204 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [4 décembre 1790.] « Décrète qu’il sera provisoirement délivré par le Trésor public au département de Seioe-et-Oise la somme de 50,000 livres en quatre payements égaux, et de mois à autres, pour être employée en aieii rs de chanté, constructions et réparations de routes Jes plus utiles. « Au surplus, l'Assemblée nationale charge ses comités de mendicité, de finances, d’agriculture et de commerce, et des domaines, de lui proposer incessamment leurs vues sur le mode de secours qui devront être fournis à chaque département sur leur emploi et leur destination. « Elle décrète, en outre, que, dans le mois de la publication du présent décret, les différents départements indiqueront lesiravaux qui peuvent être à fairedansleurtt rriioire,soit en confection de routes, dessèchements de marais, défrichements, soit en autres ouvrages propres à occu per ceux qui n’ont point d’occupation. » (Ce projet de décret est mis aux voix et adopté.) (MM. Mounet et Magué, envoyés de l’assemblée coloniale de Saint-Domingue, ayant demandé un congé pour se retirer dans leur famille, en France, pour cause de santé et pour affaires particulières, l'Assemblée l’a accordé, à charge par eux de se représenter 15 jours après la réquisition qui leur en sera faite.) M. le Président. L'ordre du jour est la suite de la discussion de la proposition tendant à imposer les rentes sur l’Etat . M. Lavenne reprend en ces termes la suite de son discours interrompu hier par la levée de la séance : J’ai exposé mes principes sur l’imposition des rentes : j’ai répondu aux objections. Je vous ai rappelé : 1» les principes constitutionnels qui assujettissent toutes les propriétés à la contribution publique; j’ai établi : 2° que les rentes doivent être imposées sur le même taux que les propriétés foncières; 3° que, si vous avez adopté une différence pour les propriétés mobilières à cause de leur casualité, vous ne pouvez adopter la même exception pour les rentes, qui sont des revenus solides; 4° je ne vous propose point une retenue, mais une imposition proportionnelle et constitutionnelle. J’ai discuté avec quelque solidité le principe de la contribution proportionnelle; je vais vous entretenir du mode de la répartition de l’imposition des rentes. Il est une masse énorme de rentes déjà diminuées par des retenues considérables, effet de l’injustice ministérielle, sur lesquelles il serait împroposable d’établir une contribution ; d’autres, possédées par ceux qui ont fourni les capitaux ou par leurs héritier� ne sauraient être soumises à une imposition payée d’avance par les retenues. Les possesseurs de rentes à titre d’achat, qui n’out pas éprouvé personnellement de retenue, doivent au contraire être imposés commes tous autos propriétaires. La retenue à laquelle ces rentes ont été assujetties entre les mains du premier possesseur, loin d’être entre les mains des possesseurs actuels un titre d’mdemuité, est la raison même qui doit les faire imposer. En effet, cette retenue d’un quinzième ou d’un vingtième, exigée par les besoins du Trésor public, était moins une retenue qu’un impôt; aujourd’hui que le taux de l’impôt sera plus considérable, la retenue d’un quinzième ou d’un vingtième doit être remplacée par un impôt constitutionnel, établi au taux de la contribution foncière. Ainsi les rentes assujetties à une retenue, loin d’être exceptées de l’imposition, doivent en supporter une plus forte. Cependant il faut distinguer ce qui n’est qu’un remboursement partiel du capital d’avec ce qui n’est que la rente; ainsi les rentes viagères de 8, de 10 0/0, ne doivent être imposées que comme si elles ne rapportaient que 5 0/0. Il ne s’agit plus actuellement que de savoir comment faire payer l’impôt aux rentiers. Ils doivent contribuer dans la même forme et de la même manière que les autres propriétaires. L’article 4 de votre décret sur la contribution foncière porte que tous les propriétaires seront tenus de faire à leur municipalité une déclaration de leurs revenus. Les rentiers doivent donc faire la même déclaration, et être imposés d’après les éléments que vous avez décrétés pour la contribution foncière. Voici donc le projet de décret que j'ai l’honneur de vous proposer: Art. 1er. « Les