[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [29 janvier 1790.] payer les rentes, persuadé que l’on est que l’Assemblée en a prononcé l’abolition. Plus de rente : quiconque n’a que cela pour vivre meurt de faim, et cela est affreux. Le comité féodal est bien lent dans son opération. On a arraché d’abord les poteaux seigneuriaux, à la place on y a mis des mais. Tout a été brisé dans leséglises, bancs et chaises : la frénésie et la fureur ont même été portées jusqu’à les brûler. On parle de brûler les châteaux, de faire restituer aux seigneurs ce qu’ils ont, soit disant, mal acquis. Il paraît certain que des municipalités promptement organisées, des troupes nationales formées et mises de suite en activité dans tous les lieux, fournissaient les meilleurs moyens d’arrêter les progrès du mal. Tirez-nous de là au plus tôt, il n’y a pas de temps à perdre. Le peuple doit être tiré de toute incertitude sur ce qu’il a droit de prétendre; l’Assemblée ne saurait trop se hâter de donner ses intentions précises relativement surtout aux rentes et aux dîmes. L’opinion ici est que les rentes et les dîmes ne doivent plus être perçues, et que les rentes doivent être rachetables au prix courant. Tout le monde attend ici la vente des biens ecclésiastiques pour en acheter quelques débris : on dirait, en vérité, qu’ils sont bénis d’une manière particulière. La cure de Bitaille même a près d’elle quelques lambeaux de terre, eh bien! c’est à qui les aura. Voilà en peu de mots ce qui s’est passé et ce qui se passe journellement à Bitaille... Extrait d'une lettre écrite par M. de M. D. C. Z., de Crozès, le 13 janvier 1790. L’esprit d’insurrection se manifeste avec tant d’éclat dans cette contrée, que l’alarme est générale, et que le bourgeois, comme le gentilhomme, craint pour ses propriétés et pour ses jours : des menaces terribles se font entendre de toutes parts : on ne parle que de raser les châteaux, d’incendier les maisons, de dresser des potences à la porte des seigneurs et de tous ceux qui s’arment de courage pour faire régner la paix et la justice. On s’attroupe, on s’arme, et dans cet équipage on va dans les maisons forcer les propriétaires à donner à boire et à manger. Ce qui rend le danger plus éminent, c’est que la plupart de ces brigandages se font la nuit. Nous sommes sans secours; les maréchaussées ne sont point assez fortes pour réprimer le peuple. Les seigneurs sont menacés d'être contraints à remettre les droits d’arpentements et de reconnaissances, qui n’ont été perçus que conformément au tarif usité. On ne saurait peindre les horreurs que le peuple commet, et jusqu’à quel point il pousse l’in justice et l’audace: les églises n’ont pas même été épargnées: on a arraché les bancs pour lesquels on avait payé un droit à la fabrique : on a aussi démoli les balustrades des chapelles. Je rends au lecteur de ces détails la justice de croire que son âme est émue, et comme je les destine principalement à mes collègues, je 'leur dois la vérité toute entière, quelque pénible qu’elle soit à énoncer. En Bretagne, dans une des possessions de l’un de mes parents, les paysans, interrogés sur la cause de l’acharnement qu’ils mettaient à piller un homme qui les avait comblés de bienfaits, répondirent : nous en sommes bien fâchés , mais c'est l’ordre de l’Assemblée nationale. Malheureux peuple, comme on vous abuse ! mais le comble de l’horreur est ce qu’on a imprimé dans ce pavs-là, et que j’ai vu répété dans l’une 373 des productions éphémères des journalistes de la capitale. Les seigneurs, y dit-on, ont fait mettre exprès le feu dans leurs châteaux pour faire sor-tir des villes la milice nationale et l’exterminer plus facilement. G’est ajouter l’insulte aux autres mauvais traitements, et c’est le comble de l’atrocité ! 11 me reste une observation bien singulière à présenter, et qui tient à un rapprochement qui peut aider à trouver la clef de toutes ces calamités ; elle est relative à l’époque du 10 janvier, à laquelle les nouveaux troubles ont commencé dans presque toutes les provinces ; on se souviendra qu’à celle de juillet, toutes les communautés s’armèrent contre les brigands annoncés et créés par l’imagination d’êtres mal intentionnés ; une combinaison conduit à une autre, mais le fil se perd. Je ne puis que vous le répéter, mes collègues, lisez, frémissez et prononcez. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. L’ABBÉ DE MONTESQUIOU, EX-PRÉSIDENT. Séance du vendredi 29 janvier 1790 (1). M. l’abbé de Montesquiou, dernier président, ouvre la séance, en annonçant que la santé de M. Target ne lui permettant *pas de présider, il va le remplacer, suivant le réglement. M. Barrère de Vleuzac, l’un de MM. les secrétaires , fait lecture du procès-verbal de la séance d’hier. M. Bertrand demande que, dans le décret concernant le département de la Haute-Auvergne, on veuille bien changer les mots: Saint-Flour aura la priorité, en ceux-ci : La première tenue de session du département sera à Saint-Flour. L’Assemblée consent la modification. M. Schwendt, député de l’Alsace. Je demande que l’on ajoute au décret rendu en faveur des juifs portugais, que l’Assemblée n’a rien entendu préjuger à l’égard des juifs d’Alsace. Cette addition est absolument essentielle pour établir la tranquillité publique en Alsace, et y assurer l’existence de vingt-six mille juifs allemands. M. Bouche. La dénomination d'Avignonais, qui se trouve dans le décret, semble ne comprendre que les juifs habitants de la ville d’Avignon et exclure ceux qui habitent dans le comtat Yenaissin, qui sont de la même classe; je propose d’ajouter à l’expression Avignonais, ceux-ci : et Comtadins. M. Démeunier. Je pense qu’il serait dangereux de délibérer sur la motion, parce que la moindre manifestation de doute sur ce point donnerait lieu, dans beaucoup d’endroits, d’élever des difficultés, même contre celles des classes de juifs qui sont comprises dans le décret. En l’état présent, on ne refusera pas les droits de citoyen (1) Cette séance n’est pas au Moniteur. 