294 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [24 septembre 1791.] taires opérations. Nous avons posé les principes qui assurent le perfectionnement de notre industrie et de notre commerce, et par là la pins grande élévation de la prospérité nationale. Mais ces principes ne peuvent avoir tout à l’heure encore leurs salutaires effets ; nos manufactures, la police de notre navigation reprendront une activité que l'affranchissement donné au commerce de tout genre, que la vie nouvelle du corps politique leur communiqueront. Parvenus alors à tous les degrés de prospérité auxquels la nature semblait nous avoir destinés, nous ne penserons plus à restreindre notre police coloniale et commerciale dans les bornes étroites du régime prohibitif; nous provoquerons nous-mêmes les premiers la concurrence et nous nous en trouverons bien; mais aujourd’hui sans réformu dans notre navigation, sans nouveaux débouchés à notre commerce, sans avoir pu préparer les moyens d’animer et de perfectionner notre in-dpsirie, sans prévoyance aucune, la destruction de nos avantages dans le commerce dans nos colonies jetterait encore la France dans un état de langueur et de misère dont peut-être elle aurait peine à sortir, ou doqt elle ne se tirerait qu’après les plus longs et les plus cruels ma1- heprs ; gardons-nous d’une précipitation rui-ppuse, nous avons sons les yeux les effets funestes d’une concurrence pon préparée dans le traité de commerce avec l’Angleterpe; un traite de cette nature devait être pour les deux nations une source abondante de prospérité nouvelle. Quelques années employées avec intelligence pour y préparer l'industrie française, nous eussent assuré tons ces biens : Qu a cru ce préalatde très inutile; la France, en luttant contre une nation longuement nréna' éejesavantages ont été presque tous pour elle. Profitons deceite expérience pour pous garder d’une précipitation ruineuse; sachons prévoir les événements, les prévenir et les préparer; c’est ainsi seulement que nous les ferons tourner à notre ayaptage. Fipps-nous d’ailleurs our lq question présente, aux lumières du siècle, la bienfaisante philanthropie, devenue heureusement la religion en temps ; lions-nous à l’intérêt bien entendu des colons. L’effet certain des discussions actuelles peut nous rendre assurés que les colonies feront successivement et par persuasion ce que nous tenterions en yain d’esigep d’elles par la force, si nous voulions l’employer. De tout ce que j’ai dit, il me semble résulter avec évidence qu’une des plus grandes calamités pour la F ance, serait, dans le moment qçtqel, la perte de ses colonies ; que cependant cette séparation serait l’effet certain de l’epiploi de la force pour l’exécution dp décret du 15 mai, et que cependant encore ce décret ne peut être exécuté sans l’emploi de la force. troisième; annexe A LA SÉANCE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE DU SAMEDI 24 SEPTEMBRE 1791. Opinion de M. Maloaef, sur lu législation des Colonies relativement à l'état des personnes et au régime intérieur. Nota. Cette opinion, que je n’ai pas prononcée, parce qu’on m’a refusé la parole, peut être utile à publier, si, comme on nous en menace, on veut revenir encore sur cette question de la prochaine législature. Messieurs, Le décret du 15 mai est devenu l’occasion et le motif du nouveau plan que vous pré-entent les comités sur la législation des «rouies, dont il s’agit de repartir les détails et la compétence, quant au régime extérieur et intérieur, entre l'Assemblée nationale et les assemblées coloniales. Ce pian, développé dans un rapport plein de vues justes et vraiment politiques, est attaqué dans sa base par ceux qui soutiennent le décret du 15 mai, qui en proclament la justice et qui nient ou dissimulent la sensation qu’il a faite dans les colonies; il faut donc traiter encore celte question de l’état politique des geus de io leur; mais évitons au moins cette fois toute équivoque dans les faits et les principes. Les faits, dans cette cause, sont l’état antérieur des gens de couleur dans les colonies, et les événements résultant du changement subit de cet état. Les principes