144 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE SERGENT: Comme il ne faut pas que les gens riches et les fripons abusent du décret que la Convention a rendu dans cette séance, pour se faire indemniser des pertes antérieures au malheureux événement qu’elle déplore, je demande que le comité des Secours publics soit chargé de présenter un projet de loi qui précise bien les motifs et les qualités nécessaires pour recevoir� l’indemnité. BARÈRE : Le comité de Salut public a pris, il y a une demi-heure, un arrêté pour inviter le comité des Secours à s’occuper des secours et des indemnités à accorder. LEQUINIO : Nous arrivons du lieu de l’explosion; nous pouvons vous déclarer qu’il n’y a plus de danger; cinquante ou soixante de nos frères ont péri; il y a eu environ le même nombre de blessés, qui ont reçu les secours dont ils ont besoin. TURREAU : J’ajouterai à ce qu’a dit mon collègue, que la malveillance avait déjà répandu le bruit qu’il était péri mille ou quinze cents victimes. Nous nous sommes convaincus de la vérité qu’il vous a dite. Nous avons partout trouvé les bons citoyens disposés à surveiller les malintentionnés, et nous avons cru devoir transmettre ces détails aux sections de Paris pour les tranquilliser (54). 13 Un membre observe que Le Cointre de Versailles a fait le procès-verbal d’hier; que ce procès-verbal n’a pu l’être par lui. Col-lombel de la Meurthe déclare que c’est lui qui l’a fait. BOURDON (de l’Oise) : Avant que la discussion s’ouvre sur l’instruction publique, il faut éclaircir un bruit qui se répand et que je ne puis croire. On dit que Le Cointre est chargé de rédiger le procès-verbal de la séance d’hier. Cela me paraît trop indécent pour y ajouter foi (55). Un autre demande que Le Cointre quitte le bureau, parce que le décret d’hier l’ayant déclaré calomniateur, il ne peut occuper la place de secrétaire. On réclame l’ordre du jour, motivé sur ce que le décret ayant seulement regardé l’inculpation calomnieuse, il n’y a pas lieu à délibérer. COLLOMBEL : La Convention, en déclarant calomnieuses les accusations de Le Cointre, a rempli son devoir avec dignité. Il me semble qu’elle doit s’en tenir là, laisser Le Cointre au bureau, ou bien il faut qu’il sorte de la Convention. Je réclame l’ordre du jour (56). (54) Moniteur, XXI, 643-644; Débats, n° 712, 263-264; Bull., fruct.; Mess. Soir., n° 743; M.U., XLIII, 235-236; J. Mont., n° 124; C. Eg„ n° 743; Ann. R.F., n° 273; J. Fr., n° 706; J. Perlet, n° 708; Gazette Fr., n° 974; J. Paris, n° 609. (55) Moniteur, XXI, 645; Débats, n° 712, 267. (56) Moniteur, XXI, 645; Débats, n° 712, 267. La Convention passe à l’ordre du jour. Un membre observe qu’au moins il doit recevoir une peine correctionnelle. La proposition n’est pas appuyée (57). 14 Pierre-François Perrier et Pierre-François Mermet offrent aux défenseurs de la patrie; le premier, 25 L.; le deuxième, 60 L. Mention honorable, insertion au bulletin (58). 15 Le citoyen Delhierme, de Lons-le-Saul-nier [Jura], offre une croix dite de Saint-Louis, trouvée dans les effets d’un oncle dont il vient de recueillir la succession (59). 16 Le citoyen Crassous, représentant, dépose, au nom de la société populaire de Mennecy-Marat [Seine-et-Oise], 247 L 3 s. pour l’armement d’un vaisseau (60). 17 On demande le rapport du citoyen Sivry, traducteur de Pline. Le rapporteur n’ayant pu se procurer les pièces, demande la parole au nom du comité d’instruction publique. Après une courte discussion, la Convention décrète qu’il sera entendu (61). Un membre [OUDOT] (62) : Depuis longtemps le vœu de la République entière appelle l’attention de la Convention nationale sur l’instruction publique. Je demande que Grégoire, qui a un rapport à faire sur cet objet, soit à l’instant même entendu. GRÉGOIRE : Il est vrai que j’avais demandé la parole pour faire un rapport sur les dégradations effrayantes qu’ont éprouvées depuis quelque temps les monumens des arts. Mais comme les teintes en sont un peu rembrunies, le comité