SÉANCE DU 9 THERMIDOR AN II (MATIN) (27 JUILLET 1794) - D 555 FRÉRON : On voulait former un triumvirat qui rappelait les proscriptions sanglantes de Sylla; on voulait s’élever sur les ruines de la république, et les hommes qui le tenaient sont Robespierre, Cou-thon et Saint-Just. Plusieurs voix : Et Lebas. FRÉRON : Couthon est un tigre altéré du sang de la représentation nationale. Il a osé, pour passe-temps royal, parler dans la Société des Jacobins de cinq ou six têtes de la Convention [Oui, oui ! s’écrie-t-on de toutes parts). Ce n’était là que le commencement, et il voulait se faire de nos cadavres autant de degrés pour monter au trône. COUTHON : Je voulais arriver au trône, oui ! FRÉRON : Je demande aussi le décret d’arrestation contre Saint-Just, Lebas et Couthon. ELIE-LACOSTE : J’appuie cette proposition. C’est moi qui ai dit le premier au comité de salut public que Couthon, Saint-Just et Robespierre formaient un triumvirat. Saint-Just a pâli et s’est trouvé mal. Lorsqu’il arriva de l’armée du Nord, après qu’il nous eut parlé de l’état et de la position de cette armée, il nous rapporta qu’un officier suisse, fait prisonnier lui avait dit que nous ne devions pas compter sur nos succès, que l’ennemi était instruit de nos ressources, et qu’il espérait une scission dans le gouvernement, à l’aide de laquelle il traiterait de la paix avec une faction quelconque. Ce sont eux, les scélérats, qui ont voulu produire la scission. Depuis quelque temps nous étions tranquilles; les conjurations étaient déjouées ; ceux qui les avaient formées périssaient sous le glaive de la loi, et les armées avaient mis la victoire à l’ordre du jour, lorsque ces hommes perfides ont tenté d’étouffer la liberté. Je demande le décret d’accusation contre Couthon, Saint-Just et Lebas. [Cette proposition est décrétée au milieu des plus vifs applaudissements] (l). D BARÈRE, au nom du comité de salut public : Citoyens, un de mes collègues, revenant de l’armée du Nord, a rapporté au comité qu’un officier ennemi, fait prisonnier dans la dernière action qui nous a donné la Belgique, avait dit : « Tous vos succès ne sont rien; nous n’en espérons pas moins traiter de la paix avec un parti, quel qu’il soit, avec une fraction de la Convention, et de changer bientôt de gouvernement ». Saint-Just nous a apporté, comme instruction, ces nouvelles. Ce moment, prédit par l’officier autrichien, ne serait-il pas venu pour le parti de l’étranger et pour les ennemis de l’intérieur, si vous n’aviez pris des mesures rigoureuses ? (l) Moniteur (réimpr.), XXI, 335; Débats, n°677; J. Mont., n°93bis; Ann. R.F., n°239; Ann. patr., n° DLXXIV ; J. Sablier, n° 1464; C. Eg., nos 708, 709; Mess. Soir, n° 708; Rép., Suppl1 au n°220; -J. Perlet, n° 674; J. Fr., n°672; C. Univ., n° 939. Voir P.V., nos 5 et 6. Les deux comités ne peuvent plus se dissimuler cette vérité : le gouvernement est attaqué, ses membres sont coupables d’improbations et d’injures, ses relations sont arrêtées, la confiance publique est suspendue, et l’on a fait le procès à ceux qui font le procès à la tyrannie. On parle de la persécution des patriotes; mais les comités n’ont-ils pas aussi à réclamer contre lui la même oppression ? Et depuis quelques jours on ameute de tous les côtés les citoyens, on les égare contre le gouvernement révolutionnaire : les Anglais, les Autrichiens, veulent-ils autre chose ? On cherche à produire des mouvements dans le peuple, on cherche à saisir le pouvoir national au milieu d’une crise préparée, et l’on sait que tout Etat libre où les grandes crises n’ont pas été prévues, est à chaque orage en danger de périr. Il n’y a que vous, citoyens, qui, de ces crises mêmes, ayez su tirer un nouveau moyen de maintenir le gouvernement révolutionnaire. La même occasion s’est présentée aujourd’hui à votre courage civique, et vous l’avez saisie. Vous ne pouvez en douter : sans les comités réunis, il y a longtemps que le gouvernement révolutionnaire et la république seraient bouleversés. Jetez les yeux sur ce qui s’est passé depuis dix-huit mois : sans