530 [Convention nationale,] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. ( \‘r 'jianv?c*'Î794 Les jeunes citoyennes de la commune d’Os-sages, district de Dax, département des Landes, gui, au mois de mai dernier, s’armèrent et marchèrent avec les hommes pour apaiser les troubles qui s’étaient élevés, écrivent qu’elles ont, le 30 frimaire, planté l’arbre de la liberté. Mention honorable, insertion au « Bulle¬ tin » (1). Suit la lettre des citoyennes de la commune d’Ossages (2). Au citoyen Président de la Convention nationale. « Ossages,le 30 frimaire, l'an II delà Répu¬ blique française, une et indivisible. « Citoyen Président, « Lès jeunes citoyennes de la commune d’Ossages, canton de Pouillon, district de Dax, département des Landes, portées par leur patriotisme, voulant seconder leurs vues pour la cause publique, en fraternisant dans leurs opérations, ont ce jour 30 frimaire, porté leur valeur en plantant l’arbre social. Ces citoyennes inestimables font retentir dans les communes voisines leur courage puisque dans les alertes et soulèvement dans ledit département, le 2 et le 4 mai dernier, elles s’armèrent avec les citoyens de cette commune et marchèrent en foule pour combattre l’ennemi. A ces exemples courageux, citoyen Président, vous voudrez bien leur accorder la grâce d’être admises sur les nouvelles comme ayant bien mérité de la patrie, et qu’il soit par vous ordonné que cet exemple soit inscrit, par les nouvellistes de la capitale de la République. « Salut, Union et fraternité. « Au nom des citoyennes de la commune d'Ossages, « Antoine Tuquot. secrétaire greffier de la municipalité. » Le représentant dn peuple Lecarpentier écrit de Saint-Malo, le 5 nivôse, qu’en attendant l’arrivée des Anglais qui ne paraît pas pro¬ chaine, il travaille à épurer les autorités consti¬ tuées et à éplucher les marchands. Il a fait une proclamation dans laquelle il rappelle les pre¬ miers principes que la nature a gravés dans le cæur de chaque homme, et dont les prêtres ont su anéantir ou du moins altérer les caractères sacrés, dans les départements de la Manche et d’Ille-et-Vilaine. H s’en promet les plus heureux effets. Insertion au « Bulletin » (3). Suit la lettre de Le Carpentier (4). Jean-Baptiste Le Carpentier, représentant du peuple dans les départements de la Manche et autres environnants, au Président de la Convention nationale. o Saint-Malo, le 5 nivôse l’an II de la Répu¬ blique. « Citoyen Président, « Depuis mon arrivée à Saint-Malo, je m’oc-(1) Procès-verbaux de la Convention, t. 28, p. 200. (2) Archives nationales, carlon C 289, dossier 890, pièce 10. (3) Procès-verbaux de la Convention, t. 28, p. 200. (4) Archives nationales, carton AFii 110, pla¬ quette 814, pièce 27. cupe de toutes les dispositions propres à la défense de cette place, et en attendant l’ arrivée des Anglais, qui ne paraît pas prochaine, je travaille à épurer les autorités constituées et à éplucher les marchands. J’ai pensé aussi que le département d’Ille-et-Vilaine qui, sous les rapports philosophiques est encore de Paris à une distance morale bien plus grande que l’étendue des degrés astronomiques qui distin¬ guent ces deux contrées, avait besoin de con¬ naître généralement les premiers principes que la nature avait gravés dans le cœur de chaque homme et dont les prêtres ont su anéantir ou du moins altérer les sacrés caractères. J’ai fait en conséquence la proclamation ci-jointe : elle contient un résumé du code naturel et poli¬ tique où les développements sont proportionnés à la moralité locale pour être mieux saisis. Je pense donc qu’elle produira son effet dans les départements de la Manche et d’Ille-et-Vilaine. Quant à la Convention nationale, il suffit d’avoir combattu le fanatisme et l’athéisme pour compter sur son approbation. o C’est bien ici l’occasion, citoyen Président, de te transmettre l’acte de déprêtrise du citoyen Charles Caron, curé de Paramé, bourg voisin de Saint-Malo : déjà ministre de la nature, il ne veut plus l’être de la superstition, et il redevient tout à fait homme. Un autre patriote, ci-devant prêtre, va s’enrôler dans les hussards : à l’entendre parler le langage du père Duchesue on ne soupçonnerait pas qu’il eût jamais dit son bréviaire. Plusieurs autres prêtres dans le département de la Manche, ont aussi donné le signal; sans doute qu’ils seront compris et imités par beaucoup de leurs ci-devant con¬ frères. C’est un