55 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [lâ mars 1791.] sace, sous la condition de la transmission à ses héritiers, même femelles, il a pu récompenser les signalés services de son cousin par le don d'une porüon de province conquise par Louis XIII. Je crois avoir prouvé que les lettres patentes de 1648 sont inattaquables; si elles le sont, i’ar-rière-petit-fils du Grand Coudé a pu échanger avec le roi les propriétés que ces lettres patentes lui avaient transmises. Il reste à examiner si l’échange est revêtu des formalités qui le rendaient valable. J’avoue que, sur ce point, le comité ne nous présente aucune lumière. Il est parti du principe que la donation exprimée dans les lettres patentes de 1648, enregistrées en 1661, était contraire aux lois de l’inaliénabilité du domaine. Je crois avoir prouvé, par la teneur des lettres patentes mêmes, et par leur enregistrement sans oppositions, que le principe ne peut s’appliquer à la question du Clermontois. Je me résume; d’après les principes de sagesse et de justice qui vous ont déterminés à maintenir M. d’Orléans dans la possession du Pa-lais-Royul, parce que la donation que Louis XIV en avait faite à Philippe, duc d’Orléans, est 1e-vêtue des formes qui en constataient la légalité. Je propose de décréter : 1° que la donation faite par le roi Louis XIV, de l'avis de la reine régente et du conseil où était M. le duc d’Orléans , et autres grands et notables personnages , en décembre 1648, des comtés, terres et seigneuries de Stenay, Dun, Jametz, Clermont enArgonne, et des domaines et prévôté de Varennes et de Monti-gnons, leurs appartenances et dépendances, composant ce qu’on appelle aujourd'hui le Clermontois, lesdites terres appartenant au roi, au moyen de la cession, démission et transport faits par le duc Charles de Lorraine, est et demeure confirmée; 2° Que le contrat d’échange passé au nom du roi entre ses commissaires et Louis-Joseph de Bourbon, prince de Coudé, le 15 février 1784, est renvoyé à l’examen du comité des domaines, à l’effet de constater si cet échange est ou non revêtu des formes légales, pour ensuite en être fait rapport. M. de Hoaïlles, président, quitte le fauteuil. M. de Menou, ex-président , le remplace. M. Bengy de Puy vallée. Messieurs, quelque intérêt qu’inspire une question qui repose tout à la fois sur les monuments les plus curieux de l’histoire du dernier siècle, et sur les opérations les plus compliquées de la politique, je ne puis me dissimuler la défaveur qui m’environne, au moment où je me présente pour effacer l’impression qu’à dû produire sur vous le rapport aussi instructif qu’intéressant qui vient de vous être fait; mais assuré que c’est du développement des principes et du choc des opinions que doivent sortir la vérité que vous voulez connaître et la justice que vous voulez rendre, •malgré la difficulté des circonstances, j’entreprends de combattre l’opinion de vos comités réunis, de contester les assertions articulées par M. le rapporteur, et de vous présenter un nouvel ordre ne preuves qui ramène la question à son véritable point de vue. Je ne rappellerai point, Messieurs, à l’appui des hases sur lesquelles je fonde mon op.nion : les services importants rendus à l’Etat par le Grand Condé, et les actions mémorables qui ont immortalisé son nom. Ce n’est point sa personne, mais la propriété qu’il a transmise à ses enfants que vous avez à juger, et, pour écarter toute espèce d’illudon, j’appuierai mes moyens précisément sur l’époque de sa vie qui a été le scandale de son siècle et qui a mérité à juste titre la censure de la postérité. M. le rapporteur a distingué deux époques, et a divisé son rapport en deux parties : dans la première, il a discuté les bases sur lesquelles repose la propriété du Clermontois ; dans la seconde, il a examiné la nature du contrat d’échange passé en 1784 entre le roi et M. le prince de Condé. Je me bornerai, pour le moment, à combattre la première partie du rapport, parce que la discussion et la décision de la seconde partie dépendent absolument du jugement que vous allez porter sur fa validité ou l’insuffisance des titres qui établissent la propriété du Gler-montois. Vous vous rappelez, Messieurs, que la première fois que cette question importante a été mise sous vos yeux, votre comité des domaines exprima le vœu formel d’annuler la concession faite à la maison de Condé. Mais frappés des objections qu’on éleva contre celte opinion, et surtout des moyens qui vous furent présentés avec autant d’intérêt que d’énergie, vous fûtes entraînés par un mouvement involontaire qui fut pour ainsi dire le premier cri de la justice ; séduits par la force des raisonnements, vous désirâtes être convaincus par l’authenticité des preuves et par la certitude des faits. Vous ordonnâtes un nouvel examen. Vos comités des domaines et diplomatique se sont efforcés de déchirer le voile qui enveloppait cette question. Ils l’ont embrassée sous tous ses rapports ; ils vous ont dit que, suivant les lois fondamentales du royaume, le domaine de la couronne est inaliénable; que les rois n’en ont été, jusqu’ici, que de simples administrateurs; que, par aucun litre et sous aucun préiexte, ils n’ont jamais pu disposer de la plus petite portion du domaine en faveur de leurs sujets, d’où il résulte que toute donation ou concession faite à perpétuité, à temps ou à vie, sont frappées d’un vice radical, et sujettes à révocation ; après avoir établi des principes dont je reconnais toute l’authenticité, vos comités en ont fait l’application à l’espèce présente. Louis XIII, vous ont-ils dit, s’est emparé du Clermontois par la force des armes; ainsi, le premier de tous les droits, celui de la conquête, a imprimé à cette contrée le premier caractère de domanialité. Si, par ce traité passé à Li verdun en 1632, Louis XIII a consenti à garder Stenay et Jametz, pendant quatre arts seulement, et de ne conserver Clermont que sous la condition d’en payer la valeur au denier 50, par un autre traité postérieur, passé à Paris en 1641, le Clermontois et ses dépendances ont été cédés à la France. La réunion à la couronne s’est irrévocablement opérée, et par la disposition précise du traité de 1641, et par la mort de Louis XIII qui a transmis cette possession à son fils comme une propriété vraiment domaniale. Le traité passé à Guémine en 1644, dont se sont prévalus les adversaires du système des comités, ce traité qui semble, par ses disp1 siiions, avoir formellement dérogé à la cession pure et simple faite par le traité de 1641, n’est, suivant vos comités, qu’un simple projet, un acte illégal, irrégulier dans la forme, vicieux quant au fond, parce qu’il n’a point été 56 {Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [12 mars 1791.) ratifié, et qu’il n’a jamais élé mis à exécution. Louis XIV et la reine sa mère, régente du royaume, ont excédé leur pouvoir en donnant au Grand Gondé, en 1648, le Glermontois qui était alors une partie intégrante du domaine de l’Etat ; aucune considération, quelque inférieure qu’elle fût, n’a pu légitimer une infraction aussi formelle aux lois constitutives de la monarchie; d’où il résulte que cette donation, considérée tout à la fois comme une surprise faite à la religion d’un roi mineur, et comme l’effet d’une intrigue de cour, porte avec elle un caractère de réprobation. Enfin, le traité des Pyrénées, passé avec le roi d’Espagne en 1659, celui passé avec le duc de Lorraine en 1661, ne sont aux yeux de vos comités qu’une confirmation, une ratification du traité de 1641, et loin de porter aucune atteinte à la domanialité, et d’annuler les effets qu’elle a produits, ils ne servent au contraire qu’a en assurer l’existence et à en perpétuer la durée. Tels sont, Messieurs, les titres et tes raisonnements à l'appui desquels vos comités vous proposent d’annuler la donation de 1648 et de dépouiller une branche de la maison royale de la portion la plus considérable et la plus précieuse de son patrimoine. Pour traiter cette grande question avec toute l’importance qu’elle mérite, il est nécessaire de rapprocher les faits, d’analyser les titres et d’approfondir les principes. Afin de mettre dans cette discussion toute la méthode et la clarté qu’elle exige, je fixerai votre attention sur trois époques distinctes qui placeront très naturellement les faits dans l’ordre où ils doivent être présentés, et qui vous mettront à même de saisir successivement tous les rapports, et de peser avec maturité toutes les circonstances qui peuvent servir à éclairer votre justice et à déterminer votre opinion. Dans la première époque qui s’étend