la centralité du gouvernement, la France était subjuguée par les rois; la liberté était pour jamais anéantie, et les vrais patriotes égorgés. Qui voudrait donc ici ôter à la République la ressource et les institutions qui l’on sauvée tant de fois ? et ceux qui font des efforts contre ces institutions, ne sont-ils pas les ennemis du peuple ? Eh ! qu’on ne pense pas qu’après avoir renversé quelques patriotes ardents et purs, quelques hommes puissent régir les affaires publiques : ce n’est pas par des discours qu’on gouverne, ce n’est pas par des plaintes perpétuelles qu’on bâtit une république. Les comités sont le bouclier, l’asile, le sanctuaire du gouvernement central, du gouvernement unique, du gouvernement révolutionnaire : tant qu’ils subsisteront, il est impossible que la royauté se relève, que l’aristocratie respire, que le crime domine, que la république ne soit pas triomphante. On veut détruire tous ceux qui ont de l’énergie ou des lumières; on veut anéantir tout ce qui est pur et vrai républicain, et ces propos sont sortis, non pas du tribunal révolutionnaire, qui fait son devoir, mais de quelques membres de ce tribunal, sur le patriotisme desquels vous devez prononcer aujourd’hui. Il faut se prononcer sur plusieurs individus qui exercent des fonctions importantes ; il n’y a que les entreprises violentes qui mettent dans la nécessité de vous dévoiler tant de vérités, parce qu’alors le gouvernement n’a plus d’autre secret que celui de sauver la république, et ce secret appartient au peuple. La forme établie se trouve altérée, l’activité du gouvernement est suspendue, la liberté des citoyens est compromise, la sûreté publique est ébranlée, l’opinion est chancelante. Des gouvernants uniques et des peuples libres sont deux antipodes, des contraires absolus; des réputations énormes et des hommes égaux, ne peuvent longtemps exister en commun ; des inquiétudes factices et des travaux réels ne marchent point ensemble; il faut modestement servir la patrie pour elle, et non pas pour nous. SÉANCE DU 9 THERMIDOR AN II (MATIN) (27 JUILLET 1794) - D 555 FRÉRON : On voulait former un triumvirat qui rappelait les proscriptions sanglantes de Sylla; on voulait s’élever sur les ruines de la république, et les hommes qui le tenaient sont Robespierre, Cou-thon et Saint-Just. Plusieurs voix : Et Lebas. FRÉRON : Couthon est un tigre altéré du sang de la représentation nationale. Il a osé, pour passe-temps royal, parler dans la Société des Jacobins de cinq ou six têtes de la Convention [Oui, oui ! s’écrie-t-on de toutes parts). Ce n’était là que le commencement, et il voulait se faire de nos cadavres autant de degrés pour monter au trône. COUTHON : Je voulais arriver au trône, oui ! FRÉRON : Je demande aussi le décret d’arrestation contre Saint-Just, Lebas et Couthon. ELIE-LACOSTE : J’appuie cette proposition. C’est moi qui ai dit le premier au comité de salut public que Couthon, Saint-Just et Robespierre formaient un triumvirat. Saint-Just a pâli et s’est trouvé mal. Lorsqu’il arriva de l’armée du Nord, après qu’il nous eut parlé de l’état et de la position de cette armée, il nous rapporta qu’un officier suisse, fait prisonnier lui avait dit que nous ne devions pas compter sur nos succès, que l’ennemi était instruit de nos ressources, et qu’il espérait une scission dans le gouvernement, à l’aide de laquelle il traiterait de la paix avec une faction quelconque. Ce sont eux, les scélérats, qui ont voulu produire la scission. Depuis quelque temps nous étions tranquilles; les conjurations étaient déjouées ; ceux qui les avaient formées périssaient sous le glaive de la loi, et les armées avaient mis la victoire à l’ordre du jour, lorsque ces hommes perfides ont tenté d’étouffer la liberté. Je demande le décret d’accusation contre Couthon, Saint-Just et Lebas. [Cette proposition est décrétée au milieu des plus vifs applaudissements] (l). D BARÈRE, au nom du comité de salut public : Citoyens, un de mes collègues, revenant de l’armée du Nord, a rapporté au comité qu’un officier ennemi, fait