d’instruction publique a pensé qu’il serait peut-être prudent de suspendre ce rapport d’un jour ou deux, afin d’acquérir encore plus de précision sur la connaissance des causes de ces dégradations. Je dois avouer à la Convention que, chaque jour, je vois des destructions (57) P. V., XLIV 248-249. (58) P. V., XLIV, 249. (59) P. V., XLIV, 249. (60) P. V., XLIV, 249. (61) P. V., XLIV, 249. (62) D’après Ann. R.F., n° 273; J. Fr., n° 706. SÉANCE DU 14 FRUCTIDOR AN II (31 AOÛT 1794) - N06 13-17 145 nouvelles. La plupart des commissaires aux ventes sont des fripons qui se concertent avec les acheteurs pour voler la République et la dépouiller des monumens précieux. Un membre : Il est certain, et tous mes collègues le voient avec douleur, que l’instruction publique est nulle. Mais je pense quelle qu’ait pu être la délibération du comité, chargé de cette partie, la parole ne peut être refusée à un membre qui aurait des réflexions à présenter à cet égard. Il me semblerait extraordinaire qu’un collègue qui nous doit le tribut de ses méditations et de ses idées, fût arrêté, parce que quelques membres ne les auraient pas trouvées à leur portée ou à leur goût. Je demande que Grégoire soit entendu. OUDOT : Il ne s’agit pas de donner un plan général d’organisation sur l’instruction publique, mais des connaissances élémentaires trop négligées jusqu’à présent; il faut apprendre à lire et à écrire aux enfans. Je demande que le comité d’instruction publique soit chargé de mettre les écoles primaires en activité sous trois mois. Un membre [THIBAULT] (63) : Les traite-mens donnés aux instructeurs ne sont pas suffisans : aussi, ne se présente-t-il dans les sections aucun homme instruit. J’ai vu avec honte, dans celle du Muséum, des écritures d’instructeurs qui ne valaient pas celles de leurs écoliers. Il faut que la Convention fixe des appointemens plus convenables. LANTHENAS : Je me suis occupé d’un travail général sur l’instruction publique; depuis longtems il est sous presse : je ne l’ai pas publié, parce que la tyrannie de Robespierre m’en a empêché; mais je demanderai la parole à la Convention pour lui soumettre, à une prochaine séance, le fruit de mes veilles et de mes études. FOURCROY : Sachez, citoyens, que rien n’est plus instant que de vous occuper de l’instruction publique; sachez qu’il y a sous des scellés dévastateurs une foule de monumens des arts : on a voulu brûler les bibliothèques; on a paralysé l’éducation. La malveillance et la tyrannie ont poussé leur astuce perfide jusqu’à venir proposer des vues à la barre, afin d’écarter les idées utiles et sages du comité d’instruction publique. Je demande que ce comité soit enfin entendu avec plus de faveur. Eh ! comment vouliez-vous trouver l’instruction parmi les citoyens, lorsqu’on persécutait tous les hommes instruits; lorsqu’il suffisait d’avoir des connaissances; d’être homme de lettres, pour être arrêté comme aristocrate ? Le dernier tyran, qui ne savait rien, qui était d’une ignorance crasse, qui ramassait des pièces d’accusation contre quelques-uns de ses collègues amis des lumières et des sciences, enfin qu’il aurait conduits à l’échafaud; le dernier tyran vous a présenté cinq à six discours dans lesquels, avec un art atroce, il déchirait, calomniait, abreuvait de dégoûts et d’amertume tous ceux qui s’étaient livrés à de grandes études, tous ceux qui possédaient des connaissances étendues. Faut-il vous dire qu’à la porte même de vos séances, on met partout des fautes d’orthographe. On n’apprend plus à lire et à écrire. Citoyens, écoutez-moi : il est temps que je satisfasse aussi mon cœur et que je l’épanche dans votre sein. Oui, la véritable manière d’organiser un gouvernement juste, républicain, de l’asseoir sur des bases inébranlables, et de répandre partout l’instruction, c’est de faire partout le contraire de ce que faisait le dernier tyran. On parle de morale ! Eh ! comment les instituteurs enseigneront-ils la morale, lorsqu’ils n’ont pas les premiers élémens de