depuis 1632 jusqu’en 1648, je comprendrai les relations politiques qui se sont établies entre la France et la Lorraine, soit à raison de la guerre, soit à raison de différents traités, et je ferai voir les conséquences qui en ont résulté, relativement à la propriété du Glermontois. A la deuxième époque, c’est-à-dire depuis la donation faite en 1648 jusqu’au traité des Pyrénées en 1659, j’examinerai toutes les circonstances intéressantes qui ont précédé, accompagné et suivi la concession du Glermontois faite à la maison de Gondé. Enfin, à la troisième époque, depuis le traité des Pyrénées jusqu’à nos jours, je m’attacherai à vous prouver comment les intérêts de la maison de Gondé se trouvent intimement liés avec les conventions faites entre la France, l’Espagne et la Lorraine, et comment le traité des Pyrénées et celui de 1661 forment aujourd’hui le titre inattaquable de la propriété du Clerraontois. Mais, avant d’entrer en matière, je suis forcé de répondre à une assertion articulée par M. le rapporteur ; sur laquelle il a particulièrement fixé les regards de FAssemblée, et qu’il a présentée comme une considération importante qui répond sommairement à la plupart des objections qui ont été faites contre le système adopté par vos comités. M. le rapporteur a prétendu que la maison de Lorraine, aux droits de laquelle la France est aujourd’hui, aurait seule le droit de contester la tenue des traités qui ont réuni le Clermontois à la couronne : que les défenseurs de la maison de Condé sont sans intérêt comme sans qualité pour attaquer les clauses et les conditions de la réunion, parce qu’en voulant la combattre ils s’élèvent contre le seul titre qui serve de base à leur prétention. J’observerai d’abord qu’il doit paraître bien étrange, lorsque les comités invoquent les dispositions précises des traités pour dépouiller une branche de la maison royale d’une possession dont elle joint depuis 140 ans, qu’on veuille interdire à la maison de Condé la faculté d’analyser ces mêmes traités et de faire voir que, loin de porter aucune atteinte aux droits qu’elle réclame, ils en assurent et en constatent la légitimité. Certainement la raison et l’équité me disent que je peux tourner contre mon adversaire les armes dont il se sert pour me combattre. Je supplie en outre M. le rapporteur d’observer que les membres de cette Assemblée, qui se présentent aujourd’hui pour entrer en lice avec vos comités et pour combattre leurs principes ou leurs raisonnements, ne doivent point être considérés ni comme les agents ni comme les défenseurs de la maison de Gondé; ils paraissent à la tribune pour y remplir un ministère sacré, celui de juges intègres qui cherchent à s’instruire et à éclairer la religion de FAssemblée. Une question où la nation se trouve juge et partie doit être examinée sous tous ses rapports, avec l’impartialité scrupuleuse qui convient aux représentants d’un peuple libre. Sous quelque forme que la vérité se présente, elle a des droits à nos hommages; c’est au poids de l’équité qu’il faut peser les moyens de toutes les parties, parce que l’intérêt le plus pressant est celui d’être juste; et ce serait profaner le nom et la majesté de la nation que de vouloir soutenir ses intérêts aux dépens de la justice, et de lui dissimuler les raisons qui peuvent atténuer ou anéantir la nature des droits qu’on réclame en son nom. En un mot, je dirai que le premier caractère d’un rapporteur comme celui d’un juge, c’est d’être impassible comme la vérité dont il doit être l’organe. Je passe à l’examen des faits compris dans la première époque qui s’étend depuis 1632 jusqu’à 1648. Charles IV, duc de Lorraine, était un prince qui avec beaucoup de valeur et de grands talents, aurait fait fortune s’il fût né sans biens, mais qui ne sut jamais conserver ses Etats. Il passa toute sa vie, tantôt attaché au parti de la France, tantôt dévoué au parti de l’Espagne et de l’Empire : il fut successivement en guerre avec ou contre ces trois puissances, et, pour parler le langage do président Hainaut, il fut aussi léger avec ses alliés, qu’il était inconstant avec ses maîtresses. Il ne faut pas cependant perdre de vue que les Etats de Lorraine ne formaient qu’une puissance de troisième ordre : que le duc, sans cesse aux prises avec trois souverains formidables qui l’entouraient de toutes parts, était continuellement obligé de suppléer à la force par l’adresse. Au premier signal de guerre, il était forcé de recevoir la loi du vainqueur ou de la nécessité; souvent il était traité comme ennemi par ses propres alliés, qui l’ont quelquefois retenu prisonnier et qui ne lui rendaient à la paix qu’un pays dévasté ; on tenait garnison dans ses places, sous prétexte de le protéger; on ne lui laissait dans ses Etats qu’une souveraineté imaginaire, et, dans tous ces démêlés politiques, la raison était toujours du côté du plus fort. Charles, en 1632, possédait encore la totalité 57 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [12 mars 1791.] de ses Etats. Cette époque est bien importante à remarquer, parce que c’est celle où la France est entrée en possession du Clermontois. Louis XIII, mécontent des liaisons du duc Charles avec le duc d’Orléans, pour en arrêter les suites, fit entrer une armée dans la Lorraine et s’empara, en 1632, de quelques places frontières. M. le rapporteur en a infère que le droit de conquête avait imprimé sur le Clermontois un premier caractère de domanialité; il me semble qu’il a confondu, dans le droit de conquête, deux choses qu’il faut distinguer avec soin, la possession et la propriété. Le vainqueur acquiert par la force de ses armes la possession du pays dont il s’est emparé, il peut y lever des contributions, y percevoir des impôts, nommer ou confirmer les magistrats, enfin exercer les droits de la souveraineté; mais ce n'est qu’à la fin de la guerre, par une cession volontaire, par un traité définitif, qu’il réunit la propriété à la possession, parce que, d’après tous les principes du droit naturel et du droit des gens, la force n’établit jamais un droit. Un pays, dit un célèbre publiciste, n’est pas censé appartenir au vainqueur qui l’occupe. Pour se prévaloir d’one pareille possession, il faut qu’elle devienne légitime et durable. Mais à quoi bon, Messieurs, discuter le point de droit, lorsque le fait est clair et positif. Louis XIII ne s’est point emparé du Clermontois par la force des armes, cette possession n’a jamais fait partie de ses conquêtes. L’histoire de ce temps nous apprend que le roi s’empara seulement de Pont-à-Mousson, de Bar-le-Duc et de Saint-Mihiel; si l’on refusait de me croire sur la foi des historiens contemporains, j’invoquerais, comme un témoignage irréfragable le traité de Liverdun, passé en 1632, il y est dit expressément : 1° Que le roi restituera au duc les villes de Bar, de Pont-à-Mousson et de Saint-Mihiel qu’il avait conquises ; 2° Que le duc déposera dans 9 jours entre les mains du roi, les villes et citadelles de Stenay et Jametz, pour les garder pendant 4 ans seulement ; 3° Que le duc remettra également dans trois jours les ville et forteresse de Clermont qui demeureront au roi en pleine propriété, à condition d’en payer la valeur au denier cinquante. 11 résulte bien clairement du traité de Liverdun, dont personne ne conteste l’authenticité, que Louis XIII ne s’était emparé en 1632 que des places de Pont-à-Mousson, Bar-le-Duc et Saint-Mihiel, que les villes de Clermont, Stenay et Jametz n’avaient point été l’objet de ses conquêtes, qu’elles étaient entre les mains du duc de Lorraine, puisqu’il s’obligea par le traité de les rendre au roi dans un terme indiqué, et comme la possession de la France n’a point été interrompue depuis 1632, il s’en suit bien évidemment que les droits de la France sur le Clermontois n’ont point pour source et pour origine le droit de conquête ; ainsi, parmi les titres sur lesquels vos comités appuient leur système, il faut commencer, d’abord, par rayer le droit de conquête. Ce ne fut qu’un an après le traité de Liverdun, c’est-à-dire en 1633, que Louis XIII fit la conquête de toute la Lorraine, mais à cette époque; le Clermontois, Jametz et Stenay avaient déjà été mis en séquestre entre les mains du roi, eu exécution du traité de Liverdun. Depuis l’année 1634, jusqu’en 1641, le duc Charles, dépouillé de ses tats, suivit constamment le parti des ennemis de la France. It ne fut plus duc de Lorraine que de nom. Aussi la même année 1634, il se démit de ses Etats en faveur du prince Nicolas-François de Lorraine. Je vous prie, Messieurs, de ne pas perdre de vue cette particularité ; le