ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [4 janvier 1791.] [Assemblée nationale.] légales. Ici on vous propose de rendre le jugement du juré irrévocable ; on interdit tout examen ultérieur. En effet, si l’on défend à l’accusé d’avoir un conseil, après qu’il aura été jugé� par le juré, comment pourra-t-il solliciter auprès du juge la révision du jugement? l’accusé condamné ne pourra donc pas dire au juge : je suis innocent; en voilà les preuves : laites revoir mon jugement. Que dis-je, il sera impossible de reviser le jugement ! il ne restera plus de traces des dépositions ..... On nous dit qu’on propose des moyens d’exécution plus faciles et plus sûrs; sans doute, il y a de grands inconvénients dans la pratique des jurés d’Angleterre : mais le plus grand de tous est l'usage de ne point écrire les dépositions, usage qui rend l’examen des jugements dérisoire ou impossible.... M. le Président. Vous avez bientôt à décider sur une motion qui vous forcera peut-être à renvoyer à demain la suite du discours de M. Goupil. M. ©émeimîer. J’ai écouté avec attention M. Goupil, il a combattu des dispositions de détail; mais il n’a point encore discuté le fond de la question. Je demande qu’en continuant son discours, il l’aborde enlin. (La suite de la discussion est renvoyée à la séance de demain matin.) M. le Président. J’ai reçu de M. Grezolies, député du département de Rhône-et-Loire, absent par congé, une lettre par laquelle il demande une prolongation. (La prolongation de congé est accordée.) M. Riquetti de Mirabeau, l’aîné, député du département des Bouches-du-Rhône , constate son retour à l’Assemblée, d’où il était absent par congé. M. l’abbé Grégoire. Vous avez bien voulu m’écouter quelquefois avec une indulgence que je réclame en ce moment. La religion, la patrie et la paix sont chères à mon cœur ; c’est en leur nom que je vais ai ticuler quelques mots. Parmi les ecclésiastiques, fonctionnaires publics, qui se trouvent dans cette Assemblée, les uns ont prêté leur serment, les autres s’y sont refusés ; de part et d’autre nous devons supposer des motifs respectables. Il ne s’agit que de s’entendre mous sommes tous d’accord ; il est certain que l’Assemblée n’a pas entendu toucher à ce qui est purement spirituel. {On applaudit.) Il est certain que tout ce qui est purement spirituel est hors de sa compétence; personne ne contredira cette assertion ; l’Assemblée a déclaré formellement le principe : elle l’a toujours reconnu ; elle a toujours applaudi ceux qui l’ont professé. {On applaudit.) G’est un premier motif pour calmer les inquiétudes. L’Assemblée ne juge pas les consciences, elle n’exige pas môme un assentiment intérieur. {Il/ élève beaucoup de murmures.) Je suis bien éloigné de prétendre justifier des restrictions mentales, mais je veux dire seulement que l’Assemblée entend que nous jurions d’être fidèles, d’obéir, de procurer l’obéissance à la loi ; voilà tout ce que l’Assemblée exige, voilà tout ce qu’elle demande parle serment qu’elle a prescrit. (On applaudit.) 11 se peut qu’une loi civile ne soit pas conçue et rédigée comme beaucoup de citoyens l’auraient désiré; cependant, par le serment 1 civique, ils se sont engagés à obéir et à prouver l’obéissance à la loi; je ne pense donc pas que le serment demandé puisse effrayer les consciences. Attaché par une union fraternelle, par un respect inviolable à mes respectables confrères les curés, à nos vénérables supérieurs les évêques, je désire qufils acceptent cette explication, et si je connaissais une manière plus fraternelle, plus respectueuse de les y inviter, je m'en servirais. {On applaudit.) M. Riqnetti de Mirabeau, l’aîné, demande la parole. (Des applaudissements se font entendre dans une partie de la salle.) M. Riquetti deMirabeau, l’aîné. Il me semble que pour avoir un assentiment général, la doctrine exposée par le préopinant doit être exprimée avec plus de clarté et de simplicité. L’Assemblée n’a jamais pu penser qu’elle avait le droit d’obliger à faire serment de telle chose ; elle a pu déclarer le refus d’un serment incompatible avec telles fonctions. Nul ne remplira telles fonctions, qu’il n’ait prêté tel serment; vous êtes maîtres de le dire, pourvu que vous regardiez comme