310 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE 17 Sur la demande du citoyen Dautriche, représentant du peuple, la Convention nationale lui accorde un congé de quatre décades pour le rétablissement de sa santé (52). [. Dautriche , représentant du peuple, au président de la Convention nationale, Paris, 4e jour des sans-culottides an II] (53) Citoien Président, Une chûte violente que j’ai fait, il y a déjà longtems, à l’entrée du lieu des séances de la Convention et qui faillit me coûter la jambe, m’a laissé des suites dangereuses. Une tumeur considérable formée au tendon d’achile qui fut rompu en grande partie, s’augmente insensiblement et la douleur que j’éprouve par le tiraillement des nerfs qui se racornissent de plus en plus m’inspire de justes craintes sur l’usage de ma jambe. Je ne peux plus différer sans danger l’emploie du traitement qui m’est indiqué par les gens de l’art, suivant le certificat ci-joint. Je te prie, citoien Président, d’obtenir pour moi de la justice de la Convention un congé de quatre décades pour me faciliter les moïens de me rétablir, moïens que la saison plus avancée ne me permettroit plus de pratiquer avec le même avantage. Salut et fraternité. Dautriche. [Certificat de santé établi en faveur du représentant Dautriche, à Paris le 30 fructidor an II] (54) Liberté, Egalité, Fraternité. Je soussigné, chirurgien de lre classe, attaché à l’armée du Nord, en réquisition à l’hospice des Invalides pour les blessés par l’effet de l’explosion de la poudrerie de Grenelle, demeurant sur la section de l’Unité, certifie que le citoyen Dautriche, représentant du peuple porte une tumeur au tendon d’achile de la jambe gauche à la suite d’une chûte qui lui a fait rompre en partie ce tendon. Les moïens curatifs qui ont été employés jusqu’à présent ont été infructueux par la vie active de ce citoyen. Le repos étant absolument nécessaire, j’estime qu’il lui faut au moins deux mois pour son entier rétablissement moyennant l’usage des remèdes appropriés faute de quoi l’humeur se portant naturellement vers les parties affectées, il y auroit à craindre qu’il survienne des dépôts qui pourroient occasionner les plus grands désordres dans la jambe. (52) P.-V, XLV, 352. C 318, pl. 1288, p. 15. Décret n° 10 976. Rapporteur : Bernard (de Saintes) d’après C* II 20, p. 307. (53) C 318, pl. 1298, p. 32. (54) C 318, pl. 1298, p. 33. A Paris le trente fructidor de l’an II de la République une et indivisible. Leflere. 18 Robert LINDET, au nom du comité de Salut public (55) : Citoyens, les représentants du peuple ont senti la nécessité de se faire représenter, aux principales époques de la révolution, le tableau de la situation de la France : ils se sont empressés de faire connaître les causes qui avaient préparé ou occasionné ces grands événements ; c’est un compte que nous rendons à la nation. Nous nous rappelons à nous-mêmes ce que nous avons été, ce que nous sommes : nous nous prononçons ce que nous devons être. La France nous entend et nous juge. Depuis que les gouvernements ont usurpé les droits du peuple, ils se sont coalisés pour soutenir leur tyrannie. Une nation ne peut rentrer dans ses droits, réformer son gouvernement intérieur, que les gouvernements voisins ne se liguent pour l’opprimer. Lorqu’une nation veut être libre, il ne suffit pas qu’elle le veuille, il faut encore qu’elle soit assez forte, assez puissante, pour résister à la coalition des oppresseurs et des tyrans, et faire reconnaître et respecter sa liberté. Douze cent mille citoyens sous les armes, qui sont l’avant-garde de l’armée des défenseurs de la liberté, reculent nos frontières dans l’Espagne, dans le Palatinat et la Belgique. Tout cède à leur courage : nos ennemis, frappés de terreur, se précipitent dans leurs retraites, accusent leurs chefs et leurs tyrans, et font des vœux secrets pour leurs vainqueurs. Les peuples sacrifiés à l’orgueil des rois, éprouvant seuls les calamités de la guerre, ne voient dans les Français que les vengeurs des droits de l’homme. L’art des sièges et des campements perfectionné ; la prudence de ceux qui commandent ; la confiance de ceux qui obéissent ; l’ordre, l’harmonie, la surveillance vous conservent des héros; de grandes conceptions, des plans sages et hardis, de nouveaux moyens de guerre, vous garantissent la conservation de vos avantages, et de nouveaux succès, jusqu’au désarmement de vos ennemis, ou jusqu’au réveil des nations. Une marine formidable, réunie, sagement dirigée, rend impuissante la fureur de vos (55) Débats, n° 730, 573, indiquent que la lecture de ce discours a duré une heure et demie. Moniteur, XXII, 18-26. Débats, n° 730, 573, n° 737, 93-96, n° 738, 111-112, n° 739, 126-128, n° 740, 135-140, n° 141, 153-156 ; J. Univ., n° 1761, 1765, 1766 ; J. Perlet, n° 728 et n° 729 ; Gazette Fr., n° 995, n° 8 et n° 7 ; Rép., n° 725, 6, 8 et 12 ; J. Fr., n° 726 ; M. U., XLIII, 559 et XLIV, 78-80, 90-96, 108-111, 124-127, 142-144 ; F. de la Républ., n° 441 et n° 1 ; C. Eg., n° 763 ; J. Mont., n° 144 ; Mess. Soir, n° 763 et n° 764 ; Ann. Patr., n° 628 ; J. Paris, n° 629 et n° 3 ; Ann. R. F., n° 1. SÉANCE DU 4e JOUR DES SANS-CULOTTIDES AN II (SAMEDI 20 SEPTEMBRE 1794) - Na 18 311 ennemis, prépare la ruine de leur commerce, et vous promet la liberté des mers. Les nations qui ont conservé la paix, les gouvernements qui ont été assez sages pour résister aux insinuations des cours de Vienne et de Londres, apprennent et répètent avec transport les nouvelles de vos victoires et de vos succès ; vous avez tout fait pour la liberté, lorsque vous avez su donner une si haute opinion de ses défenseurs. Vous avez conquis l’opinion des peuples. Ils ne demandent plus si vous avez un gouvernement ; ils savent qu’entretenir les plus nombreuses armées de la terre, couvrir la mer de vaisseaux, combattre et vaincre par terre et par mer, appeler le commerce du monde, c’est savoir se gouverner. Ce sentiment que vous avez inspiré aux peuples du Nord, de l’Afrique et de l’Amérique, et à vos voisins, se manifeste avec éclat. Vos ennemis ne peuvent plus obscurcir ni voiler votre gloire. Ils ne peuvent plus vous ravir la confiance et l’estime des nations. Par quels moyens la France est-elle parvenue à ce degré de gloire et de puissance? Par quels étonnants sacrifices a-t-elle comblé tant de ruines et élevé un édifice si prodigieux? Lorsque la liberté et l’égalité ont été reconnues et solennellement proclamées, tout Français a senti qu’il avait une patrie : il a voulu se dévouer pour elle. Tout citoyen est devenu le défenseur et l’appui de son pays. Vous avez rappelé aux hommes qu’ils étaient tous égaux, qu’ils étaient tous frères. Ils ont volé au secours les uns des autres ; ils ne se sont plus envisagés que comme une seule famille, et la France si étroitement unie, est devenue la première et la plus puissante des nations. Vous voulez que l’on vous rappelle ce que cette France a fait, ce qu’elle a souffert pour arriver à cette dernière époque. Vous donnerez une idée sublime du prix que l’on doit attacher à la liberté, et du courage et de la constance des Français, lorsque vous transmettrez à la postérité, et que vous révélerez à toutes les nations, que la France, abandonnée à ses seules ressources, a tout créé pour sa défense, qu’elle a étendu et développé ses ressources ; que dans la disette et la pénurie, elle s’est imposée les privations les plus pénibles, que la vieillesse a remplacé dans les ateliers la jeunesse qui allait combattre. Les arts de la guerre ont occupé tant de bras, ont enlevé un si grand nombre de citoyens aux autres arts, que l’on appréhendait que l’agriculture, le commerce, les fabriques ne fussent abandonnées. Les Français ont trouvé des ressources dans leur activité. Un travail soutenu nous a préservés des malheurs que l’on avait tant de raison de craindre. Jamais on n’avait cultivé et ensemencé une si grande étendue de terres. Le sol de la France a été couvert des productions les plus variées. Nulle portion de terrain n’a été négligée. Quelques contrées, frappées de stérilité, dépouillées avant le temps de leurs récoltes, ont soumis à la plus