excellent moyen, avec la célé¬ bration de la décade, pour faire tomber par morceaux et sans secousse le squelette sacer¬ dotal. « Je te donne encore avis, citoyen Président, qu’un saint vient d’être chassé de l’endroit d’où je t’écris. Il ne restera plus à Saint-Malo que le nom distinctif de son port, nécessaire à ses relations commerciales et nul pour ses relations spirituelles. Le conseil général de la commune va m’apporter son nouvel extrait de baptême que je soumettrai de suite à la Convention nationale pour qu’elle veuille bien le ratifier. « 11 ne paraît pas que nous ayons de sitôt le plaisir de battre ici l’Anglais; mais nous nous tenons en garde contre les derniers brigands qui, poursuivis par nos armées, paraissent se rapprocher de Rennes et pourraient bien, après avoir tourné, ou vainement attaqué cette ville, tenter un coup de main sur Saint-Malo : mais nous nous souvenons tous de Gran¬ ville. « Salut et fraternité. « Le Carpentier. » Proclamation (1). Jean-Baptiste Le Carpentier, représentant du peuple dans le département de la Manche et autres environnants, aux citoyens des dépar¬ tements de la Manche et de l’Êle-et-Vilaine. Enfants de la même patrie, vous l’êtes aussi du même créateur, et ce créateur suprême est (1) Archives nationales, carton AF“ 110, pla¬ quette 814, pièce 32. [Convention nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 1 Y "lvôs.e a" “ §31 * ■ ■ j( !«>■ janvier 1 jy4 le père universel de la nature. Tous les hommes, nés frères, doivent vivre en amis; mais les tyrans, qui n’appartiennent point à l’espèce humaine, ont su, tantôt armer les peuples les uns contre les autres, et tantôt, ce qui est le comble de leur perfidie, diviser les nations elles-mêmes, pour mieux les asservir. Les tyrans, citoyens, il en est de plus d’une sorte; l’univers n’a pas moins gémi sous le joug des prêtres que sous le sceptre des rois. D’où vient donc cette double nomination? •Quelle est la source de cet esclavage physique et moral? Demandez-le aux prêtre comme aux rois; et, confondus par votre raison, ils se tairont, ou seront forcés de vous répondre ainsi : « Peuples, si nous sommes vos maîtres, c’est •que nous avons abusé de votre confiance et de votre crédulité. Dans le principe, un homme était plus fort ou plus adroit qu’un autre, vous en fîtes un chef, et il devint bientôt tyran ! Vous aviez peur des vents, de la grêle, du tonnerre, dont vous ignoriez les causes; vous élevâtes un autel, un de vos semblables osa se placer entre vous et la divinité, et vous devîntes les esclaves d’un mortel, au nom d’un dieu que vous ne pouviez comprendre, et qu’il ne con¬ naissait pas lui-même. » Voilà, citoyens, voilà l’origine sacrée des monarques et des pontifes. Que dis-je? sacrée 1 disons plutôt impie, attentatoire à la nature, car le ciel, en créant les hommes, les avait doués de la raison et de la liberté. C’était à la France, premier foyer de lumière et principal théâtre des excès de la cour et de l’église, qu’il appartenait de donner le signal de la régénération humaine. Le trône est tombé avec le tyran; le sanctuaire est dégagé de sa profane opulence; mais, il faut le dire, la Répu¬ blique française n’est pas encore arrivée au niveau parfait de la dignité d’un peuple libre; à la dignité des moeurs. En effet, citoyens, un peuple n’est pas véri¬ tablement régénéré, ou, oe qui est la même chose, un peuple n’est pas [sur, ni digne de rester libre, tant que la raison est encore altérée, et sa moralité oomprise ; tant qu’il existe enoore, au sein de l’Etat quelques-uns de ces dange¬ reux éléments qui, après avoir suivi le mouve¬ ment de la Révolution, dont ils ont été l’un des mobiles, à la vérité, mais non pas une portion intégrante et nécessaire, ont transmis et entretiennent, dans le régime nouveau, une partie des abus qui, tous ensemble, composaient les vices de l’ancien. La régénération d’un empire est comme la fonte d’un métal : le moindre alliage suffit pour gâter l’ouvrage tout entier; la raison et l’erreur ne peuvent subsister ensemble, et l’erreur doit disparaître enfin devant la raison. Loin de nous cependant ce système désorga-nisateur qui, confondant l’Etre suprême avec l’homme, et oubliant le plus grand de ses bienfaits la liberté, prétend nier l’existence d’un Dieu, et s’obstine à renverser toute idée de religion. Ce délire du philosophisme est ,un grand acte d’imprudence ou de perfidie; car il peut, par un excès