SÉANCE DU 24 MESSIDOR AN II (12 JUILLET 1794) - Nos 42-43 101 ils en remplacement ? des compagnons qui ne seraient pas guidés comme eux par l’amour pur de la gloire et de la patrie. Ah ! gardons-nous de donner à nos armées pures et invincibles un tel point de contact ; si la pureté se trouve dans l’extrême médiocrité, dans la pauvreté même, c’est dans celle que l’on tient de ses pères et non de soi-même. L’inconduite préside plus souvent que le malheur au dérangement des fortunes et à l’amas des dettes. Laissons, laissons aux despotes l’appel aux gens obérés et à ceux qui, sans l’être, voudraient, par raffinement d’immoralité, établir leur fortune sur de sordides spéculations. N’allons pas, dans des jours de triomphe, faire croire à l’univers que nous en soyons réduits à cette honteuse ressource, que la république n’adopta point aux époques les plus critiques de la Révolution. Nous ne dirons pas à nos frères d’armes que c’est pour leur propre gloire que nous décidons ainsi; ils le sentiront bien : nous ne leur dirons pas que c’est pour l’intérêt du plus grand nombre; ils savent bien que le leur est inséparable de celui de leurs pères : enfin, nous ne leur dirons pas que la proposition que nous venons de discuter est anti-sociale et indigne d’eux; en la condamnant à un éternel oubli, vous préviendrez leurs vœux et mériterez leur reconnaissance. Oui, leur reconnaissance ; car il en est sans doute beaucoup plus à qui la loi proposée serait funeste qu’il n’en est à qui elle profiterait. C’est un point que je crois démontré; et d’ailleurs tous n’avaient-ils pas, tous n’ont-ils pas encore la faculté du mandat et la garantie des tribunaux, qui sans doute n’adjugeront rien contre eux sans vérification ? Et si l’on ne s’arrêtait pas à ces principes, où en serait-on ? Ne faudrait-il pas bientôt accorder le même avantage à tous ceux que la patrie tient hors de leurs foyers; car où il y a parité de raison et égalité, il ne peut y avoir disparité de législation, sans établir un privilège en faveur des uns et commettre une injustice envers les autres. Gardons-nous, citoyens, d’ouvrir la porte aux privilèges; toujours, et dans tous les gouvernements, ils ne s’introduisirent d’abord que sous le prétexte de l’exacte justice, mais bientôt ils s’accrurent à ses dépens. Sans doute, nous devons honorer nos braves défenseurs; mais la démocratie serait blessée là où l’on pourrait dire : « Voilà le droit commun des citoyens, et voilà celui des soldats ». Loin de nous toute tendance à l’établissement d’une caste militaire par des attributions spéciales. Si d’ailleurs quelques défenseurs de la patrie recevaient un préjudice réel, qui plus qu’eux auraient droit, en connaissance de cause, aux secours de la république ? Ils ont sur ce point la garantie résultant et de leurs services et de la gratitude nationale ; mais au-delà le principe essentiel de notre gouvernement serait blessé, l’ordre social compromis, et la gloire même de nos armées atteinte et offensée. Il me reste, citoyens, à vous faire une dernière observation : la proposition que nous venons de discuter n’est point nouvelle; déjà elle a été produite dans cette assemblée sans qu’il y ait été statué. Sans doute, le danger en fut senti alors; il n’est pas moindre aujourd’hui, et ce n’est pas sous le règne de la probité qu’une source aussi féconde de combinaisons immorales et désastreuses sera consacrée. Telles ont été les réflexions de votre comité sur cette importante question; la résolution, contraire, beaucoup plus populaire en apparence, aurait sans doute trouvé beaucoup plus de faveur dans les premiers moments; mais les applaudissements de l’enthousiasme ne valent pas l’assentiment sage et réfléchi de la raison et de la justice, ces deux grandes bases de tout bon gouvernement. Voici le projet de décret : [adopté au milieu des applaudissements] (l). « La Convention nationale, après avoir entendu le rapport de [BERLIER, au nom de] son comité de législation sur la proposition de suspendre l’effet de toutes créances et actions civiles contre les défenseurs de la patrie; « Décrète qu’il n’y a pas lieu à délibérer. « Sur la proposition d’un membre, il a été décrété que le rapport seroit imprimé et inséré au bulletin » (2). 