[6 janvier 1791.] 47 ARCHIVES PARLEMENT AIRE S. [Assemblée nationale.] pour rendre compte d’un fait ; je vais prouver que par des insinuations perfides, par des visites, par des lettres écrites aux curés. . . Plusieurs voix à droite .-Vous n’avez pas la parole. M. Barnave. Nous ne devons, Messieurs, ni nous écarter de la marche quenous nous sommes prescrite par nos décrets, ni profiter du moment d'erreur dans laquelle on aurait voulu entraîner des hommes dont la conduite précédente a déjà prouvé l’honnêteté. Ainsi la seule marche qu’ils aient à suivre, c’est d’examiner en eux-mêmes les décrets, les lois auxquels ils ont juré l’obéissance; alors ils seront parfaitement convaincus qu’ils ont juré ce qu’ils peuvent et doivent faire. S’il leur restait des incertitudes à cet égard et si leurs intentions avaient changé, ce n’est plus à nous, mais à leurs municipalités qu’ils doivent s’adresser. Ce n’est pas en rétractant un serment prêté, ce qui est absurde, mais en donnant leur démission, parce que c’est la seule marche que puissent prendre ceux qui vraiment auraient changé d’opinion. Cette marche, régulière en soi, leur donnera d’ailleurs le temps de réfléchir et évitera la première impression subite, fâcheuse pour eux et pour la société, qu’auraient pu faire les efforts qu’on a pratiqués sur eux depuis le moment où la loi a été prononcée et auxquels un instant de faiblesse leur a fait céder, mais dont leur conscience et la réflexion les guériraient certainement. Je demande qu’on passe actuellement à l’ordre du jour, avec la résolution de ne plus entendre de lettres ni de propositions de la nature de celles dont il est question. ( Applaudissements .) Plusieurs membres : Aux voix ! (L’Assemblée, consultée, adopte la motion de M. Barnave.) M. l’abbé Massion . J’ai demandé la parole pour un fait.... M. de Montlosier. Si vous accordez la parole je demande qu’il soit permis de répondre et qu’on ne concentre pas dans cette Assemblée un ordre de choses tel qu’on interrompe l’orateur en demandant, les uns à passer à l ordre du jour, les autres à lever la séance. M. Barnave a eu la parole; personne n’a pu lui répliquer; cela me paraît injuste. M. le Président lève la ‘séance à trois heures. ANNEXE A LA SÉANCE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE DU 6 JANVIER 1791. nota. M. Dupont, député de Nemours , fil imprimer, sous la date du 6 janvier 1791, et distribuer aux membres de l’Assemblée nationale, un travail sur l’impôt, qui doit trouver place dans les Archives parlementaires. Ce document que nous insérons ci-dessous est intitulé : De quelques améliorations dans la perception de l'impôt et de l'usage utile qu'on peut faire des employés réformés. Lorsque, après un long et pénible combat, des généraux citoyens se voient enfin m litres du champ de bataille, mais entourés de guerriers blessés et de légions affaiblies et rompues, ils doivent considérer ce qui peut encore être à faire fiour le service de la patrie, avec les forces qui restent à leur disposition, et comment rallier aux drapeaux de l’Etat ceux dont le sang qui coule a payé la victoire de leurs compagnons. Telle est à peu près la position où se trouve aujourd’hui l’Assemblée nationale : elle a fondé la Constitution, elle a réformé les finances; elle a consolidé la puissance nationale; elle a renversé tous les obstacles qui pouvaient contrarier ses vues; elle a fait avec courage le bien public; il en est résulté quelques maux particuliers qui ne devaient point arrêter sa marche, mais qui doivent lui inspirer de la compassion lorsqu’elle touche au but; il est nécessaire qu’elle les adoucisse autant et aussitôt qu’il est en son pouvoir. Trente mille hommes, peut-être, employés dans l’ancienne administration, exécuteurs de la loi qui existait alors, et qui remplissaient un devoir civique lorsqu’ils en étaient exécuteurs fidèles, se trouvent privés de leur état et de tout moyen de subsistance, punis sans avoir été coupables. Un grand nombre d’entre eux ont reçu uue éducation distinguée; un grand nombreuse sont dévoués à