(24 jum 1791-J 479 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES* « Le roi est parti de Varennes à 7 heures; je me suis trouvé retardé pour avoir des chevaux avec MM. de Damas et Ghoiseul; la municipalité était partie avec le roi pour l’accompagner jusqu’à Clermont, et le peuple n’a pas voulu nous laisser partir avant sou retour : nous avons été retenus prisonniers à Varennes, et je n’ai quitté cette ville que mercredi matin, lorsque j’ai vu partir pour Verdun MM. de Damas et Ghoiseul, sous une escorte très forte de la garde nationale de cette ville, qui s’était rendue à Varennes au sujet de l’arrestation du roi. A quelques lieues de Varennes, j’ai trouvé, à Sainte-Meuehould, une nouvelle difüculté pour mon retour, sur une fausse alarme que des régiments étrangers s’étaient répandus dans Varennes. J’ai été arrêté de nouveau comme venant de ce pays-là, et n’en ayant pas donné avis ; et c’est à MM. les administrateurs du district de Clermont, qui sont ici, et qui ont répondu de ma personne, que je dois d’être arrivé. « J’avais oublié, Monsieur le Président, de vous dire que M. de Ghoiseul, retenu avec moi, m’a dit qu’il avait reçu les ordres particuliers de M. de Bouillé pour se trouver à Varennes sans détachement. Quant à M. de Damas, il avait un ordre de M. de Bouillé de faire partir son régiment pour aller en garnison à Mouzon en passant par Sainte-Menehould et Glermont, de se soumettre aux ordres que lui donnerait sur sa route M. de Goglas, adjudant général, qui, dans cette affaire, paraît avoir eu la confiance de M. de Bouillé. » M. Martinet, administrateur du district , obtient la parole et dit : « Messieurs, « Nous sommes chargés, par le directoire du district de Glermont, de mettre sous les yeux de l’Assemblée les procès-verbaux et pièces relatives au voyage du roi. Ce ne peut être sans un vif sentiment de douleur que nous allons vous retracer [le complot affreux qu’avaient formé les ennemis de la patrie ; mais il est au moins pour nous quelque consolation : celle d’avoir rendu inutiles leurs coupables manœuvres, et celle d’avoir été témoins du patriotisme de tous les citoyens, du respect des soldats pour la loi, et de ces traits de civisme qui, heureusement, ne vont plus devenir rares. « Pour ne point abuser des moments précieux de l’Assemblée, nous ne lui retracerons point des événements qui lui sont connus, et dont les circonstances affligeantes se trouvent détaillées dans le procès-verbal que le directoire a dressé, de tous les faits dont il a été témoin. Mais, Messieurs, nous ne pouvons passer sous silence le zèle infatigable des gardes nationales, le patriotisme des dragons du 13° 'régiment, dont un détachement se trouvait à Glermont, et qui, malgré les ordres de son commandant, a constamment refusé de marcher contre les citoyens, d’après les défenses qui leur en avaient été faites par le corps administratif et la municipalité. Nous vous retracerons la conduite sage, héroïque même, de M. Sauce, procureur de la commune de Varennes, qui ne répondit aux promesses les plus insidieuses, aux caresses mêmes, que par ce seul mot : Je dois beaucoup à mon roi, mais tout à ma patrie. ( Vifs applaudissements.) < Nous déposerons sur le bureau les procès-verbaux et pièces relatives à cette affaire. » M. le Président répond : « Lorsqu’une grande nation a connu la liberté, elle ne saurait craindre de s’en voir privée : des orages peuvent l’agiter et troubler la paix dont elle jouit, mais il n’est plus d’événements qui puissent lui rendre des chaînes. Ges chaînes sont brisées, et un fonctionnaire public, quelque importantes que soient ses fonctions, ne saurait, par l’oubli de ses devoirs, en relâcher les anneaux dispersés. « Vos soins ont, dans cette circonstance critique, présenté une prudence et un zèle qui vous obtiendront la reconnaissance publique, dont l’Assemblée nationale vous offre en ce moment l’expression. Elle a écouté votre récit avec intérêt et vous invite à assister à sa séance. » ( Vifs applaudissemen ts.) M. Manchand, secrétaire de district, obtient la parole et dit : « La Providence veillait sûrement sur l’Empire français, lorsqu’un concours de circonstances heureuses nous ont permis de déjouer le noir com-plotqu’avaientformélesennemis du bien public; mais à peine sommes-nous sortis d’une première alarme et croyons-nous en avoir triomphé qu’au moment de partir pour vous apporter