duc Charles, par une suite de la légèreté de son caractère, fit depuis les plus grands efforts, à plusieurs reprises, pour conquérir la Lorraine qu’il avait cédée à son frère. Le cardinal de Richelieu essaya plusieurs fois de le détacher du parti de l’empereur. Au commencement de l’année 1641, il le fit de nouveau solliciter de faire sa paix avec la France. Duhaillier fut chargé de conduire cette intrigue ; pour y réussir, ou gagne la princesse de Gante-Croix, en lui promettant de faire approuver son mariage. Cette femme ambitieuse, qui brûlait du désir de régner, persuada au duc d’aller trouver le roi à Paris ; on lui présenta cette démarche hasardeuse comme un acte de franchise et de loyauté qui piquerait la générosité de Louis XIII. Charles, qui avait une grande idée de ses talents en politique, imagina qu’il tirerait un grand parti d’une négociation qu’il conduirait lui-même. Il demanda un passeport et se rendit à la cour. Il trouva dans le cardinal de Richelieu un homme encore plus adroit que lui. Il fut reçu avec tous les égards qui étaient dus à son rang, mais sous les dehors de la politesse on le retint prisonnier dans Paris ; Bouthillier, ministre de Louis XIII, fut chargé de présenter au duc les articles du traité de 1641 que le cardinal avait dressé sans l’avoir consulté. Charles parut indigné qu’on osât lui faire une pareille proposition; il repoussa avec fierté des conditions qu’il regardait comme déshonorantes et déclara qu’il n’achèterait jamais la paix à ce prix. Bouthillier porta l’audace j usqu’àlui dire que s’il prétendait faire le difficile, on trouverait bien moyen de l’amener à la raison. Le duc sentit alors l’imprudence qu’il avait commise en se livrant à la merci du cardinal ; il voulut avoir une conférence avec Richelieu qui lui demanda impérieusement la cession pure et simple de Clermont, Jametz et Stenay ; le duc, piqué de voir qu’on voulait ainsi le dépouiller, dit au cardinal avec humeur : Prenez donc encore le territoire de Dun qui pourrait également vous convenir. Il fut pris au mot et il fallut encore céder Dun avec toutes ses dépendances ; il ne put recouvrer sa liberté que par la signature du traité de Paris de 1641, par lequel on lui fit abandonner àla France, en pleine propriété, Clermont, Stenay, Jametz et Dnn. Avant son départ de Paris, on lui fit jurer à Saint-Germain l’exécution de ce traité. On exigea de lui un deuxième et un troisième serment à Bar-le-Duc, dans un moment où lps troupes de la France occupaient encore ses États; il jura tout ce qu’on voulut, tant qu’il ne fut pas libre. L’excès des précautions qu’on avait prises annonçait assez la violence qu’on lui avait faite ; dès qu’il fut en liberté, deux jours après sa dernière ratification à Bar-le-Duc, il protesta à Epinal contre le traité de Paris de 1641. Cette protestation du 28 avril fait une peinture affreuse du cardinal et des artifices qu’il mit en œuvre pour arracher au duc sa signature. Le prince Nicolas-François, son frère, auquel il avait cédé ses Etats en 1634, fit une protesta'ion à Vienne, le 29 septembre 1641, dans laquelle il inculpa la perfidie des ministres de France; il l’envoya à toutes les puissances de l’Europe et réclama leui assistance pour tirer vengeance d’un attentat commis contre le droit des gens. La princesse Nicole protesta de son côté. La cour souveraine de [Assemblée nationale,] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [12 mars 1791.] 58 Nancy déclara que le duc n’avait pu démembrer une portion de la Lorraine sans le consentement des Etats. Et, par arrêié du 19 septembre 1641, elle infirma le traité de Paris, les articles secrets, les acb s de ratification comme nuis et de nul effet. C’est ainsi que la France refusa de ratifier le traité de Madrid passé par François Ier pendant sa détention en Espagne. Telles sont, Messieurs, les circonstances dont on n’a pas cru devoir vous rendre compte et qui accompagnent le traité de 1641. Tel est ce titre authentique qu’on a osé invoquer comme ayant imprimé sur le Cleimontois un deuxième caractère de domanialité. J’en appelle maintenant à votre justice: en supposant que le duc Charles, qui a passé ce traité, lut véiitablement propriétaire delà Lorraine, en supposant qu’il n’ait pas existé des traités postérieurs qui aient dérogé au traité de 1641, je demande si, parmi les nations comme parmi les particuliers, l’injustice et la fraude peuvent jamais conférer un droit? Si l’on peut, aux yeux de la raison et de l’équité, se prévaloir d’un titre usurpé, d’une politique insidieuse, pour envahir la possession d’on tiers? Je demande si, dans un moment où vous voulez faire de la modération et de la justice la base de votre politique, on peut préconiser devant vous la force et la violence comme une maxime du droit ues gens? et, dans quelles circonstances, Messieurs, peut-on combattre avec plus d’avantage les écrivains politiques qui, dans ces rapports qui lient les nations, ne veulent compter pour rien l’honneur et la bonne foi, qui croient que l’art de gouverner n’est que Fart de l’intrigue et de la perfidie, et qui, séduits par des prestiges ou di s erreurs, méconnaissent les règles éternelles de l’ordre qui ont précédé toutes les conventions, et qui doivent à jamais en être les bases immuables. Mais poursuivons le récit des faits : Charles dissimula pendant quelque temps son ressentiment. Il méditait dans b-silence les moyens de tirer une vengeance éclatante de l’affront qu’on lui avait fait, lorsqu’il apprit que le cardinal de Richelieu voulait le faire arrêter; alors il se lia plus que jamuis avec les ennemis de la France ; il reprit les armes deux mois après la signature du traité de 1641, et, le 25 novembre 1643, il battit, à Tudlingen, l’armée française, et fit prisonniers les principaux officiers, il les traita avec toute sorte d’égards; alors il s’ouvrit entre eux et le duc des négociations pour la paix. Je ne combattrai point les détails historiques auxquels s’est livré M. le rapporteur sur le traité de 1644; la plupart me paraissent ou inexacts ou étrangers à la question. Je me permettrai seulement une observation. Lorsqu’il a été question du iraité de 1641 qui forme la base du système des comités, M. le rapporteurs écarté soigneusement tous les monuments de J’bistoire, même ies pièces authentiques qui caractérisent ce traité frauduleux; il s’en est tenu à la lettre du traite! Mais lorsqu’il s’agit du traité de 1644, qui, par ses dispositions précises, annule celui de 1641, alors il s’environne de tous les réers historiques qui peuvent déprimera vos yeux les conséquences décisives, qui doivent résulter du traité de 1644. 11 s’appuie, pour me servir de ses propres termes, des circonstances extérieures au traité, quoiqu’il reconnaisse lui-même que ce sont des indices toujoui sti ompeurs. J’ajouterai encore queVittorio Siri-où il ,a [misé, son récit, quoique suspect de prévention et de partialité, dit expressément qu’on proposa au duc de prendre pour base du nouvel accommodement le traité de Paris de 1641. Il répondit qu’il ne souscrirait jamais à un traité qui serait pour lui un monument éternel de honte et de déshonneur; il déclara que, quelque fut l’évént m< nt de la guerre s’il était réduit à la dure nécessité d’accepter de pareilles conditions, on pouvait le regarder comme infidèle et comme parjure, parce qu’il emploirait, dans quelque temps que ce fût, tous les moyens qui seraient en son pouvoir, pour rompre un engagement que la force et la violence lui avaient arraché. 11 exigea pour préliminaire qu’il ne fût pas même parlé, dans le nouveau traiié, de celui de 1641 qu’il regardait comme nul. Le même Vittorio Siri atteste encore que le duc prévint avec franchise et loyauté ceux qui étaient chargés de traiter avec lui de la part de la France, que Dom Francisco de Meslos le pressait vivement pour terminer avec lui. Je ue rapporte ces faits isolés, que pour faire voir que la défaveur qu’on a voulu jeter sur la conduite du duc de Lorraine pendant le cours de la négociation est dépourvu de fondement. Le fait est que Ja reine régente, au commencement d’une minorité qui pouvait devenir orageuse, avait intérêt de diminuer le nombre de ses ennemis et d’attirer le duc dans le parti de la France. Le fait est que Duplessis Besançon pa-sa,avec le duc de Lorraine, un traité à Guémine, le 24 juin 1644, par lequel le roi dérogea formellement au traité de 1641, et reconnut : 1° qu’il netenait la ville et le château de Clermont qu’eu dépôt seulement, à la charge de les rendre à la paix générale ; 2° qu’il garderait les villes et châteaux de Stenay et Jatuetz, à la charge de récompenser le duc, soit en argent, soit en terre à sa bienséance. M. le rapporteur, qui sent bien que celte pièce est concluante contre son système, n’a pas pu trouver d’expression pour qualifier cet acte. Il appelle un piège un simple projet, le principe et l’ébauche d’une convention. 