36“2 lAssemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. litaire soit chargé de vous présenter un nouveau décret qui ajoute aux anciennes récompenses celles dont son patriotisme pourra lui suggérer l’idée; je demande, de plus, qu’il veuille bien s’éclairer dans ce travail par celui des commissaires précédemment nommés par le roi, de ces commissaires auxquels vous avez adjoint deux de vos membres; je conclus enfin à ce que la liberté la plus absolue soit donnée, ou de rester à l’hôtel, ou d’en sortir à volonté. Plusieurs membres : L’impression du discours ! Plusieurs membres demandent la question préalable sur la demande d’impression. (L’Assemblée, consultée, rejette la question préalable et décrète l’impression du discours de M. de Clermont-Tonnerre. M. de Menou. Je ne chercherai point à dénigrer Louis XIV; cela serait entièrement inutile à la discussion : il est vraisemblable qu’il a cru faire le meilleur établissement possible, qu’il a voulu faire amende honorable pour les 2 ou 3 millions d’hommes, les 2 ou 3 milliards d’argent qu’il avait sacrifiés à son ambition. ( Applaudissements .) Ce qui me paraît certain, c’est que les résultats n’ont pas été ceux qu’il devait en attendre, soit qu’ils aient été mal calculés, soit parce que les abus sont inséparables d’une grande administration. Sans vouloir répandre ici une critique amère sur les administrateurs des Invalides, je dirai que cet édifice, somptueux dans ses dehors, offre au premier coup d’œil l’aspect d’un superbe palais, mais qu’il renferme, dans l’intérieur, des misères qui révoltent tous les sens et auxquelles il serait peut-être impossible de remédier, quels que fussent les soins des administrateurs. L’hôtel royal présente le plus triste des spectacles, celui de la collection de toutes les infirmités humaines. Quand on a admiré le dôme, l’église et quelques autres parties de l’édifice, on fuit, dans la crainte d’être suffoqué et l’on détourne ses regards de plusieurs objets effrayants que l’on rencontre sur ses pas. {Murmures.) Là chacun a bien autant à souffrir des infirmités de son voisin que des siennes propres; ceux qui ont assez de force pour sortir vont quelquefois perdre dans des excès le peu de santé qui leur reste, inconvénient inévitable des grandes villes. Je crois que l’invalide sera mieux traité au sein de sa famille que par des mains étrangères; je crois même qu’il lésera mieux dans de petits hospices particuliers qu’à l’hôtel royal. Tout le monde sait que les secours particuliers sont toujours meilleurs que ceux des hôpitaux et que les petits hôpitaux sont toujours mieux soignés que les grands : cela est absolument dans la nature des choses. Je crois, d’autre part, que les invalides retirés dans les provinces y achèveront leurs jours d’une manière plus saine : ils mettront plus de soins à obtenir la considération de leurs concitoyens; ils y serviront de modèle à la jeunesse ;'ceux qui seraient encore valides s’y marieraient, s’adonneraient à d s travaux quelconques. L’agriculture et le commerce y gagneraient; car je suis convaincu que, parmi ceux qui ont encore l’usage de quelques forces, il n’en est pas qui ne s’occupe à cultiver un champ ou à faire un petit trafic. Je pense donc que le projet du comité militaire offre tout à gagner, et quant à la partie 124 mars 1791.} morale et quant à la partie économique, et je conclus à ce qu’on le mette aux voix, car le comité me paraît ..... (Murmures). Les clameurs ne m’étonnent pas, Messieurs..., car il me paraît avoir rempli les fonctions dont vous l’aviez chargé. M. Emmery. Les abus de l’adminstration de l'hôtel des Invalides sont si considérables et si nombreux, qu’il a paru difficile, pour ne pas dire impossible, d’extirper sans détruire. Les dépenses totales des invalides s’élèvent à 5,400,000 livres, dont 2,100,000 livres sont répartis sur les 2,800 hommes qui sont dans l’hôtel, tandis que les trois autres millions sont répartis sur 24,000 individus, encors le bien-être dont jouissent les 3,000 privilégiés, n’est-il pas à beaucoup près proportionné à la somme qui leur est affectée; de manière que si on répai tissait entre eux seulement 900,000 livres, il ne resterait demain à l’hôtel, comme vous l’a dit M. le rapporteur, que le gouvernement et' les