la Révolution, dont ils avaient tout à craindre, et ont donné dans la garde nationale des preuves d’un véritable patriotisme. S’ils demeurent inutiles, il faudra continuer de les solder, au moins pendant un temps, aux dépens du public; car on leur doit, comme aux religieux, le pain qu’on leur ôte. Si, au contraire, on les rend utiles, si Ton en tire un travail qu’il faudrait confier et payer à d’autres mains, on pourra exercer envers eux la justice et l’humanité, sans qu’il en coûîe à la nation. Il faut donc examiner, parmi les institutions qui doivent être faites pour le plus grand bien de la société, celles qui peuvent l’être avec le plus d’économie pour les contribuables, avec le moins de privations et de souffrances pour les citoyens qui ne pourraient en éprouver, sans réclamer une juste indemnité. Il ne faut pas créer des travaux inutiles. Instituer des travaux pour des hommes qu’on voulait gratifier et favoriser, c’était un des délits de l’ancienne administration ; mais il ne faut pas non plus charger de nouveaux travaux des hommes nouveaux qu’on enlèverait à d’autres occupations plus utiles. Il ne faut pas perdre le surcroît de profit que donnent à la société les citoyens accoutumés à l’exercice de l’agriculture, des mé-ti rs ou des arts, et qu’on déroberait à ces importantes sources de richesses pour de stériles emplois. Il ne faut pas prendre le salaire qu’on ne pourrait éviter de continuer, en tout ou en partie, aux anciens agents de l’administration, que Ton condamnerait à une dangereuse oisiveté. Deux grandes branches de travail se présentent, auxquelles il faut nécessairement occuper un nombre con-iderable de citoyens : la perception de l’impôt indirect, le recouvrement de l’impôt direct. Il faut d’abord employer à la première tous ceux qui jusqu’à ce jour en ont fait le service. Il faut ensuite voir s’il ne serait pas très utile de 43 [Assemblée nationale.] faire servir à l’autre le3 hommes disponibles qu’on a sous la main, au lieu de détourner d’un travail plus important ceux qui ont ce travail plus important à faire. 11 n’y a point d’inquiétude à prendre sur le sort des employés de l’administration actuelle des domaines, ils seront nécessaires pour la régie du droit d’enregistrement et de celui de timbre, ils n’y suivront pas, et la branche de revenu à laquelle ils concouraient, ayant reçu par les décrets de l’Assemblée nationale une granue extension, est une de celles qui offrent un asile naturel et juste aux sujets devenus inutiles pour les autres régies. Quant à ceux-ci, les employés des fermes, de la régie générale et des autres administrations détruites, peuvent être divisés en trois classes : La première comprend ceux que l’âge et les infirmités mettent hors d’état de remplir des fonctions publiques, et ceux qui, ayant rempli avec distinction des places du premier rang, ne seront pas dans le cas d’étre employés à des fonctions purement subalternes et ne pourront, à l’instant même, en trouver d’analogues à leurs talents, il faudra nécessairement accorder aux premiers, pour leur vie, aux si corids, jusqu’à leur remplacement, des pensions proportionnées à la durée et à l’éminence de leurs services, comme aussi à leur ancien traitement. Parmi ceux qui sont susceptibles de travail, et n’ont occupé que des places communes, deux autres classes existent : Celle des hommes lettrés, et qui ont rempli des emplois qui demandaient de l’instruction ; Celle des hommes qui ne sont pas lettrés, ou qui n’étaient pas obligés de l’être, et qui n’avaient à s’acquitter que des simples fonctions de gardes et de visiteurs. Quant à ces derniers, leur place est trouvée. Puisque les préjugés commerciaux et monopolaires dominent encore; puisque les principes de la justice, de la raison, du droit naturel, si bien adoptés sur tous les autres points par l'Assemblée nationale, paraissent encore problématiques lorsqu’il s’agit de l’administration de l’agriculture, des manufactures et uu commerce; puisque l’intérêt bien entendu de ces trois grandes sources de la prospérité des nations, appuyé