[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [10 novembre 1789.] 741 blée nationale, soit à l’assemblée provinciale (1); 5° Que les membres de l’Assemblée nationale, assemblés par la généralité, soient chargés de lui présenter incessamment leurs observations sur le territoire qui doit être provisoirement compris dans chaque département et dans chaque arrondissement et sur les chefs-lieux d’arrondissement, et qu’il soit réservé de ne statuer définitivement sur cet objet qu’après avoir entendu les assemblées provinciales ; 6° Que les assemblées provinciales tiennent leurs sessions alternativement, tous les deux ans, dans chaque chef-lieu d’arrondissement ; 7° Que l’Assemblée nationale tienne alternativement les siennes, tous les deux ans, dans chaque chef-lieu de département ; 8° Qu’il soit établi une administration municipale purement élective, dans chaque ville, bourg, paroisse ou communauté du royaume. On demande et l’Assemblée ordonne l’impression et la distribution du discours de M. Pison du Galland. La suite de la discussion est renvoyée à demain. M. le Président annonce que le recensement du scrutin pour les officiers de l’Assemblée n’a produit aucune majorité pour la présidence. MM. l’archevêque d’Aix, Thouret et Emtnery ont partagé les voix, mais d’une manière très-inégale. La majorité a été plus décidée à l’égard des secrétaires : MM. Rabaud de Saint-Etienne, Salomon et le vicomte de Mirabeau ont réuni le plus grand nombre de suffrages. On s’occupera aujourd’hui d’une nouvelle nomination du président. On reprend la discussion concernant l'arrêté de la chambre des vacations du parlement de Rouen. M. Target lit une motion rédigée en ces termes : « L’Assemblée nationale, considérant que l’arrêté pris le six de ce mois par la chambre des vacations du parlement de Normandie, et qui lui a été communiqué par les ordres du Roi, est un attentat à la puissance souveraine de la nation ; « A décrété et décrète : 1° que M. le président se retirera devers le Roi, pour le remercier, au nom de la nation, de la promptitude avec laquelle il a proscrit cet arrêté, et réprimé les écarts de ladite chambre ; « 2° Que cette pièce sera renvoyée au tribunal auquel elle a attribué provisoirement la connaissance des crimes de lèse-nation, pour le procès être iastruit contre les auteurs de l’arrêté, ainsi qu’il appartiendra; « 3° Que pendant cette suspension, les présidiaux de son ressort jugeront définitivement toutes matières civiles, leur attribuant à cet effet tout pouvoir et juridiction nécessaires ; « 4° Que les procès déjà jugés par les présidiaux, et portés par appel au parlement de Rouen, seront renvoyés chacun au présidial le plus voisin de celui qui aura prononcé; « 5° Que tous les procès criminels portés par appel, de suite ou autrement, au parlement de (1) Cette division a un avantage, en ce que les arrondissements d'élection se trouveront ainsi au nombre de 216, ce qui rapproche davantage les électeurs que ne le fait M. de Mirabeau, qui ne les rassemble que dans les 120 départements. Rouen, ainsi que ceux qui y seront portés, seront jugés par le présidial de Rouen, auquel elle attribue toutes cour et juridiction. » Plusieurs membres demandent la division de la motion. M. Tanj uinais désire qu’on suspende dès ce moment la chambre des vacations de toutes fonctions ; qued’on nomme des commissaires chargés d’aviser aux moyens de la remplacer sur-le-champ, et de pourvoir dans son ressort à l’admb nistration de la justice. M. Oarat aîné. Si je n’écoutais que les impressions que l’homme et le citoyen ont dû recevoir à la lecture de cet arrêté, je voterais pour les mesures correctionnelles et pénales qu’on vous a proposées, mais je ne prendrais pas conseil de la sensibilité et de l’amour-propre d’un représentant de la nation.... (De violents murmures se font entendre.) Nous avons affaire à un adversaire formaliste ; il faut mettre de notre côté les formes, comme nous avons le fond pour nous. Le Roi a fait, par son arrêté du conseil, ce qu’il devait faire, puisque l’arrêté tend à soulever le peuple contre ses représentants et à jeter le royaume dans l’anarchie en feignant de la craindre ; il le devait encore à son