cruelle épreuve l’activité et l’industrie du cultivateur, et ont présenté le spectacle de l’homme aux prises avec la nature, pour réparer ses désastres. Tant de soins et de travaux ont été sans succès ; mais vous saurez porter dans ces lieux des secours proportionnés à tant de pertes, et à des besoins si pressants et si multipliés. Combien de professions utiles ont été négligées ! combien d’ateliers et de manufactures sont restés déserts ! Cependant les travaux et les efforts d’un petit nombre de citoyens ont suffi. L’on a moins dû s’apercevoir de la diminution de tous les objets de consommation, que s’étonner de voir le peuple entier dans le mouvement et l’agitation que les circonstances commandaient, et un petit nombre de citoyens appliqués et laborieux remplacer la majorité de la nation dans les arts sédentaires, et offrir à la consommation les objets indispensablement nécessaires. Ce qui doit fixer particulièrement l’attention c’est cette raison sublime du peuple qui s’est imposé tant de privations, qui a établi et maintenu, dans l’administration de ses subsistances, une économie si sévère et si effrayante. Son courage ne l’a point abandonné. Il a souffert pour être libre : quel tableau à offrir à la postérité que celui d’un peuple qui fait à sa patrie le sacrifice continuel du salaire de ses travaux, de ses vêtements et de ses subsistances, qui s’oublie pour elle, et recommence chaque jour par des sacrifices qui surpassent les forces humaines ! Vous encouragiez le peuple ; vous souteniez son espérance ; vous éclairiez les Français ; vous répandiez les lumières ; vous fixiez les arts et les talents ; vous employiez le génie et les sciences à la défense de la liberté ; vous donniez des lois dignes d’un peuple libre ; vous teniez d’une main ferme tous les ressorts d’un vaste gouvernement; vous prépariez, vous dirigiez ces grands mouvements qui appellent sur vous l’attention des peuples, et changent la face de l’Europe. Tandis que vous remplissiez avec tant d’éclat vos hautes destinées, que la France, que tous les peuples de la terre applaudissaient à vos immenses travaux, le génie des factions se reproduisait, et mettait la patrie en danger. Rappelons ici des événements dont le souvenir ne doit jamais s’effacer ; ils seront pour nous et pour la postérité une utile leçon. Les représentants du peuple ne doivent pas seulement transmettre à la postérité leurs actions, leur gloire et leurs succès, ils doivent lui transmettre la connaissance des dangers, des malheurs et des fautes; ainsi les premiers navigateurs ont marqué les écueils qu’ils ont su éviter, et ils ont appris à leurs successeurs à tenir une route sûre entre ces écueils que nul art ne peut faire disparaître, mais dont l’expérience à appris à s’approcher ou à s’éloigner sans danger. La Convention nationale avait frappé et anéanti, par son décret du 2 juin, une faction puissante, pourvue de talents, mais jouissant d’une plus grande réputation ; qui, n’ayant pu concevoir un plan de gouvernement s’était jetée dans les bras d’un principal ministre, s’opposait à ce qu’on donnât à la France des lois et une constitution, ne parlait que d’elle, entretenait la France d’elle seule, et allait livrer 312 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE à un protecteur étranger ou à ses anciens tyrans, une nation qui ne connaissait ni ses malheurs, ni ses dangers, ni ses moyens, ni ses ressources, et qu’un ministre coupable n’entretenait que des opinions ou frivoles ou criminelles de quelques-uns de ses représentants. L’opinion publique se trouva quelque temps partagée; la sensibilité s’intéressa pour des hommes dont on ignorait les vues ambitieuses; la France ne fut peut-être pas assez tôt instruite, elle connut trop tard sa situation. L’observateur qui a étudié les mouvements de la République à cette époque, qui a voulu connaître le caractère des troubles et des agitations de l’intérieur, s’est convaincu que tous les Français veulent également être éclairés, mais que le même genre d’instruction ne convient pas à tous également. La vivacité du sentiment entraîna les uns ; les autres attendirent la conviction, et voulurent avoir sous les yeux l’appareil imposant et méthodique des preuves. On se divisa, on s’aigrit, on courut aux armes, on allait, au nom de la République, une et indivisible, déchirer le sein de la patrie pour laquelle on jurait de verser son sang. Dans ce chaos, au milieu de tant de désordres et de calamités, la Convention nationale environnée de trahisons et de perfidies, donna une constitution et des lois à la France ; elle soutint les efforts des puissances ennemies ; elle éclaira les Français sur les événements qui avaient précédé. Les lumières se répandirent ; le masque des traîtres tomba ; l’ordre se rétablit; tous les yeux se fixèrent sur vous; tous les cœurs s’attachèrent à vous, et la France consacra, par une fête nationale, la mémoire de cette réunion. Les ennemis de l’intérieur avaient profité de ces violentes agitations pour augmenter le nombre de leurs partisans secrets ou déclarés. On avait un grand exemple de la facilité avec laquelle on peut agiter un peuple bon, sensible et généreux ; on pouvait craindre encore de nouveaux mouvements. Il fallut avertir le peuple et l’associer tout entier à la surveillance générale; il fallut le prémunir contre toutes les insinuations et les intrigues de ses ennemis ; il fallut lui désigner et caractériser ceux dont il devait suspecter les intentions, la conduite et les liaisons ; il fallut lui inspirer la plus haute confiance dans les amis de la liberté et de l’égalité ; il fallut lui faire connaître ceux qui n’aspiraient qu’à l’égarer. Un décret du 17 septembre régla les fonctions et les devoirs des comités de surveillance. Les citoyens appelés à remplir ces fonctions, s’en acquittèrent avec zèle. On ne doit jamais oublier les services qu’ils ont rendus à la République ; ils ont porté les derniers coups à l’aristocratie ; ils ont comprimé les ennemis de l’intérieur; ils ont affermi la tranquillité publique. Nous ne devons pas dissimuler à la France que plusieurs se sont étrangement écartés de l’objet de leur institution; nous devons dire que les fautes de plusieurs n’ont été que des erreurs de l’entendeïhent : ils n’avaient pas assez médité la loi dont l’exécution leur était confiée ; plusieurs encore croyaient mieux servir la patrie et remplir plus fidèlement vos intentions. Si l’on demande un jour pourquoi la Convention nationale organisa un plan de surveillance qui exigeait un nombre si prodigieux de fonctionnaires, que l’Europe entière ne pourrait fournir assez d’hommes instruits pour remplir toutes les places, les Français répondront : Ce plan fut sage et nécessaire ; nos ennemis étaient en si grand nombre, ils étaient si répandus et si disséminés, ils avaient tant de formes et de moyens de s’insinuer dans les administrations, dans les sociétés populaires et dans nos foyers, que tout citoyen dut se regarder comme une sentinelle chargée de surveiller un poste. Notre expérience et nos malheurs nous avaient instruits, nous connaissions nos ennemis. Si quelques uns ont été trop loin, ce n’est pas une raison de blâmer une grande institution, qui n’était pas moins nécessaire contre les ennemis de l’intérieur, que les armées contre les rois et les puissances coalisées. Le 8 thermidor on vit développer dans cette enceinte le plan artificieux d’une vaste conspiration. On tenta de diviser les Français, d’inspirer le découragement, la terreur et le désespoir, d’atténuer le sentiment de la reconnaissance due aux défenseurs de la patrie, et de répandre des doutes sur leurs victoires ; on se prévalait d’une grande réputation de talent, d’énergie et de civisme. Le lendemain le voile fut déchiré. Vous ne dûtes pas consulter l’opinion publique, vous dûtes la prévenir, et, sans considérer les dangers, aspirer à la gloire de la former. Le vœu du peuple ne pouvait ni se manifester, ni pénétrer jusqu’à vous. Vous dûtes donner l’exemple du courage des hommes libres : l’âme s’agrandit dans les occasions fortes, les périls l’éclairent ; vous sûtes prendre de