dans cet'e cause sont, non les principes généraux de votre Constitution ou de tout autre système politique, mais seulement les principes conservateurs de< colonies et du régime auquel elles doivent leur existence. Je commence donc par établir les faits et le point précis de I a difficulté. L’instant où l’on a agité en France, avec une grande considération, les questions relatives à la condition des noirs esclaves et des gens de couleur libres, était ce ai où le régime, relatif aux uns et aux autres, aurait reçu par les colons mêmes, plus éclairés sur leurs vrais intérêts, l'amélioration dont il e-t susceptible, en s’ariê-tant toutefois au terme que leur prescrivent l’existeqce et la sûreté des colonies. 11 y avait ci-devant une démarcation ineffaçable entre les blancs et les gens de couleur, dont la filiation même s’éloignait le plus de leur source, Ce n’est pas tout : ce préjugé s’étendait spr les blancs mêmes qui avaient quelque affiqité avec les gens de couleur; et ce qui n’était, dans l’origine, qu’une précaution politique, était devenu uq aliment de vanité. Il np s agit plus maintenant de conserver à ce préjugé tonte son extension et d’interdire indéfiniment aux gens de couleur tonte parité avec les blancs dans l’exercice des droits politiques. Tout ce qui peut se co1 cilié r en ce genre avec le régime domestique des colonies, ne leur sera plus contesté par les blancs; niais tout ce qui est indispensable pour le maintien de ce régime ne peut leur être accordé. Or, qu’est-ce qui est indispensable? c’est que non seulement l’esclave mais sa famille, ses parents affranchis, ne puissent jamais être en parité avec les blancs. ’ De là suit la nécessité d’une classe intermédiaire dont la race des affranchis ne peut sortir que par deux conditions : la propriété et l’inter-runtion de toute affinité avec les esclaves. C’est parce que l’une de ces conditions est entièrement violée par le décret du 15 mai, qu’il est inexécutable. Je fonde la nécessité de la révocation du décret sur deux principes incontestables. Le premier est qu’une loi reconnue mauvaise est nécessairement révocable. Le second, qu’une loi bonne ou mauvaise, mais qui ne peut être exécutée que par la force [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (24 septembre 1791.] 995 et non par l’assentiment de ceux pour qui elle est faite, est nécessairement révocable. Une loi est mauvaise non seulement lorsqu’elle blesse les principes généraux de la justice et de la raison; mais encore lorsqu’elle attaque bs bases et les appuis du régime social qu’on veut lui soumettre, quand même elle serait, dans ce cas-là, conforme aux principes généraux de la justice de la raison. Ainsi, il pourrait être juste et raisonnable de proposer aux mahométans des lois différentes ou contraires à plusieurs préceptes du« Koran ». Mais il serait extravagant, en voulant maintenir parmi eux le mahométisme, de leur proposer des lois ui réduisent les dogmes de Mahomet au rang es contes absurdes. Ainsi, lorsqu’un peuple a volontairement adopté, comme les Danois, la monarchie absolue, ce serait une mauvaise loi que celle qui soumettrait toutes les magistratures à des élections populaires. Montesquieu vous l’a dit : il faut qu’un gouvernement soit conséquent à ses principes et à ses moyens. Or, quels sont les principes du régime colonial? Quels sont les moyens de culture dans les colonies de la zone torride? L’esclavage des noirs. Si donc, vous ne voulez pas détruire l’esclavage, si vous ne le croyez pas possible, il ne faut pas appliquer à un tel ordre de choses les principes politiques d’un autre ordre de choses. Il ne faut pas poser sur les mêmes bases, soumettre à la même théorie deux régimes, non-seulement différents, mais absolument contradictoires. Et si, dans ce régime d’esclavage, vous transportez vos idées politiques, vos maximes, vos principes de liberté absolue, vous faites nécessairement de mauvaises lois qui seront, pour les colonies, ce que seraient pour les Turcs, la liberté de la presse et les assemblées primaires, en supposant qu’avec ces institutions, vous eussiez le projet d’y maintenir la religion de Mahomet et ié