des pièces que nous mettons aujourd’hui sur le bureau, il nous en est survenu de nouvelles et plus terribles encore. Voici, en effet, l'avis que la municipalité de Montfaucon nous a adressé dans la journée d’hier. « Une lettre nous annonce que les troupes ennemies paraissent en armes sur la Meuse et dirigent leur route vers Gomentroyes et Yillonnes, les deux villages du district de Montmédy les plus voisins des frontières. Aidez-nous à pourvoir à la sûreté des frontières et surtout envoyez-nous des munitions. « Ce 23 juin 1791. » <• Messieurs, aussitôt que l’on a remis cette nouvelle, l’alarme s’est répandue partout, et déjà elle était jusqu’à Ghâlons, lorsque nous sommes arrivés à deux heures. 11 est instant, Messieurs, même d’avoir des armes. Il n’y a pas de quoi armer un homme sur 20. Les gardes nationales se sont empressées, ont réuni leurs efforts pour sauver la patrie lorsqu’elle est menacée. « Je prie l’Assemblée de prendre cela en considération, et surtout d’y faire passer des munitions dont on a éminemment besoin. J’ose attester l’Assemblée et lui répondre des sentiments de tous les citoyens. N’eussent-ils que leurs bras, ils fondront sur les ennemis de la France qui sont les leurs personnellement. Oui, Messieurs, les ennemis de la patrie ont beau faire, jamais ils ne feront tomber l’édifice de la Constitution que vous nous avez donné, et le roi qui entreprendrait de la détruire, régneront plutôt sur un désert que de faire obéir des hommes faits à tous égards pour être libres... « {Applaudissements prolongés.) M. le Président. L’Assemblée nationale, qui ne perd de vue aucun des objets qui tiennent au salut de l’Empire, a déjà pris en considération les mesures que vous lui dites être nécessaires. Elle va renvoyer au comité militaire les nouvelles considérations que vous venez lui soumettre. M. de Menou. En admirant, ainsi que toute l’Assemblée, le courage et le patriotisme des habitants des frontières, j’ai l’honneur de rendre 480 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [24 juin 1791 .J compte à l’Assemblée que dans ce moment-ci le comité militaire s’occupe des mesures relatives aux demandes qui viennent de vous être faites, et que dans la journée tous les ordres partiront. { App laudissemen ts.) M. Prieur. On demande la lecture du procès-verbal du directoire du district de Clermont. Un de MM. les secrétaires donne la lecture de ce document qui est ainsi conçu : Extrait des registres des délibérations du directoire du district de Clermont au département de la Meuse (1). « Aujourd’hui mardi vingt et un juin mil sept cent quatre-vingt-onze, les onze heures de relevée, le directoire du district de Clermont s’est assemblé, sur ce que tous les citoyens de la ville de Clermont, alarmés d’avoir vu, pendant le cours de la journée, des mouvements que le commandant du treizième régiment de dragons, nommé Damas, a fait faire à un escadron de ce régiment, arrivé le vingt de ce mois en cette ville pour y loger avec séjour (quoique la lettre d’avis du département portait qu’il devait arriver le dix-neuf); mouvements dont la troupe même ignorait le motif, et d’autant plus alarmants, que l’on avait vu les soldats se munir de pierres à feu; qu’à l’heure de dix du soir l’inquiétude des citoyens est augmentée, lorsqu’après le passage de deux voitures, précédées d’un cabriolet, dont une berline à 6 chevaux, un cabriolet à 3 chevaux et deux courriers en avant, dont l’arrivée semblait avoir été prévue (parce que deux jours auparavant un détachement d’hussards ci-devant Lauzun, en garnison à Varennes, avait été dépéché à leur rencontre, sous prétexte d’aller escorter leur trésor à Châlons); on a vu les sous-officiers dudit régiment de dragons aller de maison en maison réveiller les dragons, et leur donner ordre de monter à cheval, et de s’assembler en armes sur la place de l’Hôtel-de-Ville pour partir à l’instant, sans leur faire connaître leur destination. Sur les plaintes et les murmures des citoyens, le directoire du district et la municipalité s’étant réunis pour en conférer, ont délibéré de se rendre auprès du commandant à l’instant même, pour lui faire part des alarmes des citoyens ; en conséquence, M. le maire de Clermont, M. Martinet, membre du directoire du district, et le procureur syndic se sont rendus au logement dudit sieur Damas, disposé à partir, et lui ont exposé les alarmes et les