[États généraux,] ARCHIVÉS PARLEMENTAIRES, [23 juin 1789.] - 145 connus sous le nom de lettres de cachet, avec le ' maintien de la sûreté publique, et avec les précautions nécessaires, soit pour ménager, dans certains cas, l’honneur des familles, soit pour réprimer avec célérité les commencements de sédition, soit pour garantir l’Etat des effets d’une intelligence criminelle avec les puissances étrangères. Art. 16. Les Etats généraux examineront et feront connaître à Sa Majesté le moyen le plus convenable de concilier la liberté de la presse avec le respect dû à la religion, aux mœurs et à l’honneur des citoyens. Art. 17. 11 sera établi, dans les diverses provinces ou généralités du royaume, des Etats provinciaux composés de deux dixièmes des membres du clergé, dont une partie sera nécessairement choisie dans l’ordre épiscopal; de trois dixièmes de membres de la noblesse, et de cinq dixièmes de membres du tiers-état. Art. 18. Les membres de ces Etats provinciaux seront librement élus par les ordres respectifs, et une mesure quelconque de propriétés sera nécessaire pour être électeur ou éligible. ? Art. 19. Les députés à ces Etats provinciaux délibéreront en commun sur toutes les affaires, èuivant l’usage observé dans les Assemblées provinciales, que ces Etats remplaceront. i Art. 20. Une commission intermédiaire, choisie par ces Etats, administrera les affaires de la province pendant l’intervalle d’une tenue à l’autre, êt ces commissions intermédiaires, devenant seules responsables de leur gestion, auront pour délégués des personnes choisies uniquement par elles ou par les Etats provinciaux. Art. 21. Les Etats généraux proposeront au Roi leurs vues pour toutes les autres parties de l’organisation intérieure des Etats provinciaux, et pour le choix des formes applicables à l’élection des membres de cette Assemblée. 1 Art. 22. Indépendamment des objets d’administration dont les Assemblées provinciales sont Chargées, le Roi conliera aux Etats provinciaux l’administration des hôpitaux, des prisons, des dépôts de mendicité, des Enfants-trouvés ; l’inspection des dépenses des villes, la surveillance sur l’entretien des forêts, sur la garde et la vente es bois, et sur d’autres objets qui pourraient tre administrés plus utilement par les provinces. Art. 23. Les contestations survenues dans les provinces où il existe d’anciens Etats, et les réclamations élevées contre la constitution de ces assemblées, devront fixer l’attention des Etats généraux; ils feront connaître à Sa Majesté les dispositions de justice et de sagesse qn’il est convenable d’adopter pour établir un ordre fixe dans �administration de ces mêmes provinces. Art. 24. Le Roi invite les Etats généraux à s’occuper de la recherche des moyens propres à tirer le parti le plus avantageux des domaines qui Sont dans ses mains, et de lui proposer égale-aent leurs vues sur ce qu’il peut y avoir de lus convenable à faire, relativement aux do-laines engagés. Art. 25. Les Etats généraux s’occuperont du irojet conçu depuis longtemps par Sa Majesté, de porter les douanes aux frontières du royaume, afin que la plus parfaite liberté règne dans la circulation intérieure des marchandises nationales ou étrangères. Art. 26. Sa Majesté désire que les fâcheux effets de l’impôt sur le sel et l’importance de ce revenu goient discutés soigneusement, et que dans toutes f9 Série, T, VIII. les suppositions on propose, au moins, des moyens d’en adoucir la perception. Art. 27. Sa Majesté veut aussi qu’on examine attentivement les avantages et les inconvénients des droits d’aides et autres impôts, mais sans perdre de vue la nécessité absolue d’établir une exacte balance entre les revenus et les dépenses de l’Etat. Art. 28. Selon le vœu que le Roi a manifesté par sa déclaration du 23 septembre dernier, Sa Majesté examinera avec une sérieuse attention les projets qui lui seront présentés relativement à i’ administration de la justice, et aux movens de perfectionner les lois civiles et criminelles. Art. 29. Le Roi veut que les lois qu’il aura fait promulguer pendant la tenue et d’après l’avis ou selon le vœu des Etats généraux, n’éprouvent, pour leur enregistrement et pour leur exécution, aucun retardement ni aucun obstacle dans toute l’étendue de son royaume. Art. 