42 « La Convention nationale, après avoir entendu le rapport de son comité des secours publics sur la pétition de Jean-Noël Amant, volontaire au 4e bataillon du Loiret, blessé à Fontenay -le -Peuple d’un coup de feu qui l’a traversé du flanc gauche à l’intestin colon, et ne lui permet plus de continuer son service, ayant en conséquence été renvoyé de l’hôpital ambulant de Niort chez lui, décrète ce qui suit : « La trésorerie nationale paiera, sur la présentation du présent décret, audit Amant, une somme de 600 liv., à titre de secours; et renvoie sa pétition au comité de liquidation, pour le règlement de la pension. « Le présent décret ne sera imprimé que dans le bulletin de correspondance » (3). 43 « La Convention nationale, après avoir entendu le rapport de son comité de législation sur la pétition du citoyen Laurent Leroy, demeurant à Bazailles, fl) Mon., XXI, 203-205. (2) P.V., XLI, 212. Minute de la main de Berlier. Décret n° 9912. Reproduit dans Bm, 25 mess. (ler suppl1) ; Débats, n° 660 ; J. Univ., n° 1694 ; J. Mont., n° 77 ; J. Paris, n° 559 ; J. Sablier, n° 1432 ; J. Fr., n° 656 ; Ann. R.F., n° 224 ; M.U., XLI, 393 ; Rép., n° 205 ; Mess, soir, n° 692 ; Audit, nat., n° 657 ; J. Matin, n° 716 ; C. Univ., n° 924 ; Ann. patr., n° DLVIII ; J. S. Culottes, n° 513 ; C. Eg. n° 693 ; J. Perlet, n° 658. Voir ci-dessus, séance du 17 mess., n° 48. (3) P.V., XLI, 213. Minute de la main de Roger-Ducos. Décret n° 9909. Reproduit dans Bm, 28 mess. (ler suppl1); J. Univ., n° 1694. SÉANCE DU 24 MESSIDOR AN II (12 JUILLET 1794) - Nos 42-43 101 ils en remplacement ? des compagnons qui ne seraient pas guidés comme eux par l’amour pur de la gloire et de la patrie. Ah ! gardons-nous de donner à nos armées pures et invincibles un tel point de contact ; si la pureté se trouve dans l’extrême médiocrité, dans la pauvreté même, c’est dans celle que l’on tient de ses pères et non de soi-même. L’inconduite préside plus souvent que le malheur au dérangement des fortunes et à l’amas des dettes. Laissons, laissons aux despotes l’appel aux gens obérés et à ceux qui, sans l’être, voudraient, par raffinement d’immoralité, établir leur fortune sur de sordides spéculations. N’allons pas, dans des jours de triomphe, faire croire à l’univers que nous en soyons réduits à cette honteuse ressource, que la république n’adopta point aux époques les plus critiques de la Révolution. Nous ne dirons pas à nos frères d’armes que c’est pour leur propre gloire que nous décidons ainsi; ils le sentiront bien : nous ne leur dirons pas que c’est pour l’intérêt du plus grand nombre; ils savent bien que le leur est inséparable de celui de leurs pères : enfin, nous ne leur dirons pas que la proposition que nous venons de discuter est anti-sociale et indigne d’eux; en la condamnant à un éternel oubli, vous préviendrez leurs vœux et mériterez leur reconnaissance. Oui, leur reconnaissance ; car il en est sans doute beaucoup plus à qui la loi proposée serait funeste qu’il n’en est à qui elle profiterait. C’est un point que je crois démontré; et d’ailleurs tous n’avaient-ils pas, tous n’ont-ils pas encore la faculté du mandat et la garantie des tribunaux, qui sans doute n’adjugeront rien contre eux sans vérification ? Et si l’on ne s’arrêtait pas à ces principes, où en serait-on ? Ne faudrait-il pas bientôt accorder le même avantage à tous ceux que la patrie tient hors de leurs foyers; car où il y a