des noms imposants de Quesnay, de Turgot , de Gournay, de Mirabeau le père, de la Rivière, de Condorcet , de Schmidt a tde Léopold , et développé de nouveau dans ces derniers moments avec une logique si vigoureuse par M. Farcot , n’a pas encore persuadé cette arbitrai! e, incouséqueme et despotique reine du monde, qu’on appelle l'opinion ; puisque l’on veut opprimer la liberté sur quatre mille huit cents lieues carrées , autour de nos frontières, c’est-à dire sur la sixième partie du royaume, dans l’espoir insensé de faire mieux réussir les manufactures des cinq autres sixièmes, en gênant leurs spéculations, en rétrécissant le génie de leurs entrepreneurs, en les privant d’instruction, de modèles, de secours, en égarant leur industrie sur les fabriques et les méthodes les moins profitables; puisqu’il est décidé qu’un double cordon d’employés environnera la France d une double ceinture, il n’y a pas un des commis subalternes des traites intérieures et des gabelles à réformer, il n’y en a pas un qui ne soit utile et nécessaire pour les cordons qu’on veut établir. 11 faut vouloir ce que l’on veut; le pire des dangers sociaux est celui des lois inexécutées. Toute habitude de violation de la loi rompt le [6 janvier 1791.] lien social. Que la loi soit donc bonne ou mauvaise, la majesté de la nation réside sur elle; elle doit être obéie, comme Dieu, avec un pouvoir irrésistible. Plus elle est mauvaise, et plus il faut de foi ce physique à son appui. On trouve en ce cas deux avantages dans cette force supérieure à toute évasion, à toute résistance : d’abord le respect provisoire pour la société est mieux maintenu, et ensuite la mauvaise loi devient plus odieuse, et les esprits s’éclairant plus vite, elle dure moins longtemps. Il faut donc de trois choses l’une : Ou laisser le commerce étranger et celui de nos provinces frontières aussi libre que le demanderait notre Constitution, et que le sera notre commerce intérieur : cette espérance nous est ravie; Ou si l’on veut à l’entrée et à la sortie du royaume des droits de traite excusables aux yeux de la philosophie, il faut les rendre si légers, qu’il n’y ait pus d’intérêt à quitter la bonne route et à en prendre une plus pénible pour les éviter; Ou enfin, si l’on répugne encore môme à ce second parti, il faudra déployer la puissance fiscale dans toute son énergie, renforcer les postes, doubler les lignes, multiplier les patrouilles, serrer les cordons, rendre la barrière efficace. Alors, je Je répète, il n’y aura pas un employé de trop dans les anciens subalternes des traites, des gabelles et de la régie générale; plus ils seront multipliés, {dus ils percevront de droits, plus ils gagneront leurs frais, mieux ils rempliront les vues de monopole resserré dans l’inté-rhurde l’Empire, qu’on a cru devoir substituer à celles d’un commerce étendu sur l’Europe et sur l’univers. Quant aux employés qui occupaient des places où plus d’instruction était nécessaire, je répète encore qu’avant de leur donner une retrait*' gratuite, il faut examiner s’il n’est pas possible de tirer de leur travail un profit plus grand que le salaire qui lui sera du, et par lequel ou pourra remplacer mue retraite oisive que l’humanité et la justice auraient empêché de h ur refuser. D’abord il est évident qu’il faut prendre parmi eux tous les sujels que pourra occuper le droit d’enregistrement dans les départements de Paris, du Noid, du Pas-de-Calais, du Haut-Rhin, du Bas-Rhin, de la Saône, du Doubs, du Jura et de ia Corse, où les droits de contrôle u’élaient pas établis, et ceux qu’exigeront dans tout le royaume le droit de timbre et ia distribution des licences ou patentes aux debitanis qui paraissent entrer dans les résolutions de l’Assemblée nationale. Cette vue pour le replacement des employés est déjà décrétée par l’Assemblée. Quand je dis qu’il faudra prendre parmi ces sujets tous ceux que pourra employer le droit d’enregistrement dans les départements désignés, je n’entends certainement pas qu’il en faille composer à neuf l’administration de ce droit dans ces