78 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE l’époque fixée par l’auteur du Contrat Social. Mention honorable, et insertion au bulletin, de la pétition et de la réponse du président (51). La veuve de Jean-Jacques Rousseau est admise à la barre. On applaudit. Citoyens représentans, Jean-Jacques Rousseau, mon époux, m’a remis, une heure avant sa mort, deux manuscrits avec une inscription qui annonce que son intention est que le sceau apposé sur l’enveloppe ne soit rompu qu’en 1801. Je prie la Convention nationale de confier à son archiviste ce dépôt sacré; elle pèsera, dans sa sagesse, s’il convient ou non de prendre des mesures pour que cet ouvrage, que je crois le fruit de longs travaux, voie le jour avant l’époque fixée par l’auteur du Contrat social. Marie-Thérèse Levasseur, veuve J.-J. Rousseau (52) LE PRÉSIDENT : Jean-Jacques a éclairé et honoré son siècle. Près de descendre au tombeau, il t’a donné une grande preuve de son amitié et de son estime, en te rendant dépositaire des manuscrits qui lui ont coûté tant de travaux et de longues veilles. La Convention nationale accepte l’hommage que tu lui fais de ce dépôt précieux; elle rapprochera la volonté de l’auteur de YEmile de l’intérêt national, et prononcera dans sa sagesse. Je t’accorde en son nom les honneurs de la séance. On applaudit (53). 35 Plusieurs propositions sont faites sur la demande de la veuve de J.-J. Rousseau. Un membre observe que l’intention de Jean-Jacques Rousseau fut sans doute de ne permettre la publication de ce manuscrit qu’à une époque où il présumoit que la raison humaine seroit parvenue à un degré de maturité plus parfait. Mais il pense qu’en politique les Français ont devancé l’époque présumée possible par Jean-Jacques lui-même. En conséquence, il propose de faire l’ouverture du manuscrit, ou de le renvoyer au comité d’instruction publique. Du Roy pense au contraire que la Convention seule a le droit de faire l’ouverture du paquet qui, selon lui, doit être précieux, puisqu’il renferme le dernier écrit de Jean-Jacques. Comme le préopinant, il pense que les Français (51) P.V., XL VI, 106. Moniteur, XXII, 79; Bull., 5 vend.; Ann. Patr., n” 634; Ann. R. F., n° 5; C. Eg., n” 769; Débats, n° 735, 63; F. de la Républ., n° 6; Gazette Fr., n° 999; J. Fr., n" 731; J. Perlet, n“ 733; J. Mont., n° 150; J. Univ., n° 1767 ; Mess. Soir, n° 769; M. U., XLIV, 74; Rép., n" 6. (52) C 321, pl. 1349, p. 29. (53) Débats, n° 735, 63; Moniteur, XXII, 79; sont dignes d’entendre les vérités que leur pré-paroit le philosophe de Genève. Non seulement, dit-il, les Français sont arrivés pour la philosophie au dix-neuvième siècle, mais même à l’an 2440. Du Roy demande que le cachet soit rompu sur-le-champ, et que pour constater l’authenticité du manuscrit, le président et les secrétaires soient autorisés à en parapher chaque page, et qu’ensuite il soit envoyé au comité d’instruction publique. On applaudit (54). THIRION : Plus la mémoire de Rousseau doit être honorée, plus vous devez craindre de ne pas respecter sa dernière volonté. Il faut donc traiter solennellement la question de savoir si l’on doit ouvrir le paquet. BARÈRE : L’intention de Rousseau n’a pu être, pour la publication de cet écrit, que d’attendre une époque où le progrès des lumières permît de sentir la force des vérités qu’il peut contenir; mais à cet égard le vœu de ce grand homme est plus que rempli ; la révolution a tellement accéléré le progrès des lumières que nous sommes plus avancés que si nous étions en 1900; il ne peut donc y avoir de difficultés sur l’ouverture du paquet. J’ajoute une autre proposition : il appartient à la Convention de respecter les propriétés; la veuve de J.