contraire à celui de la supers¬ tition, produire les mêmes maux, à l’outrage des lois et au détriment de l’ordre public. Certes, telle n’est point la doctrine que je viens publier ici. Représentant du peuple il no m’appartient point et il n’est pas plus de mon désir que de mon devoir de substituer aucun système à la volonté des lois et à l’évidence des principes. Tel n’est pas non plus l’esprit de la Convention nationale. La constitution, proclamée sons les auspices de l’Etre suprême, est un gage de son respect pour l’auteur de la nature, tous ses décrets en sont des garants, et la sublime réponse au manifeste des lois liguées en contient encore une preuve récente. Les opinions religieuses et tous les cultes sont libres; ils doivent l’être et ils le sont, au grand dépit des partisans de la Vendée. Quel est donc, citoyens, le but de cette proclamation? Le voici ; c’est de combattre à la fois l’athéisme et le fanatisme. L’un ravale les hommes, l’autre les égare; tous deux sont des fléaux politiques. Ainsi ne les croyez pas, ceux qui vous disaient en mêmes termes ou dans le même sens : tout a changé depuis la dévolution, il rt’y a plus de Dieu, et il ne doit plus y en avoir, ou bien, jamais il n’en a existé. Montrez-leur le spectacle de la nature et l’attitude d’un homme libre : voilà votre réponse. Ne les croyez pas non plus ceux qui auraient l’impudeur de vous répéter et voudraient vous persuader encore, non pas qu’il n’existe point de Dieu, mais qu’il y en a trois et qu’üs se nomment de telle ou telle manière... Qu’im¬ porte aux hommes le nom de la divinité? Que fait à la divinité le nom sous lequel on la reconnaît, pourvu qu’on l’adore? Et comment peut-on mieux l’adorer qu’en chérissant son semblable et les lois de son pays ? La voilà, citoyens, la véritable morale,, voilà l’essence de toute religion; voilà ce qui rend aussi impie qu’exécrable cette Vendée, dont les membres épars et les derniers soupirs vont enfin servir d’hommage expiatoire au dieu dont elle aurait deshonoré le nom, si jamais la divinité pouvait être complice des crimes et des fureurs des hommes. Ohéris ton semblable et les lois de ton pays! O Français, Français devenus libres ! telle est, on ne saurait trop vous le répéter, la base de votre constitution et du culte universel ! Tout ce qui est contraire, opposé même à ce saint précepte de l’humanité, est imposture, audace et crime. Aimez votre patrie, et vous adorez Dieu; chérissez la liberté, vous lui rendez hommage; vengez la liberté, vous lui offrez un sacrifice. Surtout de la tolérance et de la raison-La tolérance sait souffrir tous les cultes, la raison les apprécie. Consultez ces deux ministres des hommes policés, ceux-là seuls ne vous trom¬ peront pas. Par là vous saurez distinguer Dieu d’avec les hommes, vous serez convaincus que s’ils n’ont pu exister sans auteur, leur auteur peut exister sans eux; qu’il ne reconnaît pas de créature intermédiaire, et que la véritable impiété n’est autre chose q.ue l'aristocratie, le royalisme et le fanatisme; vous nourrirez vos esprits, selon leurs besoins naturels de l’idée sublime et juste d’un Etre suprême qui protège les bons et punit toujours les méchants, de cette idée bienfaisante qui, dégagée de tout mélange impur, élève, agrandit et soutient les belles âmes, en leur ouvrant la carrière de l’immortalité; vous réunirez en un mot le patriotisme, la piété, la raison, en ne plaçant que la justice entrerle ciel et vous, et en voyant toujours la loi entre vous et la liberté. Le Cabpentieb. 532 [Convention nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. S Nota. — D’après le développement de ces principes, dont le seul but et la conséquence nécessaire sont de convaincre enfin la masse de nos concitoyens, et spécialement les habi¬ tants des campagnes, qu’ils ne doivent consi¬ dérer les ministres de tous les cultes, que comme leurs semblables en tous points; nous invitons à leur tour, ceux de ces derniers qui sont de véritables amis de la patrie, à ne plus se consi¬ dérer eux-mêmes que comme de simples hommes, et à préférer à tout le nom de citoyen, devant lequel tous les titres antinaturels ne peuvent pas plus tenir que l’ombre devant la lumière. Nous faisons plus, nous les invitons encore à seconder la saine philosophie dans l’établissement de la morale publique, qui affermira de plus en plus la liberté, dont le triomphe doit assurer le bonheur de tous, sans