30. Sa Majesté veut que l’usage de la corvée pour la confection et l’entretien des chemins soit entièrement et pour toujours aboli dans son royaume. Art. 31. Le Roi désire que l’abolition du droit de main-morte, dont Sa Majesté a donné l’exemple dans ses domaines, soit étendue à toute la France, et qu’il lui soit proposées moyens de pourvoir à l’indemnité qui pourrait être due aux seigneurs en possession de ce droit. Art, 32. Sa Majesté fera connaître incessamment aux Etats généraux les règlements dont elle s’occupe pour restreindre les capitaineries, et donner encore dans cette partie, qui tient de plus près à ses jouissances personnelles, un nouveau témoignage de son amour pour ses peuples. Art. 33. Le Roi invite les Etats généraux à con* sidérer le tirage de la milice sous tous ses rapports, et à s’occuper des moyens de concilier ce qui est dû à la défense de l’Etat avec les adoucissements que Sa Majesté désire pouvoir procurer à ses sujets. Art. 34. Le Roi veut que toutes les dispositions d’ordre public et de bienfaisance envers ses peuples, que Sa Majesté aura sanctionnées par son autorité pendant la présente tenue des Etats généraux, celles entre autres relatives à la liberté personnelle, à l’égalité des contributions, à l’établissement des Etats provinciaux, ne puissent jamais être changés sans le consentement des trois ordres, pris séparément ; Sa Majesté les place à l’avance au rang des propriétés nationales, qu’elle veut mettre, comme toutes les autres propriétés, sous la garde la plus assurée. Art. 35. Sa Majesté, après avoir appelé les Etats généraux à s’occuper, de concert avec elle, des grands objets d’utilité publique, et de tout ce qui peut contribuer au bonheur de son peuple, déclare de la manière la plus expresse qu’elle veut conserver en son entier, et sans la moindre atteinte, l’institution de l’armée, ainsi que toute autorité, police et pouvoir sur le militaire, tels que les monarques français en ont constamment joui. Le Roi, avant de se retirer, prononce un troisième discours que nous transcrivons. Vous venez, Messieurs, d’entendre le résultat de mes dispositions et de mes vues ; elles sont conformes au vif désir que j’ai d’opérer le bien public; et si, par une fatalité loin de ma pensée, vous m’abandonniez dans une si belle entreprise, seul, je ferai le bien de mes peuples ; seul, je me considérerai comme leur véritable représentant ; 10 ARCHIVES PARLEMENTAIRES, [23 juin 1789.1 j40 [Élats généraux.] et connaissant vos cahiers, connaissant l’accord parfait qui existe entre le vœu le plus général de la nation et mes intentions bienfaisantes, j’aurai toute la confiance que doit inspirer une si rare harmonie, et je marcherai vers le but auquel je veux atteindre avec tout le courage et la fermeté qu’il doit m’inspirer. Réfléchissez , Messieurs , qu’aucun de vos projets, aucune de vos dispositions ne peut avoir force de loi sans mon approbation spéciale. Ainsi, je suis le garant naturel de vos droits respectifs ; et tous les ordres de l’Etat peuvent se reposer sur mon équitable impartialité. Toute défiance de votre part serait une grande injustice. C’est moi, jusqu’à présent, qui fais tout le bonheur de mes peuples ; et il est rare peut-être que l’unique ambition d’un souverain soit d’obtenir de ses sujets qu’ils s’entendent enfin pour accepter ses bienfaits. Je vous ordonne, Messieurs, de vous séparer tout de suite, et de vous rendre demain matin chacun dans les Chambres affectées à votre ordre, pour y reprendre vos séances. J’ordonne, en conséquence, au grand-maître des cérémonies de faire préparer les salles. Après le départ du Roi, les députés de la noblesse et une partie de ceux du clergé se retirent, tous les membres de l’Assemblée nationale et plusieurs curés restent immobiles à leur place. M. le comte de Mirabeau, élevant Ja voix le premier dit, (1) : J’avoue que ce que vous venez d’entendre pourrait être le salut de la patrie si les présents du despotisme n’étaient pas toujours dangereux. Quelle est cette insultante dictature? l’appareil des armes, la violation du temple national, pour vous commander d’être heureux? Qui vous fait ce commandement? Votre mandataire. Qui vous donne des lois impérieuses ? Votre mandataire, lui qui doit les recevoir de vous, de