démissionnaire celui qui refuse de prêter ce serment; en effet, à l’instant même de ce refus, il n’est plus fonctionnaire public. Je ne serais pas monté à la tribune pour donner cette explication, si on ne lisait sur les murs des carrefours une affiche inconstitutionnelle, inique; on y déclare perturbateurs du repos public les ecclésiastiques qui ne prêteront pas le serment que vous avez décrété. L’Assemblée n’a jamais permis, elle n’a jamais pu permettre une telle affiche. Celui qui, après avrnr prêté le serment d’obéir à la loi, n’obéirait point à la loi, serait criminel et perturbateur du repos public. Celui qui s’obstinerait à ne pas prêter le serment et à conserver l’exercice de ses fonctions, serait également criminel et perturbateur du repos public; mais celui qui se résigne, qui dit: Je ne peux prêter le serment, et je donne ma démission, n’est certainement pas coupable. (Toute la partie gauche applaudit.) G’est donc par une étrange erreur que ces affiches ont été placardées. La force publique doit réparer cette erreur. Avant de faire cette observation, à laquelle j’attache quelque importance, j’ai dit dans quel sens je concevais l'explication donnée par le bon citoyen, par l’ecclésiastique respectable qui a parlé avant moi. Dans ce sens, j’y donne mon assentiment; dans tout autre, elle n’offrirait qu’une restriction mentale, et il serait aussi indigne de ce membre de la proposer, que de l’Assemblée de la tolérer. (On applaudit.) M. Railly, maire de Paris. Messieurs, je vais avoir l’honneur de vous rendre compte des faits qui concernent l’affiche dont le préopinant vient de parler. Lorsque les lois décrétées par l’Assemblée, acceptées ou sanctionnées parle roi, sont envoyées à la municipalité, elles sont transcrites sur le registre telles qu’on les reçoit. La loi relative à la prestation du serment des évêques, curés et autres ecclésiastiques, fonctionnaires publics, a été enregistrée par le corps municipal, jeudi 30 décembre : on en a ordonné l’impression et l’affiche. Les affiches ont été posées dimanche 2 janvier, avant le jour; dimanche au soir, on m’a apporté et dénoncé le titre de ces affiches. J’ai lu, en effet, avec surprise et avec douleur, le titre énonciatif de la loi, titre qui pouvait produire des effets funestes, et qui, d’ailleurs, était 15 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [4 janvier 179 1.] essentiellement faux, puisqu’il renfermait des disposions qui ne sont pas dans la loi. J’ai envoyé chercher le secrétaire-greffier de la municipalité, pour savoir s’il y avait quelque part, et, en même temps, j’ai donné ordre à l’imprimeur de réunir des ouvriers et les afficheurs, pour faire et publier les changements nécessaires au titre. Le secrétaire arrivé m’a déclaré qu’il n’y avait aucune part, qu’il inscrivait et publiait les lois, ainsi que leurs titres, tels qu’ils étaient envoyés. Il était alors minuit. J’ai été sur-ie-champ chez M. le ministre de la justice qui a vu, avec autant de douleur que moi, le titre qui avait été mis à cette loi. Il s’est assuré que c’était une erreur commise dans ses bureaux pour l’envoi des décrets. Il a corrigé lui-même le titre, ou plutôt il en a substitué un autre, qui a été envoyé sur-le-champ à l’imprimeur, avec ordre d’imprimer, de faire afficher, et surtout d’appliquer partout les nouvelles affiches sur les premières. (L’Assemblée ordonne que cette explication soit insérée en entier dans le procès-verbal de ce jour.) M. Malonet. D’après ces faits, il existe une grande prévarication; elle a été commise dans un bureau indiqué par M. le maire de Paris. Je demande qu’il en soit informé. M. Barnave. Je ne m’oppose pas aux mesures que l’Assemblée croirait devoir prendre, relativement à l’erreur commise dans la proclamation de la loi; j’observe seulement qu’elle est déjà réparée... Je dis qu’il est dès lors un objet plus pressant dont nous devons nous occuper. . . L’intention de M. Malouet est de prévenir les inconvénients de cette erreur, et d’empêcher que, faite à Paris, elle ne puisse servir d’exemple ailleurs. Le premier moyen à employer est d’iuscrire sur le procès-verbal la dénonciation qui en a été faite; on pourra ensuite réclamer telle peine qui paraîtra convenable