promptes et de grandes déterminations ; vous éteignîtes les torches ardentes qu’on allumait pour embraser la patrie. Les journées des 14 juillet et 10 août attesteront le courage invincible des Français, comme le siège de Lille, la reprise de Toulon, la levée des sièges de Dunkerque, de Mau-beuge, de Landau, la bataille de Fleuras, la conquête de la Belgique, et tous les événements militaires qui ont signalé les armes françaises aux Alpes et aux Pyrénées. La journée du 31 mai attestera la majestueuse contenance du peuple, qui se leva pour combattre l’anarchie, les passions, tous les désordres, et pour avoir un gouvernement et des lois. La journée du 9 thermidor apprendra à la postérité qu’à cette époque la nation française avait parcouru tous les périodes de sa révolution ; qu’elle était parvenue à ce terme où l’on ne pouvait tenter de l’égarer que par l’éclat d’une grande réputation et l’apparence du civisme, de la probité et des vertus, qu’elle avait appelés à l’ordre du jour ; et ce dernier événement a encore été utile à la liberté, puisque la représentation nationale a été assez grande, assez puissante pour frapper les traîtres, et SÉANCE DU 4e JOUR DES SANS-CULOTTIDES AN II (SAMEDI 20 SEPTEMBRE 1794) - N° 18 313 que la conduite sage, grande et sublime du peuple a justifié qu’il est impossible de l’égarer. On ne regardera pas les erreurs de quelques citoyens comme un égarement du peuple. Quelques citoyens avaient été séduits ; mais le peuple entier, attaché aux principes et à la représentation nationale, a condamné Robespierre et ses complices. Les mesures de sûreté générale avaient pris un caractère de force et de sévérité qui portait l’effroi dans l’âme des citoyens, et qui privait la France de bras et de ressources ; les traîtres que vous avez punis en avaient changé l’objet et la direction. Vous aviez voulu frapper les ennemis de la République ; ils s’étaient servis de vos armes et de vos mesures pour frapper l’homme faible et l’homme utile ; ils n’avaient pas épargné le cultivateur et l’artisan ; ils n’avaient pu vous détruire ou vous faire haïr ; ils avaient voulu vous faire craindre. Vous avez consacré vos premiers soins à faire renaître la confiance et la sécurité ; vous avez rendu des bras à l’agriculture, quelques citoyens au commerce et aux arts, des vieillards et des infirmes à la liberté. Quelques esprits inquiets ont conçu de vives alarmes. On a craint ou l’on a feint de craindre qu’une marche rétrograde ne vous fît tomber dans des précipices, et ne replongeât la France dans l’abîme d’où elle était sortie le 31 mai. Ce sentiment paraît avoir inspiré ces pétitions, ces adresses que vous avez reçues de plusieurs autorités constituées, et d’un plus grand nombre de sociétés populaires. La situation de la France, sous ce rapport, présente une grande nation, qui connaît ses droits, ses intérêts, les lois de la nature et de la raison, qui veut sa sûreté, son bonheur, qui vous observe, qui médite vos décrets, qui surveille le gouvernement, qui veut établir la paix dans l’intérieur, obtenir la considération qui lui est nécessaire chez les nations neutres et alliées, et porter la terreur au-delà de ses frontières chez les nations belligérantes. Cette nation est grande et généreuse ; elle donne des larmes au malheur, à l’infortune ; elle a le sentiment de sa puissance et de ses forces ; elle aime l’ordre ; elle est soumise aux lois; elle n’a pas partagé les troubles, les inquiétudes et les agitations de quelques sociétés et de quelques fonctionnaires publics. Elle n’a vu dans le redressement des abus que le retour aux règles et aux principes. Mais on ne peut se dissimuler que les esprits inquiets cherchent à propager leurs opinions et leurs craintes avec une extrême activité. Ils emploient tous les moyens qui sont en leur disposition : correspondance, démarches, députations; ils publient que le gouvernement n’a plus sa force ni son énergie ; que des aristocrates mis en liberté oppriment les citoyens ; que les patriotes sont sacrifiés aux nombreux ennemis que leur courage et leur audace leur ont suscités. Organes du vœu des Français, hâtez-vous de prévenir les suites de ces nouvelles dissensions. Les haines exaspérées, suite inévitable de la diversité des opinions révolutionnaires et des craintes réelles ou supposées, produisent toujours de funestes résultats. Annoncez à la France que le gouvernement sera maintenu dans toute sa force ; qu’entre vos mains il conservera ce caractère de puissance et de sévérité qui comprimera tous ses ennemis, et ne laissera renaître aucune faction. Les patriotes, les fonctionnaires publics, les sociétés populaires, peuvent-ils craindre que les services qu’ils ont rendus s’effacent de la mémoire? Quel courage ne leur a-t-il pas fallu pour accepter et pour remplir des fonctions périlleuses ! Ils ont tout osé ; ils ont bravé tous les dangers pour sauver la patrie. Le vœu de la France rappelle aujourd’hui à leurs travaux et à leurs professions un grand nombre de citoyens qui les avaient suspendus pour remplir des fonctions publiques ; ils savent que leurs fonctions étaient temporaires ; que le pouvoir trop longtemps conservé dans les mêmes mains devient un objet d’inquiétude politique ; la liberté s’en alarme : c’est un fardeau qui écrase celui dont le courage imprudent le porte à le retenir ou à le conserver trop longtemps. Ils ne doivent pas craindre que ceux qui seront dépositaires des mêmes pouvoirs, ou qui rempliront les mêmes fonctions, n’égalent pas leur zèle, et ne fassent pas à la patrie tous les sacrifices qu’elle exigera. Ils ne doivent pas craindre que la France les abandonne aux ressentiments et aux vengeances ; ils ont défendu la cause sacrée de la liberté, et, dans des temps d’orage, ils ont usé d’un grand pouvoir que la nécessité avait créé. La nation ne veut pas que ceux qui ont dirigé et lancé la foudre contre ses ennemis en soient atteints et consumés. Représentants du peuple, vous ne devez pas ralentir ou discontinuer les soins que la justice et l’humanité vous ont imposés. Faites rendre la liberté à tous ceux que des haines, des passions, l’erreur des fonctionnaires publics, et les fureurs des derniers conspirateurs ont fait précipiter dans les maisons d’arrêt. Rendez la liberté à tous les citoyens qui ont été utiles et qui peuvent l’être : la vieillesse et l’infirmité ne réclameront pas en vain ce bienfait. Vous avez passé par tant de crises ; le moment du passage a été souvent accompagné de tant de dangers, de tant d’incertitudes ; vous avez vu quelquefois votre atmosphère chargée de tant de nuages, obscurcie de tant de ténèbres, que vous ne pouvez faire un crime à vos concitoyens éloignés de ce foyer de lumières, d’avoir marché à pas incertains et chancelants, et de n’avoir pas prévu des événements qu’aucune théorie n’aurait osé, ni pu soumettre à ses calculs. L’égarement ne se confond point avec la trahison ou la perfidie ; vous séparez l’erreur du crime. Prouvez par l’application des principes et par votre conduite que tous les hommes sont égaux. N’examinez pas quelles illusions ont environné leur berceau, à quels préjugés d’état ou de profession ils ont sacrifié sous le despotisme. Si la révolution les a éclairés ; si elle les a ramenés aux principes de l’égalité ; s’ils marchent constamment avec vous; s’ils vous 314 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE accompagnent fidèlement dans votre course révolutionnaire, n’envisagez en eux que des frères et des amis. Lorsque vous vous êtes élevés aux principes sublimes de l’égalité, vous ne devez pas en redescendre pour retracer la ligne de démarcation que des préjugés de famille ou de profession avaient rendue si sensible, et que la révolution a dû effacer. Vous ne devez pas vous reporter au berceau de vos concitoyens, ni vous rappeler le souvenir de la profession qu’ils exercèrent, pour fixer votre jugement : examinez et pesez leur conduite, ils se sont prononcés par leurs actions. Vous n’imiterez pas la conduite des tyrans : leur politique consiste à tout détruire, la vôtre est de conserver. Ce n’est pas pour vous seuls que vous avez fondé