11 aurait mieux fait de l’appeler un traité, parce qn’il en a tous h s caractères. Toutes les objections qu’il élève contre ce traité se réduisent à dire qu’il n’a pas été ratifié et qu’il n’a eu aucune exécution ; d’abord il n’en est pas moins une déclaration formelle, que Louis XIV ne tenait le Clermontois qu’en dépôt seulement. J’observe en outre que, parmi les traités qui lient les nations, il y en a plusieurs qui n’ont point été ratifiés et qui ne sont pas moins considérés comme des engagements solennels. Dans l’espèce présente, celui de 1641 que personne ne conteste, est du nombre de ceux qui n’on point été ratifiés. La plupart des publicistes, et notamment Grotius dans son Traité de la paix et de la guerre , soutiennent que le défaut de ratification n’emporte pas la nullité du Iraité, parce que les pleins pouvoirs, donnés au négociateur, en atie.-lant la confiance dont il est dépositaire, suffisent pour valider l’authenticité de l’engagement qu’il contracte, à moins que, par la loi constitutive de l’Etat, le droit de faire la paix et la guerre ne soit pas inhérent au prince qui a délivré les pleins pouvoirs Mais, pour juger de la validité d’un traité qui a ete passé a une époque éloignée, il faut distinguer si le traité a été passe entre une des parues contractantes qui a stipulé en son propre et privé nom, et un ministre qui a représenté l’autre partie; ou bien s’il a été passé seulement entre deux ministres. Dans le premier cas, c’est-à-dire si le traité est [Assemblée nationale. ARCHIVES PARLEMENTAIRES. |12 mars 1791.] passé par une des parties qui contracte et un mi-nisnequi rep éseute l'aube partie, alors la rad-iication n’est pas néct-ssai e. Une convemlm entre deux souverains doit être synallagmatique, l’un oe doit pas être plus engagé que l’au re. Le traité reçoit, p ir la signature d’une des parties contractantes, un caractère d’antlienticité qui lie les deux parties. S’il en était autrement, l’une se trouverait engagée par sa signature et l’autre serait maîtresse d’éluder son engage tient suivant les circonstances, ce qui serait contraire au droit naturel des gens. Dans le second cas, c’est-à-dire si le traité a été passé emredeux mini-tres, sms aucune ratification, pour savoir, au bout de 140 ans, si on doit considérer une convention entre deux puissances comme un simple projet ou comme un véritable traité, il faut examiner si cette convention est comprise au nombre des res ri t s diplomatiques qui forment leuroit public des deux nations, ou si elle est seulement indiquée par les mémoires du temps ou par les historiens des deux pays. Si le traité est compris au nombre des rescrits diplomatiques des deux nations, s’il fait partie de la collection des diplômes qui assurent les propriétés nationales, alors ce n’est plus un simple projet, c’est un traité qui doit être considéré comme une des lois politiques qui lient les deux nations et dont on ne peut révoquer en doute l'authenticité. Enfin, Messieurs, pour juger de la validité d’un traité, il est encore un autre moyen qui lève absolument toute incertitude, c’e.-t lorsque par des traités subséquents les deux puissances, ou une d’elles, ont interprété, exécuté ou annulé les clauses de ce traité, lorsque par des dispositions postérieures elles ont rappelé ce premier traité, alors il est démo tiré qu’on ne peut plus argumenter de la nullité des formes. Maintenant, si on applique au traité de 1644 les différentes règles que je viens d’établir, on verra que le défaut de ratification ne détruit point son authenticité. D’abord, le traité de 1644 a été passé avec une des parties contractantes, avec le duc de Lorraine en personne, qui l’a signé. D’après les principes que j’ai établis, sa signature a rendu l'engagement réciproque et assuré l’anthe iticité de l’acte. En second lieu, M. le rapporteur s’est grandement mépris lorsque, pour atténuer le' effets du traité de 1644, il a dit que Dom Galmet, dans sa volumineuse compilation de l 'Histoire de la Lorraine en 7 ou 8 volumes in-lolio, avait parlé de tout et n’avait pas dit un mot du traité de Guémine. Dom Galmet, dans la collection des preuves de l’ Histoire de la Lorraine qu’il avait puisées dans les archives de cette ancienne souveraineté , rapporte en entier, mut par mot (L Vil, p. 362), le traité de 1644, comme faisant partie ites rescrits diplomatiques de* la Lorraine. Ce même traité setrouve également compris dans la collection des diplômes de la France qui sont à la bibliothèque du roi, où je Fai vu : ainsi ce traité doit être considéré comme une loi politique qui lie les deux nations, et dont on ne peut révoquer en doute l’authenticité. Enfin, ce même traité a été reconnu et rappelé dans u i traité subséquent, par les deux puissances contractantes ; par l’article 65 du traité des Pyrénées, il e-t dit que le traité de Liverdun a été annulé par les traités subséquents. Or, les deux traités subséquents ont annulé le traité de Liverduu. Ainsi, puisque les puissances contractantes ont elles-mêmes reconnu l’existence et les elf es du traité de 1644, on ne peut plus contester son authenticité. Je p mrrais me borner à cette réponse pour réfuter l'objection par laquelle on a prétendu que le traité de 1644 n’avait pas été mis à exécution ; mais pour ne rien lais er à désirer, je vais suivre M. le rapporteur et tâcher de le réfuter. Pour vous prouver, Messieurs, que le traité de 1644 n’avait pas été mis à exécution, M. le rapporteur vous a dit que, avant, pendant et après les conférences, les hostilités n’avaient pas cessé, qu’on ne discontinua pas le siège de la forteresse delaM lhe, la seule place de tous les États du duc de Lorraine qui tenait encore pour lui, que nos troupes l’occupèrent le 7 juillet 1644, douze jours après le prétendu traité de Guémiue; ce sont ses propres expressions. M. le rapporteur a encore été induit dans une erreur bien grande par Vittorio Siri ou nar les autres historiens qu’il a consultés. La forteresse de la Mothe n’a été assiégée et n’a été conquise, par la France, que le 7 juillet 1645, un an après le traité de Guémine de 1644. Tout le monde sait que la bataille de Marien-dal a été perdue par le maréchal de Turenne le 5 mai 1645; le duc d’Enghie t, qui commandait en Champagne, accourut au secours de l’armée d’Allemaguo. Il joignit dans sa traversée le maréchal duVilleroi qui faisait alors le siège de la Mothe; il l’aida de ses troupes pour réduire cette forteresse; dès que le gouverneur eut capitulé, il joignit les débris de l’armée de Turenne. Tons ces faits qui sont intimement liés se sont passés en 1645 et non en 1644; Reboullet, le père Daniel, le président Hainaut en attestent l’anthenticité ; une autre preuve qui est absolument sans. réplique, c’est que le même historien de Lorraine, le père Galmet, dams la collection de preuves de son histoire, rapport1" en entier la capitulation de la garnison de la Mothe; qui est datée du 1er juillet 1615, un an après le traité de Guémine. Ainsi tontes les inductions qu’on a voulu tirer des faits historiques pour prouver que le traité de 1644 n’avait pas été exécuté sont absolument détruites, et il reste bien clairement démontré que cette pièce est un des actes diplomatiques qui forment le droit public et politique du royaume. Aveci’existence et l’authenticité du traité de 1644, s’évanouit le second caractère de domanialité qui, suivant M. le rapporteur, avait été imprimé sur le Clermontois parle traité frauduleux de 1641. Mais je vais encore plus loin et je suppose que le traité de Guémine de 1644 ne soit qu’un simple projet, qu’un acte informe. Je veux même qu’il n’ait jamais existé; je supp >se que le traité de 1611 ait éié l’ouvrage de la loyauté et de la bonne foi, comme il l’a été de l’artifice et de la violence, je n’en soutiens pas moins que la cession du Clermontois, faite au roi par le duc Charles, n’a jamais pu opérer la réunion de cette contrée à la couronne, et en faire une propriété vraiment domaniale. Pour prouver cette assertion, je suis forcé de remontera quelques détails historiques. Henri le bon, duc de Lorraine, prédécesseur de Charles IV, avait épousé en premières noces lu sœur du roi Henri IV ;il n’en eut point d’enfants. Il se maria en secondes noces avec Marguerite de Gonzagues dont il eut deux tilles, la princesse Ai