SÉANCE DU 3e JOUR DES SANS-CULOTTIDES AN II (VENDREDI 19 SEPTEMBRE 1794) - N° 18 291 du Champ-de-Mars, que chacun s’empressera de concourir au salut de la République. Un aristocrate, s’il en reste, sera au milieu des Français comme un ermite dans les bois ; il sera le jouet des petits enfants. Je ne vous proposerai pas de projet de décret sur le premier objet de ce discours. Il n’est pas besoin de loi pour nous déterminer à mettre aux pieds de la statue de la Liberté nos passions : il suffit que nous soyons convaincus que l’intérêt du peuple l’exige impérieusement : mais voici ce que je propose pour maintenir aux lois révolutionnaires leur juste sévérité et faire disparaître la tyrannie. Article I. - Le gouvernement révolutionnaire sera conservé dans son intégrité pendant la guerre; mais tout agent de ce gouvernement, qui se permettra d’en outre-passer la limite, sera puni de mort. Art. II. - La fortune d’un homme arrêté comme suspect continuera à être régie comme auparavant par celui ou celle qui aura sa confiance, et au profit de sa famille, à charge de donner aux agents des domaines nationaux bonne et suffisante caution, pour le cas où il serait jugé coupable. Art. III. - L’obéissance à la loi étant sacrée pour tout républicain, celui qui se soustraira à un mandat d’arrêt, revêtu des formes exigées par la loi, et dûment notifié, ou qui s’évadera des prisons, sera considéré comme émigré. Mais nul ne peut être présumé coupable sous le prétexte d’avoir tenté de rompre ses chaînes ; c’est à la police chargée de l’administration des prisons à les surveiller. Le discours de Dubois-Crancé avait été fréquemment interrompu par de vifs applaudissements. La Convention ajourne la discussion à une prochaine séance. MERLIN (de Thionville) : Je ne suis pas d’avis des mesures proposées par Dubois-Crancé ; mais elles peuvent faire naître d’autres idées et amener des résultats heureux. A compter d’aujourd’hui il doit s’ouvrir une discussion solennelle, une discussion qui doit enfin amener des mesures vigoureuses et sages, une discussion dont le résultat doit assurer à chaque citoyen la sûreté de sa personne et de sa propriété, et au coupable la punition qu’il mérite. Je demande l’impression du discours. Cette proposition est décrétée. 18 BENTABOLE : Garnier nous a dit que, dans le nombre de ceux qui ont crié vive la Convention il y avait des royalistes ; [GARNIER de Saintes demande la parole.] (43) [BENTABOLE] : La Convention ne peut, sans crainte de compromettre la tranquillité (43) Débats, n° 729, 549. publique, ne pas vérifier ces faits. Il ne faut pas qu’un sans-culotte, lorsqu’il entendra crier vive la Convention, dans une place publique, puisse croire que c’est là un cri de royaliste. Si on laissait une pareille opinion s’accréditer, je vous demande qui oserait jamais crier vive la Convention [Tous, s’écrient les membres de l’Assemblée en se levant] (44). Je vous demande si ce ne serait pas tromper le peuple sur le compte de ses représentants, et l’éloigner d’eux. Je demande que le comité de Sûreté générale examine s’il y avait des royabstes parmi ceux qui ont crié vive la Convention, et qu’il nous fasse le rapport séance tenante. BOURDON de l’Oise : [Ce n’est pas au nom du comité que je vais parler. Si je m’égare, mes collègues sont ici, ils me redresseront] (45). Je ne suis mû que par le sentiment de la vérité ; je vais dire ce que je sais. Il est au-dessous de la Convention de s’occuper d’une poignée d’intrigants, tant d’un parti que de l’autre. Aucun grand événement ne s’est jamais passé que nos ennemis et les aristocrates, qui restent en petit nombre, n’aient tenté d’en profiter. Le mouvement qui s’est passé hier au Palais, ci-devant Royal, est un essai d’intrigants, peut-être payés de part et d’autre. ( Applaudissements et murmures .) Tout ce que l’on désirerait c’est que la Convention s’occupât de quelques hommes qui colorent leurs misérables