departements; mais j’entends qu’en employant la forme d’incorporation on pourra tirer des départements où les droits de contrôle étaient en vigueur ies sujets nécessaires pour former le fonds de la régie dans les départements où le droit d’enregistrement qui en dérive sera établi, et remplir dans tout le royaume les vides par les nouveaux employés principalement tirés de l’ancienne régie des aides : ce qui en placera précisément le même nombre que si l’on eût eu à d sposer pour eux de la totalité des nouveaux emplois qui a�rout lieu. Novices pour novices dans cette carrière, les employés des fermes delà régie générale le seront moins pour la perception ARCH1\ES PARLEMENTAIRES. [6 janvier 1791. J 49 ARCHIVES PARLEMENTAIRES. JAssemblée nationale.) du droit d’enregistrement que ceux qu’on pourrait prendre, et qui n’auraient jamais eu aucun exercice de fonctions publiques. Et pour le droit de timbre, dont la législation sera entièrement nouvelle, il y a encore apparence que des hommes accoutumés à étudier des ordonnances, pour v chercher la règle de leur conduite, seront de meilleurs employés que ceux qui n’ont pas cette habitude. Cependant le droit de timbre, la distribution des licences ou patentes, et l’extension donnée au droit d’enregistrement, ne pourront occuper qu’une partie des serviteurs auxquels la nation doit secours ou place. Il faut chercher à quoi employer utilement ceux qui ne pourront l’être dans ces régies. Je promène mes regards, et je trouve une institution onéreuse et funeste, par_ laquelle un service public indispensable a été, jusqu’à ce jour, mal rempli: institution qui coûte en argent, à la nation, un quart de plus qu’il ne serait nécessaire pour salarier presque tous les employés de la classe que nous cherchons à rendre utile, et qui coûte en outre, au peuple, un second impôt en faux frais et en temps perdu, plus considérable que celui qui se paye en argent. Cette institution est celle de la collecte des impositions directes et des impositions personnelles. On prend pour cette collecte deux citoyens au moins par communauté; on en prend davantage dans les communautés considérables. Ces citoyens sont obligés de quitter leurs affaires, de perdre leur temps qui est leur véritable moyen de subsistance, pour aller recueillir l’impôt ; ils en sont responsables, soit qu’ils aient pu ou non effectuer la recette; ils peuvent être mis en prison pour la faute ou l’impuissance d’autrui; et lorsqu’ils ont dérangé leur fortune pour avancer les deniers, ils n’ont de ressource qu’une réimposition tardive, pour retirer leurs fonds dans l’année suivante. Tous les ans, deux familles par communauté sont ou totalement ruinées, ou notablement dérangées dans leurs affaires, par la collecte. Aus-i la place de collecteur est-elle si redoutée, que l’ancien gouvernement créait de petites charges pour masquer un emprunt, l’exemption de la collecte était toujours le premier privilège qu’il offrait aux titulaires. Ii y a, dit-on, quelques communautés riches et modérément imposées, où fcn trouvait des collecteurs volontaires qui se chargeaient, par une adjudication au rabais, de ce service public. Je n’en connais point, et je doute que le fait soit exactement vrai, excepté dans le très petit nombre de communautés où l’impôt se percevait en nature, et pouvait s’affermer comme une autre dîme. On se flatte de trouver des collecteurs solvables qui, dans tout le royaume, voudront ainsi se rendre adjudicataires des soins de la perception à la moins dite, ou pour le moindre nombre de deniers par livre delà somme imposée. J’en doute encore beaucoup ; je suis certain qu’il est impossible d’établir un collecteur de ce genre par petite municipalité de campagne ; le nombre de deniers pour livre qu’on a coutume de donner au collecteur ne compenserait pas sa peine; il faudrait eu hausser le taux, et la perception deviendrait trop cjière. L’adjudication par canton serait possible, parce que la valeur des deniers pour livre, attribuée à la perception dans plusieurs communautés, peut lre Série. T. XXII. suffire