o le et la princesse Claude. A la mort du duc Henri, la Lorraine devait tomber en quenouille. Les deux 60 (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [12 mars 1791.] princesses furent recherchées par les souverains les plus puissants de l’Europe qui désiraient pouvoir un jour réunir la Lorraine à leurs Etats; l’aînée fut promise à Henri IV pour le dauphin son fils, quoiqu’il ne fût alors âgé que de neuf ans. Henri le Bon avait un frère, le prince François de Vaudemont, qui avait deux enfants, Charles, depuis duc de Lorraine, et Nicolas-François. Le prince de Vaudemont représenta au duc Henri que, s’il mariait ses üi les à des princes étrangers, la maison de Lorraine cesserait d’être une des maisons souveraines de l’Europe; qu’il était de sa gloire comme de son honneur de transmettre ses Etats à des princes de son sang et que, pour réunir, par des liens indissolubles, l'intérêt de ses peuples avec celui de sa famille, il fallait qu’il donnât en mariage ses deux filles aux deux princes ses neveux; cette ouverture fut d’abord mal accueillie, mais après quelques débats le� duc Henri fit assembler les Etats de Lorraine à Nancy pour délibérer sur le mariage des deux princesses ses filles; il y fut résolu que la princesse Nicolle épouserait Charles, fils aîné du prince de Vaudemont; il fut stipulé par le contrat de mariage et par le testament du duc Henri que la souveraineté appartiendrait à la princesse Nicolle, et que, après la mort du duc Henri, les deux époux l’exerceraient indivisément; les Etats ratifièrent ces conventions. Après la mort du duc Henri, Charles et la princesse, son épouse, entrèrent, sans aucune opposition, en jouissance de la souveraineté de la Lorraine et en exercèrent tous les actes conjointement; les monnaies furent frappées de leurs effigies; on les nommait tous deux à la tête des arrêts, déclarations et ordonnances. Mais comme l’intérêt et des raisons d’Etat avaient eu plus de part à ce mariage que l’inclination, Charles n’étant plus retenu par la crainte de son beau-père, ennuyé de régner sous le nom d’autrui, traita sa belle-mère et la princesse Nicolle, sa femme, avec une indifférence qui paraissait aller quelquefois jusqu’au mépris; il s’empara exclusivement de l’exercice de la souveraineté; il fit plus : pour donner à son usurpation une apparence de justice, il supposa un testament du duc René, du 26 mai 1506, qu’il prétendit avoir été trouvé, en France, dans les archives de la maison de Guise, qui établissait la masculinité dans l’ordre de la succession à la souveraineté de la Lorraine. A l’appui de cette pièce fabriquée, il fit reconnaître son père, le prince de Vaudemont, duc de Lorraine, pour 24 heures seulement; il reprit bien vite les rênes du gouvernement, et exerça, sans le concours de son père ni de sa femme, tous les droits de la souveraineté : il se remaria avec la princesse de Cante-Croix, du vivant de la princesse Nicolle, sa femme, et, par une autre inconséquence, il céda, en 1634, ses Etats au prince Nicolas-François de Lorraine, son frère. Il est vrai qu’il ne lui fit pas un grand présent, car la France, depuis 1633 jusqu’au traité de 1661, fut presque toujours en possession de la Lorraine. La princesse Nicolle se retira en France ; elle protesta avec la princesse Claude, sa sœur, contre tout ce qui avait été fait à son préjudice; elle soutint que le testament prétendu du duc René était un acte supposé pour la dépouiller de ses Etats; que si le duc René avait pu, par un testament, changer l’ordre de la succession de Ja Lorraine, le duc Henri, son père, avait également pu introduire un nouveau changement; que son contrat de mariage, arrêté par les Etats, avait irrévocablement établi ses droits; que le duc Charles ne l’avait épousée que sous cette condition et que, par sa conduite, il manquait à son serment et trahissait les engagements les plus sacrés. Le pape déclara nul le second mariage du duc Louis XIII reconnut la justice des réclamations de la princesse Nicolle; il se plaignit de ce que Charles se qualifiait duc de Lorraine, sans faire mention de la princesse Nicolle, son épouse. Le duc ayant offert au roi la foi et hommage du duché de Bar en 1727, il ne voulut lui en accorder l’investiture que sous le nom de la princesse Nicolle. Vous voyez, Messieurs, par l’exposé que je viens de vous faire, que Charles IV n’était pas véritable propriétaire de la Lorraine; soit parce que la souveraineté appartenait à la princesse Nicolle, sa femme, soit parce qu’il en avait cédé les droits au duc Nicolas-François, son frère. Vous voyez que les conventions que le duc Charles a faites, en différents temps, avec la France, manquaient du premier caractère essentiel, celui de la propriété incommutable de la chose entre les mains des cessionnaires ; vous voyez que des traités, dont les dispositions varient suivant les circonstances, n’ont jamais conféré à la France qu’une possession précaire, qui n’a eu que la force ou la nécessité pour base; qu’il est impossible de reconnaître à ces traits les qualités qui distinguent une propriété vraiment domaniale; et à travers des intérêts qui se choquent, des passions qui s’agitent, des traités qui se détruisent, on n’aperçoit que la nécessité qu’il y avait que les droits des parties fussent définitivement fixés par des traités postérieurs. C’est ce qui a résulté du traité des Pyrénées et de celui de 1661. Mais avant de les discuter, passons à la seconde époque et examinons les circonstances intéressantes qui ont précédé, accompagné et suivi la donation du Clermontois, faite à la maison de Condé. Louis II, prince de Condé, à qui la nation déféra le titre de Grand, depuis l’âge de 19 ans avait signalé chaque année de sa vie par des actions mémorables qui humilièrent la fierté et abattirent la puissance des Espagnols. Le cardinal Mazarin, dont l’autorité commençait à s'établir, craignant l’influence que le jeune prince pourrait avoir sur l’esprit de la reine régente, songea à l’éloigner de la cour : il le prit par son faible et l’envoya en Catalogne, en 1647, commander les armées du roi. Mais, par un sentiment de jalousie, il ne lui fournit point les secours qu’il lui avait promis. Le prince s’en plaignit amèrement; on l’apaisa en lui donnant, en 1648, le commandement de l’armée de Flandre. On le laissa encore manquer de secours et d’argent; il fut obligé de nourrir ses soldats et de sacrifier des sommes immenses pour faire subsister son armée ; malgré tous ces obstacles, il gagna, cette même année, la fameuse bataille de Lens. Mais la journée des Barricades, qui fut le présage funeste de ce long et cruel orage qui ébranla le royaume pendant plusieurs années, détermina Mazarin à rappeler promptement le prince de Condé à la cour pour rassurer la reine et contenir les mutins par sa présence et le respect qu’on avait pour sa personne. Ce fut à cette même époque, Messieurs, que, soit pour indemniser le prince de Condé des dépenses qu’il avait faites à la guerre, soit pour [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [12 mars 1791.) 61 le récompenser de ses services, soit pour l’atla-cher au parti de la reine, on lui donna le Gler-moniois sur la fin de l’année 1648. Mais, remarquez bien, Messieurs, la politique profonde qui présida à cet acte apparent de justice et de munificence, et les caractères qui distinguent cette prétendue donation. Le Glermontois, à cette époque, était une malheureuse contrée, livrée depuis quinze ans à toutes les horreurs de la guerre. Les villes et villages étaient un amas de ruines qui ne contenait pas plus de 4,000 habitants. On donna au prince de Gondé le Glermontois. Gomme Chartes VII donnait des gouvernements à ceux qui l’avaient bien servi: « Je vous donne, disait-il, le gouvernement de Champagne, à condition que vous irez vous emparer de cette province ; » de même on donna au prince de Gondé le Glermontois, à condition qu’il en éloignerait le duc de Lorraine et qu’il trouverait des moyens et des ressources pour défendre l’approche de cette province frontière. Deux raisons politiques influèrent donc principalement dans cette concession : la première, c’est que, la France ayant empêché que le duc de Lorraine ne fût compris dans le traité de Munster, qui venait d’être passé avec l’Empire, on voulait lui faire perdre l’espérance de jamais rentrer dans le Glermontois ; la seconde était d’intéresser le prince de Gondé à vivifier ce malheureux pays et à garder les places importantes de Glermoni et de Stenay. Le prince de Gondé ne fut point la dupe des motifs qui avaient déterminé la reine et le cardinal ; il sentit tellement qu’on était généreux aux dépens d’autrui et que le roi ne lui accordait qu’une jouissance incertaine, qu’il demanda et obtint, la même année 1648, un brevet de garantie des objets qui lui avaient été concédés. M. le rapporteur prétend que le brevet est aussi illusoire que la donation dont il est l’objet. 