prisonnier dans la dernière action qui nous a donné la Belgique, avait dit : « Tous vos succès ne sont rien; nous n’en espérons pas moins traiter de la paix avec un parti, quel qu’il soit, avec une fraction de la Convention, et de changer bientôt de gouvernement ». Saint-Just nous a apporté, comme instruction, ces nouvelles. Ce moment, prédit par l’officier autrichien, ne serait-il pas venu pour le parti de l’étranger et pour les ennemis de l’intérieur, si vous n’aviez pris des mesures rigoureuses ? (l) Moniteur (réimpr.), XXI, 335; Débats, n°677; J. Mont., n°93bis; Ann. R.F., n°239; Ann. patr., n° DLXXIV ; J. Sablier, n° 1464; C. Eg., nos 708, 709; Mess. Soir, n° 708; Rép., Suppl1 au n°220; -J. Perlet, n° 674; J. Fr., n°672; C. Univ., n° 939. Voir P.V., nos 5 et 6. Les deux comités ne peuvent plus se dissimuler cette vérité : le gouvernement est attaqué, ses membres sont coupables d’improbations et d’injures, ses relations sont arrêtées, la confiance publique est suspendue, et l’on a fait le procès à ceux qui font le procès à la tyrannie. On parle de la persécution des patriotes; mais les comités n’ont-ils pas aussi à réclamer contre lui la même oppression ? Et depuis quelques jours on ameute de tous les côtés les citoyens, on les égare contre le gouvernement révolutionnaire : les Anglais, les Autrichiens, veulent-ils autre chose ? On cherche à produire des mouvements dans le peuple, on cherche à saisir le pouvoir national au milieu d’une crise préparée, et l’on sait que tout Etat libre où les grandes crises n’ont pas été prévues, est à chaque orage en danger de périr. Il n’y a que vous, citoyens, qui, de ces crises mêmes, ayez su tirer un nouveau moyen de maintenir le gouvernement révolutionnaire. La même occasion s’est présentée aujourd’hui à votre courage civique, et vous l’avez saisie. Vous ne pouvez en douter : sans les comités réunis, il y a longtemps que le gouvernement révolutionnaire et la république seraient bouleversés. Jetez les yeux sur ce qui s’est passé depuis dix-huit mois : sans la centralité du gouvernement, la France était subjuguée par les rois; la liberté était pour jamais anéantie, et les vrais patriotes égorgés. Qui voudrait donc ici ôter à la République la ressource et les institutions qui l’on sauvée tant de fois ? et ceux qui font des efforts contre ces institutions, ne sont-ils pas les ennemis du peuple ? Eh ! qu’on ne pense pas qu’après avoir renversé quelques patriotes ardents et purs, quelques hommes puissent régir les affaires publiques : ce n’est pas par des discours qu’on gouverne, ce n’est pas par des plaintes perpétuelles qu’on bâtit une république. Les comités sont le bouclier, l’asile, le sanctuaire du gouvernement central, du gouvernement unique, du gouvernement révolutionnaire : tant qu’ils subsisteront, il est impossible que la royauté se relève, que l’aristocratie respire, que le crime domine, que la république ne soit pas triomphante. On veut détruire tous ceux qui ont de l’énergie ou des lumières; on veut anéantir tout ce qui est pur et vrai républicain, et ces propos sont sortis, non pas du tribunal révolutionnaire, qui fait son devoir, mais de quelques membres de ce tribunal, sur le patriotisme desquels vous devez prononcer aujourd’hui. Il faut se prononcer sur plusieurs individus qui exercent des fonctions importantes ; il n’y a que les entreprises violentes qui mettent dans la nécessité de vous dévoiler tant de vérités, parce qu’alors le gouvernement n’a plus d’autre secret que celui de sauver la république, et ce secret appartient au peuple. La forme établie se trouve altérée, l’activité du gouvernement est suspendue, la liberté des citoyens est compromise, la sûreté publique est ébranlée, l’opinion est chancelante. Des gouvernants uniques et des peuples libres sont deux antipodes, des contraires absolus; des réputations énormes et des hommes égaux, ne peuvent longtemps exister en commun ; des inquiétudes factices et des travaux réels ne marchent point ensemble; il faut modestement servir la patrie pour elle, et non pas pour nous.