intentions par un cri à jamais respectable. Parmi les crieurs de vive la Convention il y avait des muscadins, et des hommes qui, quoique bien portants avaient quitté l’armée sous prétexte de maladie, et qui feraient beaucoup mieux d’être à leur poste. D’un autre côté, j’ai vu des hommes perdus de vices, des soldats de Robespierre, qui ont rempli leurs poches de sommes qu’il prodiguait, et rougi leurs mains du sang qu’il faisait répandre. Je répète ce que j’ai dit au comité, il faut comprimer les crieurs des deux côtés. (Non, non, s’écrie-t-on). L’on se récrie sur ce que j’ai dit, parce qu’on ne s’attendait pas, peut-être, que j’aurais assez de franchise pour dire la contre-partie ; mais je ne connais que la vérité. Il y avait des gens qui regrettent leur 40 sous, qui regrettent les places dans lesquelles ils vexaient les honnêtes citoyens ; enfin il y avait des gens qui seraient beaucoup mieux aux frontières qu’ici. Je crois que ce que nous devons faire c’est d’entendre le rapport que les comités se proposent de nous faire, et de chasser de Paris tout ce qui en trouble la paix et la tranquillité. MERLIN (de Douai) : Vos comités de Salut public, de Sûreté générale et de Législation s’occupent sans relâche du rapport que vous les avez chargés de vous faire. Ils ne se sont encore aujourd’hui séparés qu’à quatre heures du matin. En attendant ils croient devoir présenter un projet de décret contenant quelques dispositions additionnelles à la loi du 18 fruc-(44) Débats, n° 729, 549. (45) Débats, n° 729, 549. 292 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE tidor, pour balayer de Paris tout ce qui y reste d’immonde (46). Un membre du comité de Salut public fait, au nom de ce comité et de ceux de Sûreté Générale et de Législation, un rapport, et présente un projet de décret pour faire sortir de Paris les étrangers qui s'y étoient introduits pour y troubler la tranquillité publique et y fomenter des intrigues et des projets liberticides sous les couleurs du patriotisme. Il est discuté, mis au voix et adopté dans les termes qui suivent : La Convention nationale, après avoir entendu [Merlin (de Douai, au nom de] ses comités de Salut public, de Sûreté générale et de Législation, décrète : Article premier. - Les citoyens qui ne résidoient pas à Paris avant le 1er messidor, et qui se trouvent actuellement dans cette commune, seront tenus d'en sortir dans le jour qui suivra la publication du présent décret, de s'en éloigner de dix lieues au moins dans les deux jours sui-vans, de se retirer dans leurs domiciles respectifs, et d'y justifier de leur retour devant leur municipalité, dans le délai de deux décades pour ceux qui sont à cent lieues de distance de Paris et au-dessous, et de quatre décades pour ceux qui sont à de plus grandes distances. Art. II. - Les comités civils des sections de Paris sont autorisés à s’adjoindre, pour vingt-quatre heures, d’anciens membres, au nombre de seize par section, pour délivrer ou viser les passe-ports des citoyens compris dans l’article précédent. Art. III. - Us tiendront, à compter de ce jour, registre de tous les passe-ports qu’ils délivreront ou viseront à l’avenir, et ils en enverront chaque jour un extrait au comité de Sûreté générale. Art. IV. - Sont exceptés des dispositions de l’article premier : 1°. Les ouvriers et artisans actuellement employés dans l’arrondissement de la commune de Paris, aux travaux de leur profession ; 2°. Les citoyens mis en réquisition pour venir ou rester à Paris; 3°. Les fonctionnaires publics ou agens du gouvernement qui ont reçu, soit des représentons du peuple, soit des comités de la Convention nationale, soit des commissions exécutives, des ordres ou pouvoirs exprès pour se rendre à Paris. 