au salaire de celui qui en sera chargé, et lui procurer même assez de bénéfice pour qu’il s’oblige à des payements réguliers. Mais cette adjudication, dans le premier moment, ne serait pas aussi profitable qu’elle le deviendra par la suite. Premièrement, parce qu’elle formera un genre d’entreprise nouveau, dont les embarras ne pourront pas être bien connus, ni par conséquent les bénéfices bien clairement calculés, ce qui établira peu de concurrence pour les adjudications. Secondement, parce que, dans ce moment qui suit un grand désordre, peu de personnes seront tentées de se charger de la perception. Un troisième inconvénient serait qu’en faisant l’adjudication on détournerait des travaux de l’agriculture, des fabriques et du commerce, des citoyens qui ne les ont déjà que trop suspendus, et par les mains et les soins desquels il est très pressant de rendre à ces travaux toute leur ancienne activité supérieure encore; et en détruisant, en ralentissant au moins leur utile travail, on leur attribuerait, sur les frais nécessaires de la recette du revenu public, un profit qui ne dispenserait pas de faire une double dépense pour l’indemnité des employés actuels devenus oisifs. Il est donc bien plus simple de confier cette recette, par cantons, à ces hommes auxquels on doit une retraite, et de soulager ainsi la nation de ladépensequ’ils lui occasionneraient, en même temps qu’on épargnerait au peuple la corvée de la collecte, et la ruine ou le dérangement de deux ou trois familles par année dans chaque communauté. On pourra même, en adoptant ce parti, soulager les contribuables des deux cinquièmes des frais actuels ; au lieu que, par l’adjudication, il y aurait à craindre que, dans ce premier moment, iis ne fussent augmentés. Les remises actuelles des collecteurs sont de six deniers pour livre sur le premier brevet de la taille, et de quatre deniers pour livre sur le surplus : trois deniers pour livre sur le tout suffiront pour des receveurs de canton. Sur une recette de trois cent soixante millions, tant d’imposition foncière que d’imposition mobilière ou personnelle, ils se monteront à quatre millions cinq cent mille livres ; ce qui, pour environ quatre mille cinq cents cantons, portera les honoraires moyens de chaque receveur à cent pistoles, ou, suivant la variété dus cantons, depuis six cents livres jusqu’à quatorze cents. Il y en aura quelques-uns, ceux qui se trouve-rontdans des villes, qui pourront retirer de leur place jusqu’à deux ou trois mille francs. Ce sort pourra même être amélioré par le concours à la perception de quelques-unes des impositions indirectes comme direction des licences, débit du papier timbré, débit principal de la portion de tabac qui pourra être fabriquée, même en état de liberté, pour le compte de la nation. On pourra prescrire, et l’on fera suivre à ces hommes accoutumés à des fonctions de comptabilité, des formes qui rendront leur situation toujours claire, tant vis-à-vis du trésorier du district, que vis-à-vis des contribuables. Ou leur fournira des registres, avec des formules imprimées ou il n’y aura que les blancs à remplir; on les obligera de donner des quittances pareillement imprimées, même pour les plus faibles acomptes. Quelques-uns de mes collègues ont cru que ce travail serait trop pénible, pour pouvoir être suivi sur plusieurs communautés par un seul homme ; mais l’expérience a prouvé contre eux. L’idée 4 50 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [6 janvier 1791.] que je propose n’est point neuve ; elle a été mise en pratique par M. Turgot , dans la généralité de Limoges, d’après la seule et bienfaisante vue d’épargner aux communautés la fatigue, la perte de temps et les dangers de la collecte. Ce qui s’est fait avec succès dans une province où les paroisses, très étendues et très distantes les unes des autres, sont composées, presque toutes, de hameaux écartés et de maisons dispersées, peut, à plus forte raison, se faire dans les autres départements qui présentent, à cet égard, des localités plus favorables. Quelques