[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAI RES. [-24 août 1789.] les circonstances ; enfin l’orateur a terminé par une courte justification du parlement de Rouen. L’on agité la question de savoir si on recevra le procureur du Roi de Falaise ou non. Les opinions sont partagées. M. le marquis de Gouy-d’Arcy observe qu’il ne faut admettre le procureur du Roi à se défendre, que quand il aura un adversaire; que cet adversaire ne peut être que M. le premier président du parlement de Rouen ou le procureur général. Néanmoins le procureur du Roi de Falaise est admis. 11 parle avec esprit, réfute les témoins, et prouve que leurs dispositions sont invraisemblables. Il commence son discours par le mot messieurs ; mais quelques cris élevés du côté des communes l’avertissent de prononcer messeigneurs. Plusieurs orateurs parlent encore pour et contre le procureur du Roi. — D’autres veulent le renvoyer au pouvoir exécutif. M. l’abbé Maury prend la parole pour la première fois, et pour dire qu’il ne connaît pas de plus monstrueux despotisme que la confusion du pouvoir exécutif et du pouvoir législatif. M. le comte de Mirabeau réplique au préopinant que son scrupule est d’autant plus délicat, que le pouvoir exécutif de l’Assemblée lui a été avantageux. L’affaire du procureur du Roi de Falaise fait naître une multitude d’arrêtés : MM. les secrétaires ne peuvent suffire à les lire, et ils sont la cause des plus grands désordres. Le tumulte recommence. M. le Président s’écrie : L’Assemblée nationale n’est plus qu’une arène où chaque athlète descend pour y combattre et triompher, tandis qu’elle devrait être un aréopage où chaque membre publierait ses idées avec sagesse et modération. L’arrêté du comité qui porte qu’il n’y a pas lieu à délibérer est mis aux voix ; la majorité est douteuse. M. Gleizen propose de renvoyer au pouvoir exécutif. Cet amendement est rejeté. Un autre membre propose de déclarer nulle et attentatoire à la liberté la procédure du parlement de Rouen. Cet amendement est adopté. M. le Président dit qu’il ignore la majorité; qu’il n’a prononcé que sur les assurances de MM. les secrétaires. L’ordre avait été interverti. M. de Frondeville le réclame, représentant avec beaucoup de modération que M. le président n’aurait pas dû passer aux amendements avant d’aller aux voix par appel sur le projet de l’arrêté du comité, puisqu’il a déclaré que la majorité était indécise par la forme d’assis et levé. M. le Président répond qu’il n’a agi ainsi que d’après le vœu de l’Assemblée. Enfin, l’Assemblée décrète l’arrêté qui suit ; « L’Assemblée nationale, persistant dans son arrêté du 25 juin, déclare qu’aucun citoyen ne peut être inquiété à raison des opinions ou projets par lre Série, T. VIII. 481 lui présentés, des abus par lui dénoncés, soit dans les assemblées élémentaires, soit dans son sein ; déclare la procédure instruite par le parlement de Rouen contre le procureur du Roi de Falaise, nulle et attentatoire à la liberté nationale, et pour le surplus des demandes du procureur du Roi, le renvoie à se pourvoir ainsi et par-devant qui il appartiendra. » On lit une lettre de M. de Bussy, député du gouvernement de Péronne, Montdidier et Roye, qui, contraint par sa santé de donner sa démission, demande à être remplacé par un de ses suppléants. L’Assemblée agrée sa demande. Une autre motion est mise sur le bureau par un membre de l’Assemblée, tendant à envoyer au Roi une députation à l’occasion de la fête de saint Louis. Cette motion est adoptée à l’unanimité. M. le Président propose que le comité de rédaction s’assemble demain pour rédiger l’adresse qui sera portée par la députation, et il indique la séance pour demain dix heures du matin. