[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [21 septembre 1789.] 57 despote, pourront dans une session orageuse , dans une séance impétueuse, renverser et le gouvernement et les limites des différents pouvoirs et l’organisation des grands corps et l’état même des citoyens ! Si ces craintes étaient effectivement celles de la nation, elle s’effraierait donc de sa propre confiance envers des mandataires, qu’elle a jugés dignes de son choix. Il y aurait bien des choses à dire pour calmer des alarmes qu’on ne feint ou qu’on n’exagère que pour en faire le prétexte du veto royal absolu ou suspensif; mais supposons le danger tel qu’on le peint, supposons que certaines Assemblées puissent se livrer à la précipitation, aux erreurs, aux écarts, à l’emportement, au zèle indiscret, aux illusions de l’éloquence; supposons surtout que tout cela soit possible dans des temps orageux et au sein des partis qui laissent si rarement à la raison publique et à l’esprit des individus , le calme et l’impartialité si nécessaires à des corps législatifs. Eh bien ! voici le préservatif infaillible de ces égarements politiques. C’est un veto sans doute, mais ce n’est pas le veto d’un mortel qui peut se passionner comme tout autre, qui par état doit être plus agité par les passions d’autrui, plus égaré par des inspirations captieuses qu’une Assemblée entière par les préjugés, ou par les passions de ses membres. C’est le veto de la loi, veto froid, impassible, impartial, qui s’étendrait à tous les décrets sans exception, veto sans dangers pour la nation, sans inconvénients pour le monarque, et qui en forçant les lenteurs de la législation lui assurerait une sorte d’infaillibilité et lui imprimerait le caractère de la sagesse. Cet admirable veto serait celui qui renfermerait un décret solennel et irréfragable, par lequel aucune des lois décrétées par une Assemblée nationale n’aurait force de loi définitive que lorsque la pluralité des assemblées élémentaires en procédant à l’élection des nouveaux députés l’aurait confirmée, avec ou sans l’amendement qui aura été décrété. Cette marche paraît irréprochable , elle dissipe bien mieux que le veto royal les alarmes qu’on fait sonner si haut sur les excès et les égarements possibles d’une Assemblée nationale qui serait souveraine dans ses décrets; elle rend à la nation l’exercice immédiat du pouvoir législatif que l’étendue de l’empire la forçait de confier à des représentants. Les assemblées élémentaires qui, séparées n’auraient pu s’accorder à faire des lois, qui , privées des avantages immenses d’une discussion commune, auraient été sujettes à commander des erreurs dans les cahiers tout à la fois impératifs et contradictoires, seront dans une situation bien plus lumineuse en jugeant les projets des lois faits par leurs mandataires réunis. L’objet de leur décision sera préparé et partout le même. Les débats de l’Assemblée nationale auront éclairé ces assemblées élémentaires; celles-ci auront un secours déplus, celui des lumières publiques toutes récentes et leurs discussions particulières. C’est alors que des cahiers pourront sans inconvénient être impératifs sur chaque décret, et le rapprochement des cahiers faits dans la prochaine législature , montrera la loi fixée par la majorité des vœux de la nation dispersée. Elle sera ce qu’elle doit être, l 'unique législateur, et le monarque attendra avec autant de calme et de majesté ce moyen infaillible de discerner la volonté générale , pour remplir l’auguste mandat de la faire exécuter comme dépositaire de la force publique. Projets d’articles sur les objets ci-dessus. Art. 1er. Le Corps législatif sera continuellement assemblé. Art. 2. La moitié du Corps législatif sera renouvelée tous les six mois. Art. 3. Les assemblées élémentaires , en procédant chaque année à l’élection des députés, nommeront à la fois ceux des deux semestres. Art. 4. Le nombre total des députés dans chaque législature sera réduit à 600. Ast. 5. Le Corps législatif ne formera qu’une Chambre. Art. 6. Dans le cas où il aura été commis des crimes de lèse-nation ou de lèse-majesté, dans ceux où il aura été porté quelque atteinte à la Constitution , dans les cas encore de forfaiture ministérielle et des corps de magistrature, l’Assemblée nationale choisira au scrutin 50 membres pour juger les accusés sur la dénonciation qui en sera faite au tribunal par décret de l’Assemblée. Art. 7. Aucune des lois