autorité, puisqu’il avait sanctionné le décret qui mettait en vacance les magistrats de Normandie; mais les termes dont le Roi s’est servi sont si dignes de son amour pour ses peuples, qu’il faut délibérer une adresse de remerciements à Sa Majesté. On vous a proposé d’interdire la chambre des vacations ou de la remplacer par d’autres officiers, mais ce serait là un jugement pénal provisoire, que l’Assemblée doit s’interdire ; il suffit de renvoyer au Châtelet, qui ne laissera pas ce crime impuni. , M. de Vrigny. La chambre des vacations est répréhensible, mais sa faute ne peut tomber sur une province entière : la justice est due à tous, et les peuples ne consentiront jamais à perdre leurs juges naturels. Mes commettants m’ont enjoint de réclamer la conservation et l’inamovibilité des tribunaux de la province, et que leur échiquier soit conservé. Je propose de décréter que M. le président se retirera devers le Roi, pour le remercier de la célérité qu’il a mise à casser l’arrêté de la chambre des vacations, à cause de J’attentat qu’elle a commis contre l’Assemblée nationale, et que sur le surplus on déclare qu’il n’y a lieu à délibérer. M. le comte de Clermont-Tonnerre. Messieurs, après avoir lu le décret de l’Assemblée du 3 de ce mois, qui porte que toutes cours et tribunaux, même en vacation, seront tenus de transcrire sur les registres les lois qui leur seront envoyées, sous peine d’élre poursuivis comme prévaricateurs dans leurs fonctions et coupables de forfaiture, la chambre des vacations a bien inscrit sur les registres le décret du 3 novembre, mais il est difficile de reconnaître son obéissance dans les termes qu’elle a employés ; on y reconnaît plutôt tous les caractères de la forfaiture. C’est en rappelant aux peuples du royaume les chagrins du meilleur des rois, que nous aurions voulu lui épargner au prix de notre sang, que cette chambre a voulu consacrer cette résistance, qu’elle se permet de regarder comme fondée... On vous a dit que le tribunal du Châtelet ne pou- [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [10 novembre 1789.) *742 yait pas juger les membres du parlement; mais ce tribunal n’est-il pas actuellement chargé de connaître des crimes de lèse-nation? et ce tribunal a mérité la confiance générale. Si vous craignez de renvoyer un parlement au Châtelet, il y a dans ce préjugé une arrière-pensée d’aristocratie.... On a proposé de nommer des commissaires de ,’Assemblée pour suivre cette affaire; cette mesure est raisonnable, elle n’indique pas que nous ayons condamné la chambre des vacations, nous ne faisons à son égard que ce qui se pratique en Angleterre. Dans la législature anglaise la Chambre des communes juge s’il y a lieu à l’accusation. Ce jugement n’existe pas en quelque manière pour l’accusé, il n’existe que pour la chambre, et ce premier jugement est précédé d’un grand examen et suivi de l’accusation. Ici vous avez un motif d’accusation fondé sur un fait public et dont l’accusé convient ; il vous est dénoncé par un acte du pouvoir exécutif. Vous pouvez donc accuser et nommer des commissaires à l’accusation; l’Assemblée nationale, après avoir détruit les ordres, ne doit pas redouter les corporations. Le procès nous apprendra, ce qu’il importe de savoir, si ce sont ici des membres de la chambre des vacations qui ont seuls agi, ou s’il existe encore un ensemble de résistance. M. La Poule appuie l’opinion de M. de Clermont-Tonnerre. Un autre membre dit que, Je pouvoir exécutif ayant, prononcé, l’Assemblée n’a plus rien à faire ; il cite Montesquieu, lorsqu'il dit que rien ne prouve plus le despotisme que la multiplicité des accusations delèse-majesté. Il faut, a-t-il ajouté, ne plus parler de crime de lèse-nation, que vous ne l’ayez défini ; remerciez le Roi, et déclarez n’y avoir lieu à délibérer. M. Lambert de Frondeville. En qualité de résident du parlement de Normandie, et même e président de la chambre des vacations, je ne me présente qu’avec beaucoup de timidité.... (Les marques d’approbation de l’Assemblée encouragent l’orateur.) Je sais que l’esprit de corps doit céder à l’esprit public; mais les métamorphoses subites sont bien difficiles. Quoique président, je n’ai participé en