autres de mes collègues ont pensé que le droit d’élire ou de choisir le receveur du canton était intéressant à conserver et à exercer pour les contribuables. A conserver, oui, et à exercer dans le premier moment, non. L’intérêt de payer quatre ou cinq millions de moins que pourraient coûter les retraites indispensables des employés actuels de l’imposition indirecte est beaucoup plus grand. L’intérêt de nommer les répartiteurs est majeur, sans doute; et je serais bien loin de vouloir conseiller qu’ils ne fussent pas tous et dans tous les temps du choix des contribuables, car ce sont eux qui détermineront ce que chacun devra payer. Mais l’intérêt de nommer aussi les receveurs est beaucoup moindre, car le receveur n’est qu’une machine qui ne pourra recevoir un sou de plus ni de moins qu’il n’aura été proposé par les répartiteurs, et fixé par l’autorité des administrateurs qui rendront les rôles exécutoires. Or, dans tous les cas, les répartiteurs et les administrateurs sont et seront élus. Il n’y a donc point de communauté qui n’aime mieux tenir de la nation en général son receveur de canton, que de payer deux fois les frais de la recette ; comme il arriverait, si l’on nommait pour receveur un homme nouveau, tandis qu’il faudrait faire un tort à peu près égal à un ancien serviteur devenu inutile. D’ailleurs, l’arrangement que je propose n’est qu’un passage pour arriver, par la suite, à un autre ordre de choses qui sera encore préférable et pour épargner provisoirement, pendant quelques années, plusieurs millions par an à la nation; en même temps qu’elle exercera une humanité indispensable envers un granit nombre d’hommes qui ont souffert de la Révolution. A mesure que les citoyens qui ont actuellement à demander l’indemnité de la subsistance qu’on leur enlève mourront, les assemblées primaires des cantons pourront nommer leurs successeurs, ou les directoires de district, adjuger ces places à la moins dite , avec l’avantage que la manutention en sera connue, et qu’il pourra s’établir alors une concurrence plus animée pour rechercher cet emploi. Dans l’intervalle, le service public sera fait avec économie: 1° D’une somme égale à celle de toutes les retraites qu’on aurait dues aux employés; 2° avec économie des deux cinquièmes sur les premiers frais actuels de la perception ; 3° enfin, avec l’économie non moins importante de la fatigue et des pertes de temps, de travail et d’argent, que la collecte coûte aujourd’hui aux communautés et à la nation. Ou y trouvera un autre avantage que j’ai déjà légèrement iudiqué; c’est d’avoir, en chaque canton, un employé de la nation, qui pourra concourir à la perception des impôts indirects, à d’autant meilleur marché, que le fonds de la subsistance serait assuré par le produit des frais inévitables de la levée de l’imposition directe. Il pourra néanmoins arriver que, même en profitant des avantages que laissent toutes ces circonstances pour concilier l’humanité, l’économie, le bon emploi du temps et du travail, et la meilleure perception de l’impôt direct et indirect, il reste encore, pendant un temps, quelques commis réformés sans emploi. Lorsque leur âge ne sera point assez avancé, ou leurs services assez distingués ou assez anciens pour mériter et obtenir une pension, on ne leur en devra point; mais on leur devra un secours passager qui leur assure le loisir de se retourner, et soit d’embrasser un autre état, soit d’attendre qu’ils aient pu obtenir une autre place. Je proposerai, à cet égard, un arrangement à la fois noble, juste et peu coûteux. C’est de leur accorder une gratification déterminée par la valeur de leurs anciens appointements, et décroissante d’un sixième par année. Ainsi ceux qui jouissent de douze cents francs d’appointements, et qui ne pourraient être replacés au service de l’Etat, ou à celui des particuliers, auraient, en 1791, une gratification d e mille livres ; en 1792, une de huit cents; eu 1793, une de six cents-, en 1794, une de quatre cents ; eu 1795, une de deux cents; et rien en 1796. A la faveur de cette