décrétées par une Assemblée nationale n’aura force de loi définitive que lorsque la pluralité des assemblées élémentaires, en procédant à l’élection des nouveaux députés, l’aura confirmée avec ou sans l’amendement qui aura été décrété. Art. 8. En cas de partage des assemblées élémentaires sur un décret quelconque, ce partage sera vidé par la prochaine législature après de nouveaux débats. Art.9. L’Assemblée nationale, en rendant chaque décret, déclarera s’il est urgent ou s’il ne l’est pas, et tout décret déclaré urgent sera exécuté provisoirement. Art. 10. Ne seront déclarés urgents les décrets dont l’exécution ne serait pas réparable en définitive. Art. 11. Nul décret de l’Assemblée nationale ne pourra être exécuté dans l’étendue du royaume que d’autorité du Roi, en son nom et après la promulgation que Sa Majesté en aura faite dans les formes ordinaires, et ne pourra, cette promulgation, avoir lieu pour les décrets non urgents , qu’après leur confirmation dans la législature qui aura suivi celle où ils auront été rendus, auquel cas elle ne pourra être refusée. M. le comte Stanislas de Clermont-Tonnerre (1 ). Ré flexions sur les municipalités et le veto. Messieurs, j’ai écouté avec une extrême attention l’opinion de M. l’abbé Sieyès ; j’ai suivi ses raisonnements : la force de sa logique et l’enchaînement rapide de ses idées m’ont étonné sans me convaincre. Il a conclu premièrement à ce que les municipalités fussent organisées avant de s’occuper de l’organisation du Corps législatif ; secondement , à ce que tout veto , même suspensif , fût refusé au dépositaire du pouvoir exécutif. Mon opinion est sur ces deux points, diamétralement opposée à celle de M. l’abbé Sieyès. Je crois fermement que j’ai raison et c’est cette conviction intime qui m’avait fait demander la parole : l’Assemblée a jugé que la matière était assez éclaircie; je ne puis pas être de l’avis de l’Assemblée, et je vais, pour l’acquit de ma conscience, écrire ce que j’aurais dit. Pour prouver qu’il faut organiser les assem-(1) L’opinion de M. le comte Stanislas de Clermont-Tonnerre n’a pas été insérée au Moniteur. 58 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [21 septembre 1789.] blées municipales, avant de déterminer la forme du Corps législatif, il faut regarder ces assemblées comme les éléments de ce Corps. C’est ce principe que je crois inexact et dangereux; c’est dans l’opinion de M. l’abbé Sieyès lui-même que je chercherai des armes pour le combattre. S’il est vrai, s’il est évident, comme il l’a démontré, que la France ne peut pas être une démocratie; S’il est vrai, s’il est évident, comme il l’a encore démontré, qu’un Etat, dans lequel la volonté générale serait le résultat de toutes les volontés des provinces , des districts , des municipalités s'expliquant directement sur chaque objet, serait une véritable démocratie, Il est aussi vrai , aussi évident que les municipalités ne sont pas les éléments du Corps législatif. Leur organisation est totalement indifférente à la sienne ; ce n’est pas comme membre de telle ou telle municipalité; ce n’est pas en raison du mode selon lequel elle aura été établie ; c’est comme citoyen , c’est comme Français , que chaque individu est élément du Corps législatif, en ce qu’il contribue par son suffrage, à la nomination de ses membres. Il n’a, il ne peut avoir, il ne peut tenir de l’organisation quelconque d’une municipalité aucune autre influence sur lui ; il ne peut lui donner de mandats; il ne peut même lui donner d’instructions. Le Corps législatif étant un pouvoir constitué et au-dessus des provinces, des districts, des municipalités, des individus, il ne doit en recevoir que des pétitions respectueuses ; voilà les principes de M. l’abbé Sieyès , voilà les miens ; nous ne différons que dans les conséquences auxquelles ces principes conduisent. Que sont donc les municipalités? dira-t-on. Elles sont, ainsi que les assemblées de district, ainsi que les assemblées de province, de simples corps administratifs qui. ne doivent avoir aucune influence sur la législation, qui seront, à quelques égards, sous la surveillance du pouvoir législatif, et à plusieurs autres sous la dépendance du pouvoir exécutif. M. l’abbé Sieyès l’a dit et l’on ne peut trop le répéter : laFrance ne doit être ni une démocratie ni un état fédératif. En vain des novateurs imprudents, en vain des hommes qui ne sauraient garder aucune mesure dans les