aucune manière à l’arrêté ; je ne i’ai même connu que lorsqu’il a été envoyé à M. le garde des sceaux. J’ai entendu proposer plusieurs partis violents, mais aucune inculpation raisonnée; ici point de délit constaté, et je ne puis concevoir comment on peut proposer des peines. La chambre a obéi aux décrets de l’Assemblée; un témoignage de dévouement au Roi, témoignage peut-être indiscret, peut contenir des erreurs, mais le corps du délit ne se trouve pas dans les expressions insolentes. Je ne veux point faire la guerre aux mots ; je ne suis ici que suppliant. Je vous prie de jeter vos regards sur ces corps antiques ; ils ont vu un torrent d’esprit public se transporter au delà des bornes que votre sagesse voulait lui prescrire; c’est au milieu de ces désordres qu’ils ont vus, au milieu de l’étourdissement universel, si j’ose le dire, qu’ils ont tait entendre leurs plaintes. N’v a-t-il pas de la cruauté à ne pas souffrir un crfde plainte à celui qui souffre? Les magistrats que vous poursuivez ne doivent-ils pas être accablés de chagrin quand ils perdent leur état et leur existence? C’est leur opinion et non leur désobéissance que vous allez j punir. Des magistrats livrés à la fureur du peuple, fugitifs, expatriés, séparés de leurs familles désolées.... (Aces mots l’orateur verse des larmes; son émotion se communique à tous les auditeurs, et des applaudissements réitérés Jui prouvent les impressions favorables que sa sensibilité vient de produire sur l’Assemblée.) Il m’est pardonnable de défendre mes confrères, avec lesquels j’ai vécu, et dont je dois partager les malheurs. Je vous supplie, Messieurs, de considérer dans quel abîme vous allez plonger ces magistrats ; je ne résume pas mon opinion, vous me permettrez de n’en point avoir dans une affaire qui m’est presque personnelle. M. le chevalier Alexandre de Lameth. Il n’y a rien à ajouter à ce qu’a dit le préopinant en faveur des magistrats de Normandie* Il a rempli avec une sensibilité rare un devoir sacré; mais j’ose dire qu’il a laissé la question de côté. M. Barnave. Si l’on considère ce discours sous le rapport de l’humanité, il n’y a pas un mot à répondre ; mais si l’on veut le regarder comme une justification du parlement, il est facile de faire disparaître tous les moyens dont iL est étayé. Le corps du délit est évident dans les principes anti -constitutionnels sur l’enregistrement; les réserves qui l’accompagnent et les qualifications qui y sont jointes forment un corps de délit constant, qui entraînent à forfaiture ; il ne reste que la forme dans laquelle il doit être poursuivi; il me semble que ce délit est un crime de lèse-nation, pour la poursuite duquel il faut renvoyer devant le tribunal compétent, et nommer des commissaires. M. Lambert de Frondeville observe que la chaAbre des vacations ne peut enregistrer que provisoirement, et que ces mots, sans tirer à conséquence , ne peuvent pas la rendre plus coupable; il a ajouté que la chambre n’avait fait ni imprimer, ni afficher, ni envoyé au bailliage de son ressort l’arrêté du 6. Un député de Nevers propose un décret portant que l’arrêté sera rayé des registres, et le Roi supplié d’envoyer des commissaires pour assister à la radiation, et que la chambre des vacations sera tenue d’enregistrer, à peine de forfaiture. On demande aussitôt de mettre aux voix la division, l’ajournement et la question préalable. M. de Bouville appuie la division. M. Le Chapelier prouve qu’elle ne peut être accordée; il dit seulement que le parlement de Normandie ne peut être puni pour un délit particulier à la chambre des vacations, et qu’ainsi il suffisait de demander que le Roi nommât une autre chambre de vacations parmi les autres membres du parlement. M. Le Chapelier. Voici ma motion : « Que le Roi sera supplié de nommer une autre chambre des vacations, prise parmi les autres membres du parlement de Rouen, avec les mêmes pouvoirs et les mêmes fonctions que la précédente, laquelle enregistrera purement et simplement le décret du 3 novembre. » On demande de nouveau la division des articles. La division est accordée. Les trois articles de la motion de M. Target amendée sont successivement mis aux voix et décrétés en ces termes :