despotisme du Sultan. Il s’agit donc de savoir si vous voulez détruire l’esclavage, et je dirai franchement que telle est l’intention des promoteurs du décret du 15 mai, car tel a été l’objet de rétablissement et des premiers travaux de la Société des amis des noirs, en France comme en Angleterre; lorsqu’ils n'ont pu arriver droit au but, ils ont pris, l’une après autre, des voies détournées pour y parvenir. Ainsi, ils ont attaqué la traite; obligés de céder encore sur ce point, ils ont considéré la classe intermédiaire entre les noirs et les blancs, comme un premier échelon de la servitude qu’il fallait détruire, et en cela ils agissent très conséquemment. Mais pourquoi nient-ils cette conséquence, lorsqu’on leur en fait l’objection ? Pourquoi disent-ils qu’ils n’entendent pas changer le système colonial, ni les régimes domestiques sur lesquels il repose? Quoi! c’est à eux, qui abhorrent le plus ce régime, que nous nous en rapportons pour le choix des moyens propres à le conserver, et les colons, dont la vie et la prospérité y sont attachées, vous paraîtront seuls suspects dans cette discussion ! C’est, Messieurs, j’ose le dire, une manière aussi neuve que déraisonnable déjuger de telles questions. Et que faut-il donc pour vous éclairer sur l’erreur funeste dans laquelle on vous entraîne, si vous n’en apercevez pas le dernier résultat, celui même que les adversaires des colpnjes pe dissimulent que maladroitement? Ne voub ont-ils pas dit ici : « Périssent les colonies plutôt que nos principes? » Ne disent-ils pas ensuite, avec une grande assurance, que leurs innovations tendent a la conservation, à la prospérité des colonies? Et lorsqu’on leur démontre l’extravagance de cette sécurité, lorsqu’on les presse dans leurs derniers retranche-ments, ne vous préparent-ils pas adroitement des consolations sur la ruine du commerce et des colonies? A les entendre, c’est peu de chose; cette plaie se cicatrisera facilement; le produit des colonies et leur influence ne sont pas ce que l’on croit. Lisez M. Brissot, voici ses propres paroles : « Il faut réduire considérablement ces calculs exagérés sur la circulation qu’occasionnent les colonies. Vous y verrez qu’en partant de l’estimation la plus forte, il y aurait à. partager 167 millions entre 8 millions d’ouvriers, ce qui ne fait que 13 deniers par tête; d’où il suit que ces journaliers ont d’autres moyens de subsister, ou qu’il n’y a pas un si grand nombre d’hommes à alimenter par les colonies. » Cette assertion paraît, au premier coup d’œil, une démonstration; elle est simple, sensible; l’homme le plus borné comme l’homme d’esprit sans expérience, croit y voir tous les caractères de la vérité, et vous allez être effrayés de son absurdité. Premièrement, le produit des colonies s’élève aujourd’hui à plus de 240 millions au lieu dé 167. Deuxièmement, personne n’a jamais prétendu qu’il y eût 8 millions d’hommes subsistant avec 240 millions de livres ; mais, il n’est personne qui, avec un peu d’attention, n’aperçoive, dans un tel calcul, la plus grqssière ignorance des effets que produit, dans le mouvement du commerce, la circulation ou la soustraction d’un grand capital. A-t-on jamais imagiué de partager d’abord entre les journaliers la valeur totale de la marchandise qu’ils fabriquent ou de la denrée qu’ils cultivent? N’y a-t-il pas à prélever le prix de la matière première, le bénéfice du fabricant ou du propriétaire, si c’est une marchandise neuve et du fermier, s’il s’agit de culture? Certainement la plus petite partie revient au journalier, et en suivant le compte de M. Brissot, chaque homme n’aurait pas 3 deniers. Mais qui ne sait qu’un million mis en circulation dans le commerce, peut produire 10 et 20 millions de travail, comme le mobilier d’une ferme produit, tous jes ans, plus que sa yaleur, et nourrit, sans se détériorer, le propriétaire et le fermier, sa famille et ses valets ; comme un champ de Un converti en dentelles, alimente cent fois plus d’ouvriers qu’il n’en a fallu pour Je cultiver? Suivez la barrique de sucre qui va payer des cuivres en Suède, delà soie dans le Levant, et voyep combien d’ouvriers, employés à