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. LE COMTE STANISLAS DE CLERMONT-TONNERRE. Séance du lundi 24 août 1789, au matin (I). M. le Président ouvre la séance à onze heures, en priant l’Assemblée de l’excuser sur son retard, occasionné par la fatigue excessive des deux séances de la veille. Messieurs les secrétaires rendent compte des adresses de félicitations, remerciements et adhésion envoyées par les officiers du bailliage de Saint-Paul-Trois-Châteaux ; par les habitants de la ville de Saint-Sauveur en Puisaye, bailliage d’Auxerre, et la paroisse de Treigny ; par le port de Paimbœuf en Bretagne ; par la commune de Tartas, par le corps municipal d’Ardres, et les députés des municipalités de l’Ardrésis ; par la communauté des notaires de la ville de Montéli-mart, et par les trois ordres de la ville de Viviers, capitale du Vivarais. Il est donné acte à MM. Nau de Belle-Isle et Peyruchaud, députés des communes de la sénéchaussée de Gastelmoron, de la présentation de leurs pouvoirs, vérifiés dès le 22 juin 1789. Sur le rapport fait par M. Hébrard, au nom du comité de vérification , MM. Expilly, recteur de Saint-Martin de Morlaix, et dom Vcrguet, prieur de l’abbaye de Bellecq, vicaire général de l’ordre de Liteaux, l’un et l’autre députés du clergé de Léon en Bretagne ; M. Nolff, curé de Saint-Pierre de Lille en Flandre, député du bailliage de Lille, à la place de M. l’évêque de Tour-nay, et M. Huot de Goncourt, député par les trois ordres du Bassigny-Barrois, ont été admis comme députés vérifiés. M. Périsse Du Luc fait une motion tendant à ce que la proposition que M. le président est en usage de faire à l’Assemblée pour savoir si elle trouve la question suffisamment discutée, ne (1) Cette séance est incomplète au Moniteur. -H [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 482 puisse jamais avoir lieu sur une motion, amendement ou sous-amendement, lorsque six membres au moins de ceux qui se sont fait inscrire, n’auront pas été entendus pour la question, et six membres contre la question, et que jusque-là, les membres de l’Assemblée qui demanderaient d’aller aux voix fussent rappelés à l’ordre par M. le président. L’Assemblée consultée sur la motion décide qu’il n’y a pas lieu à délibérer quant à présent. M. Bergasse-Laziroule fait une autre motion conçue en termes différents, mais tendant au même but. M. Brostaret demande le rejet de toutes ces motions. M. AI ad 1er pense qu’il n’y a lieu à délibérer. Cette motion est dangereuse, dit-il ; si elle passe, il n’y aura plus de liberté dans l’Assemblée : on formera sans cesse des amendements arbitraires, et en faisant parler dix personnes sur chacune, la discussion sera interminable. M. La Poule appuie cette motion. M. le Président démontre l’insuflisance du règlement sur ce point, et la nécessité de se conformer rigoureusement au mode établi de délibérer et de discuter. On va aux voix, et l’on déclare n’y avoir lieu de prononcer. On reprend la discussion du projet du sixième bureau et on lit l'article 19, oui porte : « La libre communication des pensées étant un droit du citoyen, elle ne doit être restreinte qu’au-tant qu’elle ouït aux droits-d’autrui, » M. le duc de Levis ouvre le premier son opinion sur cet article ; il ne se contente pas de présenter un projet relatif au 19e article, il essaie de faire revenir sur l’article arrêté hier matin. 11 y a, dit-il, trois manières de manifester ses pensées : par écrit, par ses discours, par ses actions. Or, votre arrêté d’hier soumet les actions à la plus terrible inquisition. Plusieurs membres rappellent l’opinant à l’ordre ; néanmoins il présente son projet tel que le voici : « Tout homme ayant le libre exercice de sa pensée a le droit de manifester ses opinions, sous ja seule condition de ne pas nuire à autrui. » M. le duc de La Rochefoucauld parle ensuite ; il détaille les avantages de la presse. C’est elle, dit-iL qui a détruit le despotisme ; c’est elle qui précédemment avait détruit le fanatisme. 