nous, Messieurs, qui sommes revêtus d’un sacerdoce politique et inviolable ; de nous enfin, de qui seuls vingt-cinq millions d’hommes attendent un bonheur certain, parce qu’il doit être consenti, donné et reçu par tous. Mais la liberté de vos délibérations est enchaînée, une force militaire environne l’Assemblée. Où sont les ennemis de la nation? Catilina est-il à nos portes? Je demande qu’en vous couvrant de votre dignité, de votre puissance législative, vous vous renfermiez dans la religion de votre serment -, il ne nous permet de nous séparer qu’après avoir fait la constitution. Quelque temps après, le marquis de Brézé s’approche du président, et dit : Messieurs, vous avez entendu les intentions du Roi. » M. ïe comte de Mirabeau se lève avec le ton et les gestes de l’indignation, et répond ainsi : Oui, Monsieur, nous avons entendu les intentions qu’on a suggérées au Roi ; et vous, qui ne sauriez être son organe auprès des Etats généraux ; vous, qui n’avez ici ni place, ni droit de parler, vous n’êtes pas fait pour nous rappeler son discours. Cependant, pour éviter tout équivoque et tout délai, je déclare que si l’on vous a chargé de nous faire sortir d’ici, vous devez demander des ordres pour employer la force ; car (1) Le discours de M. le comte de Mirabeau n’a pas été inséré au Moniteur, nous ne quitterons nos places que par la puissance des baïonnettes (1), D’une voix unanime les députés se sont écriés: Tel est le vœu de l’Assemblée. Le grand-maître des cérémonies se retire. Un morne silence règne dans l’Assemblée. M. Camus. Le pouvoir des députés composant cette Assemblée est reconnu ; il est reconnu aussi qu’une nation libre ne peut être imposée sans son consentement. Vous avez donc fait ce que vous deviez faire: si, dès nos premiers pas, nous sommes arrêtés, que sera-ce pour l’avenir! Nous devons persister, sans aucune réserve, dans tous nos précédents arrêtés. M. Barnave. Votre démarche dépend dq votre situation ; vos arrêtés dépendent de vous seuls. Vous avez déclaré ce que vous êtes ; vous n’avez pas besoin de sanction : l’octroi de l’imJ t pôt dépend de vous seuls. Envoyés par la nation* organes denses volontés pour faire une constitut tion, vous êtes obligés de demeurer assemblés aussi longtemps que vous le croirez nécessaire à l’intérêt de vos commettants. Il est de votre dignité de persister dans le titre d 'Assemblée nationale. M. Gleizen, député de Rennes, ayant parlé des applaudissements indiscrets de cpielques membres des deux premiers ordres, ajoute : Le pouvoir absolu est dans la bouche du meilleur des Rois, dans la bouche d’un souverain qui reconnaît que le peuple doit faire ses lois. C’est un lit de justice tenu dans une Assemblée nationale: c’est un souverain qui parle en maître, quand il devrait consulter. Que les aristocrates triomphent; iis n’ont qu’un jour : le prince sera bientôt éclairé. La grandeur de notre courage égalera la grandeur des circonstances. Il faut mourir pour la patrie. Vous avez pris, Messieurs, des délibérations sages : un coup d’autorité ne doit pas vous effrayer. M. l’Abbé Sieyès. Messieurs, nous sommes aujourd’hui ce que nous étions hier. Délibérons. MM. Pétion de Villeneuve, Buzot, Garat l’aîné et l'abbé Grégoire appuient avec énergie le parti proposé. ! M. l’nbbé Siéyès (2). Messieurs, quelque orageuses que paraissent les circonstances, nous avons toujours une lumière pour nous guider: Demandons-nous quels pouvoirs nous exer-i çons et quelle mission nous réunit ici de tous les points de la France. Ne sommes-nous que des mandataires, des officiers du Roi? nous devons obéir et nous retirer. Mais, sommes-nous les envoyés du peuple, remplissons notre mission, librement, courageusement. Est-il un seul d’entre nous qui voulût abjurer la haute confiance dont il est revêtu et retourner vers ses commettants, leur dire : j’ai eu peur, vous aviez remis dans de trop faibles mains les destinées de la France ; envoyez à ma place un homme plus digne de vous représenter ? (1) Le recueil des discours de Mirabeau, publié par M. Barthe donne la variante suivante : « Allez dire à votre maître que nous sommes ici par la puissance du peuple et qu’on ne nous en arrachera que par la force des baïonnettes. » (2) Le discours de M, Sieyès n’a pas été inséré au Moniteur,