une République, c’est pour tout Français qui veut être libre ; il ne vous est permis d’en exclure que le mauvais citoyen; mais le Français qui après avoir sacrifié à l’ignorance et aux préjugés, a ouvert les yeux à la lumière, a expié ses égarements, a réparé ses fautes, ou s’est montré votre émule dans la carrière, peut ici, comme vous, réclamer les droits de la nature et les principes de l’égalité. Vous êtes trop éclairés sur votre situation pour ne pas savoir combien de citoyens se sont égarés dans les routes de la révolution ; ils sont venus enfin se rallier à la représentation nationale. Voudriez-vous les rejeter de votre sein ? Quels frères, quels amis fidèles vous perdriez ! N’est-ce pas toujours le même sang qui circule dans les veines de cette généreuse et vaillante jeunesse qui attend de vous la liberté de ses parents, comme le plus digne prix de ses travaux et de ses victoires? Ces jeunes guerriers qui meurent dans les combats se flattent de transmettre à leurs pères et mères la liberté qu’ils ont si bien défendue ; c’est leur dernier vœu. C’est à vous, représentants du peuple, à le remplir. C’est de la France active et laborieuse qu’il faut vous entretenir. Les sciences et les arts ont été persécutés ; les savants et les artistes ont été opprimés ; on voulait rendre la France barbare, pour l’asservir plus sûrement. Cependant les arts et les sciences ont fait nos succès ; c’est par eux que le Français instruit recueille sous ses pieds les éléments dont il compose la foudre qui écrase les tyrans. C’est par eux que l’art de Montgolfier perfectionné transporte dans les airs vos généraux, vos ingénieurs, leur découvre les manœuvres de Cobourg, et décide le succès de la bataille de Fleuras. C’est par eux que les métaux se préparent et s’épurent; que de nouvelles richesses, de nouveaux moyens de guerre, de nouvelles sources de prospérité pour la paix sortent du sein de la terre. C’est par eux que les cuirs se tannent, s’apprêtent et se mettent en œuvre dans huit jours. C’est aux arts et aux sciences dans l’oppression que nous devons ces étonnantes et utiles merveilles. S’ils ont fait ces rapides progrès, malgré les fureurs de Robespierre, qui n’osa jamais envisager un savant ni un homme utile, que ne feront-ils pas lorsqu’ils partageront les avantages de la liberté et de l’égalité ! ils ont proclamé les premiers les droits de l’homme ; faut-il qu’ils ne puissent pas les invoquer? Vous ne serez véritablement heureux, vous ne jouirez de tout le bonheur auquel vous avez le droit d’aspirer, que lorsque vous aurez rétabli la confiance publique, employé tous les talents, toutes les lumières ; que le savant et l’artisan se traiteront en frères et en amis et jouiront des mêmes droits et de la même liberté. L’agriculture a fait des progrès et d’incroyables efforts ; mais elle réclame aujourd’hui des secours pressants. Encouragez le propriétaire et le cultivateur. De combien de maux l’agriculture n’a-t-elle pas été affligée ! Combien d’hommes utiles, les émissaires de Robespierre ne lui ont-ils pas enlevés ! Nous avons craint longtemps que les terres ne fussent pas cultivées, que les herbages ne fussent pas couverts de bestiaux, tandis que l’on retenait dans les maisons d’arrêt les propriétaires ou les fermiers des terres et des herbages. Vous avez servi utilement l’agriculture en rendant à leurs travaux les membres des comités de surveillance des communes des campagnes ; il faut maintenant y rappeler l’amour du travail, exciter l’ardeur de vos concitoyens. On se plaint de manquer de bras, mais on se dissimule qu’un grand nombre de citoyens, distraits, occupés ailleurs, ont moins d’activité et sont moins assidus que les circonstances ne l’exigent. Rappelez la sécurité ; éteignez les flambeaux de la haine et de la discorde ; faisons oublier à nos concitoyens les malheurs inséparables d’une grande révolution; disons-leur que le passé n’est plus à nous, qu’il appartient à la postérité; disons-leur qu’ils ont combattu, qu’ils ont souffert pour la liberté, l’égalité ; prouvons-leur enfin, et qu’ils sentent qu’ils sont libres, qu’ils sont égaux. Que vos lois, que vos institutions appellent l’homme au travail; que tout homme utile et laborieux soit assuré de sa liberté et de son indépendance ; que le travail soit honoré ; que l’oisiveté soit flétrie. Tous les arts, toutes les professions appellent votre attention et vous demandent des encouragements : leurs productions ont surpassé ce que l’on pouvait en attendre; mais si l’on a prouvé ce que l’on pouvait faire, on ne s’est pas assez longtemps soutenu. Les travaux languissent, les besoins augmentent; la consommation est excessive. Cependant un grand nombre de cultivateurs ne font pas battre leurs grains, ne font pas rouir leurs lins, ne font pas teiller leurs chanvres ; ils conservent leurs laines : la filature est négligée. Rappelez l’activité dans les campagnes, dans les ateliers, dans les fabriques et dans les manufactures. Le commerce de France offre aujourd’hui des raines et des débris. On avait aussi conspiré contre le commerce : Robespierre voulait l’anéantir. Un génie destructeur planait sur la SÉANCE DU 4e JOUR DES SANS-CULOTTIDES AN II (SAMEDI 20 SEPTEMBRE 1794) - N° 18 315 France, et frappait en même temps l’agriculture et le commerce. Il faisait détruire les fabriques de soie, et forçait d’abandonner la culture du mûrier, l’une des principales ressources des départements méridionaux ; il faisait transporter les huiles en pays étranger pour détruire vos savonneries. Que pouvons-nous attendre, que pouvons-nous espérer de ces bouleversements ? Les nations étrangères vous envoient leurs productions; elles vous demandent les vôtres en retour; mais vous les consommez. Offrirez-vous des métaux ? Quelles mines assez fécondes pourraient suffire à vos besoins? Vos ressources seront bientôt épuisées : c’est à l’industrie nationale à vous acquitter envers l’étranger ; c’est aux chefs des fabriques et des manufactures à conduire, à diriger leurs travaux, à faire exécuter les ouvrages et les dessins qui conviennent aux peuples et aux nations qui commercent avec vous ; c’est aux négociants à rassembler, à distribuer et disperser les productions du sol et de l’industrie dans les diverses parties du monde, et à en tirer et faire arriver dans vos ports les productions qui vous sont nécessaires. Préservez la France du malheur d’être tributaire des autres nations en payant leurs productions en métaux ; elle ne le serait pas même longtemps. Rendez au commerce ce que l’erreur et l’ignorance lui ont enlevé. Que faut-il aux Français pour réparer tant de désastres? Un regard de leurs concitoyens et la liberté. Apprenez aux Français à distinguer leurs amis de leurs ennemis ; tous les citoyens se sont prononcés ; on peut les connaître tous ; ce n’est plus le soupçon qui doit nous guider. Le mauvais citoyen est connu par ses actions ; le bon citoyen est connu par ses sacrifices, par des épreuves multipliées, par ses services, par sa vie active et laborieuse. Prononcez solennellement que tout citoyen qui emploie ses jours utilement aux travaux de l’agriculture, aux sciences, aux arts, au commerce, qui élève ou soutient des fabriques, des manufactures, ne peut être inquiété ni traité comme suspect. Rendez aux manufactures toutes les matières qui sont sous les scellés. Faites remettre en circulation toutes les marchandises que l’on avait expédiées pour diverses destinations, et que l’on conserve dans des dépôts, en attendant une interprétation nécessaire du décret qui ordonne la consfïcation de toutes les marchandises expédiées pour des communes en état de rébellion. Portez vos regards sur Commune-Affranchie ; faites cesser la démolition des édifices et des maisons ; faites rentrer les citoyens dans leurs ateliers ; ils sont faits pour créer et non pas pour détruire. Ce ne sont pas des règlements que l’on vous demande ; assurez la liberté de l’exportation ; il se présentera un assez grand nombre de citoyens pour rassembler la soie, la faire fabriquer, et faire expédier les étoffes en pays étranger. Les autres manufactures, la chapellerie, la