façonner le cuivre et la soie, peuvent qpvoir leur subsistance à cet échange, C’est ainsi que les absurdités les plus palpables ne coûtent rien aux promoteurs obstinés de l’affranchissement des noirs; et j’avoue que c’est une belle cause à défendre en ne la considérant que sous les rapports généraux des droits de 1 homme et des principes de la société, je vais, en ce genre, plus loin que les amis des noirs, car je ne balance pas à dire, non seule oent que l’ins-r tiuition des colonies est vicieuse dans tous ses moyeas primitifs; mais encore que la découverte de l’Amérique est un des grands malheurs de l’Europe. De là sont nés de nouveaux moyens et de nouveaux besoins d’un luxe corrupteur; delà sont nés les plus subtiles çombinaiâons,( Tes ef- 296 [Assemblée nationale.] forts les plus opiniâtres d’une cupidité dévorante; enfin, nous lui devons nos plus sanglantes guerres, nos pins funestes épidémies; mais si, de ces réflexio s affligeantes, nous descendons dans le mécanisme intérieur des sociétés, en laissant à l'écart les obstructions, les principes généraux, on s’arrête aux faits, aux besoins qui nous pressent à cette organisation intérieure de notre industrie actuelle, de nos ports, de nos ateliers, de nos manufacture-, et à cette multitude immense d’hommes sans propriété, qui en reçoivent la subsistance par le travail; on trouve que les colonies et leur produit sont le premier anneau de cette chaîne, et qu’on ne pourrait briser cet anneau sans occasionner une subversion générale de la fortune publique, sans laisser tout à coup, sans travail et sans subsistance, des milliers d’hommes dont le désespoir et la misère produiraient une série de malheurs incalculables; on trouve que c’est non seulement un projet chimérique, mais barbare que celui d’affranchir 500,000 noirs; que quand il n’y aurait d’autre obstacle que l’impossibilité de leur assigner des propriétés sur un territoire qui appartient aujourd’hui, dans sa totalité, aux hommes libres, cet obstacle est sans remèdes; on trouve que la servitude corporelle établie dans un pays comme moyen de culture, ne peut être modifiée à la longue que par la servitude de la glèbe, et celle-ci par le régime féodal, avec lequel les grandes manufactures coloniales s’évanouiraient; car tous les calculs imaginaires qui ont été faits pour prouver qu’on peut cultiver le sucre et le café avec des journaliers libres, sont d’une absurdité évidente, et le passage subit de la servitude à l’affranchissement sans fi s intermèdes que je vien-d’iodiquer, détruiront tout à la fois et les blancs et les noirs. Or, comme le devoir éminent du législateur est premièrement la conservation de la société qu’il représente et non d’une autre; comme toutes les considérations doivent céder à celle-là, le salut du peuple que nous représentons, nous ne pouvons, sous aucun prétexte, ordonner les colonies que conséquemment aux bases et aux conditions de leur existence, il n’y a pas de principe, il n’y a pas de théorème qui ne doive fléchir devant celui-là. Cessez donc, novateurs inconsidérés, vos dangereuses tentatives; songez que quand vous remporterez cette victoire, et quand vous serez fièrement assis sur les ruines de nos manufactures et de nos colonies, il vous restera encore bien des regrets, bien des vœux à former, bien du sang à répandre avant d’avoir établi en Asie, en Afrique et dans le reste de l’Europe, la liberté et Légalité. Si donc vous ne voulez pas détruire l’esclavage, il faut bien consentir à ne pas détruire les seuls préjugés qui maintiennent une subordi-na ion nécessaire de la race des esclaves, envers celle des hommes libres. Il faut que ceux qui sont dans le dernier terme de la dépendance, aperçoivent, dans la classe qui s’élève au-dessus d’eux, une inferioiité réelle envers leurs maîtres; il faut que le spectacle de cette infériorité soit une des consolations de leur état et une barrière de plus pour les y contenir par l’impuissance de parvenir à l’égalité. S mvenez-vous bien, Messieurs, qu’on n’a pu vous persuader de la justice de ce système d’égalité entre les blancs et les hommes de couleur libres, qu’en partant de cet autre principe