l’instruction ? N’a-t-on pas, je suis forcé de le dire, n’a-t-on pas, avec des décrets bons en eux-mêmes, mais où l’on insérait des dispositions atroces, déversé la honte et le mépris sur des hommes recommandables par leurs talens ? jamais Robespierre n’a regardé les hommes instruits qu’avec des yeux louches, avec des yeux de fureur et d’envie, non seulement parce qu’il ne savait rien, mais parce q’il sentait que jamais les hommes instruits ne fléchirait le genou devant lui. Je demande que la Convention accorde souvent la parole au comité d’instruction publique. Nous ne manquons pas de besogne; elle est toute faite, il ne s’agit que de la méditer et de la mûrir par la discussion (On applaudit). FRÉRON : J’appuie les observations de mon collègue Fourcroy. On a voulu établir le vandalisme, étouffer la liberté de la presse. Je demande que Grégoire soit entendu sur le traducteur de Pline, Poinsinet de Sivry, qui languit dans la misère. Après avoir détruit Robespierre, ce nouvel Omar qui voulait brûler les bibliothèques, donnons ce grand exemple de l’infortune soulagée dans la personne d’un homme estimable. GRÉGOIRE : Le rapport dont parle Fréron a dû être concerté avec le comité de Liquidation, où il est en ce moment. Je reviens à l’instruction publique. Nous sommes à la veille de l’hiver; les enfans iront plus facilement aux écoles. L’instruction a été paralysée jusqu’à ce jour par l’ignorance, il faut l’éclairer; par la malveillance, il faut la comprimer; par l’esprit de contre-révolution, il faut l’étouffer. GIRAUD (de l’Aude) : Il est tems que le Convention aborde cette grande question. Jusqu’à présent la Convention a été enchaînée. Qu’elle ressaisisse donc ses droits et son pouvoir, je demande qu’il soit décrété en principe, que sans instruction publique il n’y a point de liberté républicaine. DU BOUCHET : Il est inutile de faire cette déclaration : nous le pensons bien, comme le préopinant; mais avant d’entrer dans le sanctuaire des sciences; il faut apprendre les connaissances élémentaires. Il faut s’occuper des écoles primaires, avant de parler des hommes de lettres. Il faut ensuite, pour trouver des instructeurs méritans, leur donner des traitements convenables. Il faut encore que, deux jours par décade, la Convention discute l’instruction publique. (63) D’après Ann. R.F., n° 273. 10 146 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE LAKANAL : Je crois qu’il est facile de terminer vite et d’une manière utile la discussion qui s’est ouverte sur l’instruction publique. Il faut d’abord organiser vos comités. En second lieu, il faut que dans un bref délai le comité d’instruction publique présente un rapport pour activer les écoles primaires. En troisième lieu, il faut, comme l’a demandé le préopinant, que la Convention s’occupe deux jours par décade de l’instruction publique. Enfin, je demande que Grégoire ait la parole sur les dégradations des monuments des arts. Vous apprendrez avec indignation qu’on est allé jusqu’à mettre les scellés sur des ménageries. La Convention accorde la parole à Grégoire (64). 18 Plusieurs représentants du peuple rentrent dans la salle et montent à la tribune. Un membre : Les citoyens ont porté des secours si prompts, si nombreux, qu’il n’est plus question maintenant que d’arrêter ce mouvement de sensibilité ( On applaudit). J’ai entendu des femmes dire : Eh bien ! nous ferons des armes, si nos maris périssent (Nouveaux ap-plaudissemens). Le malheur est au-dessus de la Convention, elle le réparera, elle s’occupera de faire rebâtir les asyles des citoyens; j’espère que la République n’aura rien perdu de son énergie, et n’en sera que plus forte. CARRIER : Comme l’a très bien observé mon collègue, les secours ont été grands, en proportion du malheur. Il restait un assez grand magasin de poudre. La Convention apprendra avec satisfaction que cette poudre a été soustraite à la rapidité des flammes, ainsi qu’un magasin de souffre. Je crois que des mesures ultérieures ne pourraient