succès dont i 1s seraien t étonnés eux-mêmes, voudraient-ils renverser la monarchie qu’ils confondraient avec le despotisme ; legénie de la France ne souffrirait pas que de tels desseins s’accomplissent; tous les bons citoyens se réuniraient et conserveraient, même au prix de leur sang, le gouvernement qui convient à notre position géographique et politique et à notre esprit national. Mais s’il était un moyen de rendre possible et probable la dissolution de la France en démocratie, ce serait peut-être celui que M. l’abbé Sieyès a lui-même proposé dans des vues totalement contraires. J’ose le dire parce que je le pense : organisez les municipalités avant d’avoir organisé le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif, et la démocratie sera formée, et la monarchie ne sera plus possible à rétablir. En effet quelle unité peut-on attendre d’une multitude de corporations organisées séparément, ne pouvant tenir à aucun centre commun, existant et existant organisées avant le pouvoir qui en assure l’exécution ? Où cette organisation sera une véritable anarchie ou elle sera un état régulier. Si elle est l’anarchie, ne la créons pas ; si elle peut exister régulièrement avant les pouvoirs auxquels il faudra l’assujettir, quel sera le moyen de l’engager à souffrir sans troubles l’établissement de ces pouvoirs? Je crois ces raisonnements justes; les faits viennent encore à l’appui. Paris s’est organisé en district avant de s’être organisé en municipalités; les districts ont nommé un corps réprésentatif et ont përsisté dans leur organisation de districts. Qu’en est-il résulté? C’est que les districts font quelquefois obstacle à ce que l’Assemblée de représentants décide ; c’est qu’il y a peu d’unité dans l’administration ; c’est qu’exagérant leurs prétentions, il y a eu des districts qui se sont permis d’articuler une opinion impérieuse sur les objets qui occupent actuellement l’Assemblée nationale. Que sera-ce donc, lorsque, dans toutes les parties de la France, il existera de semblables corporations. Quel moyen pour les perturbateurs du repos public 1 Quel danger pour la Constitution 1 On verrait bientôt arriver de toutes parts des mandats impératifs, et l’existence de ces mandats est, comme en convient l’abbé Sieyes, le caractère distinctif d’un Etat démocratique. Je conclus qu’il est nécessaire d’organiser promptement et avant tout le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif et que le travail des municipalités ne doit être entrepris que lorsqu’en établissant leurs droits, on pourra, par le même acte, leur indiquer leurs devoirs. Je passe à la discussion de la seconde partie de l’opinion de M. l’abbé Sieyès : Il refuse au Roi tout veto et ses motifs m’ont paru se réduire à cette série de raisonnements : 1° Le Roi est UN avec la nation, on ne peut donc le placer hors de la nation, et c’est l'effet du VETO qui est une sorte de LETTRE DE CACHET CONTRE LA VOLONTE NATIONALE. 2° Un suffrage ne peut en étouffer plusieurs sans qu’il ne devienne possible qu'il les étouffe tous ; et alors la loi pourrait devenir V expression de la volonté d’un seul. 3° Le droit d' empêcher, équivaut au droit de faire ; lorsque la majorité rejette une proposition, elle n’use que d’un véritable VETO et cependant elle exerce le pouvoir législatif. 4° Enfin, la précipitation, seul danger de l’unité du Corps législatif, peut être arrêtée par deux moyens: le rassemblement d’une Convention ou pouvoir constituant, sur la réquisition de l’un des pouvoirs constitués, et la division de l’Assemblée en trois sections ou Chambres qui, délibérant séparément sur les mêmes objets et pouvant prolonger leurs délibérations, retarderaient suffisamment la résolution définitive. Je vais suivre la même marche et combattre les propositions qui suivent l’énoncé des principes. D’abord je conviens que le Roi doit être un avec la nation ; mais je ne vois pas comment le veto même absolu l’en sépare. Nous convenons tous que le veto le plus absolu est nul contre la nation; mais on nous ajoute que le vœu de la législature, est le vœu national ; et je crains qu’il n’y ait ici une pétition de principes. Je vais clairement poser les miens, et c’est des assertions mêmes de M. l’abbé Sievès que j’aime à les appuyer. La France n’est point une démocratie. Une démocratie est le gouvernement dans lequel la collection des volontés forme la convention générale. La France est une monarchie. La volonté géné- [ÀSsëmblée nationàlë.