rentes viagères et perpétuelles, et les intérêts des capitaux remboursables à terme et non exigibles, actuellement payés par le Trésor public, supporteront, à compter du premier janvier, une contribution directe au même taux, dans la même forme et de la même manière que les propriétés foncières. Art. 2. « Tout propriétaire de capitaux placés sur le Trésor public en rentes viagères ou perpétuelles, ou en effets remboursables à ternm, sera tenu d’en faire la déclaration au secrétariat de la municipalité du lieu de son domicile; et la contribution sur les rentes, ou les intérêts des capitaux, sera fixée à raison du produit de la rente ou de l’intérêt. Art. 3. « Il ne sera payé par le Trésor public aucunes rentes, ni aucuns intérêts, qu’il n’ait été préalablement justifié de la déclaration et de la cotisation de ces rentes ou intérêts. Art. 4. « Les rentes viagères ne seront imposées qu’à raison de 5 0/0 du capital versé dans le Trésor royal. Art. 5. « Toutes les retenues auxquelles les rentes viagères et perpétuelles ont été affectées lors de leur création, soit après, sont abolies, et il ne pourra, pour aucune cause, en être jamais imposé. Art. 6. « Les rentiers qui n’auront pas fait des déclarations seront, comme les propriétaires fonciers, imposés d’après leur revenu présumé. Art. 7. « Les intérêts des emprunts faits nommément aux étrangers, ou ouverts en pays étrangers pour le compte du gouvernement, sont exempts de la disposition des articles 1 et 2 du présent décret. Art. 8. « Seront pareillement exempts de la disposition de ces articles les capitaux des rentes viagères ou perpétuelles qui ont déjà éprouvé une réduction égale au montant de la contribution, lorsq e ces rentes seront possédées parle prêteur lui-même, ou ses héritiers et successeurs, à titre gratuit; et, en conséquence, il sera formé un comité de six membres, pour procéder à la véri-lication de ces rentes. » Divers membres demandent l’impression du discours de M. Lavenue. D’autres membres réclament l’ordre du jour. (L’impression n’est pas ordonnée.) M. le Président. M. Barnave a la parole. M. Barnave. Je vais examiner la question brièvement et sans accessoire : la rendre claire, c’est la décider. J’annonce donc d’avance que je [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [4 décembre 1790.] crois que l’on doit imposer les rentiers, mais que l’on ne doit pas imposer les rentes. (Il s'élève des murmures.) Telle est mon opinion. Ce n’est point une illusion, ce n’est point un jeu de mots. Il y a une distinction radicale entre les deux imnôts personnels et réels. Non seulement dans l’usage, mais dans les principes de l’imposition, l’impôt personnel, et j’entends par là tout impôt indirect, est le prix de la protection de la personne; il est dû et doit être payé par elle en proportion de ses jouissances. L’impôt réel est mis sur la chose et est le prix de la protection accordée à la propriété. Le propriétaire de rentes ne doit point payer la protection de la loi, parce qu’elle lui est garantie par son contrat : la nation ne peut faire payer une sûreté qu’elle a promise. Ce sont là les principes de tous les peuples qui veulent traiter avec loyauté. Ges principes s’éclaircissent encore par le rapprochement du créancier étrao-ger avec le créancier national. Personne ne soutiendra que le créancier étranger doive payer le droit d’une garantie qui lui est promise. Lorsqu’il est stipulé dans un contrat que les rentes seront payées sans retenue, c’est abuser de sa force que de vouloir annihiler cette clause. Sous le point de vue du créancier de l’Etat, celui qui est étranger ou celui qui ne lVst pas est toujours un particulier qui peut réclamer les mêmes droits. (Il s'élève des murmures.) Le résultat de mon opinion remplira vos vues; mais conservons toujours l’intégrité des principes. Voici la différence qui exism entre le créancier étranger et le créancier national. Je vous l’ai déjà dit, le créancier étranger n’est pas citoyen français : la loi ne protège pas sa personne, donc il ne*doit rien; le créancier national, au contraire, est citoyen français; sous ce titre, il doit un impôt proportionné à la totalité de sa jouissance; mais la rente ne doit pas payer comme rente ; elle doit entrer dans la combinaison