4°. Les marchands, négocians et manufacturiers, munis de passe-ports énoncia-tifs de leur profession, à la charge par eux de justifier de cette profession devant les comités civils, par la déclaration (46) Moniteur, XXII, 7. Débats, n° 729, 549-550 ; J. Mont., n° 143 ; Mess. Soir., n° 762 ; Ann. Patr., n° 627 ; C. Eg.,. n° 762 ; Ann. R.F., n° 291 ; F. de la Républ., n° 440 ; J. Fr., n° 725 ; M. U., XLIII, 539 ; Rép., n° 274 ; J. Perlet, n° 727 ; J. Paris, n° 628. de deux marchands, négocians ou manufacturiers établis à Paris. Art. V. - Toutes personnes domiciliées à Paris, chez lesquelles sont logés des citoyens compris dans l’article premier, sont tenues d’en faire la déclaration au comité civil de leur section, dans le jour qui suivra la publication du présent décret. Art. VI. - Tous les individus compris dans l'article premier, qui auroient pu obtenir des cartes de citoyen dans les sections de Paris, seront tenus de les rapporter, dans les vingt-quatre heures, au comité révolutionnaire de l’arrondissement dans lequel ils sont logés. Art. VII. - Les citoyens compris dans l’article premier du présent décret, et ceux à qui il a été enjoint par celui du 18 fructidor de sortir de Paris, ne pourront y revenir, jusqu’à ce qu’il en ait été autrement ordonné. Art. VIII. - Ne pourront pareillement venir à Paris, jusqu’à ce qu’il en ait été autrement ordonné : 1°. Les militaires, commissaires des guerres, et autres citoyens employés dans les armées ou dans les places de guerre, non munis d'ordre ou pouvoirs des représentons du peuple, ou de permissions des commissions exécutives, approuvées par le comité de Salut public; 2°. Les militaires qui ont donné leur démission dans l'intervalle du 14 juillet 1789 au 10 août 1792, ayant moins de trente ans de service; 3°. Les militaires destitués, suspendus ou licenciés depuis le 10 août 1792; 4°. Les ci-devant fonctionnaires publics ou ci-devant agens du gouvernement, qui ont été destitués ou suspendus depuis le 31 mai 1793, ou dont les fonctions ont été supprimées depuis le 10 thermidor; 5°. Les citoyens qui ont été chargés de mission par les représentans du peuple près les armées ou dans les départemens, par les comités de Salut public ou de Sûreté générale, par le ci-devant conseil exécutif provisoire, ou par la commission de commerce et approvisionnemens, et dont les pouvoirs ont pris fin; 6°. Ceux qui ayant été arrêtés comme suspects ou comme prévenus de délits contre-révolutionnaires, ont été mis en liberté depuis le 10 thermidor, ou y seront mis à l’avenir. Art. IX. - Tout contrevenant à l’une des dispositions du présent décret, sera arrêté comme suspect et détenu jusqu’à la paix. Art. X. - Le présent décret sera, dans le jour, proclamé dans toutes les sections de Paris. La Convention nationale se repose avec confiance, du soin d'en seconder l’exécution, sur le zèle et le patriotisme des citoyens de Paris, qui, dans la nuit du 9 au 10 thermidor, et dans toutes les SÉANCE DU 3e JOUR DES SANS-CULOTTIDES AN II (VENDREDI 19 SEPTEMBRE 1794) - N° 19 293 circonstances, ont manifesté avec éclat leur dévouement à la cause de la liberté et leur attachement à la représentation nationale (47). Ce décret est adopté à l’unanimité. On applaudit. Sur la proposition de Thuriot, l’assemblée décrète que ce décret sera expédié, sans avoir besoin d’une seconde lecture (48). 19 Un autre membre [Delmas] du même comité rend compte des nouvelles victoires remportées par la République au Nord et aux Pyrénées-Occidentales (49). Delmas, au nom du comité de Salut public, a fait le rapport suivant (50) : Le télégraphe vous apprit, il y a deux jours (51), que l’armée du Nord avoit obtenu le 28 fructidor, un avantage considérable. Le comité de Salut public a reçu des détails sur cette glorieuse journée. Quinze cents prisonniers vous ont été annoncés ; on en compte deux mille [vifs applau-dissemens ] (52). Deux bataillons de Hessois ont mis bas les armes [nouveaux applaudisse-mens ] (53). Etoient-ils enveloppés par les troupes républicaines? Non : trente hussards du huitième régiment, n’écoutant que l’impatience