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [21 septembre 1789.] Kft raie y est formée par celle de la représentation nationale. La représentation nationale peut être de deux sortes : La représentation extraordinaire, nommée Convention ou pouvoir constituant. La représentation ordinaire, nommée Législature ou Assemblée nationale , et qui est un pouvoir constitué. Certes, il existe entre ces deux représentations une différence bien sensible. La première gui est antérieure à l’établissement de la Constitution bu destinée à la préparer serait évidemment la représentation nationale, la deuxième serait (1) dépositaire de cette souveraineté entière dont Je principe est dans le peuple, mais qu’il ne peut exercer lui-même sans tomber dans la démocratie; aucun veto ne peut lui être opposé, sur ce point nous sommes d’accord. Mais les caractères dé souveraineté ou de volonté nationale ne se trouvent pas dans le pouvoir constitué ou la Législature : la Législature n’est pas souveraine puisqu’elle doit respecter la Convention, puisqu’elle est constituée parla Convention, puisqu’elle en est dépendante. La Convention qui l’a établie peut, dans la Constitution même, lui donner des entraves, l’assujettir à un mode quelconque enfid, même à un veto confié à un autre pouvoir, et dont l’action dirigée contre un pouvoir constitué ne peut jamais passer pour être dirigée contre la volonté générale. Un suffrage ne doit pas en balancer plusieurs, il parviendrait à les étouffer tous. Ce raisonnement aurait toute sa force, si le veto s’appliquait à la Constitution ; mais il me semble en ,avoir moins, s’il ne s’applique qu’à la Législature : alors, en effet, l’avis du Roi n’est point le suffrage d’un homme ; il n’est pas non plus le suffrage du pouvoir exécutif, car le pouvoir exécutif n’a point de suffrage, il n’a qu’une force et des bras ; mais cet àvis est le suffrage d’un véritable pouvoir constitué, d’une portion intégrante du pouvoir législatif ; alors le Roi aurait feçii du pouvoir constituant la charge d’être le modérateur de la machine législative,, et ce modérateur, ce législateur, serait placé dans la machine même et non en dehors comme le suppose M. l’abbé Sieyès. 11 me semble qu’aucun principe ne repousse cette manière de raisonner ; la question du veto se réduit à cette question simple qu’a encore posée M. l’abbé Sieyès : Est-il utile ou non que le veto soit admis ? Il est inutile de prévenir que ce n’est que relativement à la nation qu’il faut considérer cette utilité. Le veto a été présenté sous trois points de vue ; absolu , suspensif bu itératif. Le veto absolu a été coihbattu fortement, j’avoue qu’une seule raison m’en éloigne: c’est la probabilité qu’il serait difficilement employé par le Roi que l’effervescence publique menacerait, si, prévenu pour la loi proposée, le peuple ne voyait dans la Constitution même une espérance de là cessation du veto. (1) Cette Convention peut être formée pour créer en totalité la Constitution, ou il peut lui avoir été interdit, lors de sa création, d’en attaquer telle ou telle partie : dans ces deux cas, elle a la souveraineté dont je parle ; mais cette souveraineté illimitée dans sa nature, est limitée quant à son objet. C’est ainsi que l’Assemblée nationale actuelle ne peut pas détruire la forme monarchique, quoiqu’elle puisse fixer �souverainement les bornes et limites de divers pouvoirs. Le troisième ou le veto itératif me paraît n’avoir aucun de ces inconvénients; il fixe en droit à la durée de dëux législatures celle du veto du monarque, et en fait il ne la fixe qu’à une seule. En effet, si la loi proposée paraît nuisible au Roi, il opposera son veto : la Législature d’une part, le monarque de l’autre, instruisant l’opinion publique, le projet de loi sera réfléchi par tout le monde et à l’époque où la seconde législature sera formée, le procès sera décidé. Si la loi est mauvaise, la Législature ne l’exposera pas à un nouveau refus légal ; si elle est bonne, le Roi ne réitérera pas un refus qu’il serait forcé de rétracter dans peu de temps, et qu’il peut alors, èh conservant la dignité royale, rétracter volontairement. Il résultera donc de l’admission du veto itératif que les décisions seront lentes et réfléchies, mais que la volonté de la Législature ne sera point opprimée par la volonté d’un seul; et certes pour un peuple qui a une Constitution, il vaut mieux se