11 propose l’article qui suit : « La libre communication des pensées et dés opinions est un des droits les plus précieux à l'homme; tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre des abus de cette liberté, dans les cas prévus par la loi. » M Rabaud de Saint-Etienne. C’est avec empressement que j’appuierai les divers projets des préopinants. Cependant il nous est impossible d’en conserver un aussi vague, aussi insignifiant que celui du sixième bureau. Ce serait manquer à nos mandats que de ne pas assurer la liberté de la presse ; mais nos cahiers nous prescrivent encore un devoir, celui de consacrer à jamais l’inviolabilité du secret de [U août 1789.] la poste; nos cahiers nous le recommandent, et l’article du sixième bureau n’en parle pas. Il y a lieu d’espérer que, réfléchissant sur la sainteté de nos devoirs et sur les dangers de remplir la déclaration des droits de détails insignifiants, nous nous empresserons de remplir nos mandats sur un objet aussi essentiel. Quant à la presse, il est inutile de vous en démontrer les avantages. A qui les annoncerions-nous ? Serait-ce au peuple? Mais les ordres qu’il nous donne annoncent qu’il les connaît. Serait-ce à nous-mêmes? Mais nos lumières sont dans nos cahiers. Cependant, il faut le dire : la liberté de la presse n’est pas sans inconvénients. Mais faut-il aussi, pour cette raison, rétrécir une liberté que l’homme ne tient que de lui-même? En faisant des lois, aurons-nous plutôt égard au droit en lui-même qu’à l’abus que l’on en peut faire? Dans l’ouvrage le plus sage, le plus modéré, ne trouve-t-on pas toujours quelque chose susceptible d’une interprétation maligne? interprétation qui est bientôt devenue un art perfectionné par le despotisme et l’inquisition de la police. Si l’on s’élève contre un homme en place, il s’écrie que l’ordre est troublé, que les lois sont violées, que le gouvernement est attaqué, parce qu’il s'identifie avec l’ordre, avec les lois et avec le gouvernement. Placer à côté de la liberté de la presse les bornes que l’on voudrait y mettre, ce serait faire une déclaration des devoirs, au lieu d’une déclaration des droits. Jamais article ne fut plus important. Si d’un mot mal combiné il en coûtait une larme, un soupir, nous en serions responsables. Si de quelque article rédigé dans le tumulte, il en résultait l’esclavage d’un seul, il en résulterait bientôt l’esclavage de tous ; la servitude est une contagion qui se communique avec rapidité. J’adhère à l’arrêté de M. le duc de La Rochefoucauld, en y mettant la dernière phrase de M. le duc de Lévis, sauf à ne pas nuire, etc. M. Target. Je propose l’article suivant qui n’est que l’extrait des deux autres. « Tout homme a le droit de manifester ses opinions par la pensée, la parole et l’impression. celui qui, en usant de ce droit, blesse le droit d’autrui, doit en répondre suivant les formes prescrites par la loi. » M. Barrère de Vfeuzac. C’est à la déclaration des droits à publier les grandes maximes, à constater les droits inaliénables, mais dans toute leur pureté et leur énergie. C’est ensuite à la Constitution et aux lois à adapter cette liberté au principe et à la nature du gouvernement. Vous devez faire de la déclaration des droits le code des législateurs mêmes ; c’est le type sur lequel la puissance législative formera toutes ses institutions. La déclaration des droits sera enfin la règle de la liberté publique, et si le pouvoir législatif pouvait jamais s’égarer ou se corrompre, le peuple, dont ce pouvoir émane, comme tous les autres, le rappellera sans cesse à cette déclaration, comme a une source dont les eaux ne peuvent être corrompues. Conservez-donc, Messieurs, à la déclaration des droits l’énergie et la pureté qui doivent caractériser ce premier acte de la législation ; ne la surchargez pas de ces modi fi calions destructives, de ces idées secondaires qui absorbent le sujet, de ces précautions serviles qui atténuent les droits,