manicrots ou moines-lais. Quant à ce gouvernement, quel que soit le parti que vous preniez, vous sentirez la nécessité de réformer, tant le nombre des administrateurs que leurs traitements; mais à l’égard de ces moines-lais, peut-on douter que le vœu qu’ils manifestent de terminer leurs jours à l’hôtel, ne soit fondé sur les besoins et les habitudes les plus respectables. Peut-on douter que la justice et l’humanité de l’Assemblée nationale ne soient fortement intéressées à conserver en leur faveur la fondation des invalides? Ne confondons pas les invalides proprement dits, avec ceux auxquels cette dénomination ne peut appartenir, auxquels elle n’a été atiribuée que sous le prétexte spécieux de quelques blessures guéries, et par une suite des abus qui ont dénaturé cette institution. L’hôtel des Invalides n’a été établi que pour les moines-lais, pour les caducs; s’ils ne veulent pas l’abandonner, ce serait une souveraine injustice de les y contraindre, sous le prétexte que les vétérans" valides demandent la liberté; ce serait chasser les propriétaires de leur maison, sous le prétexte que des étrangers n’en trouveraient plus le séjour commode. Les titres de la fondation dns Invalides portent expressément que cet établissement est destiné à mettre à l'abri de la misère et de la caducité les pauvres officiers et soldats qui, ayant vieilli dans le service , ou reçu des blessures à la guerre , se trouvent non seulement hors d'état de servir, mais hors d'état de rien faire pour gagner leur subsistance. Ce n’est donc que pour les vétérans infirmes que l’hôtel a été établi; et en effet, il est évident que cet édifice serait insuffisant pour 30,000 vétérans, indépendamment qu’il serait inconvenant d’y renfermer des hommes qui peuvent encore être utiles à leur patrie. Désormais tout militaire est assuré d’être récompensé de ses longs services; les honorables blessures qu’il aura reçues, sans en devenir invalides, feront l’objet d’une indemnité, et une pension de retraite lui fournira des secours dans sa caducité. Vous n’aurez donc plus à vous occuper que de ceux qui, absolument hors d’état de gagner leur vie, ont, outre leur pension, besoin de secours habituels : vous laisseriez cependant à tous les vétérans actuellement dans l’hôtel la faculté d’y rester, ou d’en sortir avec une pension de retraite : il sera juste de les considérer comme ayant tous les années de service nécessaires. Quant aux compagnies détachées, on pourrait les licencier ; [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [24 mars 1791.) 363 mais leur conservation présenterait de grands avantages à l’Etat, pour la garde des forts, des citadelles; ne fût-ce même que pour économiser les troupes de ligne. Les vétérans invalides seraient propres à ce service, qui ne leur donnerait pas une grande fatigue. La plupart n’ont plus de famille ; ils ne leur reste que des compagnons de travaux : leur corps est leur patrie; ils doivent donc incontestablement préférer la vie commune, qui non seulement leur offre une existence plus avantageuse sous le rapport de l’économie, mais leur conserve leurs anciennes habitudes, et leur retrace sans cesse d’honorables souvenirs. Leur paye croîtrait en proportion.de leurs années de service, et lorsqu’ils seraient parvenus à la caducité, ils se retireraient à l’hôtel ..... Quant aux infirmes qui sont actuellement à l’hôtel, trois mesures se présentent : les renvoyer dans leur famille, les disperser dans des hôpitaux, les laisser dans l’hôtel. Mais la première de ces mesures ne vous paraît-elle pas une barbarie? Imaginez-vous faire sortir ces 280 estropiés, qui ne présentent, pour ainsi dire, que l’image de bustes ou de lambeaux d’hommes, qui peuvent à peine broyer leurs aliments, dont on vous a dit que la vie est un miracle, et qui périraient incontestablement s’ils étaient privés et des secours de l’art et des soins que leur prodiguent les hospitaliers de l’hôtel. Les disperser dans des hôpitaux, comme l’a proposé le comité militaire? Fort bien. L’hôpital : voilà la récompense que vous destinez à vos guerriers; et vous croyez que vous enflammerez ainsi le courage de leurs successeurs? Mais le voyage seul les ferait périr; et où trouveraient-ils d’ailleurs les mêmes soins, que dans un asile qui y est expressément consacré? Non, je ne crois pas qu’on les admette dans un hôpital pour 13 sous par jour, où on les regarderait comme une surcharge; et quand on doit être un objet de vénération, il estbien durcie devenir un objet d’avilissement. L’économie, la justice, l’humanité commandent donc également de conserver l’hôtel; mais d’en détruire les abus, d’en réformer le gouvernement. Une seule campagne meurtrière pourra souvent remplir cet asile. 