-J. est entretenue aux frais de la République ; sa pension est de 1 500 livres : cette somme ne peut, dans les circonstances où nous nous trouvons, suffire aux besoins de son grand âge. Je demande donc que le produit de l’ouvrage soit donné à sa veuve (55). On demande que la pétition de la veuve Rousseau soit insérée au Bulletin. Décrété. BENTABOLE : Citoyens, c’est d’abord une question de savoir si vous devez violer la dernière volonté de Jean-Jacques, en faisant l’ouverture du paquet dont il s’agit ; et cette question mérite d’être discutée et approfondie. On murmure. Jean-Jacques a sans doute eu des raisons pour ordonner que son manuscrit ne fût ouvert qu’en 1800... Les murmures redoublent. Je conçois l’impatience de mes collègues : il leur tarde sans doute de connoître et de faire connoître à l’Europe entière les vérités utiles méditées par l’ami des hommes, et destinées par lui à la postérité ; et je consens à l’adoption des mesures proposées. Mais comme il est essentiel de constater l’authenticité du manuscrit, et sur-tout d’empêcher qu’il n’en soit substitué un autre à celui-là, je demande que le manuscrit soit paraphé et renvoyé au comité d’instruction publique (56). Un membre : Pateau, homme de lettres, enfermé à la Conciergerie, où il n’est retenu que parce qu’il avait ci-devant le titre d’abbé, mais que je connais pour un bon patriote; Pateau, qui était très lié avec l’abbé de Condillac, m’a dit que ce dernier, dépositaire d’un manuscrit (54) Débats, n" 735, 63-64. (55) Moniteur, XXII, 79. (56) Débats, n° 735, 64. SÉANCE DU 5 VENDÉMIAIRE AN III (26 SEPTEMBRE 1794) - N° 36 79 de J. -J. Rousseau, lequel ne devait être ouvert qu’en 1801, l’avait remis à sa mort, à son ami l’abbé de Reyrac, auteur de l’hymne au Soleil. Reyrac demeurait à Beaugency ; avant de mourir, il confia le manuscrit au citoyen Lemaire, homme de lettres et notaire à Beaugency; par quel hasard se fait-il que ce dépôt se trouve actuellement entre les mains de la veuve de J.- J. Rousseau? Je dois dire encore ce que Pateau m’a écrit : ce manuscrit est l’ouvrage des vieux ans de ce grand homme : Condillac lui a dit souvent qu’il craignait que cet ouvrage n’augmentât pas la vénération due à la mémoire de ce grand homme. On murmure. Je ne vous répète que ce que Pateau m’a dit. N’avez-voüs pas l’exemple de Raynal, qui à la fin de sa vie a été traité de contre-révolutionnaire? (57) PELET : La veuve de J.-J. vient de me faire dire, par le citoyen qui l’accompagne, que le paquet sur le bureau resta longtemps entre les mains de Girardin, à titre de confiance : mais, que croyant qu’il pouvoit renfermer des vérités utiles à l’affermissement de la république française, elle le lui a redemandé, l’a obtenu, et étoit venue en faire hommage à la Convention nationale. Elle déclare en avoir rompu la première enveloppe, mais n’avoir point violé le secret de la seconde. Je demande que le manuscrit soit renvoyé au comité d’instruction, où la citoyenne Rousseau sera entendue sur les ren-seignemens qu’elle peut avoir à donner sur l’authenticité du manuscrit (58). [Pelet dit que, dans les discussions élevées entre Girardin et la veuve, il avait souvent fait difficulté de lui rendre ce manuscrit, et que, pour le ravoir, elle avait été obligée de le menacer de le dénoncer à la Convention.] (59) THURIOT : La veuve de J.