si facile à développer « l’injustice de l’esclavage [24 septembre 1791.] des noirs. » Mais si vous convenez de la fâcheuse nécessité de maintenir cet esclavage, il est impossible de soutenir qu’on n’en détruit pas les moyens en ne présentant plus aux noirs ce spectacle d’infériorité, de déférence et de respect des hommes libres de couleur par tous les blancs. Je vous ai dit d’où vient ce zèle ardent, cette tendre sollicitude des philanthropes pour les mulâtres; ne savaient-ils pas en effet que ceux-ci sont aussi possesseurs d’esclaves ? Et s’ils ne regardaient pas leur élévation comme un moyen prochain de détruire la servitude des noirs, leur intérêt ne se serait pas détourné de son véritable objet, pour s’attacher à un autre qui leur serait étranger. Mais tout décèle l’ancien projet et les espé-ran. es s rochaines des philanthropes, dont la bienfaisance couronnée est une véritable hostilité, une attaque meurtrière contre la société à laquelle ils appartiennent comme rejets, ou comme représentants. Quand je dis que tout les décèle, il suffit de lire et d’entendre leurs diatribes contre les colons qu’ils attaquent, tantôt en masse dans l’universalité de leur régime et de leurs intérêts, tantôt en les opposant les uns aux autres; les grands propriétaires aux petits blancs, et les hommes de couleur à ces deux classes. Lisez le dernier plaidoyer d’un des plus ardents avocats de cette cause, qui vous a été distribué avant-hier. Ce ne sont d’abord que les petits blancs, selon lui, qui s’opposent au décret, espèce d’hommes, dit-il, qui n’attend que le désordre et le pillage. Ensuite, c’est la ville du Cap, tout entière; mais elle n’est composée, suivant M. BMssot, que d’avocats, de procureurs et d’huissiers, espèce d’hommes attachés à l’ancien régime. Viennent ensuite les militaires, les officiers, les agents du gouvernement; mais ces gens-là, dit, M. Brissot, sont des contre-révolutionnaires, il est tout simple qu’ils s’opposent au décret. Enfin, il reste les grands propriétaires 1 oh! pour ceux-là, c’est leur orgueil, c’est le démon de l’aristocratie qui les tourmente. Ainsi, d’après les calculs de M. Brissot, il n’y a pas une classe d’hommes dans les colonies, pas un individu, excepté les gens de couleur et ceux qui leur tiennent par alliance, qui ne soit opposé au décret. Et d’après ses assertions, sans les intrigues du comité colonial, sans la négligence du ministre, et avec le secours des gardes nationales de Bordeaux, le décret n’aurait éprouvé aucune opposition. Je crois, Messieurs, vous avoir prouvé les vices de cette loi relativementà son objet, relativement à l’intérêt colouial lié à celui de la métropole, sous ce premier rapport, elle est donc révocable. Elle lYst encore par l’impossibilité de son exé-cutio 1 , ou par la nécessité d’y employer la force, et une force oppressive ; vous ne pouvez, à cet égard, avoir aucun doute, et d’après les relations qui vous font parvenues, d’après les pétitions de toutes les places de commerce, d’après les calculs mêmes de M. Brissot sur les différentes classes d’opposants, qui sont en somme totale, déduction faite des gens de couleur, l’universalité des colons. Mais quand M. Barnave vous a dit que, parmi les gens de couleur même, il y en avait d’opposants, i I n’a pas donné à ce fait toute la consistance qu’il doit avoir, car il l’impute à la seule considération de leur sûreté. ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 297 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [24 septembre 1791.] Je vais vous faire entendre comment trè3 réellement un grand nombre de mulâtres ne désirent point l’exécution du décret. Le préjugé de la couleur est pour eux, vis-à-vis des noirs, ce qu’il est pour nous vis-à-vis des mulâtres, c’est-à-dire qu’un mulâtre se croit supérieur à un nègre libre, comme un blanc à un mulâtre. Il paraît donc injuste, insupportable à ceux de cette classe, qui n’auraient point les droits de citoyen actif, d’en voir investi un nègre libre, et c’est la véritable raison qui rend tous les hommes de couleur libres, non propriétaires, plus qu’indifférents sur la nouvelle loi. Si donc, vous considérez cette