fabrique de draps se relèveront avec le même succès, et Lyon sortira de ses ruines. Que Marseille se ressouvienne des moyens qui firent sa gloire et sa prospérité : des passions exaltées lui ont fait oublier les avantages de sa situation, ses intérêts et ses besoins. Cette commune, dont le commerce était si brillant et si utile, qui s’enorgueillissait de se suffire à elle-même, et d’alimenter le Midi, ne subsiste plus que par les secours que le gouvernement lui envoie. A peine peut-on y rassembler quelques négociants pour former deux agences qui recueillent les débris du commerce du Levant et des Barbaresques. A Cette [Sète] on a regardé comme des contre-révolutionnaires des négociants qui faisaient le sacrifice de leur fortune pour exécuter un arrêté du comité de Salut public, qui les chargeait de faire des exportations pour acquitter la République d’une partie de ses engagements. Tel est le résultat de tant de déclamations contre le commerce. On l’a anéanti lorsqu’il fallait réprimer ses écarts, le diriger vers l’utilité publique, punir des coupables et encourager ceux qui voulaient et pouvaient servir la patrie ; tel sera toujours l’effet des proscriptions générales. Eteignez le feu des passions qui brûlent le Midi. Que les habitants de cette contrée sachent que vous estimez leurs talents, leurs connaissances ; que vous les avez mis en réquisition pour concourir au salut de la patrie ; qu’ils sachent que vous voulez réunir tous les Français, faire cesser les dissensions et les discordes civiles, et le commerce renaissant saura pourvoir à vos besoins. Bordeaux attend de vous des encouragements ; il prépare des expéditions, mais de grands obstacles retardent encore les mouvements de ce port. Tout retentit ici du bruit des malheurs qui ont affligé la commune de Nantes. Que pouvait le commerce au milieu de tant de calamités et de persécutions? Cette citadelle de l’Ouest a soutenu un siège de plus de quinze mois ; elle a combattu les rebelles et les brigands ; elle a conservé à la République une place importante, et la navigation de la Loire ; sa fidélité, ses malheurs appellent des encouragements. Si les infortunés Nantais se réunissent, Nantes redeviendra le plus grand magasin de l’Europe, et assurera à la circulation des matières et des denrées dans 1’intérieur. En quel état est réduite la fabrique de Sedan! On cessa d’y tisser des étoffes de luxe aussitôt que l’on connut les besoins de l’armée : les habitants de Sedan surent en même temps tisser des étoffes pour l’habillement des troupes, défendre la place, combattre et vaincre l’ennemi. Vous rétablirez cette fabrique. Les principaux magasins sont aujourd’hui à la disposition de la nation ; les matières sont sous les scellés. Vous remettrez sans doute à des mains exercées ces dépôts de matières et de marchandises qui doivent alimenter les manufactures. Vous approuverez que les fabricants emploient plusieurs ouvriers à la fabrication 316 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE des étoffes de luxe pour augmenter vos exportations ; on commandera une quantité de draps d’uniforme, proportionnée aux ressources des fabricants, et au nombre d’ouvriers qu’ils emploient. On leur permettra de destiner ce qui leur restera de ressources à la fabrication de ces draps qui ont fait la réputation et la prospérité de Sedan, et vous donneront des moyens d’échange pour le commerce extérieur. Nous devons dire à la France que l’un des plus grands obstacles qui s’opposent au rétablissement du commerce et aux exportations, est l’excessive consommation qui se fait dans l’intérieur de toutes les productions du sol. Pour nous procurer des farines et des grains, il faut donner en échange une partie de nos vins. Le commerce de Bordeaux ne peut s’en procurer la quantité nécessaire à ses exportations : on en a livré une trop grande quantité à la consommation. C’est à vous représentants du peuple, à donner les grandes leçons d’économie. Les peuples qui ont conquis ou conservé leur liberté ont été remarquables par leur simplicité et leur frugalité. Les grands consommateurs sont dans une dépendance continuelle de leurs besoins : l’économie, la frugalité, le travail et l’activité sont les seuls garants de la stabilité de la République. On ne peut trop redire aux Français que les armées de terre, la marine, les arts de la guerre et tous ses services enlèvent à l’agriculture et à toutes les professions plus de quinze cent mille citoyens, et que l’entretien de six millions d’hommes disséminés dans toutes les communes coûterait moins à la République. On n’a qu’une idée confuse de toutes les pertes et des consommations que nécessitent ces immenses rassemblements. Il faut bien en saisir l’ensemble et les détails : quelle surveillance peut y suffire? Ce qu’auraient fait tous ces citoyens dans leurs domiciles, dans leurs ateliers, doit se faire par les citoyens sédentaires dans l’intérieur des départements. Les productions du travail et de l’industrie en tout genre doivent être les mêmes ; et l’activité qui nous reste doit suppléer les bras qui nous manquent. Les ennemis de la République, l’intérêt même, la criminelle avarice ont fomenté et entretenu des germes de division entre les citoyens des villes, et ceux des campagnes, entre les cultivateurs, les artisans et les commerçants, entre les citoyens des différents départements et districts, et même des communes voisines. On a voulu s’isoler de toutes parts, lorsque les frères, les amis de la liberté sont réunis et confondus dans les armées et sur les vaisseaux de la République ; on a encore répété que tous les hommes sont frères, mais chacun se concentre aujourd’hui dans sa famille et calcule ses ressources. Plusieurs accusent le gouvernement de n’avoir pas rempli assez promptement, ni avec assez d’étendue les promesses qu’il avait faites, d’avoir épuisé les ressources en subsistances de plusieurs départements ; de n’avoir pas observé des proportions assez exactes, d’avoir fait peser inégalement le poids des réquisitions sur les départements et les districts. Que ne peuvent-ils jeter les yeux sur ces tableaux, ces déclarations, ces adresses de leurs concitoyens des autres districts ? il y verraient les mêmes plaintes, les mêmes réclamations, la même énergie inspirée par le sentiment des mêmes besoins. La mer longtemps fermée ne permit pas au gouvernement de remplacer assez tôt les subsistances qu’il avait empruntées ; mais n’avait-il pas fallu faire subsister les armées, entretenir les magasins militaires et pourvoir aux besoins des départements privés de récoltes ou ravagés par les brigands? Rappelez aux Français ces sentiments de fraternité qui leur font un devoir sacré de partager leurs subsistances avec leurs frères des armées, des départements, de tous les états, de toutes les professions, sur quelque point de la République qu’ils soient rassemblés ou disséminés. Les principes de l’égalité doivent avoir éteint ces jalousies, ces rivalités, ces haines qui subsistaient et que l’on entretenait entre les habitants des campagnes et des villes. Gravons dans tous les cœurs cette maxime, dont chacun de nous doit être pénétré : Sou-viens-toi, républicain, en quelque lieu que tu sois, que tu rencontres un frère, un ami. S’il est difficile de parler des subsistances, souvenez-vous qu’il vous est impossible de n’en pas parler. Plusieurs départements ont été privés de récoltes : la grêle, la pluie, les brouillards ont occasionné de grands dommages dans plusieurs districts ; le plus grand nombre des départements est dans l’abondance. La confiance, la considération que vous saurez conserver chez l’étranger, le fond inaltérable de probité qui caractérise les Français, feront arriver dans vos ports ce qui pourrait vous manquer. Mais il faut dans ce moment que les grains soient battus, que la circulation la plus active rétablisse vos marchés, approvisionne les magasins nationaux ; il faut que les lins, les chanvres et les laines soient préparés et mis en œuvre. La navigation intérieure rétablie et perfectionnée ; des relais qui s’établissent de l’est à l’ouest, et du nord au midi, faciliteront