11 me semble cependant, Messieurs, que cet acte de garantie prouve évidemment deux choses : la première, que le roi, en payant une dette de l’Etat, en récompensant des services signalés, a contracté, par ce brevet de garantie, l’engagement solennel de faire cesser les troubles que le prince éprouverait dans sa possession ou de lui donner un équivalent qui ne rendît pas illusoire cet acte de justice et de bienfaisance ; la seconde, c’est que, puisque le roi s’obligeait à la garantie, il reconnaissait qu’il n’avait pas la propriété in-commutable de la chose donnée, il reconnaissait qu’elle n’était pas vraiment domaniale. En effet, Messieurs, lorsque la donation fut présentée au parlement, leprince Nicolas-François de Lorraine, auquel le duc Chartes avait cédé *ses Etats, forma opposition à l’enregistrement le 18 mars 1649 ; il la fit renouveler le 9 février 1657. D'un autre côté, la princesse Nicolle, en sa qualité de souveraine de la Lorraine, forma également opposition à l’enregistrement ; elle soutint que la reine ne pouvait pas disposer du Clermontois qui n’était qu’en dépôt entre les mains du roi. Mazarin et la reine régente mirent tout en œuvre pour faire lever les obstacles qui arrêtaient l’effet de la donation ; ils promirent à la princesse Nicolle que son désistement ne préjudicierait pas à ses droits. La régente lui assura, foi et parole de reine, u’elle lui eu ferait raison à la paix générale et ans le traité particulier qui serait fait pour ia Lorraine. Nicolle ne put résister à de si pressantes sollicitations ; elle se départit de son opposition en faveur du prince de Gondé ; par conséquent, elle l’investit, par le fait, de la propriété du Clermontois et, par cet acte de sa puissance et de sa souveraineté, la grande question de la propriété du Glermontois se trouverait jugée en faveur de la maison de Condé si l’hommage que je dois à la vérité ne m’obligeait à dire que la princesse Nicolle, étant retournée à Nancy dans ia même année, protesta, le 3 septembre 1649, contre le consentement qu’elle avait donné à la cession du Clermontois. Il est vrai qu’elle se contenta de remettre sa protestation entre les mains du nonce du Pape et qu’elle fut longtemps ignorée; mais il n’en résulte pas moins des faits dont je viens de vous rendre compte, qui sont consignés dans les archives de la Lorraine, que le Glermontois et ses dépendances, à l’époque de la donation, n’était, entre les mains de la France, ni une possession incommutable, ni une propriété domaniale. Malgré tous ces obstacles, le 1er janvier 1649, le prince de Condé se mit en possession de tous les objets qui lui avaient été concédés; tous les officiers et commis employés de la part du roi cessèrent d’y exercer leurs fondions. Le prince nomma un commandant, un intendant, établit les receveurs des impositions, donna des provisions à tous les officiers civils et militaires, et il y jouit, jusqu’en 1652, absolument de tous les droits qui avaient appartenu aux ducs de Lorraine. Je suis parvenu, Messieurs, au moment où je voudrais, comme le disait le prince de Gondé lui-même, pouvoir déchirer quelques feuillets de son histoire; mais la vérité m’impose ie devoir de ne rien dissimuler Ce prince, devenu tout à la fois odieux au cardinal dont il avait été le défenseur et à la Fronde dont il avait déconcerté les projets, fut arrêté le 18 janvier 1650, et conduit au château de Yincennes. Pour me servir de ses expressions, il entra innocent dans sa prison mais il en sortit le plus coupable des hommes. Quelque profonde que fût la plaie qu’avait faite à son cœur sa détention qui dura 13 mois, il balança longtemps avant de se livrer à tout son ressentiment. Enfin, cédant aux sollicitations de la duchesse de Longueville, sa sœur : « Souvenez-vous, lui dit-il, que je lire l’épée malgré moi et que je serai le dernier à ia remettre dans le fourreau. •> Il tint parole; il se mit à la tête des mécontents, prit les armes contre le roi, passa au service de l’Espagne et devint le fléau de sa patrie dont il avait été jusqu’alors le renfort et l'appui; il persista dans sa révolte jusqu’au traité des Pyrénées. Ici, Messieurs, commence la troisième époque et je dois vous faire voir que les intérêts de la maison de Gondé sont intimement liés avec les conventions arrêtées entre la France, l’Espagne et la Lorraine en 1659. Le fameux traité des Pyrénées, ouvrage de deux ministres célèbres, qui éteignit les anciennes rivalités entre la France et l’Espagne, qui termina vingt années d’une guerre vive et opiniâtre qui réunit, par ie mariage de Louis XIV avec L’infante d’Espagne, les intérêts des deux premières monarchies de l’Europe; enfin, qui assura à la France les plus brillantes conquêtes, malgré tout ce qu’en ont pu dire les ennemis du cardinal de Mazarin; ce traité, dis-je, éprouva les plus grandes difficultés au sujet du rétablissement du prince de Gondé. Le roi d’Espagne auquel il avait rendu les plus grands services, ne voulut écouter aucune proposition qu’autant [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [12 mars 1791.] que les intérêts du prince seraient mis à couvert et stipulés formellement par le traité. Avant de faiie l’analyse des articles du traité des Pyrénées qui sont relatifs à la question qui nous oicupe, qu’il me suit permis de vous soumettre quelques observations. J’avoue d’abord que j’ai de la peine à concevoir comment M. le rapporteur a pû vous présenter deux ministres, qui passaient pour les plus habiles négociateurs de leur siècle, comme n’ayant pas les premiers éléments de la politique et du droit des gens. Certainement, la première qualité nécessaire à un négociateur est d’être instruit des lois et maximes qui forment le droit public de la nation avec laquelle il négocie afin d’y déroger expressément s’il dresse quelque convention qui y soit contraire. Certainement, le premier devoir d’un ministre qui stipule de grands intérêts politiques est de peser b s intérêts divers des parties qui contractent, d’approfondir les traités qui établissent leurs droits respectifs et les conventions qui y dérogent; de connaître les moyens qui appuient leurs prétentions et les raisons qui les combattent. Cependant M. le rapporteur veut que Dom Louis de Haro et le cardinal Mazarin aient ignoré les événements qui se sont passés sous leurs yeux, relativement à la Lorraine, les droits respectifs que les différents princes de cette maison avaient à la souveraineté de cette contrée. 11 veut qu’ils aient méconnu les divers traités qui ont été arrachés au duc Charles par la force ou la nécessité; qu’ils aient négligé de calculer les effets qu’ils ont produits soit par rapport à la France, soit par rapport au prince de Coudé. Il veut enfin que ces deux ministres, sans avoir combiné les lois du royaume avec la teneur des traités, avec le contenu de la dotations aient rédigé un-stipulation dérisoire en faveur du prince de Gondé, et qu’en même temps qu’ils lui assuraient une vraie et réelle possession du Clermontuis, ils aient choisi tout exprès une tournure de phrase à i’aide de laquelle on puisse le dépouiller du seul avantage que la France lui accordait et que l’Espagne lui procurait pour tout dédommagement; de manière que la clause du traité, réduite au véritable sens que présente M. le rapporteur, ne signifierait autre chose sinon qu’on a donné au Grand Gondé le Ciermon-tois sous la réserve de pouvoir le lui ôter le lendemain. Pour accueillir un pareil paradoxe, il faut supposer aux ministres une mauvaise foi ou une ignorance qui sont démenties par le traité lui-même. Pour se bien pénétrer de l’esprit du traité des Pyrénées, il faut rapporter avec soin les clauses qui concernent la Lorraine avec les articles qui regardent le prince de Cundé. J’ai déjà observé que depuis 1633 la France avait presque toujours été eu possession de la Lorraine. Vous sentez aisément, Messieurs, que la politique de l’Europe ne permeitait pas qu’une puissance, déjà redoutable, s’agrandit impunément par l’invasion de la totalité ou d’une partie quelconque d’un territoire étranger. Il élait donc de l’intérêt comme de la politique de l’Espagne de stipuler d’une manière précise, dans un traité définitif, la restitution de la Lorraine à ses véritables souverains. Le duc Charles, depuis la mort de la princesse