gratification décroissante, qui ne s’appliquera qu’à ceux auxquels un service public utile n’aura pas pu procurer un meilleur sort, la nation se sera montrée équitable, humaine et même généreuse, à très peu ue frais; car, d’une part, il n’y aura que peu de citoyens dans le cas de prétendre à la gratification ; de l’autre, on épargnera, dès la prochaine année, le sixième de leur ancien traitement; de l’autre enfin, on profitera, chaque année, de la totalité du traitement de ceux qui mourront, ou qui trouveront, ou à qui on pourra procurer un autre emploi ; à cet effet, on s’abstiendra de donner place dans la perception de l’impôt indirect à aucun nouveau sujet, jusqu’à ce qu’on ait pu employer tous ceux qui, ne l’ayant pas été dans le premier instant, seront passagèrement demeurés gratificationnaires. Ainsi la cessation de la gratification décroissante n'attendra pas l’expiration du terme qu’on lui aura donné, et l’extinction de ceux à qui elle aura été attribuée ; elle sera hâtée par le décès des employés effectifs des impositions indirectes, qui seront au moins dix fois plus nombreux que les gratiticalionnaires, ou sujets de remplacement. Cette gratification sera donc beaucoup moins coûteuse, et sa diminution progressive beaucoup plus rapide qu’on ne le croirait au premier coup d’œil; et le soin que prendra l’Assemblée nationale d’être juste, bienfaisante et de ne laisser lieu à aucun murmure, ne coûterait presque rien à la nation, quand même elle en prendrait la dépense sur les fonds publics. Mais si l’on emploie à la perception de l’impôt direct, à celle du droit d’enregistrement et à celle du droit de timbre, tous ceux qui peuvent l’être, comme il ne restera pas plus d’un dixième des employés actuels dans le cas de prétendre à la gratification décroissante, il sera aisé d’y faire face sans aucune dépense pour le Trésor public, par une retenue sur les appointements des employés qui auront été placés sur-le-champ; retenue qui d’abord n’excéderait pas un dixième, et qui diminuerait elle-même d’année en année, tant par la diminution progressive de la gratification de [Assemblée nationale. 1 ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (6 janvier 1791.J 51 ceux qui resteraient sans place, que par la mort d’une partie d’entre eux, et par le remplacement des autres qui trouveraient d’autres emplois. Il n’y a pas de doute que les employés qui seront replacés se prêteront avec beaucoup de zèle à cet arrangement, en faveur de leurs confrères déplacé?, s’il n’est pas nécessaire, pour y subvenir, d’excéder la mesure que je viens d’indiquer. Mais si l’on diminuait le nombre des replacements, de manière que les gratifications adonner la première année aux sujets réformés surpassassent le dixième des appointements de ceux qui auront conservé ou obtenu de l’emploi, il serait impossible d’exiger de ceux-ci d’en faire les frais, et il faudrait se déterminer à les prendre sur le Trésor public. G’est une des raisons qui doivent porter à employer utilement tous ceux qui pourront l’être, alin de diminuer d’autant b s charges des contribuables. Pour arriver à placer le plus utilement qu’il sera possible ceux qui pourront l’être, avec la plus grande économie possible pour la nation, il y faut appliquer des soins, des recherches, une attention, qui durent jusqu’à ce que l’opération soit consommée. Je pense donc qu’il sera nécessaire de former à cet effet une commission qui prenne connaissance de tous les faits, et qui dirige les replacements selon les règles de la prudence, de l’humanité et de la justice. Je vais indiquer dans un projet de décret quel devrait être le plan de son travail, et s’il conduit à ménager quelques millions à mes concitoyens, en même temps qu’il arrachera aux horreurs de la plus grande infortune des fonctionnaires publics dont l’état a été détruit pour le plus grand bien public, je croirai avoir encore cette fois rempli ma tâche d’ami de l’humanité et de la Constitution. PROJET DE DÉCRET. L’Assemblée nationale décrète ce qui suit : Art. 1er. Les employés actuels de la ferme