du courage, avoient franchi un fossé pour arriver à eux [on applaudit à plusieurs reprises ] (54). Vers les Pyrénées Occidentales, six cents républicains ont mis en fuite 6 000 Espagnols [L’assemblée se lève toute entière, et applaudit longtemps ] (55). Les défenseurs de la liberté ne comptent plus les ennemis; l’amour de la patrie et l’enthousiasme de la gloire décident leurs triomphes. Voici les lettres officielles. Les représentons du peuple français près de l’armée du Nord et de Sambre-et-Meuse, Bellegarde et Lacombe (du Tarn), aux membres composant le comité de Salut public. Quartier général de l’armée du Nord, à Box-tel, du trentième jour de fructidor, l’an (47) P.V., XLV, 338-342. C 318, pl. 1287, p. 35. Décret n° 10 949. Minute de la main de Merlin (de Douai), rapporteur. Bull., 3e jour s.-c. ; Moniteur, XXII, 7-8 ; Débats, n° 729, 550-552 -, F. de la Républ., n° 441 ; J. Fr., n° 726 ; J. Mont., n° 143 ; M. U., XLIII, 555-556 ; Rép., n° 274 (suppl.) ; J. Paris, n° 629. (48) Débats, n° 729, 552. (49) P.-V, XLV, 343. (50) Bull., 3e jour s.-c. (51) Ci-dessus Archiv. Parlement., 1er jour s.-c., n° 45. (52) Débats, n° 729, 552. (53) Débats, n° 729, 552. (54) Débats, n° 729, 552. (55) Débats, n° 729, 552. deuxième de la République française une et indivisible. Nous vous annonçons avec empressement, citoyens collègues, l’avantage signalé que vient de remporter l’armée du Nord sur les coalisés commandés par le duc d’York. D’après l’ordre que vous avez donné d’attaquer l’ennemi, l’armée a marché dans la direction de Gorcum, où nous devions le rencontrer ; bientôt les deux armées furent en présence, et c’est hier que se fit le dernier mouvement, aussi hardi que bien combiné. Pichegru avoit résolu de camper en-deça de la rivière de Dommel, où l’ennemi avoit tous ses postes avancés, et de porter les siens au-delà, ce qui devoit lui donner la position la plus avantageuse; il a parfaitement réussi. Le passage de la rivière étoit défendu par le village de Boxtel ; des retranchemens hérissés d’artillerie, cinq mille hommes tant cavalerie qu’infanterie, rien n’a pu arrêter la bravoure de nos républicains ; l’attaque fut vive, mais après une heure et demie de combat, l’ennemi a fui : dans sa déroute, nous lui avons fait deux mille prisonniers, et pris huit pièces de canons avec leurs caissons. Ce matin, une reconnoissance de huit cents hommes environ a rencontré un corps de cinq mille Anglais, qui venoit pour reprendre Boxtel ; mais forte de sa fortune, ne s’occupant pas du nombre, elle l’a chargé avec une telle impétuosité, que la terreur s’est jetée dans les rangs de l’ennemi, et lui a fait abandonner son projet. Après tant de valeur, nous ne vous parlerons pas, citoyens collègues, des marches pénibles dans un pays couvert de landes et de bruyères; les Français sont capables de tout. Nous ne devons pas vous taire cependant la conduite distinguée du huitième régiment de hussards. Trente d’entre eux ont franchi le fossé qui les séparait des deux bataillons hessois, et leur ont fait poser les armes. Le lendemain un détachement du même régiment a donné une nouvelle preuve de son courage : ne pouvant forcer les prisonniers à diriger le canon qu’ils avoient pris contre les fuyards, ils mirent pied à terre pour le servir eux-mêmes. Cette pièce, ainsi que deux cents prisonniers, est le résultat de l’affaire du matin par la reconnoissance. Il est encore un trait de valeur parmi tant d’autres, qui appartient au citoyen Juge, sous-lieutenant au huitième régiment de hussards ; il a eu le poignet cassé. Nous demandons que vous lui donniez de l’avancement. Nous espérons, citoyens-collègues, que cet avantage n’est que le préliminaire d’événe-mens plus heureux et plus décisifs. Salut et fraternité. Signé, Bellegarde et Lacombe (du Tarn.) P. S. Les déserteurs nous viennent continuellement et en grand nombre ; nous n’avons eu que quinze hommes tués ou blessés.