contre ceux qui l’ont commise. (Il s’élève des murmures dans la 'partie droite.) Quand le moment sera venu de prononcer sur eux, je ne serai pas plus indulgent qu’un autre; mais je pense qu’en ce moment on doit exécuter le décret du 27 novembre, et se conformer à l’ajournement prononcé hier. MM. l’abbé Grégoire et de Mirabeau ont donné une explication qui ôtait dans l’esprit de tout le monde; il faut donc maintenant exécuter la loi, puisque le délai est expiré. J’observerai seulement que, quoique le décret lui-même prononce tout ce qui est nécessaire pour son exécution, il faut que le mouvement soit communiqué aux corps administratifs par le point central, par le pouvoir exécutif. Je demande donc que, sans préjudice de l’erreur commise dans la proclamation de la loi à Paris, M. le président interpelle les membres de cette Assemblée qui sont fonctionnaires publics ecclésiastiques, de prêter serment conformément au décret. J’espère et je désire qu’ils ne répondent pas par un refus; mais si cela arrivait, je demande que le président se retire par devers le roi, pour le prier d’ordonner, au terme des décrets, qu’il soit procédé, suivant les formes constitutionnelles, à l’élection aux évêchés et cures vacants par le défaut de prestation de serment. Je conçois cependant que nulle mesure nouvelle n’est nécessaire, mais je crains que tant que l’Assemblée n’aura pas parlé, il n’y ait du doute sur l’exécution de la loi, des variations dans le mode de cette exécution, dans tel ou tel lieu, et que les résistances, en grossissant, n’affïigent le patriotisme et ne troublent la paix publique. M. laicas. Je demande en amendement que l’appel nominal des ecclésiastiques fonctionnaires publics soit relevé sur trois colonnes ; la première, portant le nom des absents; la seconde, celui de ceux qui ont prêté ou prêteront le serment ; la troisième, celui de ceux qui refuseront le serment. Celte dernière colonne serait distraite et renvoyée au roi. M. Bfquetti de Mirabean, l'aîné. Soit que l’Assemblée adopte ce mode, soit qu’elle en adopte tout autre pour s’assurer de la prestation du serment, laquelle est actuellement nécessaire pour rester fonctionnaire public, je demande la question préalable sur cet amendement. Il est impossible de prévoir, par un décret, qu’il y aura des refusants. Peut-on supposer, après les explications simples, les invitations charitables que vous venez d’entendre, que des ecclésiastiques, que des ministres de paix veuillent secouer sur leur patrie les torches de la discorde ! M. tiMcas. Je retire mon amendement. M. Camus. Je demande que ce qu’a dit M. Grégoire soit inscrit sur le procès-verbal. M. l’abbé Thirial. Je m’étais présenté ce matin avec plusieurs de mes confrères pour Drê-ter le serment conformément au décret du 27"no-vembre, et pour dire ce que M. l’abbé Grégoire a dit avec plus de succès que je ne l’aurais fait. Je ne lui envie pas les applaudissements que vous lui avez donnés. Il ne me reste maintenant qu’à obéir à mon devoir. M. l’abbé Thirial prête le serment. — (On applaudit.) M. l’abbé Maury. Je me serais imposé le silence le plus absolu dans cette délibération, si l’Assemblée s’était uniquement occupée de l’exécution de son décret ; mais l’explication qu’on a donnée pourrait induire en erreur une partie de l’Assemblée, et il m’a paru indispensable... M. Canins. Je demande la parole pour établir que M. l’abbé Maury ne doit pas parler et que la discussion doit être fermée. M. l’abbé Maury, On n’a pas le droit de m’interrompre. .. M. le Président. Une partie de l’Assemblée pense que la discussion est assez étendue. M. l’abbé Maury. Frappez, mais écoutez ! M. le Président. Quand je réclame la parole, on ne peut me l’interdire; j’ai le droit de la prendre quand le service de l’Assemblée l’exige; je dois la consulter. La majorité seule fait la loi. (c'Assemblée décide à une très grande majorité que la discussion est fermée.) M. Barnave. Ma proposition est composée de deux motions distinctes. La première, sur laquelle il s’agit de délibérer maintenant, consiste à demander que M. le président interpelle les ecclésiastiques, fonctionnaires publics, membres de cette Assemblée, de prêter le serment conformément au décret du 27 novembre.