de l’imposition personnelle des jouissances de celui qui en est le propriétaire. Sortez de ces principes, vous manquez à vos engagements. Souvenez-vous bien que tout ce qui peut affaiblir le crédit affaiblit par là même, les moyens, et la puissance d’une nation. Un peuple qui fait des retenues sur les rentes se trouve matériellement privé de l’avantage des emprunts. On contracte avec lui d’après les principes qu’on lui connaît. Le prêteur calcule toutes les chances et compense toutes les retenues qu’il aurait à craindre par le taux de l’intérêt qu’il exige. Le moyen des retenues n’est donc plus qu’une fausse maxime qui attente à la prospérité de la nation ; elle l’attaque dans ses rapports avec les nations étrangères, elle fait baisser la balance du commerce et les charges. Ges effets, funestes dans tous les temps, seraient bien plus encore dans les circonstances présentes. Après avoir fait des retenues sur les rentes, vous serez obligés d’accorder aux rentiers une déduction sur leur imposition personnelle ; ce qui vous prouve que, dans tous les sens, il n’y a rien à gagner que pour les usuriers, qui calculent toujours leur profit sur les hausses désastreuses. Je le dis hautement : honte et désastre pour l’Assemblée nationale si elle adoptait de pareilles dispositions. Les ennemis de la Révolution l’attendent ..... (On applaudit.) Au moment où le crédit renaît, où chaque partie de l’empire s’organise, n’allez pas porter un coup si funeste à l’édifice que vous avez élevé. Je demande donc qu’on i:e fasse pas de décret particulier sur cette question, mais que l’on 205 prenne un parti propre à rassurer tout à la fois la nation et ses créanciers, et que l’on adopte le projet de décret que je vais vous présenter : « L’Assemblée nationale, se référant à ses précédents décrets des 17 juin, 28 août et 7octobre, qui consacrent les principes invariables de la foi publique,et à l’intention qu’elle a toujours manifestée de faire contribuer les créanciers de l'Etat comme citoyens dans l’impôt personnel, à proportion de leurs facultés, déclare qu’il n’y a pas lieu à délibérer sur la motion qui lui a été faite, tendant à établir une imposition particulière pour les ren-lesduespar l’Etat. » (On applaudit et on demande à aller aux voix.) M. Fréteau. On a dit qu’en 1775 on avait imposé les rentes. Je dois observer que tout ce qu’il y avait alors de magistrats s’élevèrent contre cet attentat porté à la bonne foi, et qui frappait le crédit public dans ses bases. (On demande à aller aux voix.) M. de Mirabeau. Un mot, s’il vous plaît. (Aux voix !) Je ne m’oppose point... (1). (La discussion est fermée.) M. de Césargues. Je demande la parole. G’est mon tour d’inscription (2). M. le Président. La discussion étant fermée, vous n’avez pas la parole. M. Lavenue. Je demande qu’au lieu de ces mots : « L’intention que l’Assemblée a toujours manifestée de faire contribuer, etc. », on mette ceux-ci : De comprendre dans la contribution personnelle les créanciers de l’Etat à raison du produit de leurs rentes. » (On demande la question préalable sur cet amendement.) M. Gombert. Je demande que les Français régnicoles soient tenus de faire, sur le rôle de leur contribution personnelle, la déclaration des rentes qui leur sont dues par l’Etat, pour qu'ils soient imposés eu conséquence. (La partiedroite et quelques membres de la, partie gauche appuient cet amendement.) M. de Mirabeau.Je déclare que l’amendement que l’on propose prouve que ceux qui l’ont appuyé n’entendent pas le moins du monde le sens delà question, et qu’il est destructible des principes adoptés par l’Assemblée. M. Legrand. On réfléchit bien peu en proposant ne pareils amendements ; pour faire celui-ci il suffit d’observer que les créanciers de l’Etat ne peuvent être privés de la faculté d’échanger leurs contrats, et qu’ils peuvent les vendre à des étrangers. M. de Toulongeon. Le raisonnement du préopinant ressemble à celui d’un homme qui vous dirait qu’il ne faut pas établir des droits parce qu’il peut y avoir de la contrebande. Gela prouve seulement qu’il faut prendre des précautions. Pour êire juste, il faut comparer un pro-(1) Voyez p. 207, le discours non prononcé de M. de Mirabeau. (2) Voyez, p. 214 l’opinion non prononcée de M. d* Césargues.