passer d’unè bonne loi pendant plusieurs années que d’en voir subitement introduire de mauvaises et de destructives de la liberté publique. Mais les avantages ne peuvent-ils s’obtenir par d’autres moyens ? M. l’abbé Sieyès en a proposé deux. Le premier consiste à donner à chaque pouvoir constitué, la faculté d’invoquer un pouvoir constituant. Le second de diviser l’Asseniblée nationale en trois sections délibérantes. Le premier moyen me paraît très-dangereux. Je conviens qu’une Constitution ne peut être d’une durée indéfinie, que l’ouvrage des hommes a besoin d’être rectifié ; mais je crois qu’un ouvrage de cette importance, ne doit être revu qu’à de longs intervalles. Il est dans le principe invoqué par M. l’abbé Sieyès, que le pouvoir constituant est souverain dans tout Etat qui n’est pas démocratique. Il n’a pas même admis la modification de pouvoir que la Convention peut recevoir du peuple lorsqu’elle n’est appelée que pour un objet. Mais dans tous les cas et dans toutes les hypothèses, le pouvoir constituant, une fois rassemblé, ne pourrait que très-difficilement être retenu, être enchaîné dans ses opérations il voudrait non-seulement prononcer sur l’appel interjeté devant lui, par l’un des pouvoirs constitués, mais sur toute la Constitution, il voudrait la changer, la refaire ; il voudrait dénaturer les pouvoirs et en recréer de nouveaux. Je le demande à M. l’abbé Sièyés lui-même; serait-il prudent, serait-il utile; dans lë moment d’une lutte entre les pouvoirs constitués, dans le moment de la plus forte effervescence, d’appeler ce terrible arbitre, dont l’intérêt dirigé par l'influence des événements et des passions publiques. pourrait nous condamner au despotisme, s’il donnait la victoire au Roi, ou nous conduire à l’aristocratie, s’il faisait triompher le vœu de la Législature. Le secoud moyêri me paraît encore moins efficace. Trois portions délibérant séparément; formeraient bientôt trois esprits ; si le terme de leur délibération était fixe, il n’y aurait plus de veto réel, et je ne crois pas que le terme pût être fixé à un intervalle, assez lpng pour opérer une véritable suspension; si le terme était indéfini, sa majorité réduite dans une seule section, exercerait le plus absolu et le plus dangereux des veto. Alors se réaliserait le danger prévu par M. l’abbé Sieyès : on verrait dans le sein de l’âs- ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 60 [Assemblée nationale.] semblée, un petit nombre de suffrages enchaîner un grand nombre; et, s’il est vrai, comme le prétend M. l’abbé Sieyès, que le droit d’empêcher soit équivalent au droit de faire, on verrait la minorité de l’Assemblée exercer le pouvoir législatif (1). Je me résume et je conclus : 1° Que l’organisation du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif doit précéder celle des municipalités ; 2° Que le veto itératif doit être admis parce qu’il est utile, et qu’aucun principe ne le condamne. M. Gaultier de Blauzat (2). Opinion sur la sanction royale. Messieurs, la principale question dont s’occupe cette auguste Assemblée est posée de manière à embarrasser la discussion. L’on nous propose d’examiner ce que c’est que la sanction royale ..... on suppose donc qu’il existe une sanction royale : en ce cas, la pluralité des cahiers nous invitant à attribuer au Roi le droit de sanction, il ne resterait qu’à lui conserver ce droit tel qu’il aurait existé précédemment. Si au contraire, il n’existe pas de sanction royale, il n’y a pas lieu de demander ce que c’est que la sanction royale. Il faut cependant obéir aux cahiers et accorder au Roi le droit de sanctionner les lois ; mais en ce cas, il faut examiner quel droit nous entendons créer sous cette dénomination de sanction. Il me semble qu’en réduisant la question à ce point, on abrégerait la discussion et l’on rapprocherait les avis ; c’est la marche que j’ai prise pour former mon opinion, que je vais développer. Il n’existe actuellement aucune sanction royale, et il n’en a pas existé depuis que le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif ont été confondus, ce qui remonte à une époque bien reculée. Dans les derniers siècles de ce temps de despotisme, il s’était formé une idée de sanction parlementaire qui opérait, dans un sens opposé, le mal que l’on redoute de la sanction royale absolue. Les parlements accordaient ou refusaient l’enregistrement, je ne dirai pas suivant leur intérêt particulier, il