-J. Rousseau s’est transportée d’abord au comité de Salut public; elle nous a déclaré que son mari, quelques heures avant sa mort, lui avait remis ce paquet avec cette suscription : Pour n’être ouvert qu’en 1801 ; que depuis ce temps la bonne amitié ayant subsisté entre elle et Girardin, le dépôt lui fut confié : Girardin l’a respecté (60). Elle le remit à titre de confiance à Girardin, et ne le lui redemanda pour l’offrir à la Convention nationale que dans l’intention de lui soumettre la nécessité ou non nécessité de le publier. Voilà, ajoute Thuriot, le fait établi ; actuellement, je pense qu’il n’y a pas de difficulté à ordonner le renvoi au comité d’instruction publique, pour l’examiner après en avoir fait rompre le cachet par le président de la Convention, et avoir fait parapher le manuscrit par les secrétaires et lui : si ce manuscrit renferme des vérités utiles, ajoute Thuriot, le comité vous en fera un rapport et vous en proposera sans doute (57) Moniteur, XXII, 79. D’après les Débats, l’intervention se termine ainsi : Ce ne seroit pas le premier grand homme qui, à la fin de sa carrière, auroit fini par déraisonner. Au reste, j’appuie le renvoi au comité. (58) Débats, n° 735, 65. (59) Moniteur, XXII, 79. (60) Moniteur, XXII, 79. la publication ; dans le cas contraire, vous pouvez vous en rapporter à sa discrétion sur tout ce qui pourroit porter atteinte à la gloire du philosophe célèbre à qui vous avez décerné une statue et les honneurs du Panthéon. On applaudit. Les propositions de Thuriot sont adoptées en ces termes (61) : La Convention nationale accepte l’hommage fait à la République, par la veuve de J.-J. Rousseau, d’un dépôt littéraire fait en ses mains par son mari, une heure avant sa mort ; elle décrète que le cachet apposé sur l’enveloppe sera rompu à l’instant par son président; que le manuscrit, après avoir été par lui paraphé, sera renvoyé à son comité d’instruction publique, chargé de lui faire un rapport après avoir examiné l’ouvrage (62). 36 PRIEUR (de la Côte-d’Or) : Votre comité de Salut public vient satisfaire à votre décret du 2 de ce mois, qui lui ordonne de vous faire un rapport sur le régime de l’établissement des épreuves à Meudon et sur l’arrêté du représentant du peuple Battellier, qui en détermine la police extérieure. Votre comité, uniquement occupé de justifier votre confiance, en veillant à ce que les armées de la République aient tous les moyens d’assurer leurs triomphes, s’est fait un devoir de s’abstenir de tout ce qui ne tendrait qu’à exciter les passions personnelles. Il a cru que la mention honorable que vous aviez faite de l’empressement des habitants de Meudon à concourir à former la clôture de l’établissement des épreuves; que le rapport qui vous fut fait le 14 thermidor, et qui a été réellement inséré au Bulletin, ainsi que vous l’aviez décrété ; que l’ordre du jour que vous adoptâtes le 16 fructidor sur les débats relatifs au même objet ; enfin que ce qui a été dit à la séance du 2 de ce mois par plusieurs de nos collègues, et qui se trouve dans le bulletin du même jour, pouvaient suffire pour dissiper toute espèce d’alarme. Le comité de Salut public avait eu soin d’ailleurs, en plusieurs circonstances, de les prévenir par des avis fraternels, affichés et insérés dans les papiers publics. Aujourd’hui il s’agit donc bien moins du secret même des opérations, sur lequel la Convention a donné sa sanction d’une manière non équivoque, que de lui faire connaître l’origine (61) Débats, n° 735, 63-65; Moniteur, XXII, 79; Bull., 5 vend.; Ann. Patr., n° 634; Ann. R. F., n° 5; C. Eg., n° 769; F. de la Républ., n° 6; Gazette Fr., n' 999; J. Fr., n" 731; J. Perlet, n° 733; J. Mont., n° 150; J. Univ., n 1767 ; Mess. Soir, n° 769; M. U., XLIV, 74-75; Rép., n“ 6. (62) Débats, n° 735, 65. C 320, pl. 1328, p. 15, minute de la main de Thuriot, rapporteur. Bull., 5 vend.