Nicolle, ta femme, qui ne lui avait point laissé d’enfants, était reconnu, par les puissances de l’Europe, comme souverain de la Lorraine, et il y avait des droits, en vertu de son mariage et du testament du duc Henri. Il fallait peser l’importance des traités discordants qu’il avait souscrits, discuter le mérite des réclamations qui s’étaient élevées de toutes parts, et confondre dans un traité définitif, les prétentions diverses de toutes les parties. Il arriva ce qui se passe presque toujours entre deux grandes puissances qui stipulent les intérêts d’uue puissance de troisième ordre, les plus forls s’accommodèrent aux dépens du plus faible. La France avait un grand intérêt à conserver la souveraineté territoriale de Clermont et deStenay, qui étaient des places frontières de son empire. L’Espagne avait promis des dédommagements considérables au prince de Gondé. Le duc de Lorraine paya la convenance de l’un et les dettes de l’autre. Le Glermontois fut le lien qui réunit tous les intérêts. D’après tout ce j’ai dit de la nature des différents traités, du defaut de qualité du duc Charles, des titres incontestables de la princesse Nicolle à la souveraineté de la Lorraine, il est bien démontré que la France n’avait jamais eu sur le Clermontuis que des droits précaires et éventuels. Pour consolider la donation faite au prince de Coudé, il fallait nécessairement deux choses: la première que le duc de Lorraine fît au roi une nouvelle concession du Glermontois, dans une forme valable et authentique ; la seconde que le roi restituât au prince le Glermontois, ensuite qu’ii le réintégrât dans la possession et jouissance pleine et entière des objets qui lui avaient été concédés par la donation, avec assurance de n’être jamais troublé ni par le roi, ni par ses successeurs. C’est positivement ce qui a été fait, mot pour mot, par le traité des Pyrénées. Parcourons d’abord les clauses qui concernent le duc de Lorraine. Par l’article 62 et suivants, il est dit : 1° que le roi de France, en contemplation de la paix , sans s'arrêter aux droits qui pouvaient lui être acquis par divers traités faits avec le roi son père , remettra le duc de Loriaiue dans la possession de ses Etats, à la réserve et exception de Clermont, Stenuy, Jametz et Dur, avec leurs dépendances, qui demeureront à jamais unis et incorporés à la couronne ; 2° que ie duc Charles délivrera au roi, en la forme la plus valable et authentique qu'il pourra désirer , les actes de sa renonciation et cession du Glermontois et ses dépendances. Je me permettrai quelques courtes réflexions sur ces articles du traité. Le roi déclare d’abord que, en contemplation de la paix, il ne faut plus s’arrêter aux droits qui pourraient lui être acquis par différents traités faits avec le roi son père, et cependant vos comités prennent ces mêmes traites pour base de leur système ; ils argumentera du traité de 1641 passé par Louis XIII, tandis que Luuis XIV, par le traité des Pyrénées, annule tous les effets qu'il a produits. Le roi exige que le duc de Lorraine lui délivre, dans la forme la plus valable et la plus authentique, un acte de sa renonciation et cession du Glermontois; si le Clermontois eût été uni et incorporé à la couronne en 1641, comme le prétendent vos comités, le roi n’aurait pas exigé de la part du duc, en 1659, l’acte valable et au-thentiqae d’une nouvelle cession; mais puisque le roi demande un litre nouveau, le premier était donc vicieux et insuffisant? Le Glermontois n’éiait donc pas une propriété domaniale ? Vus comités sont donc en contradiction formelle avec le texte formel du traité des Pyrénées? 63 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [12 mars 1791.] Mais passons aux articles qui concernent le prince de Go mlé. Par l’article 79, le prince déclare qu’il voudrait pouvoir racheter, au prix de son sang, les erreurs auxquelles il a été entraîné; il supplie le roi de vouloir bien oublier ses égarements et sa conduite passée ; il atteste qu’il ne veut rien tenir, en la conclusion de cette paix, pour tous les intérêts qu’il peut y avoir, que de la seule bonté et du propre mouvement du roi; qu’il désire qu’il plaise à Si Majesté de disposer pleinement et selon son bon plaisir de tous les dédommagements que le roi d’Espagne voudra lui accorder et lui a déjà offerts, soit en Etats, pays ou en argent ; qu’il met le tout aux pieds de Sa Majesté ; qu’il offre de licencier ses troupes, de mettre au pouvoir du roi les places de Lin diamp, le Gat -h t et Rucroy. Le roi déclare ensuite que, touché du procédé et de la soumission du prince de Condé, il consent que ses intérêts soient terminés, dans le traité, en la manière convenue entre les deux seigneurs rois. Ici se présentent deux réflexions bien importantes : la première, c’est que tout ce qui va être accordé au prince de Condé lui tiendra lien de tous les dédommagements que le roi d’Espagne lui avait promis soit en Etats, pays ou en argent; la seconde, que ce n’est plus le pnuce de Condé qui va être partie dans le traité, mais le roi d’Espagne qui va stipuler, en son nom, les intérêts du prince et qui, par conséquent, se rend garant des conventions qui seront arrêtées. Je dois vous prévenir, Messieurs, que tous les mots de l’article suivant du traité doivent être pesés avec la plus grande attention. Get ariicle n’est point rédigé, comme vous l’a dit M. le rapporteur, dans le style usité d’une diplomatie confuse, mais, à chaque stipulation, on reconnaît l’ouvrage d’une politique profonde et éclairée, et je nie formellement que, parmi les traités qui existent, il y en ait un seul qui, dans son ensemble ou dans ses parties, présente l’image d’une amnistie et d’une restitution aussi complète. Par l’article 86, il est stipulé que, après que le prince de Condé aura satisfait de sa part au contenu dans les trois articles 80, 81 et 82, dont l’un avait pour objet de remettre entre les mains du roi les places de Rocroy, Le Cutelet et Lincliamp; alors tous duchés, comtés, terres, seigneuries et domaines, même ceux de Clermont, Stenay et Üun, comme il les avait avant sa sortie de France, et celui de Jametz, en cas qu'il l'ait eu , lesquels appartenaient ci-devant audit sieur prince, ensemble tous ses autres biens meubles et immeubles lui seront restitués réellement et de fait , et sera ledit sieur prince réintégré en la vraie et réelle possession et jouissance de sesdites terres et domaines ; sur quoi lui sera dépêché, en aussi bonne forme qu'il le désirera, toutes lettres patentes à ce nécessaires, sans qu’il puisse être troublé, poursuivi ni recherché en ladite possession et jouissance par ledit seigneur roi, ses hoirs successeurs ni ses officiers directement ni indirectement, nonobstant quelconques donations, unions, incorporations qui pourraient avoir été faites desdits duchés, comtés, terres, seigneuries et domaines, et quelconques clauses dérogatoires, constitutions ou ordonnances à ce contraires. Il faut, Messieurs, se refuser à l’évidence pour ne pas reconnaître, dans des stipulations aussi formelles, l’intention qu’ont eue et la volonté qu’ont exprimée les parties contractantes d’assurer à la maison de Condé la possession incommutable du Clermontois, ainsi que de toutes les autres portions de son patrimoine. La méprise de vos co-mité-i et l’erreur dans laquelle ils sont tombés proviennentdeceqn’ils n’ont pas fait attention que toutes les parties d’un traiié se correspondent et sont cl ans une dépendance immédiate les unes des autres; de ce qu’ils n’ont pas rapproché les clauses qui concernent le duc de Lorraine de celles qui regardent le prince de Condé. Dans les articles qui concernent la Lorraine, le roi reconnaît que sa jouissance du Clermontois n’a été que précaire, que son titre de propriété était vicieux; il exige, dans une forme valable et authentique, une nouvelle concession qui puisse légitimer sa possession et réunir la propriété avec la jouissance. Le prince de Condé avait été mis aux droits du roi par la donation de 1648. Son titre était vicieux, quant au fond, par le défaut de qualité de la part du roi, son donataire, qui n’était pas propriétaire; quant à la forme, parce qu’il n’avait pas été enregistré. Néanmoins, il s’était mis eu possession, mais il n’avait acquis qu’une jouissance précaire, la propriété ou l’équivalent lui étaient assurés seulement par un brevet de garantie. Pour réparer toutes ces irrégularités de forme et de droit, pour rendre le prince de Condé propriétaire incommutable, le roi, en vertu des droits qui viennent de lui être acquis par les articles antérieurs concernant la Lorraine, déclare