est inutile de revenir sur des fautes vraies ou supposées, lorsqu’il n’y a plus lieu de les craindre ; mais je dirai que les parlements accordaient ou refusaient à la volonté particulière du Roi une adhésion également particulière, mais qu’ils faisaient respecter comme volonté générale; je ne crois pas qu’on entende maintenir cette sanction. La sanction que nos rois exerçaient avant la confusion des pouvoirs, ne conviendrait pas non plus au système de ceux qui croient à la nécesité d’un veto absolu dans la personne du Roi. Cette sanction qui prit naissance avec la monarchie, consistait simplement en ce que le Roi prononçait et publiait en son nom, comme chef de la nation, les lois qu’il avait réfléchies, et concertées avec la nation. Il ne faut pas qu’il reste de doute sur ce point (1) Supposez six. cents représenlants, trois sections, une durée de délibération indéfinie, le Roi, sans encourir le danger du veto royal, sans s’exposer aux influences de l’opinion publique, éterniserait la délibération avec cent un membres gagnés. (2) L’opinion de M. de Biauzat n'a pas été insérée au Moniteur. [21 septembre 1789.) de fait, car il est d’une grande conséquence dans cette discussion ; je le pose comme certain, parce qu’il est constaté dans ce qui nous reste d’authentique sur les lois promulguées sous le règne de Charlemagne, même sous le règne de Clovis. Les fondateurs de la monarchie auraient-ils pu concilier l’idée défaire les lois dans Rassemblée générale présidée par le Roi, avec l’idée que le oi, témoin des motifs déterminant les lois, aurait cependant pu refuser de leur donner la forme nécessaire poulies rendre authentiquement publiques et irrésistiblement exécutoires ? Cette sanction, qui dérivait d’un droit constitutionnel, ne formait pas cependant de veto même suspensif : le Roi avait la facilité de faire valoir ses observations ; tout sujet pouvait les critiquer ; l’histoire en rapporte un exemple relativement à un partage de biens communs, et cet exemple remonte aussi au règne de Clovis. Je crois cependant qu’il convient d’attribuer au Roi un droit plus étendu. C’est un droit que nous devons créer ; ainsi, au lieu de nous attacher à découvrir ce qu’est la sanction royale, nous devons examiner ce qu’elle doit être. La sanction royale ne peut être un droit qui appartient au Roi comme particulier et individu. Le Roi ne doit avoir d’intérêt que dans l’observation de l’ordre et dans la félicité publique. La sanction royale ne peut donc être que l’application d’une autorité jugée nécessaire à l’intérêt de la nation. Si cette autorité est nécessaire, c’est, ou pour donner plus d’authenticité aux lois reconnues convenables à la nation, ou pour empêcher l’effet des lois que les représentants des peuples proposeraient par erreur contre les intérêts même de la nation. L’application de Ja sanction dépendra donc toujours d’un simple jugement sur la convenance ou la disconvenance des lois qui seront proposées. Et remarquez, Messieurs, que ce jugement ne pourra jamais être fondé que sur une opinion particulière qui sera en contradiction avec l’opinion générale. Il n’est pas dans l’ordre des vraisemblances que l’opinion particulière d’un seul homme soit plus raisonnablement motivée que l’opinion du corps des représentants de la nation, plus sagement réfléchie que la résolution prise par l’élite de la nation, plus convenable au bien public que le parti adopté par ceux qu’on a cru le3 mieux instruits sur les véritables intérêts de la nation. Cette singularité peut cependant se trouver dans l’ordre des choses possibles ; l’histoire d’Angleterre en fournit l’exemple. Nous avons à examiner quel doit être l’effet du jugement du Roi dans ce cas supposé. Ce jugement du Roi sera-t-il souverainement décisif? en ce cas le Roi aura une volonté absolue, et d’autant plus dangereuse, qu’il l’opposera à la volonté générale ; il s’écartera donc du but que la nation s’était proposée en créant l’autorité sanctionnaire. Cet inconvénient serait d’autant plus dangereux, qu’il y aura beaucoup de lois à sanctionner incessamment, et qu’il y en aura d’autres à faire dans la suite, dont l’expérience montrera bientôt la nécessité. D’ailleurs, dans tous les temps et dans tous les cas, le pouvoir absolu d’empêcher l’établissement d’une loi ne serait pas moins à craindre que la liberté d’éluder ou de mépriser les lois déjà établies ; le germe et le ressort du despotisme se