inquiétudes des citoyens, causées tant par les mouvements qu’il avait fait faire auxdits dragons pendant le cours de la journée, que par le passage desdites voitures, par une route détournée de celle de la poste ordinaire pendant la nuit, et par le départ précipité de sa troupe, et demandé les ordres qui autorisaient une telle conduite, suspecte à tous égards dans les circonstances actuelles, en annonçant leurs qualités et fonctions; à quoi ledit sieur Damas a répondu d’un air embarrassé, et avec beaucoup d’émotion, qu’il ne faisait rien qui fût suspect, et qu’il avait des ordres. Sommé de les exhiber, il a tiré de sa poche précipitamment un ordre, qu’il a dit être de M. de Bouilié, et une lettre qu’il a dit être de M. Gogueral. Sur (1) Le Moniteur ne donne qu’un extrait de ce document. ce qui lui a été observé par le sieur maire, qu’il outrepassait les ordres qu’il exhibait, il a répondu d’un ton fort animé, qu’il était le maître d’en ordonner, et que sa troupe partirait, quoique lesdits députés l’aient requis, au nom de la loi, de tranquilliser les citoyens en faisant coucher sa troupe en cette ville. Sur un mouvement de refus précipité, après avoir replié lesdits ordres, le sieur maire lui a dit qu’il le sommait d’arrêter. A l’instant, ledit Damas est sorti précipitamment de sa chambre, et s'est porté dans la rue en criant : A moi, dragons ! tandis que lesdits députés étaient encore dans sa chambre et en sortaient. Ges mouvements et cris les ayant confirmés dans les soupçons présentés par les citoyens, qu’une tel le démarche était suspecte et les mettait en péril, la municipalité s’est à l’instant rassemblée, la trompette des dragons a sonné pour monter à cheval, malgré l’obscurité de la nuit; on a battu la générale; les gardes nationales rassemblés, la municipalité revêtue d’écharpes et le corps administratif, s’étant rendus sur la place où les dragons étaient rangés en bataille, ayant à leur tête ledit sieur Damas et les autres officiers, M. le maire, accompagné des officiers municipaux, lui ont représenté qu’il exposait les citoyens d’un côté, et de l’autre ses dragons qu’il compromettait par sa résistance. Aux nouvelles interpellations qui lui sont faites de se rendre èi l’hôtel de ville, pour y exhiber ses ordres et les faire examiner, il s’est refusé : enfin, pressé par différentes interpellations, il les a enfin remis audit sieur maire, tels qu’ils viennent d’être énoncés. Dans cet instant de crise, les officiers municipaux, les administrateurs du district et jle procureur syndic, voyant le danger imminent où la résolution de cet officier-commandant plongeait les citoyens, ont exposé à haute voix à ce commandant, aux autres officiers et aux dragons, que l’on n’exigeait d’eux que de passer la nuit à Clermont dans leur logement. Le vœu de tous les citoyens porté à haute voix vers les dragons, à qui on a demandé de manifester leur patriotisme dans des circonstances aussi affligeantes, consternés eux-mêmes, n’ont fait aucun mouvement au commandement de marche , qui leur a été donné. (Vifs applaudissements.) Les citoyens, officiers municipaux, administrateurs, et le procureur-syndic, touchés du patriotisme des dragons, ont crié : Vive la nation ! Ce cri a été répété par les dragons, qui, un instant après, ont mis pied à terre sur les ordres dudit sieur Damas; et cependant le sieur Damas et les officiers restaient à cheval : ledit sieur Damas, sommé de nouveau par la municipalité de se rendre à l’hôtel de ville, s’est porté vers son logement précipitamment; et au lieu de s’y arrêter, s’est enfui : lesdits corps réunis s’y sont rendus, croyant l’y trouver; mais ils ont reconnu qu’il n’y était point entré, et qu’il ne restait dans sa chambre que l’étendard enfermé dans son étui. Les dragons étaient rentrés paisiblement dans leur logement, il a été établi des gardes et patrouilles pour la sûreté publique ; de tout quoi il a été dressé, sans désemparer, le présent acte, dans la salle du directoire du district, avec et en présence des officiers municipaux et du procureur de la commune y rendus, et achevé le vingt-deux juin les deux heures du matin, et ont, MM. présents, signé : Manchand ; Burnet, maire; Baudette, officier municipal; Jacquin, procureur de la commune; Devillay, président du district; Quivault, L.-J. Raux, Martinet, administrateurs; Manchand, procureur syndic, et Manchand le jeune, secrétaire.