parité de raison et égalité, il ne peut y avoir disparité de législation, sans établir un privilège en faveur des uns et commettre une injustice envers les autres. Gardons-nous, citoyens, d’ouvrir la porte aux privilèges; toujours, et dans tous les gouvernements, ils ne s’introduisirent d’abord que sous le prétexte de l’exacte justice, mais bientôt ils s’accrurent à ses dépens. Sans doute, nous devons honorer nos braves défenseurs; mais la démocratie serait blessée là où l’on pourrait dire : « Voilà le droit commun des citoyens, et voilà celui des soldats ». Loin de nous toute tendance à l’établissement d’une caste militaire par des attributions spéciales. Si d’ailleurs quelques défenseurs de la patrie recevaient un préjudice réel, qui plus qu’eux auraient droit, en connaissance de cause, aux secours de la république ? Ils ont sur ce point la garantie résultant et de leurs services et de la gratitude nationale ; mais au-delà le principe essentiel de notre gouvernement serait blessé, l’ordre social compromis, et la gloire même de nos armées atteinte et offensée. Il me reste, citoyens, à vous faire une dernière observation : la proposition que nous venons de discuter n’est point nouvelle; déjà elle a été produite dans cette assemblée sans qu’il y ait été statué. Sans doute, le danger en fut senti alors; il n’est pas moindre aujourd’hui, et ce n’est pas sous le règne de la probité qu’une source aussi féconde de combinaisons immorales et désastreuses sera consacrée. Telles ont été les réflexions de votre comité sur cette importante question; la résolution, contraire, beaucoup plus populaire en apparence, aurait sans doute trouvé beaucoup plus de faveur dans les premiers moments; mais les applaudissements de l’enthousiasme ne valent pas l’assentiment sage et réfléchi de la raison et de la justice, ces deux grandes bases de tout bon gouvernement. Voici le projet de décret : [adopté au milieu des applaudissements] (l). « La Convention nationale, après avoir entendu le rapport de [BERLIER, au nom de] son comité de législation sur la proposition de suspendre l’effet de toutes créances et actions civiles contre les défenseurs de la patrie; « Décrète qu’il n’y a pas lieu à délibérer. « Sur la proposition d’un membre, il a été décrété que le rapport seroit imprimé et inséré au bulletin » (2). 42 « La Convention nationale, après avoir entendu le rapport de son comité des secours publics sur la pétition de Jean-Noël Amant, volontaire au 4e bataillon du Loiret, blessé à Fontenay -le -Peuple d’un coup de feu qui l’a traversé du flanc gauche à l’intestin colon, et ne lui permet plus de continuer son service, ayant en conséquence été renvoyé de l’hôpital ambulant de Niort chez lui, décrète ce qui suit : « La trésorerie nationale paiera, sur la présentation du présent décret, audit Amant, une somme de 600 liv., à titre de secours; et renvoie sa pétition au comité de liquidation, pour le règlement de la pension. « Le présent décret ne sera imprimé que dans le bulletin de correspondance » (3). 43 « La Convention nationale, après avoir entendu le rapport de son comité de législation sur la pétition du citoyen Laurent Leroy, demeurant à Bazailles, fl) Mon., XXI, 203-205. (2) P.V., XLI, 212. Minute de la main de Berlier. Décret n° 9912. Reproduit dans Bm, 25 mess. (ler suppl1) ; Débats, n° 660 ; J. Univ., n° 1694 ; J. Mont., n° 77 ; J. Paris, n° 559 ; J. Sablier, n° 1432 ; J. Fr., n° 656 ; Ann. R.F., n° 224 ; M.U., XLI, 393 ; Rép., n° 205 ; Mess, soir, n° 692 ; Audit, nat., n° 657 ; J. Matin, n° 716 ; C. Univ., n° 924 ; Ann. patr., n° DLVIII ; J. S. Culottes, n° 513 ; C. Eg. n° 693 ; J. Perlet, n° 658. Voir ci-dessus, séance du 17 mess., n° 48. (3) P.V., XLI, 213. Minute de la main de Roger-Ducos. Décret n° 9909. Reproduit dans Bm, 28 mess. (ler suppl1); J. Univ., n° 1694.