier on vous a lu une adresse qu’on vous a dit être de la société populaire de Poitiers, dans laquelle on vous disait que l’aristocratie et le modérantisme levaient une tête insolente, et que les patriotes étaient persécutés. J’ai été vérifier cette adresse. Le croiriez-vous? il y a plus d’un mois et demi que cette adresse a été rédigée (Mouvement de surprise); elle n’est signée que de sept individus ; et de ces sept individus, il y en a un qui est mort il y a plus de cinq semaines (Mouvement d’indignation). D’ailleurs, ces sept individus sont des scélérats qui ont été destitués par les représentants du peuple, et qui ont volé les effets des détenus. Il existe une déli-(85) J. Mont., n“ 156.