les moyens de transport, devenus rares et difficiles. Une levée de quarante-quatre mille chevaux et mulets, depuis trois ou quatre mois, en exécution de votre décret du 18 germinal, au milieu des réquisitions particulières qui ont eu pour objet le service des armées et celui de l’intérieur, a retardé les transports et les approvisionnements. Français, remplissez vos destinées, servez de modèle aux nations ! Vous avez de grands obstacles à vaincre ; en vous les faisant connaître, on vous sert comme doit l’être un peuple libre. Vous avez de grands efforts à faire, mais ils sont loin d’épuiser vos forces et votre courage, vos ressources surpassent vos besoins. Que vous faut-il, représentants du peuple, pour combler votre gloire et assurer le bonheur de la France? SÉANCE DU 4e JOUR DES SANS-CULOTTIDES AN II (SAMEDI 20 SEPTEMBRE 1794) - N° 18 317 De 1’union, de la confiance. Ne nous reprochons ni nos malheurs ni nos fautes. Avons-nous toujours été, avons-nous pu être ce que nous aurions voulu être en effet? Nous avons tous été lancés dans la même carrière : les uns ont combattu avec courage, avec réflexion ; les autres se sont précipités, dans leur bouillante ardeur, contre tous les obstacles qu’ils voulaient détruire et renverser. Chacun de nous a contribué à fonder et à affermir la République, à conserver les amis, à détruire les ennemis de la liberté et de l’égalité. Qui voudra nous interroger et nous demander compte de ces mouvements qu’il est impossible de prévoir et de diriger ? La révolution est faite ; elle est l’ouvrage de tous. Quels généraux, quels soldats n’ont jamais fait dans la guerre que ce qu’il fallait faire, et ont su s’arrêter où la raison froide et tranquille aurait désiré qu’ils s’arrêtassent? N’étions-nous pas en état de guerre contre les plus nombreux et les plus redoutables ennemis? Quelques revers n’ont-ils pas irrité notre courage, enflammé la colère ? Que nous est-il arrivé, qui n’arrive à tous les hommes jetés à une distance infinie du cours ordinaire de la vie? Ne fallait-il pas que les uns fissent aimer les charmes de l’égalité, que les autres portassent la terreur et l’effroi au milieu de nos ennemis ? La révolution a coûté des victimes ; des fortunes ont été renversées. Iriez-vous autoriser des recherches sur tous les événements particuliers ? Lorsqu’un édifice est achevé, l’architecte, en brisant ses instruments, ne détruit pas ses collaborateurs. Le navigateur surpris par la tempête s’abandonne à son courage, à ses lumières, que le danger rend plus vives et plus fécondes en ressources, pour sauver le vaisseau qui lui est confié. Lorsqu’il est arrivé sans naufrage au port, on ne lui demande pas compte de ses manœuvres. On n’examine pas s’il a suivi ses instructions. Quand il faut lancer si fréquemment la foudre, peut-on répondre d’atteindre toujours le vrai but, et que des éclats ne s’écarteront pas de la direction donnée? La raison, le salut de la patrie ne vous permettent pas de jeter les yeux sur des ruines que vous avez franchies. N’envisagez que ce qui vous reste à faire : que la patrie seule occupe votre pensée. Nous devons ajouter, au tableau que nous venons de vous présenter de la situation et de la disposition des esprits, le développement de quelques causes secrètes et particulières qui peuvent avoir eu une grande influence sur les derniers mouvements, qui les ont peut-être occasionnés, et qu’il est nécessaire de faire connaître à tous les Français. Tandis que la révolution agitait si fortement nos âmes, que de grandes passions, un courage invincible, les qualités morales de l’homme, de la nature, les vertus civiques nous élevaient au-dessus de nous-mêmes, le vice faisait aussi ses progrès. Il se communiquait moins ; mais il avait aussi son énergie dans les âmes corrompues. On a vu des hommes qui n’ont embrassé la révolution que sous les rapports des forfaits qu’ils pourraient commettre et des avantages personnels qu’ils s’en promettaient. Ils ne désiraient pas l’égalité des droits ; ils n’aspiraient qu’au déplacement des fortunes. Ils se proposaient de consommer ou d’accumuler de grandes richesses. Quelques-uns ont été à portée d’exécuter leurs desseins, et la révolution a eu ses taches. Lorsque les derniers conspirateurs ont été punis, ces monstres épars ont tenté de se rallier. Bourrelés de craintes et de remords, ils auraient voulu appeler toute la France à renverser le gouvernement : ils n’entrevoyaient leur sûreté que dans le désordre, la confusion et l’absence de tout gouvernement. Ils se sont efforcés de séduire et d’égarer leurs concitoyens, des fonctionnaires publics, des sociétés populaires. Ils ne pouvaient se rassurer, s’ils ne parvenaient à persuader que leurs dangers étaient ceux de la France. Ils avaient usurpé le titre et la réputation de patriotes. Ils ont dit : Nous sommes découverts; nous allons être persécutés; l’on va nous demander compte de tant de dépôts usurpés, arrachés ou confiés à notre bonne foi ; l’on va nous demander si nous avons été des artisans de la révolution pour nous-mêmes ou pour la patrie. Portons l’alarme dans le sein des patriotes ; répétons que nos dangers sont les leurs, que le même sort nous attend, que nous serons tous sacrifiés à l’aristocratie, que nous devons tous périr ou nous sauver ensemble. Ainsi ils sont parvenus à égarer quelques fonctionnaires publics, quelques membres de sociétés populaires, qui ont craint de vous voir confondre dans votre sévérité et votre justice les fautes, les erreurs, les abus mêmes du pouvoir et les actes arbitraires, avec les crimes de la lâcheté et de l’avarice. Nous devons vous dire qu’il ne se serait vraisemblablement manifesté ni inquiétude, ni agitation dans les esprits, si de grands coupables ne les avaient pas conçues et communiquées. Vous tirerez encore un grand parti de cette situation. Continuez d’éclairer la nation, de rassurer les patriotes que leur zèle et leurs passions auraient pu égarer. Des erreurs, des fautes, des abus de pouvoir, des actes arbitraires ne sont-ils pas des maux inséparables d’une grande révolution? Mais s’il est des crimes, s’il est des forfaits qui exigent une prompte expiation, vous n’imposerez pas silence aux tribunaux. La justice nationale a ses droits ; il ne nous est pas permis d’y porter atteinte. Les citoyens que l’on a vus partager les alarmes des coupables ne vont-ils pas se séparer d’eux ? N’abandonneront-ils pas la cause de ces criminels imposteurs ? La France verra bientôt le crime et l’imposture isolés, mendiant un appui et ne le trouvant pas. Pour fixer désormais l’opinion publique, affermir la confiance, rétablir la sécurité, que la France apprenne aujourd’hui que ses représentants, resserrant et rapprochant tous les 318 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE ressorts du gouvernement dirigeront seuls les mouvements révolutionnaires. La révolution a fait des infortunés, mais elle ne les abandonne pas au désespoir : elle leur offre de puissants motifs de consolation. Il n’y a plus de situation désespérée dans une République de frères, où les distinctions sont abolies, où l’orgueil des richesses est foulé aux pieds, où le citoyen utile et laborieux est tout, où l’homme inutile n’est rien. L’égalité, en rapprochant les hommes de la nature, leur a donné plus de moyens d’essuyer leurs larmes, de réparer leurs malheurs. La patrie n’abandonnera aucun de ses enfants ; elle leur fera oublier leurs maux et leurs pertes ; elle les fera rentrer et les conduira dans la route du bonheur. Français qui vous plaignez, relisez les pages immortelles de votre histoire, parcourez tous les événements qui ont souligné le courage et éternisé la gloire de la nation. Habitants du Nord, de quels sentiments n’êtes-vous pas pénétrés en arrêtant vos regards sur Lille ? Quelle impression ne fait pas sur vous le souvenir de ce mémorable siège, pendant lequel les Lillois ont signalé la grandeur du courage, la constance et le véritable héroïsme des Français, tandis que les citoyens de Thionville donnaient le même exemple au milieu des mêmes dangers? Voyez cette armée de héros qui se précipite sous le feu des