masse d’opposition, de la part des colons blancs, fondée sur le plus grand intérêt qu’ils ont ou croient avoir à résister, si vous voulez bien vous persuader que ce décret est pour eux ce que serait, pour les propriétaires de France, la loi agraire, je vous demande si vous pouvez vous promettre de la faire exécuter; je vous demanderai même si vous avez le droit de le tenter, lorsque vous avez monnu celui de résistance à l’oppression. Ces réflexions, Messieurs, me conduisent à une conséquence plus étendue et bien plus importante que la révocation du décret, et j’irai, en ce genre, plus loin que les comités. Vous avez voulu dévoiler au peuple toutes les vérités; il en est une que vous ne pouvez plus dissimuler aux colonies, et qui sortirait, malgré vous.de vos principes et de leur développement. Si je ne vous l’ai pas présentée plus tôt, c’est que je crains que les colonies ne soient pas encore en état d’en profiter, et c’est avec inquiétude que je vois que, par de mauvaises lois, vous les avez forcés de s’en saisir; cette vérité, Messieurs, c’est que vous n’avez pas le droit de faire, pour les colonies, d’autres lois que celles relatives à la protection qu’elles reçoivent de la métropole ; mais tout ce qui concerne leur régime intérieur ne peut être, dans le gouvernement représentatif que vous avez adopté, déterminé que dans les colonies mêmes, et par leurs représentants, sur leur propre territoire. Avant de prouver cette proposition, je veux vous dire pourquoi je suis fâché que vous en ayez rendu la preuve nécessaire. C’est que les colonies n’aperçoivent de dangereux, dans vos nouvelles institutions, que ce qui est relatif à l’état des personnes; et cependant je maintiens qu’en adoptant votre régime administratif, municipal et judiciaire, elles n’auront, sur aucun point, le gouvernement et la police qui conviennent à leur sûreté. C’était pour les colons un grand spectacle, une leçon instructive que cette Révolution ; mais ils pouvaient et ils devaient, sans y prendre un rôle actif, s’en approprier les bienfaits et non les orages. Aussi aurais-je défendu devant vous plusieurs des principes de l’assemblée de Saint-Marc, si je n'avais improuvé ses moyens. Je reviens maintenant aux motifs qui doivent vous faire abandonner la législation intérieure des colonies. Qu’est-ce qu’un gouvernement représentatif? Et quelles sont les conditions absolues indispensables d’un gouvernement représentatif? Pour répondre à ces deux questions, il faut abandonner cette métaphysique obscure, à l’aide de laquelle on fait paraître et disparaître à volonté la souveraineté du peuple. Il faut dire plus simplement et avec plus d’évidence, qu’en dépouillant la souveraineté de la forme sensible sous laquelle elle se montre dans la personne d’un prince, ou dans un sénat inamovible, la société qui s’en saisit ne la reconnaît plus que dans les principes et les actes de justice et de raison qu’elle commande à ses délégués. La souveraineté dans la personne d’un prince ou d’un sénat inamovible, s’annonce dans un seul point, par une volonté toute-puissante et une force redoutable qui attend ses commandements ; l’idée de résistance ne se préseme que comme une possibilité morale entourée d’obstacles; mais lorsque la souveraineté se replace en abstraction sur tous les individus de la société, ses délégués n’ont de pouvoir effectif et durable que celui de l’intérêt commun ; aussitôt qu’il paraît blessé, l’idée de résistance se présente à chaque section de la société, comme un droit de la souveraineté. D’où il suit que le gouvernement représentatif, qui n’est pas le plus sage, le plus juste, le plus parfait po-.