374 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [29 janvier 1790.] actif à ceux qui sont en possession dans les divers lieux du royaume. L’Assemblée, consultée, passe à l’ordre du jour sur les motions de MM. Schwendt et Bouche. Le procès-verbal est adopté. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion sur la division des départements du Royaume. M. Gossin propose un décret sur le département du Vélav. M. Privât, curé de Craponne, observe que le département du Velay ayant 240 lieues de superficie, la division en troisdistricts, qui est proposée par le comité, donnerait à chacun le double de l’étendue fixée par l’Assemblée ; il demande en conséquence la création d’un quatrième district pour Craponne et fait valoir, en faveur de cette ville, des considérations de localité. M. Bonnet de Treiches oppose au préopinant l’avis unanime des autres membres de la députation, qui ne réclament que trois districts. M. l’abbé Privât observe que si les autres députés sont d’accord, c’est parce qu’ils sont tous habitants des villes prises pour chefs-lieux des districts ; et que s’ils sont d’accord pour partager entre eux la totalité du gâteau, c’est au désavantage des campagnes. M. Grenier fait remarquer que M. le marquis de Lafayette, qui n’habite aucune des villes prises pour chef-lieu de district a pensé que la demande de Craponne n’était pas admissible. L’amendement de M. l’abbé Privât est rejeté et le projet du comité de constitution est adopté ainsi qu’il suit : c L’Assemblée nationale décrète, d’après l’avis du comité de constitution : « 1° Que le département du Vélay est divisé en trois districts, dont les chefs-lieux sont les villes du Puy et Brioude ; et pour le troisième, la ville d'Issingeau provisoirement ; « 2° Que la ville du Puy est chef-lieu de ce département ; « 3° Qu’à la première Assemblée il sera déterminé si Issingeau doit demeurer définitivement chef-lieu du troisième district, et dans laquelle des villes situées dans l’étendue de son territoire, il convient de placer le siège de la juridiction, de manière que ces deux établissements soient partagés. » M. Gossin propose un second décret concernant la division du Quercy, qui est adopté sans contestation, en ces termes : « L’Assemblée nationale décrète, d’après l’avis du comité de constitution: « 1° Que le département du Quercy, dont Cahcrs est le chef-lieu, est divisé en six districts, dont les chefs-lieux sont Cahors, Montauban, Lauzerte, Gourdon, Martel et Figeac; « 2° Que les électeurs du département détermineront si le nombre de ces districts doit être augmenté ; et dans ce cas ils proposeront cette augmentation à décréter par la prochaine législature ; « 3° Que les établissements du district des villes de Lauzerte et Moissac seront partagés entre ces deux villes, selon que les électeurs du département le jugeront convenable, de manière que Moissac soit chef-lieu de district, ou le siège de la juridiction, sauf le droit de la ville de Montauban aux établissements qui seront déterminés par la constitution. » M. Gossin donne lecture d’un troisième décret concernant le département de Carcassonne. L’Assemblée l’adopte, sans changement, ainsi qu’il suit: * L’Assemblée nationale décrète, d’après l’avis du comité de constitution : « 1° Que le département de Carcassonne est divisé en six districts, dont les chefs-lieux sont Carcassonne, Castelna’udary, la Grasse, Limoux, Narbonne et Quillau ; « 2° Que Ja ville de Carcassonne est le chef-lieu de ce département, et qu’à la suite de la première session, les électeurs détermineront si les séances des assemblées administratives doivent alterner, et entre quelles villes cet alternat aura lieu, pour cette disposition être proposée à la première législature. » M. Gossin propose un quatrième décret concernant le département de Troyes. M. Baillot réclame pour les bourgs d’Yebaud et d’Estissac la faculté de se réunir au département de Troyes. Un autre membre demande que les communautés de Clain et de Bagneux aient la faculté de désigner le département et le district auxquels elles veulent se réunir. M. Camusat de Bélombre observe que les députés sont unanimes à repousser les prétentions d’Estissac. Le décret suivant est rendu : « L’Assemblée nationale décrète, sur l’avis du comité de constitution : « 1° Que le département de Troyes est divisé en six districts, qui sont Troyes, Nogent-sur-Seine, Arcis-sur-Aube , Bar-sur-Aube , Bar-sur-Seine provisoirement, et Ervy ; « 2° Que la ville de Troyes est le chef-lieu de ce département ; « 3° Qu’il n’y a lieu à délibérer quant à présent sur la réclamation des villages de Clesles et Bagneux; « 4° Que les électeurs du département détermineront si la ville de Merry doit partager avec celle d’ Arcis-sur-Aube les établissements de ce district, ou s’il convient mieux aux administrés qu’ils soient réunis à Arcis-sur-Aube ; « 5° Que les villages de Saint-Liébaut et de Thuisy seront réunis au district de Troyes ; « 6° Que le village de Cunfin sera réuni au district dont Bar-sur-Seine est provisoirement chef-lieu, et au département de Troyes ; « 7° Enfin, que toutes les autres limites intérieures et extérieures de ce département et de ses districts auront lieu conformément aux conventions réglées entre les députés du département, signées par eux, approuvées par les commissaires, et déposées au comité de constitution. » Gossin rend compte à l’Assemblée d’une difficulté qui s’est élevée entre Grasse et Antibes. M. Verdolin dit que la ville d’Antibes en Provence demande à être chef-lieu de district et qu’elle réclame au moins d’être séparée de celui de Grasse.