qu’aucun individu lui soit nécessaire. En rappelant aux citoyens des départements d’Ille-et-Vilaine et de la Manche une occasion ue la loi avait déjà indiquée : la célébration e la décade, nous offrons au patriotisme de tous un sujet agréable et utile, et nous avons lieu d’espérer de la moralité des vainqueurs ou des ennemis de la Vendée, l’entier succès de l’arrêté suivant : ARRÊTÉ. Nous, représentant du peuple, délégué par la Convention nationale dans le département de la Manche et autres environnants; Considérant que le vœu de la loi et les progrès de la régénération morale commandent l’anéan¬ tissement de toutes espèces de traces de l’an¬ cien régime, contraires aux institutions répu¬ blicaines ; Considérant, en outre, que l’ancienne manière de compter les années, les mois et les jours est supprimée de droit par l’établissement de l’ère de la République, et que cependant la pre¬ mière habitude conserve encore une influence que le génie de la liberté réprouve; Considérant enfin que c’est principalement à l’unité et à la dignité des mœurs publiques qu’il appartient de consolider l’unité et la dignité des gouvernements; que tous les Fran¬ çais, vivant sous les mêmes lois, doivent s’accoutumer aux mêmes habitudes, et qu’il est d’une grande nation, de ne reconnaître de culte dominant que celui de la loi, de réunions nécessaires que celles qui ont pour but l’intérêt de tous, et de temple universel que celui où président la raison, le patriotisme et la fra¬ ternité; Avons arrêté ce qui suit : Art. 1er. « Désormais, dans tous les districts des départements de l’Ille-et-Vilaine et de la Manche, chaque décadi sera réputé jour de repos, sans qu’il puisse et doive être empêché de travailler pendant ce jour-là, comme pen¬ dant tout autre. Art. 2. « Tous les bons citoyens, et principalement les Sociétés patriotiques, sont invités à con¬ courir, par leur présence, à la célébration de la décade, à laquelle il sera procédé de la manière suivante : Art. 3. # Chaque jour de décadi, les maire et officiers municipaux de chaque commune des dépar¬ tements ci-dessus dénommés, se rendront on écharpe dans l’un des temples destinés aux cultes, s’il n’y a pas de lieu plus vaste et plus commode; et là, l’un d’eux prononcera un discours patriotique et moral, après lequel il sera donné lecture, ou fait une analyse des décrets rendus pendant le cours de la décade précédente. Il sera également donné connaissance aux citoyens réunis, des belles actions qui auront pu illustrer le même espace de temps ; et des chants civiques termineront cette assemblée. Art. 4. « Attendu que les temples ou églises ne seront point ce jour-là spécialement destinés aux cultes religieux, mais à une réunion civile et commune, la pique, surmontée du bonnet, et l’étendard tricolore seront les seuls emblèmes dominants pendant la durée de ladite assemblée. Art. 5. « Toute personne qui, de quelque manière que ce soit, tendrait à empêcher ou à troubler la célébration de la décade, sera regardée comme suspecte et traitée comme telle. Art. 6. « Chargeons, sous leur responsabilité les commandants de la force armée, ainsi que les municipalités, de se concerter ensemble pour le maintien de la paix et de la dignité qui con¬ viennent à une assemblée de citoyens réunis pour s’instruire des lois de leur pays. Art. 7. « Les corps administratifs sont chargés de veiller à l’exécution du présent, dont copie imprimée, ainsi que de la proclamation jointe, sera envoyée à chaque municipalité des dépar¬ tements de rHle-et-Vilaine et de la Manche, et à la Convention nationale. » A Port-Malo, le 5a jour de nivôse, l’an II de la République une et indivisible. Le Carpentier. Acte de renonciation (1) Je soussigné, Charles Caron, curé de Paramé, district de Saint-Malo, département d’Ille-et-Vilaine, et marié depuis dix mois environ, dé¬ clare qu’ après avoir fait depuis les premiers ins¬ tants de la Révolution tout ce que la raison et l’amour de la patrie pouvaient me prescrire, je orois ne pouvoir mieux achever de prouver la philosophie de mes principes et mon zèle à con¬ tribuer à la paix publique qu’en renonçant à toutes fonctions de prêtre; et de fait j’y renonoe de tout mon cœur, et j’attends que la voix de la patrie m’appelle à des fonctions plus utiles. Caron, ci-devant curé de Paramé. Saint-Malo, 1er nivôse, l’an II de la Répu¬ blique. (1) Archives nationales, carton AEn 110, pla¬ quette 814, pièce 9.