-ible, est nécessairement le plus faible, oo devient le plus (yrannique. Il ne s’agit pas, dans un tel gouvernement, de dire ; telle est la volonté du législateur ; mais bien, tel est l’intérêt général démontré ; et comme chaque partie de l’association a un droit et un intérêt égal à l’exercice et à la délégation des pouvoirs, aucune partie ne peut être, relativement à une autre, dans la condition de sujets ; c’est-à-dire que toutes les parties de l’association doivent avoir, dans la souveraineté, une représentation proportionnelle et une parité d’intérêts qui se défendent mutuellement dans la délibération commune. Telle devait être la position des colonies dans le pacte social, pour que vous ayez le droit de leur donner des lois; et c’est précisément ce qui n’est pas et ce qui ue peut être, ainsi que je vais vous le démontrer. Les 83 départements ont entre eux une représentation proportionnelle et une parité d’intérêts qui se défendent mutuellement ainsi ; il n’y a pas de loi générale qui offense ou protège les propriétés et les personnes, dans un département plus que dans un autre ; ainsi la majorité des représentais de ces départements peut stipuler pour la minorité, qui n’a à défendre aucun intérêt différent ni contraire à ceux de la majorité. Il n’en est pas de même des colonies, où tout est différent, où plusieurs parties du régime social sont même contraires à celui de la métropole; ainsi en admettafnt même leurs représentants dans l’Assemblée législative, comme ils y sont toujours dans la proportion de 2 à 83, cette énorme minorité ne peut les soumettre à la volonté d’une majorité, prononçant sur des intérêts, des mœurs, des habitudes et des moyens d’existence, totalement dissemblables de ceux des 83 départements. Il n’y a qu’un point de contact et de parité qui puisse les lier à la souveraineté nationale, c’est la protection, d’une part, et, de l’autre, le service à acquitter en échange de cette protection. C’est ici que se placent naturellement, dans le contrat social do la métro, oie et des colonies, leurs relations politiques et commerciales ; à cet égard la protection emporte la dépendance, et le monopole du commerce est ie tribut necessaire qui doit payer les frais de garde et de défense. Mais il est manifestement injuste autant qu’im-politique de les soumettre, quant à la législation intérieure, à touteautre autorité qu’à la sanction du roi; et c’est à quoi je conclus, ainsi qu’à la révocation de tous les décrets antérieurs. M. Barnave a prévenu et attaqué d’avance toute 298 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [24 septembre 1791.] la latitude de ma proposition par des raisons plus spécieuses que solides; car ni les représentants que vous avez donnés aux colonies dans le Corps législatif, ni la différence de leur organisation projetée, à c�Ue des colonies anglaises, ni la plus grande infl >ence du roi d’Angleterre, comparativement à celle du roi de France, ne peuvent altérer le système de gouvernement et de souveraineté que vous avez consacré. Vous avez fait tant de choses avec des raisonnements et des principes, que vous ne pouvez plus en récuser la puissance. Je sais bien que l’organisation des colonies anglaises est très supérieure à celle qui se prépare pour les nôtres; mais cette différence ne change ni les rapports ni les droits consacrés. Or, les rapports des colonies françaises, comme des colonies anglaises avec la métropole, se réduisent à la protection d’une part, et à la dépendance du commerce de l’autre; et quant aux droits, ceux que vous avez reconnus à. tous les citoyens sont de ne reconnaître pour lois que celles auxquelles ils consentent par eux-mêmes ou par leurs représentants. Or, je vous ai prouvé que les colonies ne peuvent être représentées, quant à leur législation antérieure, que sur leur propre territoire; donc, vous ne devez pas vous en mêler. C’est au chef suprême de tout l’Empire à les rallier au système national par sa sanction et sa surveillance; c’est à vous à les y tenir attachés par une constante protection, dont le prix légitime est le monopole du commerce que vous pouvez alors défendre avec toute justice, par |a force, et tout autre emploi ne forces, serait tyrannie. J’amende donc le projet de décret des comités, en attribuant aux assemblées coloniales, sous l’autorité et la sanction du roi, toutes les lois et règlements concernant leur régime intérieur. QUATRIÈME ANNEXE A LA SÉANCE DR L’ASSEMBLÉE NATIONALE DU SAMEEDI 24 SEPTEMBRE 1791. Opinion de M. JLonis Monneron, député des Indes -Orientales , sur le projet de décret, présenté par M. Barnave, au nom, des comités réunis de Constitution , de