11 ne faudra y recevoir que les vétérans infirmes, laisser la liberté de sortir à tous ceux qui y sont actuellement, et même la leur laisser à l’avenir, en les obligeant de prévenir quelques mois d’avance l’administration, afin qu’elle puisse toujours régler ses approvisionnements. 11 faut réunir les vétérans valides en compagnies, et renvoyer les détails de cette organisation au comité militaire. Voici le projet de décret que je propose : « Il ne sera reçu désormais à l’hôtel des Invalides, conformément à l’édit de création, que des militaires qui auraient été estropiés, ou qui au-raient atteint l’âge de caducité au service de terre et de mer, et qui n’auraient d’ailleurs aucun moyen de subsister. « Ceux qui sont actuellement à l’hôtel seront les maîtres d’y rester. « Ceux qui voudront en sortir auront le traitement de retraite, déterminé par les décrets, en proportion de leurs services; et tous ceux qui ont demeuré à l’hôtel, seront censés avoir Je complément de service nécessaire pour obtenir leur retraite. « L’état-major de l’hôtel est supprimé; l’administration intérieure sera réformée; le comité militaire piésentera incessamment ses vues sur cet objet, ainsi que sur les moyens de conserver quelques compagnies détachées de vétérans ». (. Applaudissements .) M. Alexandre de Lameth. Je demande la parole. Plusieurs membres : Aux voix ! aux voix 1 M. Alexandre de Lameth. On fait la proposition de fermer la discussion; c’est une chose bien extraordinaire. (Murmures)... Je suis d’accord en principes avec M. Emmery. (Murmures)... Eh bien, si vous ne voulez pas entendre une chose utile, fermez la discussion. Plusieurs membres : Parlez 1 Au fait ! M. Alexandre de Lameth. M. Emmery vous a rappelé les idées que j’avais déjà exposées : il vous a très bien dit qu’il ne s’agissait pas de savoir comment seraient traités à l’avenir les anciens militaires, puisque vous leur avez déjà accordé tous les avantages possibles; quant aux invalides actuels, il vous a pareillement dit avec raison qu’il ne s’agit pas même des invalides en général : vous avez décrété que leur sort serait amélioré; mais on vous a dit avec vérité que les seuls infirmes ont droit à l’hôtel... Quelle est donc la question ? J’adopte l’opinion du préopinant, qui est de con-erver à ces vieillards mutilés l’asile qui a été fondé pour eux; mais je ne crois pas qu’on doive en tirer la conséquence qu’il faille conserver l’hôtel. (Murmures .) Je dis que la question est tout entière dans le secours qu’on doit accorder aux infirmes, qui ne sont qu’au nombre de 250. Tous ceux qui sont encore invalides, ne demandent pas mieux qu’à se retirer. Il ne faut donc pas un hôtel tel que celui des invalides, mais un asile qui contienne 2 ou 300 personnes. (Murmures prolongés.) . . . Un grand nombre de membres : Aux voix ! aux voix ! (L’Assemblée, consultée, ferme la discussion et accorde la priorité au projet de décret de M. Emmery.) M. Dubois-Crancé, rapporteur. Je propose, par amendement à l’Assemblée, de décréter que les invalides seront admis à former leurs demandes pour sortir de l’hôtel, et d’ajourner le surplus jusqu’à ce qu’on connaisse le nombre de ceux qui voudront rester. (Murmures.) Plusieurs membres réclament la question préalable sur cet amendement. M. Charles de Lameth. Je demande la parole sur la question préalable. Quels sont les motifs qui nous animent? D’abord et avant tout, l’intérêt des invalides, ensuite l’économie des fonds publics. Plusieurs membres : Au fait I M. Charles de ILameth. Monsieur le Président, je vous demande de protéger la liberté des opinions. Je commence par dire que la proposition de M. Dubois-Crancé a pour objet le plus grand bonheur des invalides; et j’avoue qu’il est étonnant que lorsque tous les membres de cette Assemblée connaissent la pétition des invalides,