générale, de la légie générale de l’administration des domaines, ou des autres régies, dont les places sont ou seront réformées par les décrets de l’Assemblée nationale, auront la préférence pour les emplois nécessaires à ta perception des droits de traite, des droits d’entrée des villes, du droit d’enregistrement, du croit de timbre, et des autres impositions indirectes, quelles qu’elles soiem; et il n’y pourra être employé aucun nouveau sujet, tant que ceux qui sont actuellement en place n’auront pas obtenu leur replacement. Art. 2. La totalité des commis et gardes des gabelles, du tabac et des traites intérieures, sera employée à renforcer les cordons de ta frontière: saut a en laisser réduire le nombre à ee qui pourra, dans la suite, être indispensablement nécessaire, en ne remplaçant point ceux desdits employés de la frontière qui viendront à mourir ou à prendre d’autres états, jusqu’à ce que le nombre desdits employés et gardes n’excède pas le besoin. Art. 3. L’obligation pour les contribuables de faire par eux-mêmes la collecte de la contribution foncière et de la contribution mobilière, sera supprimée. Il sera établi des receveurs de canton cautionnés en argent, lesquels feront ladite collecte pour la remise de trois deniers par livre. Les-ciits receveurs compteront au trésorier de district, tiendront registre de leurs perceptions et donneront aux contribuables des quittances pour les moindres acomptes, en la forme qui sera déterminée par un règlement particulier. Lesdits receveurs de canton seront, pour cette fois, pris parmi h s employés réformés de la ferme générale ou de la régie générale, qui s’y trouveront admis. Ceux qui viendraient à décéder dans les deux premières années, seront remplacés par d’autres sujets tirés des mêmes corps, s'il en reste encore sans emploi. Art. 4. Au bout de deux années, la nouvelle forme de la régie de la contribution foncière et de la contribution mobilière étant bien connue, et les avantages que l’on y pourra trouver étant mis à la portée de tout le’monde, les places des receveurs de canton qui viendront à décéder seront données aux ciloyens qui se présenteront avec un cautionnement en argent, et qui demanderont, pour s’en charger, le moindre nombre de deniers pour livre. Il sera procédé à l’adjudication desdites places par-devant le directoire de district. Art. 5. Il sera donné aux employés de la ferme générale, de la régie générale, de l’administration des domaines, ou des autres régies, qui, par leur âge de soixante-quatre ans et au-dessus, ou leurs inlirmités, ne seraient plus propres aux fonctions publiques, des poncions de retraite proportionnées à la durée et à la distinction de leurs services, conformément aux décrets de l’Assemblée nationale. Art. 6. Il sera donné aux directeurs et contrôleurs généraux, qui n’auraient pu obtenir un replacement actuel, une gratification annuelle des deux tiers de leur traitement ancien, jusqu’à leur replacement. Art. 7. Il sera donné, pendant cinq années, aux autres employés qui n’auraient pu obtenir leur replacement des gratifications proportionnées à leurs anciens appointements, en décroissant chaque année d’un sixième desdits appointements. Lesdites gratifications cesseront, lorsque les gratification naires trouveront de l’emploi, soit au service de i’Elat, soit à celui des particuliers. Art. 8. 11 sera fait une retenue qui ne pourra s’élever à plus d’un dixième, sur les api ointe-monts des employés qui auront conservé leur place, ou en auront obtenu une nouvelle, à l’effet de concourir au payement des gratifications accordées, en vertu de l’article précédent, aux anciens employés qui n’aui aient point obtenu de place nouvelle. Lesdites retenues diminueront d’année en aunée, tant à raison de la diminution ordonnée par les articles précédents, qu’a raison des décès et replacements qui auront lieu. Art. 9. Il sera nommé, par le roi, une commission spécialement chargée de toutes les mesures nécessaires à l’exécution du présent décret, pendant les cinq années auxquelles elle peut s’étendre.