d’abord que Clermont, Stenay et Dun, tels que le prince les avait à sa sortie de France, même Jametz, en cas qu’il l’ait eu, lui seront restitués réellement et de fait. Remarquez bien, Messieurs, que le roi, par cette clause, déroge expressément à un article de la donation de 1648. Jametz était une partie intégrante de la donation. Cependant le roi veut que Jametz neso.t restitué qu’autaut que le prince en aura joui; ce qui prouve bien clairement que ces mots : tels que le prince les avait à sa sortie de France , ne veulent pas dire tels qu’ils lui avaient été donnes, comme le prétendent vos comités, puisque le roi déroge à la donation, mais signifient qu’il ne sera restitué au prince que les objets août il avait joui avant sa sortie de France; et ce qui achève de le démontrer, c’est que le roi déclare ensuite que le prince sera réintégré dans la vraie et réelle possession et jouissance du Clermontois et ses dépendances, comme il en jouissait avant sa sortie de France. Il ne reste donc pins aucune équivoque. Vos comités sont donc encore en contra niction avec le sens littéral et précis de l’article du traité? L’intention des parties contractantes va être manifestée d’une manière bien plus formelle. Pour donner à cette concession du Clermontois la forme la plus authentique et toute la validité qu’elle peut recevoir, le roi veut qu’il soit délivré au prince toutes lettres patentes en aussi bonne forme qu’il le désirera. Puisque le roi le laisse maître ne choisir la forme qui lui conviendra pour assurer l’authenticité des droits qu’il lui confère, il est bien évident que l’intérêt du prince devient la mesure de son titre, qui reçoit par cela même toute la latitude dont il est susceptible, qui confond le jouissant avec une propriété incom mutable. Ce qui le prouve invinciblement, c’est que le roi déclare positivement que la vraie et réelle possession et jouissance du Clermontois, ainsi que ses biens patrimoniaux, de quelque qualité qu’ils soient, ne pourra être troublée ni par lui, ni par ses successeurs ou officiers, directement ni indirectement, nonobstant quelconques donations, unions, incorporations, clauses dérogatoires et ordonnances à ce contraires. 64 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [12 mars 1791.] J’en appelle maintenant à la justice et à l’impartialité des membies de cette Assemblée. Un décret tel que celui que vos comités vous proposent, qui dépouillerait la maison de Condé du Glermontois, ne serait-il pas un trouble manifeste à cette possession pleine et réelle, qui est assurée par le traité des Pyrénées? Ne serait-ce pas une atteinte directe portée à l’obligation que le roi a contractée de mettre cette possession sous la garantie et la protection successive et immédiate de l’autorité nationale? Si vous exercez aujourd’hui, Messieurs, au nom de la nation, la plénitude des droits dont les rois étaient dépositaires, si vous êtes tenus des engagements qu’ils avaient formés comme administrateurs suprêmes de l’Empire, si vous voulez être fidèles à la foi des serments qui lient les nations, pouvez-vous consacrer, par vos suffrages, une violation manifeste du droit des gens, une infraction formelle aux conventions les plussacrées? Pouvez-vous accueillirdes sophismes et des arguties pour étouffer le cri de la justice et de la raison? Ne serait-ce pas outrager la majesté de la nation elle-même que de se servir de son nom pour se jouer impunément de toutes les règles de la politique et de tous les principes du droit naturel et du droit public? Car enfin, Messieurs, il ne faut pas perdre de vue que les stipulations précises que j’invoque ont été arrêtées avec le roi d’Espagne et que, si vous devez être justes envers vos concitoyens, vous ne pouvez pas être juges des traités qui vous lient avec les nations. Mais, disent vos comités, cette garantie authentique d’une possession et jouissance vraie et réelle ne porte point sur le Glermontois et ses dépendances, mais sur tous les autres biens patrimoniaux de la maison de Gondé, qui avaient été réunis et confisqués par un arrêt du parlement. Je dirai, à mon tour, à voscomités : Est-ce par une supposition gratuite et une interprétation forcée que vous parviendrez à démentir le texte formel du traité des Pyrénées? Lisez l’article 86 et vous verrez qu’il y est dit que le prince de Condé sera réintégré réellement et de fait dans la vraie et réelle possession et jouissance de tous les biens de quelque qualité qu’ils soient, dont il jouissait avant sa sortie de France. Parmi ces biens, le traité rappelle positivement Clermont, Stenay, Dun et Jametz, ce sont les seuls qu’il nomme et ce sont les seuls que vous voulez excepter, parce que, sans cela, votre système est détruit. Si l’on reconnaît comme un principe de droit que l’exception déroge à la règle, n’est-il pas également vrai que la disposition de la loi ne peut être restreinte, lorsqu’elle ne renferme aucune exception? N’est-il pas certain que tous les biens patrimoniaux du prince, même le Cler-montois et ses dépendances, lui seront restitués réellement et de fait, qu’il sera réintégré dans une vraie et réelle possession, qui ne pourra jamais être troublée ni directement, ni indirectement, et cependant vous voulez vous refuser à l’évidence, à l’appui d’une exception qui est votre ouvrage? Vous voulez méconnaître la stipulation la mieux caractérisée et substituer à l’expression claire et simple du texte des hypothèses et des hyperboles. Ce serait, Messieurs, abuser de vos moments que d’insister plus longtemps à combattre un système dont les parties incohérentes sont inconciliables avec les monuments de l’histoire, le texte forme! des traités, les règles de la politique et les maximes du droit public et du droit des gens. Je me bornerai à vous observer que le duc de Lorraine, par un traité passé à Paris, le 28 février 1661, donna au roi l’acte valable et authentique de sa cession du Glermontois et ratifia les stipulations qui le concernaient, dans le traité des Pyrénées. Pour mettre sous vos yeux le tableau de tout ce que j’ai avancé, je me résume en peu de mots et je dis : que la France n’a point soumis le Glermontois par la force des armes; qu’ainsi le droit de conquête n’a pas imprimé sur cette contrée un premier caractère de domanialité; que le traité de 1641 a été l’ouvrage de Parti tice et de la fraude, de la force et de la violence ; que le traité de 1644, qui a formellement dérogé à celui de 1641, est revêtu de tous les caractères qui distinguent un rescrit diplomatique, que, au surplus, le duc Charles qui a passé ces traités n’était pas propriétaire de la Lorraine; que la souveraineté appartenait à la princesse Nicolle, son épouse; qu’ainsi, sous aucun aspect, le traité de 1641 n’a pu imprimer sur le Glermontois un second caractère de domanialité. Je dis que la donation de 1648 n’a conféré au prince de Condé qu’une jouissance précaire; que la propriété ou l’équivalent lui avaient seulement été assurés par un brevet de garantie; que le roi, par le traité des Pyrénées et celui de 1661, ayant obtenu, dans une forme valable et authentique un titre, par lequel il a réuni la propriéié à la jouissance du Glermontois, il a, par le même traité, validé les effets de la donation de 1648 et assuré au prince de Gondé une propriété incommutable qui repose sous la garantie immédiate de l’Espagne, et sous la protection successive de l’autorité nationale. En un mot, par la donation de 1648, il avait obtenu la jouissance et, par le traité des Pyrénées, il a acquis la propriété du Glermontois. D’après cela, j’ai eu raison de vous dire eu commençant que l’époque de la désobéissance et de la révolte du Grand Gondé est devenue la base et le garant de sa fortune et de sa propriété. Mais je dois vous dire, en finissant, avec Louis XIV, je ne me souviens de ses erreurs que pour par ler de la manière dont il les a réparées. D’après cela, je conclus qu’il n’y a pas lieu à délibérer sur le premier article du projet de décret, présenté par votre comité des domaines, portant révocation de la cession du Glermontois et de ses dépendances, et je demande la question préalable sur le premier ariicle, sauf à examiner ensuite le contrat passé en 1784, entre le roi et le prince de Gondé, et, lorsqu’il en sera temps, je demande la parole sur cette seconde question. M. de Ocnnont-liodève entre dans les mêmes développements que le préopinant et se réfère à scs conclusions. Plusieurs membres demandent que la suite de la discussion soit renvoyée à la séance de mardi soir. (Ge renvoi est décrété.) M. le Président lève la séance à dix heures.