batteries, emporte des redoutes et gagne la sanglante bataille de Jemmapes ; voyez-la attaquer l’ennemi devant Bruxelles, et faire la première conquête de la Belgique. Une nouvelle scène s’ouvre : les Français défendent leurs frontières attaquées ; l’Anglais est battu sous Dunkerque, et l’Autriche devant Maubeuge. L’armée s’avance dans la West-Flandre ; ce pays hérissé de citadelles, est couvert et protégé par toutes les forces des puissances coalisées ; toutes les places tombent au pouvoir des Français, et les capitulations d’Ostende et de Nieuport enlèvent à l’Anglais ses communications dans la Belgique. Voyez avec quel courage les défenseurs de la patrie préparent devant Charleroi les succès qu’ils doivent avoir le lendemain dans les plaines de Fleurus. Un monarque orgueilleux fît publier par toutes les trompettes de la renomée la prise de Namur : une nouvelle tactique, que ne s’approprieront jamais les autres nations, et que le despotisme n’introduira pas dans ses armées, remet Namur au pouvoir des Français. Ils poursuivent les Autrichiens, ils les forcent à la retraite ; ils entrent dans Liège, où ils font la plus glorieuse et la plus utile des conquêtes ; ils brisent le sceptre d’un prêtre et les fers dont ce despote chargeait ses frères. Le Liégeois industrieux fuit cette terre d’esclavage, vient jouir de la liberté, et élever dans le territoire de la République de nouvelles manufactures d’armes, pour achever la destruction des tyrans. Habitants de nos contrées orientales, quels transports n’avez-vous pas éprouvés, lorsque vous avez été spectateurs de ces campements, de ces marches, de ces combats, de ces victoires qui ouvrirent à vos frères les portes de Spire, de Worms, de Mayence ? Contemplez les Français soutenant dans Mayence un siège long et meurtrier, et le plus célèbre de cette guerre ; comparez la courageuse résistance des Français, renfermés dans cette place et ne pouvant attendre aucun secours, avec cette tactique si vantée de vos ennemis, qui abandonnent successivement leurs places et se replient loin de ceux qu’ils étaient venus défendre. Tous les bords du Rhin retentissent des victoires de vos armées. Landau n’attend pas en vain le secours de ses défenseurs. Les armées de la Moselle et du Rhin se réunissent et supérieures par leurs marches et leurs mouvements, comme par leur courage, elles mettent en fuite les Prussiens et les Autrichiens, rétablissent les communications avec Landau, et parcourent une partie du Palatinat. Habitants du Midi, vous savez si les fruits de la victoire ont été utiles à la France. La conquête de la Savoie a donné à la République le département du Mont-Blanc, réuni par le vœu du peuple librement émis. Le Mont-Cenis assure aujourd’hui votre conquête et la liberté de vos frères. Nice et Villefranche vous assurent des dépôts, des magasins, dont nous ne pouvons nous passer. Plus les besoins se font sentir, plus vous avez su mettre de prix à ces conquêtes, et surtout à l’union et à l’attachement de ces nouveaux Français. La prise de Saorgio [Saorge] garantit à la République la réunion des Alpes-Maritimes. Cravella a vu fuir les Croates et les Autrichiens devant les Français, chargés de préserver les contrées libres de l’Italie du joug de la domination autrichienne. Collioure et Port-Vendres n’avaient été occupés momentanément par l’Espagnol que pour donner un nouvel éclat aux armes de la République, et donner à l’Europe le spectacle des meilleures troupes de l’Espagne forcées de renoncer aux honneurs de la guerre, et de subir, en mettant bas les armes, la loi du vainqueur. Les vallées de Bastan et de Lerin ont pourvu pendant plusieurs mois aux besoins de l’armée. Fontarabie et Saint-Sébastien vous donnent des ports et assurent la navigation du golfe. L’Espagne a perdu sans retour ses célèbres fonderies, ses manufactures d’armes, qui auraient été un objet étemel de jalousie, si on les avait conservées. Telle est aujourd’hui la situation de la France. Peut-elle être plus grande, plus forte et plus imposante? Vos succès aux Pyrénées n’ont-ils pas répondu à vos espérances, quoique vous attendiez encore la réddition de Bellegarde? N’avez-vous pas assez fait pour votre gloire et votre sûreté, et pour affaiblir vos ennemis en Italie et aux Alpes ? Le Rhin ne garantit-il pas le territoire de la République? Le Palatinat vous est ouvert, Trêves est en vos mains. SÉANCE DU 4e JOUR DES SANS-CULOTTIDES AN II (SAMEDI 20 SEPTEMBRE 1794) - N° 18 319 Quel plan de campagne fut mieux conçu et mieux exécuté que celui qui vous a rendu Valenciennes, rétabli toute la frontière du Nord, et vous a rendus maîtres de la Belgique. Quel Français refuserait de s’associer à votre gloire et de partager vos destinées? Si quelques citoyens avaient conçu des vues ambitieuses, ou s’ils avaient eu la pensée de troubler la tranquillité publique, oseraient-ils faire éclater leurs desseins? La nation s’occu-pera-elle des craintes, des terreurs, des vaines alarmes que l’on voudrait répandre, lorsque sa sûreté et sa gloire exigent que tous les intérêts particuliers se confondent dans l’intérêt général? Ne saura-t-elle pas réprimer et contenir par sa puissance ceux qui s’efforceraient de faire naître de nouveaux troubles dans l’intérieur? Nation, sois attentive à tes destinées, qui s’accomplissent par tant de prodiges et de merveilles, du courage, de la force et de l’intelligence! Ce n’est point l’ouvrage de quelques citoyens, c’est l’ouvrage du peuple entier; il voudra le maintenir ; il couvrira de l’éclat de sa gloire, ou il frappera de sa puissance tout citoyen qui voudra appeler sur lui l’attention qui n’est due qu’aux événements généraux. Souvenez-vous, sociétés populaires, de ce que vous fîtes de grand, de sublime, lorsque vous éclairâtes les Français sur leurs droits, lorsque vous enflammâtes leur courage, et que vous les préparâtes à combattre le despotisme et la tyrannie : vous apprîtes aux hommes qu’ils n’étaient pas nés pour l’esclavage, qu’ils devaient briser leurs fers sur la tête de leurs tyrans ; vous apprîtes aux hommes que, pour être libres et conserver leur liberté, ils devaient s’instruire et connaître leurs droits et leurs devoirs. Que de lumières vous avez répandues sur la France ! Continuez de parcourir votre carrière; elle devient plus difficile. Le peuple, plus instruit, vous demande de nouvelles lumières, de nouvelles connaissances. Apprenez-lui à conserver le dépôt de sa liberté ; prémunissez-le contre les erreurs, les séductions, l’éclat des vaines réputations ; faites-lui faire de nouveaux pas dans la carrière des connaissances humaines; observez attentivement la marche du gouvernement ; surveillez les fonctionnaires publics ; faites renaître l’amour du travail; encouragez les hommes utiles ; que par vos soins la probité nationale s’affermisse et soit respectée. On se demande qu’elle sera l’issue de la guerre de la Vendée. On a livré divers combats ; on a détruit des rebelles ; il en existe encore. Ils ne forment plus de corps d’armée ni de grands rassemblements, mais ils ont fatigué et harcelé les cultivateurs, ils ont troublé et même interrompu en plusieurs endroits les travaux de la récolte ; on les attaque, on les poursuit, on a souvent manqué des occasions favorables; les plans, les instructions n’ont point été suivis. Le comité de Salut public a concerté, avec les membres qui connaissent particulièrement les départements de l’Ouest, les moyens de terminer promptement cette guerre. On a rappelé des généraux. Des représentants du peuple se sont rendus dans ces contrées ; ils sont pénétrés des grandes et importantes fonctions qu’ils vont remplir. Une discipline exacte, une conduite régulière, une activité soutenue, un ordre de marche continuel et suivi, sont les seuls moyens de détruire les rebelles, de contenir les hommes suspects et de rassurer les bons citoyens. Des brigands, connus sous le nom de Chouans, ont infesté la rive droite de la Loire et les routes de la ci-devant Bretagne. Plusieurs courriers, plusieurs voyageurs ont été assassinés ; quelques citoyens, chargés de faire exécuter les réquisitions ont péri par la main de