qu’entraver la marche des opérations; il y a assez de pompiers, assez d’eau; nous avons fait visiter les caves; l’ordre est parfaitement rétabli; nous réparerons ce grand malheur. Un membre : J’ai oublié de vous dire que des citoyens sont allés d’eux-mêmes chez les marchands de vin des environs, dire : « Ne donnez votre vin qu’aux blessés ». La commune de Vaugirard a envoyé, de son propre mouvement, deux tonneaux de vin pour eux (On applaudit). BEZARD : Je me suis transporté dans les sections de l’Homme-Armé, de la Réunion et à la trente-deuxième division de gendarmerie. J’ai parlé au milieu des cris de vive la République et la Convention nationale ! Toutes les mesures que l’humanité prescrit ont été prises : aussitôt l’événement connu, (64) Débats, n° 712, 264-267; Moniteur, XXI, 644-645. Les journaux placent après ce débat la discussion à propos de Le Cointre (cf. n° 13). Mess. Soir, n° 743; Ann. R.F., n° 273; F. de la Républ., n° 424. voitures, matelas, charpie étaient offerts pour les blessés; les citoyens offrent de recevoir des blessés dans leur lits. L’inquiétude que la malveillance cherche à grossir, est dissipée. Les citoyens veillent les aristocrates; et les méchans auront beau s’agiter, ils ne pourront tourner l’événement à leur profit. DELMAS : Il est d’autres vérités que la Convention doit entendre. Les représentans du peuple, témoins de cette scène affligeante, ont entendu des propos excécrables; ce qui prouve que la police de Paris est sans force et sans énergie; ce qui prouve qu’il existe dans cette commune des contre-révolutionnaires élargis (On applaudit). Je demande que, pour faire cesser cette anarchie, Merlin monte à la tribune, et fasse le rapport sur l’organisation de la police de Paris. CARRIER : Puisque l’on aborde enfin cette question, que je n’ai pas voulu aborder encore, je déclare que Delmas a grande raison. Sans doute, citoyens, les événements qui se passent nous amèneront à de grandes connaissances : ils nous donneront le fil de grands complots dont nous avons été menacés. Sans doute, mon collègue Boursault avouera qu’au moment où il voulait se porter au lieu de l’explosion, il a trouvé des obstacles qu’on lui opposait. Des pompiers m’ont dit que, dans la rue Honoré, il y avait des scélérats qui les empêchait de courir au feu. Quand tous ces faits seront bien comparés aux mots de désastres qu’on faisait retentir depuis quelques temps, il ne restera plus de doute sur les auteurs de ces désastres; il ne restera plus que les incrédules à convaincre. On saura ce que c’est que d’avoir accordé la liberté à tant de chevaliers du poignard (vifs applaudissemens), jusqu’à celui qui commandait au 10 août le massacre des patriotes; on saura enfin, quoiqu’on n’ait pas voulu livrer à l’impression la liste de ceux qui avaient demandé ces élargissemens; on saura bien enfin ce qu’on entendait par cette conspiration du 10 fructidor... (Un membre : Tallien l’a annoncée aux Jacobins). On verra de quel côté sont les vrais continuateurs de Robespierre, où est la queue de Robespierre (On applaudit). FÊRAUD : Nous avons marché et nous marchons encore sur des cendres qui couvent un feu violent : en me portant au magasin à poudre, j’ai été effrayé d’entendre les propos les plus atroces; j’ai invité les comités de Salut public et de Sûreté générale à prendre les mesures les plus vigoureuses sur la police de Paris. La république est perdue, si sous ne savons agir avec force (Il s’élève quelques murmures). Plusieurs membres : Oui, Oui, il a raison. Peut-on douter de ce que j’avance, quand il est constant qu’on a prêché hautement la royauté. La police de Paris saura qu’il y a dans cette ville quatre à cinq mille officiers et soldats qui devraient être aux frontières. On vous a dit ici que Robespierre avait appelé autour de lui huit à dix mille contre-révolutionnaires; je n’en doute plus, depuis les propos que j’ai entendu. Oui, mes collègues, j’ai entendu dire : Depuis que Robespierre est mort, cela ne va pas bien.