marine , des colonies , d'agriculture et de commerce , sur les HOMMES LIBRES DE COULEUR. Avertissement. — Le décret qui a été rendu le 24 septembre par l’Assemblée nationale, qui révoque ceux des 28 mars 1790 et 15 mai 1791, en faveur des hommes libres de couleur présente un phénomène qui n’échappera pas aux yeux du public impartial ; il verra qu’une partie de l’Assemblée qui, depuis 3 mois, ne prenait aucune part aux délibérations, a voté unanimement pour ce décret qui, suivant ma motion, dont je n’ai pas pu faire la lecture, n’était nécessité par aucune circonstance; il eu inférera qu’il est temps que cette Assemblée termine ses travaux, si l’on ne veut pas que les fers que l’on vient de river en Asie, en Afrique et en Amérique s’étendent sur toute la France. Messieurs, Dans une question aussi graye que celle qui VOUS est soumise, on n’qqrajt jBinajs dq vous présenter de vive voix les raisons qui devaient vous déterminer à adopter le projet de décret de vos comités de Constitution, de marine, des colonies, d’agriculture et de commerce; il est difficile, dans une Assemblée un peu nombreuse, de ne pas se laisser entraîner par les prestiges de l’éloquence. J’espère que nos successeurs proscriront une méthode aussi peu convenable dans uqe Assemblée délibérante. Quant à moi qui cherche la vérité, surtout dans cette question, malgré les personnalités et les ca'omnies dont on a rehausse mon existence, j’ai saisi dans ce rapport quelques assertions qui éclaireront l’ Assemblée sur la conduite qu'elle a à tenir. Les réclamations de toutes les villes maritimes du royaume, le vœu fortement exprimé des colons blancs, sont les motifs pressants que vos comités vous présentent, pour vous demander la révocation de vos décrets en faveur des hommes libres de couleur : ce sont les mêmes motifs que M. Le Chapelier a allégués pour faire rejeter l’ajournement à la prochaine législature, demandé par M. de Traçy. Le sacrifice que l’on exige de la justice et de la dignité de l’Assemblée mérite au moins une discussion qui puisse nous justifier à ngs propres yeux et à ceux de la postérité. Avant d’adopter cette mesure, il faut prouver que, quoique contraire aux vrais principes, quoique propre à affaiblir le respect que l’on doit à vos décrets, surtout à ceux qui ont subi, comme celui du 15 mai, une discussion pendant quatre séances consécutives, elle est dictée par l’impérieuse nécessité. C’est, en dernière analyse, le point de vue sous lequel le rapporteur au comité vous l’a présentée. Quant à moi, Messieurs, je persiste à la croire contraire aux intérêts de la nation et à vos vues, pour maintenir la paix dans vos colonies. Je réclame votre attention pour examiner cette question sous tous ses rapports, et pour prouver que les maux dont on dors menace ne se réaliseront pas. L’éloignpment que les colonies manifestent pour le décret du 15 mai ne peut être détruit que de deux manières : par la persuasion ou par la force. La première est certainement le vœu de tans les membres 4e cette Assemblée ; il est nommément le mien, quoique M. M°re£DI de Saint-Méry ait consigné, par écrit, que je conseillais d’égorger (es colons; tandis que je déclarais, dans l’ouvrage qu’il cite, « que ce serait un très grand malheur que la scission avec nos colonies; que la France né devait maintenir par sa puissance les droits qu’elle avait acquis sur elles, par des sacrifices continuels depuis leur établissement, qu’après avoir épuisé tops les moyens de conciliation que sa tendre sollicitude peut lui inspirer, » L’envoi officiel de ce décret était donc indispensable; il fallait l’accompagner d’une instruction qui aurait éclairé les colons blancs, sur les motifs qui avaient déterminé l’Assemblée à cet acte de justice. Ou devait les engager à faire quelques sacrifices à leurs préjugés, dans une circonstance où une grande nation, dont ils faisaient une partie, leur donnait de si nobles exemples de dévouement à la liberté et à Légalité. Il fallait leur mettre sors les yeux, que la métropole, après s’être épuisée pour les amener à l’état de prospérité dont ils jpüisseiR, sacrifie annuellement 4Q millions pour leqr prpfëetigni