ces brigands. Les représentants du peuple envoyés dans ces départements en sont instruits ; leur surveillance, les mouvements fréquents de troupes, rendront les communications sûres et préserveront ces départements des malheurs qui ont assailli la Vendée. L’exemple de courage, de probité, d’union, que vous donnerez ici, doit aussi avoir la principale influence sur les départements de l’Ouest. On oubliera le faste, le luxe et le crime de quelques généraux ; l’armée répondra à votre attente, et le peuple ne reconnaîtra dans les soldats de la liberté que des vengeurs. Le calme que vous établirez ici, les grands principes que vous consacrerez, et dont les représentants et les généraux se montreront pénétrés, feront cesser ces troubles affreux qui désolent une si belle contrée que vous devez reconquérir à la liberté. C’est par les lumières, par la force des principes, par la raison, par une armée terrible aux rebelles, protectrice des bons citoyens, que vous achèverez cette conquête. Vous ne voulez négliger aucuns moyens d’éclairer le peuple, de l’attacher à la révolution. Il en est un puissant que l’on a trop négligé : dissipez les ténèbres de l’ignorance, répandez les lumières et l’instruction; mettez entre les mains de vos concitoyens ces ouvrages si désirés dans lesquels ils apprendront leurs droits et leurs devoirs. Pourquoi le temple des sciences et des arts est-il encore fermé? Les moyens d’instruction ne doivent-ils pas être à portée de tout citoyen comme les moyens de travail? Dans le Valais, tout habitant sait cultiver son champ, les arts et les sciences ; toute maison renferme une collection des meilleurs livres, des outils les plus ingénieux des différents arts et métiers, et des instruments d’agriculture, dont le possesseur sait faire usage. Vous avez formé le camp des Sablons pour faire instruire sous vos yeux de jeunes citoyens dans l’art de la guerre ; pourquoi n’ordonneriez-vous pas qu’il serait ouvert à Paris un cours d’étude pour former des instituteurs, et qu’un nombre déterminé de citoyens de tous les districts, capables de remplir de pareilles fonctions, se rendrait à Paris pour y suivre ce cours? Quelque plan d’instruction que vous propose le comité que vous avez chargé de cet ouvrage, il est permis de prévoir que l’exécution en sera difficile, si l’on ne s’occupe pas 320 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE dès ce moment du soin de former des instituteurs. Vous avez cependant des mesures provisoires à adopter. Le peuple a besoin que vous l’entreteniez souvent. Remplissez le vide de ses fêtes décadaires ; ordonnez à votre comité d’instruction publique de rédiger dans le cours de chaque décade un cahier d’instruction. Que ces cahiers soient un répertoire de vos travaux et des principaux événements ; que l’on y trouve des conseils, des règles de conduite ; qu’ils respirent l’amour du travail, les mœurs et l’honnêteté publique ; qu’une narration pure et facile attache et intéresse. Si un pareil ouvrage est bien exécuté, si vous en ordonnez la lecture dans le lieu des séances de l’assemblée générale de chaque commune, le décadi, les citoyens s’y rendront en foule avec leurs femmes et leurs enfants. Quel que soit le plan que l’on adopte à l’avenir sur les fêtes décadaires, vous devez regarder comme un devoir indispensable de remplir vous-mêmes ces fêtes, de les animer, d’y répandre de l’intérêt. Vous ne pouvez le faire par la pompe d’un frivole spectacle, faites-le par l’instruction. On vous parlait dernièrement de la liberté de la presse ; on vous demandait une garantie. Vous avez rappelé les dispositions de la Déclaration des droits de l’homme, et les Français ont juré de mieux conserver le dépôt qui leur est confié. Vos concitoyens vous demandent aujourd’hui une garantie de la liberté individuelle. Répondez -leur que tous les citoyens étant égaux, la loi doit être égale pour tous. Lorsque vous fûtes informés que des laboureurs se consumaient dans l’ennui et l’oisiveté des maisons d’arrêt, vous ordonnâtes, avant la récolte, qu’ils fussent mis en liberté. Vos comités vous annoncent qu’il y a encore dans ces maisons d’arrêt un grand nombre de citoyens appliqués aux arts, aux sciences, à l’agriculture, des chefs de manufactures, des commerçants, dont la détention est ruineuse pour eux et nuisible à la République. Vos comités ont pensé qu’il ne convenait pas moins à la justice qu’à l’intérêt national de mettre en liberté ces citoyens, dont l’utilité ne peut être contestée, et dont les services sont nécessaires. La liberté est le plus grand des encouragements que vous puissiez donner aux hommes utiles ; vous ne devez plus souffrir que l’on vous prive de leurs lumières, de leurs veilles et de leurs travaux. La reconnaissance leur prescrira de se dévouer au service de la patrie. Votre comité de Sûreté générale, formant un grand jury, saura remplir le vœu de la nation, et, en rejetant les déclarations des hommes inutiles et dangereux, renvoyer dans le sein de leurs familles des citoyens qui ne feront usage de leur liberté que pour concourir à la prospérité générale. Des circonstances vous avaient obligés d’accorder aux municipalités un pouvoir illimité sur la délivrance ou le refus des certificats de civisme. Ces dispositions furent alors nécessaires ; maintenant il convient d’ajouter aux lois des dispositions qui en conserveront tous les avantages et en feront disparaître les inconvénients. Il ne convient plus aux circonstances actuelles de laisser aux municipalités la faculté de refuser des certificats de civisme, sans en exprimer les causes. Les comités vous proposent de décréter que les municipalités exprimeront les motifs de leur refus, lorsqu’elles croiront devoir refuser les certificats de civisme qui leur seront demandés. Ils ont pensé qu’il devait être permis de soumettre à la décision des directoires de district l’examen des motifs de refus. Ces dispositions ont paru nécessaires pour faire cesser des abus et de graves inconvénients. On sait quelles sont les suites du refus d’un certificat de civisme; des fonctionnaires publics, qui rejettent en quelque sorte du sein de la société ceux qui éprouvent leur refus, ne doivent pas en laisser ignorer les motifs. Les besoins pressants et multipliés du commerce ont encore déterminé vos comités à vous soumettre plusieurs propositions dont ils demandent le renvoi à vos comités des Finances et de Commerce. Les mesures que vos comités vous proposent leur ont paru celles que les circonstances devaient faire adopter. Rendre la liberté à tous les hommes utiles, imprimer le sceau de l’humiliation sur l’oisiveté, rappeler les institutions à leur origine, les pouvoirs à leur centre, honorer le travail, encourager le commerce, répandre les lumières, établir de fréquentes communications entre le peuple et ses représentants, poser les bases de l’instruction publique, leur ont paru les seuls moyens qu’ils dussent vous proposer pour remplir vos vues, soutenir l’éclat de la nation française, et assurer sa gloire et sa prospérité. Voici les projets de décrets que je suis chargé de vous présenter : Un membre [Robert Lindet], au nom des comités de Salut public, de Sûreté générale et de Législation, réunis, fait un rapport sur la situation intérieure de la République, et présente, à la suite, plusieurs projets de décrets, qui sont adoptés ainsi qu’il suit : a La Convention nationale, après avoir entendu le rapport de [Robert Lindet, au nom de] ses comités de Salut public, de Sûreté générale et de Législation, charge son comité de Sûreté générale et les re-présentans du peuple dans les départe-mens de s’occuper, sans délai, de l’examen des réclamations des pères et mères des défenseurs de la patrie, de tous les citoyens agriculteurs, artistes et commer-çans mis en état d’arrestation (56). (56) C 318, pl. 1288, p. 16. Décret n° 10 968. Rapporteur R. Lindet. Débats, n° 730, 573 ; Moniteur, XXII, 8 et 26 ; Bull., 4e jour s.-c. ; J. Mont., n° 144 ; Mess. Soir, n° 764 ; J. Fr., n° 726; M.U., XLIII, 559; Rép., n°4; J. Perlet, n° 729; J. Univ., n° 1763 ; Ann. Patr., n° 628 ; C. Eg., n° 763 ; Gazette Fr., n° 995.